jeudi 4 décembre 2014

Blick - C'est beau une ville la nuit

Bar de nuit

Je glissai dans le parking sur les feuilles mortes couleur limace. Les capots luisaient. A l'horizon, sur le plateau argenté de la lune, les immeubles en brique chatoyaient faiblement comme des chopes de bière et les vitres des gratte-ciels paraissaient dans la brume s'entrechoquer comme des glaçons dans des verres à cocktail. À ce vacarme lointain se mêlait la rumeur des mille rayures de la ville, traînées d'éclairage public, de phares, d'enseignes au néon, de câbles et de rails. Le ciel était boueux, saturé de lumières laiteuses.

Je souffre de palinopsie. Aussi, quand je poussai la porte du bar, une voie lactée, qu'avaient fait naître dans ma tête les étincelles gelées du tramway grinçant sur les pavés, éclaboussa l'immense miroir derrière le zinc, où se reflétèrent jusqu'à plus soif et jusqu'à l'aurore les bouteilles d'alcool placées sur des étagères de verre. La serveuse me sourit, je ne venais boire là tous les soirs que pour son sourire, ensuite je regardai ses yeux, ses cheveux que jaspaient de paillettes les spots multicolores pendus au plafond noirci, puis ses mains secouant un shaker, puis son sourire ses yeux ses cheveux ses mains actionnant la pompe à bière. Je regardai aussi ses hanches et ses fesses quand, tout au long de la nuit, mes yeux la suivirent qui traversait la salle par des ruelles entre les tables, portant sur un plateau de lune argentée des chopes et des cocktails, s'arrêtant à des placettes italiennes où des hommes causaient bruyamment, traversant en courant presque des jardins nocturnes plantés de magnolias et de tulipiers rêveurs bercés par le murmure des fontaines, ombre chinoise aux jambes fines sur les murs de vieilles rues envahies d'arroche, d'ombilic et de morelle noire.

Je souffre de palinopsie et redoute les comètes, les étoiles filantes et les filles dont les cheveux s'enroulent trop à mes pensées. Je quittai le bar en titubant à l'heure de la fermeture, alors que l'aube pâle éveillait les autobus dans leurs dépôts au sol de ciment blafard. « Je vous ramène, je vais dans le centre ? ». Mais mes paroles virevoltèrent dans le vent, et longtemps je l'imaginai grimpant des rues en escalier dans la vieille ville, puis des volées de marches couvertes d'un tapis usé de velours vert, une chambre sous les toits d'ardoise, une lucarne par laquelle, sur la pointe de ses pieds nus, talons rougis, elle aperçoit les lumières de la nuit qui d'un coup s'éteignent au jour naissant.


C'est beau une fille la nuit.

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