mercredi 28 janvier 2015

L'Arpenteur d'étoiles - Au fond du jardin


JUSTE RETOUR DES CHOSES (texte long)

Une voix rauque, comme voilée
- vous êtes bien monsieur Philippe ?

Il avait décroché son téléphone, mais il marqua un temps, surpris par cette voix qu’il ne connaissait pas.
- heu ... oui, oui
- alors c’est fait ; le travail est fait. Il ne bougera pas de sitôt
L’homme accompagna cette dernière phrase par un rire bref.
- quel travail ? Qui ne bougera plus ?
- monsieur Philippe ... la voix s’était faite un peu plus mielleuse.
- monsieur Philippe, enfin. J’ai accompli ce que vous avez demandé de faire, simplement. Et maintenant je veux mon argent, comprenez-vous ?
- je ne comprends pas ce que vous dites. Je ne sais pas qui vous êtes. Salut !
Et il raccrocha, choqué et inquiet. Il pensa qu’i s’agissait d’une erreur, ou d’un canular de mauvais goût. Il haussa les épaules, alla chercher un verre d’eau dans la cuisine et s’installa à son bureau pour continuer à écrire son dernier roman, sans doute voué aux succès comme tous les précédents.

On sonna à la porte. Un coup bref.
Philippe se figea. Il va venir ce soir, assez tard en plus, pensa-t-il. Il se dirigea vers la porte et demanda :
- qui est là ?
- c’est moi, monsieur Philippe. Laissez-moi entrer, je vous le conseille.
C’était l’homme à la voix rauque.
- mais qui êtes-vous bon Dieu ? Que me voulez-vous ?
En guise de réponse, une feuille glissa sous la porte d’entrée. Une photocopie d’une photo.
- regardez la photo. Vous voyez bien, monsieur Philippe. Le travail est fait. Vous devez régler la note. Vous n’entendrez plus parler de moi.
La voix s’était faite un peu plus forte, tout en conservant une certaine obséquiosité.
Philippe pensa que les voisins risquaient d’entendre, même de sortir sur le palier pour voir qui parlait ainsi. Il ramassa le papier.
La photo était celle d’une statue qu’il connaissait bien. Elle avait été installée dans sa ville natale quelques années auparavant.
- je la connais cette statue. Et je n’en n’ai pas grand-chose à faire d’ailleurs ...
- regardez-la mieux, monsieur Philippe. Regardez-la mieux fit la voix doucereuse de l’autre côté de la porte.

Philippe l’observa d’un peu plus près.
- impossible. C’est impossible bredouillait-il. C’est impossible ...
- si, si c’est possible. C’est bien lui, ce con d’Albert comme vous l’appeliez encore  l’autre jour au restaurant. Ouvrez-moi maintenant. Je pense que c’est mieux. J’entends vos voisins s’agiter derrière leurs portes.
- Philippe hésita puis ouvrit. En face de lui un petit homme soigné dans un manteau élégant. Un sourire discret rehaussé par une fine moustache et des yeux sombres, enfoncés sous un front large.
Philippe jeta un coup d’œil rapide sur le palier avant de refermer la porte.
- c’est un montage cette photo. Un gag. Vous êtes de la télé, genre caméra cachée ...
- enfin, monsieur Philippe. Vous êtes un écrivain de renom. Vos livres sont toujours des best-sellers. On ne joue pas avec des gens comme vous. Je vais vous montrer une autre photo pour que vous compreniez mieux qui je suis.

L’homme tenait  une petite serviette en cuir que Philippe n’avait pas vue tout de suite. Il l’ouvrit et en tira un autre cliché, celui d’une espèce de massif taillé en forme d’un animal dormant.
- qu’est-ce qu’il y a à comprendre là-dedans ?
- je vais vous expliquer. Vous êtes un très bon écrivain mais avez la mémoire courte, si je puis me permettre bien sûr. Ce massif animalier, qui représente un chat, ou un panda, ou un ours,  se trouve au Parc de la tête d’or, tout au fond du jardin, en face de la terrasse de cet excellent restaurant où vous déjeunez de temps à autre. C’est là que je vous ai vu la première fois.
- vous m ‘avez vu au Chalet ?
- C’est bien ça. Vous étiez sur nos listes, de toute façon.
- Vos listes ? Vos listes de quoi donc ?
- Nos listes de personnalités susceptibles d’avoir besoin, un jour ou l’autre des services de l’ACV
- l’ACV ? Mais qu’est-ce donc encore que cette histoire abracadabrantesque ... ?
L’homme prit alors une carte de visite dans la poche intérieure de son manteau et la tendit à Philippe.
- L’ACV, c’est ça : l’association des chats volants. Vous voyez le logo en haut, c’est un chat semblant voler. En réalité il marche sur une verrière et la photo a été prise d’en dessous. Mais peu importe. Vous connaissez, les chats bien sûr. Comme tous les écrivains d’ailleurs.

Philippe hocha la tête et s’appuya un instant contre le chambranle de la porte du salon. L’homme continua :
- un chat à l’affût se tapit, silencieux, immobile, tous les sens aux aguets. Sa proie, alimentaire ou jeu, peu importe, est là devant lui, insouciante. Puis quand il a jugé tout l’environnement, qu’il a mesuré les distances, flairé le sens du vent, écouté les éventuels bruits parasites, il bondit sur sa victime et ne la rate quasiment jamais. Ce saut final est comme un envol. Les membres de l’ACV sont ainsi. Nous sélectionnons les personnalités ... disons  « intéressantes ». Nous les suivons, les écoutons, et  découvrons peu à peu les problèmes qui les perturbent. Puis nous agissons à leur place et venons ensuite nous faire payer pour le service rendu. Bien entendu, nous avons sur chacun de nos clients, des informations personnelles qui ne sortent jamais de notre cercle. Sauf si ils refusent de nous ... disons, « dédommager ». Dans ce cas nous livrons quelques bribes de leur vie privée à la presse people.

- mais vous êtes des malades, s’exclama Philippe.
- calmez-vous monsieur Philippe. Ce con d’Albert, ainsi que vous ne cessez de le nommer depuis plusieurs mois. Vous le haïssez, le détestez, l’abhorrer. Et c’est bien normal puisqu’il est l’amant de votre charmante épouse. Enfin, il « était » son amant. Aujourd’hui, son corps est recouvert de fonte, et il a pris la place de la fameuse statue. Personne ne le cherchera ici. Si vous saviez le nombre de statues qui sont en réalité « habitées » par des corps sans vie, vous n’en reviendrez pas.
L’homme eu un petit rire malicieux.
- Alors maintenant, vous nous devez cinquante mille euros. Reconnaissez que c’est peu payé pour vous débarrassez d’un tel rival.

Philippe sembla se tasser sur lui-même. Il murmura d’une voix blanche :
- venez avec moi dans mon bureau. Je vais vous payer.
Il fit signe à l’homme de prendre place dans le petit  fauteuil tandis que lui s’asseyait derrière le bureau. Il soupira.
- allez, monsieur Philippe. Vous êtes libérez de ce fardeau qui vous pourrissait la vie depuis si longtemps. Moi, j’encaisse et je disparais à jamais de votre environnement. Je vous donne le numéro de compte de l’association pour effectuer le virement.

Pendant que l’homme cherchait le document dans sa serviette, Philippe ouvrit le tiroir, saisit son révolver équipé d’un silencieux et lui tira deux balles en plein cœur. L’homme s’effondra sur lui-même, les yeux effarés. Un peu de sang sortit de sa bouche entrouverte.

Philippe, détendu, se planta devant le cadavre de l’homme au manteau :
- désolé mon vieux. Deux problèmes sont désormais réglés : ce con d’Albert et toi. T’es pas très grand, tu vas passer par le vieux vide-ordure qui fonctionne toujours et qui est tellement  large. Je te récupère en bas, dans une poubelle adaptée.  Ah, une dernière chose, j’avais eu vent de l’ACV et j’ai fait en sorte de vous intéresser ...

Tu vas aller très vite chez un de mes amis qui travaille le bronze pour les boutiques de déco. Je pense que tu finiras en puzzle, dans plusieurs statuettes de rat ou de souris.
Juste retour des choses, monsieur le chat volant.

15 commentaires:

  1. Nettoyé, le nettoyeur ! Quand je pense que j'ai passé mon bras autour du cou de ce con d'Albert...

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    1. L'Arpenteur d'étoiles31 janvier 2015 à 16:01

      c 'est pas grave Dan, il est resté de fonte ...

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  2. Voila un chat qui n'est pas retombé sur ses pattes. :)

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  3. Vegas sur sarthe28 janvier 2015 à 23:03

    L'Analyse du Cycle de Vie (ACV) aura été de courte durée pour ce nettoyeur des jardins!

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  4. Incroyable, en quelques photos : un chat, un buisson taillé, et une statue, et tu retrouves ton imaginaire débridé !
    Je pense malgré tout que ton inspiration est dans ce texte fortement influencée par tes 4 chats :))))
    Je me demande même s'ils n'ont pas une sérieuse emprise sur toi....

    Sinon, j'adore le com d'Oncle Dan :)

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    1. L'Arpenteur d'étoiles31 janvier 2015 à 16:02

      je ne sais pas si j'ai vraiment retrouvé mon imaginaire "débridé", mais j'ai quand même un peu ramé pour l'écrire :o)

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  5. Poupounesque à mourir ! J'ai adoré le ton.

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    1. L'Arpenteur d'étoiles31 janvier 2015 à 16:03

      ah merci ; belle référence !!

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  6. L'Arpenteur d'Etoiles n'arpente pas que les cieux...mais aussi la piste des vieilles canailles et celles, plus précautionneuses, des chats de tous poils, les doux, les tendres, les cruels aussi, qui guettent leur proie et s'associent même pour faciliter les choses...Passionnant, se lit d'une traite!
    Lorraine

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  7. Super roman policier, quand publies-tu ????

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  8. C'est ça ! Vous avez un réel talent pour mobiliser les sensations (surtout visuelles), qui rendent vos récits incroyablement "palpables". Je dis cela ici, mais je viens de lire cinq autres récits de votre cru (orientée par qui vous savez). Celui-ci n'est pas mon préféré, mais il a quand même cette qualité "cinématographique" qui vous caractérise. Merci pour ces moments récréatifs (j'en avais grand besoin). ;)

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    1. L'Arpenteur d'étoiles31 janvier 2015 à 16:08

      merci de ton (votre) commentaire. "Cinématographique" me plait beaucoup. L'inspiration m'a fuit ces derniers temps ; elle est un peu revenue là ... pourvue qu'elle demeure encore un peu ...

      Quels textes as-tu (petit) lu (nantais) ? Si je peux poser cette question (tu vas me dire qu'elle est déjà posée, alors ... !! )

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  9. un taxidermiste qui anticipe les désirs des clients potentiels, quel beau personnage pour ce thriller !

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  10. J'adore cette apologie du ratatine-ordures, si cher à Boris Vian !

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