dimanche 22 mars 2015

Cédille - Un crime

LA MORT D'UNE GOMME

Accusé levez-vous tonna le procureur !

Le crayon mit un temps qui me parut interminable à s'extraire de sa page, une page noircie, souillée de ratures et de taches.

Dans l'attente d'éventuelles révélations, le silence se fit. Tous étaient dans l'expectative : la plume se tassait dans son coin, les recharges d'encre se serraient les unes contre les autres dans la boîte qui était devenue leur refuge, les pages vierges ne faisaient entendre aucun bruit.

L'avocat de l'accusation se saisit de l'une d'elles et déclara à l'assistance en un élégant jeu de manches :

- Vous désiriez une preuve ? ... La voici ! Et il fit circuler parmi les jurés une page raturée ou étaient encore visibles les desquamations noires de la défunte gomme ! Puis il abattit sa dernière carte et se fit apporter le cadavre de celle-ci... Un frisson de dégoût parcouru l'assemblée.

Il ne restait presque rien de la gomme. Seul son côté bleu était encore entier, le côté rouge, lui, était rongé, quasi inexistant et portait les traces très nettes, noires et épaisses, du crayon accusé.

- Je la tiens, la preuve de votre crime tonna l'avocat en pointant un doigt accusateur vers le crayon qui se tenait coi. Ce sont vos empreintes, ne niez plus !

Confondu, le crayon en perdit sa mine et avoua être l'auteur de cet ignoble crime.

- J'avoue tout marmonna-t-il ; j'ai voulu écrire mais je n'ai aucun talent. L'écriture ne m'est guère familière et j'ai de grosses lacunes en orthographe. J'ai donc repris mon texte, effacé et effacé encore, tant et si bien que ma gomme a fondu comme neige au soleil. Je vous l'assure, mon geste n'était pas prémédité et j'ai conscience d'avoir mal agi. J'en demande pardon aux pages, à l'encre et à cet estimable assemblée.

Le crayon renonça à écrire et la gomme, vite oubliée, fut jetée à la poubelle sans ménagement. Ainsi finit la triste histoire d'un crayon analphabète qui tua sa gomme.

6 commentaires:

  1. c'est vrai ça :)
    et en plus parfois les pauvres gommes se voient criblées de trous ou utilisées à de multiples usages non prévus, comme dans le texte de Lorette http://impromptuslitteraires.blogspot.fr/2015/01/lorette-beaux-degats.html:

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  2. "Se tromper est humain, mais lorsque la gomme s’use plus vite que le crayon, c’est qu’on exagère."
    a dit un certain Josh Jenkins. Heureusement l'exagération ne mène pas toujours au parquet :)

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  3. Je vote crayon, innocent! Car sans lui, où en serait le plaisir de gommer? La plume inaltérable ne pardonne aucune faute.

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  4. L'Arpenteur d'étoiles22 mars 2015 à 17:15

    si la gomme se nomme Anastasie, alors je défendrai toujours le crayon !!

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  5. Oui mais tout de même, dégommer...là j'ai peur !
    Signé: un pauvre produit (breveté par maman) impromptu qui a faillit se faire effacer du blog. ;o)

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  6. Si c'est lui qui a écrit "Les cinq cents millions de la maccabée gomme", alors il est excusé, au moins par Jules Verne ! ;-)

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