mardi 7 avril 2015

Clémence - La délicatesse des liaisons

La délicatesse des liaisons ou le petit pont au-dessus de l’écluse……

C’était un de ces matins qui se lève avec une lumière douce, diaphane, comme venue d’un autre monde. La douce musique de Mozart l’arracha des bras de Morphée…Elle posa doucement le pied par terre et la sensation soyeuse de la moquette l’invita à aller de l’avant. Un petit rondo lançait ses notes claires….la douce clarinette….Que de beaux souvenirs : ce premier concert où elle comprit le sens qu’elle pouvait enfin donner à sa vie,…. Elle avait le droit de vivre sa vie, et elle la vivait….dans un lieu clair et douillet à la fois…. « Chez  moi, enfin, moi chez moi…. »

La journée avait été dense, agréablement répartie entre boulot et loisirs, solitude, collègues et amis.. Elle allait rentrer chez elle. Elle laissa sa voiture devant l’immeuble, releva son courrier, rien de bien méchant ! Une senteur vanillée l’accueillit, en douceur.
Elle enfila sa tenue de sport, rafla sa « petite boîte à musique »…

Tout s’enchaîna à merveille. La petite côte, tourner à gauche, zigzaguer entre les ralentisseurs, longer le parc où bruissait doucement l'unique jet d’eau. Le rond-point, la route qui descend puis qui serpente à travers les douces plaines fertiles… attention à ce virage, les nids-de-poule n’ont toujours pas été comblés… Faudra le rappeler à la mairie.

La tour se dressa tout-à-coup, elle était presque arrivée.  Elle voulu garer sa voiture sur « son » espace, un véhicule lui avait pris « sa » place….Elle haussa les épaules en se disant qu’elle n’allait pas en faire  un drame!

Et, comme d’habitude, elle traversa la route et s’engagea près de la petite écluse, juste où s’opposaient l’ancien monde et le nouveau monde. A gauche, le nouveau canal, à droite, l’ancien….
Elle longea la première péniche et songea qu’il serait grand temps de la repeindre, puis ce fut la deuxième, la troisième…

« 74 minutes, je marche 74 minutes aujourd’hui, à l’aller ; je verrai les lumières brûlantes du soleil couchant à mon retour »

L’allegro, l’adagio, le rondo….la flûte…..l’allegro, l’andante…. Le hautbois…. Et puis, ce serait le 21°, son concerto enfin retrouvé…enfin réécouté….avec paix et douceur….

Il n’y avait personne ce soir là, du moins c’est ce qu’elle crut tout un temps, plongée dans sa rêverie, nimbée de musique divine. Elle vit, entre les roseaux, une silhouette sur l’autre rive, elle souriait en l'observant discrètement : des jumelles, et les deux petits fils des écouteurs.

74 minutes plus tard, sur les dernières notes de l’allegro, elle fit demi-tour. Elle retrouva sa voiture, orpheline blanche sur le parking. Elle hésita : prendre un petit café à la brasserie ou rentrer ? Elle rentra.

Les routines journalières, puis la récompense de l'évasion. Direction le canal. Première péniche, deuxième, troisième, les ânes dans le pré, la carcasse de voiture, les vieux vélo, une entrée dans un  monde autre, là où tout est lent et silencieux.

Elle marcha doucement d’abord, puis un peu plus vite. Sa respiration suivait la musique, la musique rythmait sa marche, la nature suivait. A gauche, il lui sembla reconnaître la silhouette de la veille…

Elle regarda un canard prendre son envol, les  gouttes d’eau s’éparpillaient et retombaient en éventail irisé. Écluse 27, 26, 25… Elle voulait marcher  encore un peu plus loin.
Son regard glissa vers l’autre rive, aussi vite, chacun regarda droit devant soi. Elle respira un grand coup et regarda le ciel pur, immobile, profond, si profond qu’elle en eut le vertige ; des milliers de petits points dansaient devant ses yeux….

24, 23, 22… « Comme c’est étrange, le numéro des écluses correspond aux concertos pour piano  de Mozart»
Tout à coup, elle sentit une fatigue sournoise s’abattre sur elle.  Elle était si loin, se sentait si seule.
« Et si je mourais là ? »

Encore quelques pas, l’écluse 21. Elle titubait, tanguait dangereusement et puis... la douceur, l’enveloppement, la sérénité, la lumière, le calme, l’andante somptueux se déployait.
Elle allait  passer du côté de l'autre rive.

Elle pivota, sur l'autre rive, la silhouette fit de même.

Sur le petit pont de l’écluse 21, ils se faisaient face.
Ils échangèrent un regard, un sourire discret et leurs écouteurs…l'andante du concerto 21 de Mozart.

8 commentaires:

  1. Quoi de plus délicat que saisir l'Allegro vivace du concerto n°22 pour mourir? Mais ça serait dommage quand l'amour est au rendez-vous au n°21...
    Bienvenue aux Impromptus Littéraires, Clémence!

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  2. Merci à vous, Vegas !

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  3. L'Arpenteur d'étoiles7 avril 2015 à 18:35

    une douce histoire sous tendue par la musique du divin Mozart et la rencontre finale qui devient au fil des mots une évidence
    bienvenue chez nous Clémence

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  4. Cher Arpenteur d'étoiles, vous me voyez rosir de plaisir musical et littéraire!

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  5. une belle entrée sur les Impromptus : autant musicale que littéraire, avec un texte subtile sur la relation à soi, et sur la relation à l'autre !

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  6. superbe cette promenade intérieure sur Mozart, cela m'a un peu fait penser au "à quoi rêvent les patineurs" chanté Clarika

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    1. Merci, Emma, vous venez de me faire découvrir une chanteuse que je ne connaissais pas et un texte à la légèreté d'une jupe de patineuse ;)

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  7. Un petit pont pour une liaison : jolie symbolique. Parachever la rencontre, liés par Mozart, quel concerto !Très belle promenade.

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