mercredi 15 juillet 2015

JCP - Enchantement

 
Nord de Toulouse : la Garonne actuellement




Aux rivages de lumière

L'aube des faucheurs
jette par les champs mille étincelles lentes
que le soleil allume à la lame qui court,
à l'herbe qui ploie et se couche ;
et sous l'azur du ciel où se fond...

- Assez !, foin de la moisson qui prend son temps sous la plume des poètes romantiques vêtus de frac, canne et chapeau dans la poussière des champs !
Qui pourrait, aujourd'hui encore, anachronique désuétude s'extasier ainsi - béat -, sur les soi-disant beautés de la nature ?... me déclarait convaincu mon voisin René. Il s'agit bien de perdre son temps à ça !
La coque brillante et noire de ma nouvelle auto, ma vaste piscine couverte et chauffée, mon habitation automatisée télécommandée isolée sécurisée ecologisée, ma pelouse toujours verte et rase exempte de l'arbre à la feuille odieuse, mes enfants ma femme vêtus de prestige, la voici la contemplation du bonheur du monde, la joie de vivre et de posséder conquise de ma vaillance et de mon labeur : chaque minute de vie est un combat, le savez-vous ?

Je laissai là mon voisin, persuadé de son bonheur par les médias mercantiles, et je lui tus que je ne saurais être heureux sur le champ de sa bataille - ne me sachant d'ailleurs pas en guerre.
Alors, le vêtement et l'auto démodés mais tellement confortables, je fus en secret observer puissamment l'écoulement du fleuve, à l'ombre des grands arbres où chante la fauvette, où bondit l'écureuil, un ouvrage de poésie et un peu d'eau dans mon sac.

Et je m'en retournai le soleil bas, taché d'horreurs mystiques*, la brise du soir éparpillant mon cheveu négligé, peut-être plus enchanté de vivre encore que mon voisin René.


* Que Rimbaud me pardonne.


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10 commentaires:

  1. L'Arpenteur d'étoiles15 juillet 2015 à 21:21

    Arthur te pardonnera forcément ... en fait c'est un peu "la moissonneuse ivre" ... mais attention aux parapets :o))
    bon je plaisante (lourdement) mais ce texte m'a enchanté !

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    1. Pas bête ça, la moissonneuse ivre, le bateau on peut plus, la bagnole c'est interdit, ouais .... y aurait le train - avec les rails c'est foutu ; si, l'avion, faut voir (ça s'est déjà vu)...un coup à faire en plein ciel avec ces fameux phosphores chanteurs....

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    2. L'Arpenteur d'étoiles17 juillet 2015 à 07:51

      et aux longs figements violets, (hyper dangereux parait-il) :o)

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    3. Après avoir vu tout ça, traumatisé à vie, on comprend qu'il ait abandonné la poésie...un éclairage neuf porté sur la vie de Rimbaud et ses mystères ! - nous sommes d'assez forts déducteurs en vérité.

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    4. Bon, ben voilà, je suis en train d'écrire "L'escalier ivre", 1 pleine page de prose déjà : merci !

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  2. Et la coque brillante et noire de la nouvelle auto rouilla... comme par enchantement :)

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    1. D'abord, que les possesseurs de brillantes autos noires ne prennent pas ombrage de mes propos (il y en a beaucoup).
      Mais ça rouille pareil... d'ailleurs que seraient les constructeurs sans cette impermanence...

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  3. Je crois que le doigt a été habilement posé sur l'axe... avoir / être..., une quête perpétuelle et perpétuellement non satisfaite / un état de bien être rassurant...

    J'ai aimé ce contraste et surtout, la fin.... si apaisante... merci!

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    1. Merci Clémence,
      Sûr qu'on veut nous faire avaler que le bonheur c'est la consommation, notre société en dépend.
      Un minuscule coup d'épée dans l'eau...

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  4. Que Rimbaud te pardonne ou non, on s'en fiche tu n'es pas un voyou mais un réaliste éclairé !
    avec le sourire

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