samedi 31 octobre 2015

Nounedeb - Une photographie



Mais non, ce ne sont pas
Des roms, des syriens, des maliens
Traversant des monts désertiques.
C’est qu’en ce temps-là les petits gars
Portaient de larges barbotteuses
Et les filles quand elles avaient froid
Mettait un foulard sur la tête
Avec un nœud autour du cou.
Ca protégeait bien les oreilles
Quand on les avait très sensibles.
Les miennes le sont toujours
J’ai remis un foulard, un jour.
On m’a regardé drôlement…
Ce n’était qu’un vêtement…

Pascal - Une photographie

Plage arrière  



Le soir, avant le crépuscule, on allait sur la plage arrière. On dit « plage » mais c’est le pont arrière. Il n’y avait pas de parasols, pas de château de sable, pas de coquillages, pas d’effluves de crème bronzante et encore moins de belles naïades effleurant l’eau avec des frissons de fraîcheur sur la peau…

Entre Valeur et Discipline, on était sous les canons de la tourelle de cent vingt-sept, abrités du vent et on regardait le sillage rectiligne de notre bateau. Les deux tiers de l’équipage étant hors quart, on se regroupait le temps d’une clope ou deux dans cet espace de tranquillité. On n’avait pas la notion de post meridiem et d’ante meridiem pendant nos horaires de service. Le jour et la nuit étaient réglés par le coucher de soleil qui tuait la journée. Avec les fuseaux horaires qui changeaient pendant le voyage, c’était notre seul point de repère réel.

On se retrouvait, missiliers et détecteurs, mécanos et électriciens, timoniers et loufiats, sécuritars et artilleurs, appelés et engagés, gradés et non gradés, par petits groupes d’affinités régionales à discuter avec nos accents réveillés pour la circonstance.
Chacun avait sa petite histoire amusante ou mélancolique, ses projets et son futur, ses espoirs et ses illusions, en point de mire, droit devant, du côté de l’étrave.
D’autres, seuls, se contentaient d’accrocher la rambarde à deux mains et ils admiraient en solitaires les lumières finissantes du jour, tous ces reflets brillants qui se diluaient peu à peu dans notre sillage. Personne ne pouvait décrire leurs émotions intimes mais tout le monde pouvait les comprendre…

Des prières, des vœux, des désirs, des supplications, il a dû s’en enfuir de cette plage arrière. Le trouble était encore plus flagrant à mesure que le soleil se consumait dans l’horizon brumeux. Même nos maigres cigarettes partagées, rougies comme des calumets de la paix, avaient une piètre lumière, devant cette incandescence flagrante, au milieu de nos yeux brouillés.

Les conversations se taisaient, les rires s’affaiblissaient et nos sourires voyageaient sur les vagues dépassées comme des messages de bouteilles à la mer. Il régnait une grande douceur incommensurable, plus féerique que n’importe quel conte en couleur. Le silence avait une bruyance accaparante mais il se taisait aussi, laissant nos prières assidues s’envoler vers leur destin.

Devant l’immensité du tableau, nous étions des infimes postulants d’avenirs glorieux, des timides revisitant ces dimensions grandioses avec des prétentions étalonnées au présent du sillage. Je crois qu’on communiait tous car nos prières devaient toutes se ressembler à cet instant.  Nos salives avaient du mal à s’avaler…

La mer gourmande ingurgitait aussi son hostie brûlante avec sa dévotion journalière et la lumière déclinait en échange. Les ombres des vagues nageaient plus longtemps avec leurs réalités, les scintillements de la mer étaient autant d’étoiles naissantes dans la profondeur du ciel, notre sillon ballotté se perdait avec des mirages mourants insaisissables, l’ambiance du soir donnait le ton à la fin de la journée en éclaboussant nos yeux étincelants de luminosités incroyables. Elles se bousculaient les unes après les autres et s’enfuyaient en laissant éclater leurs tonalités déclinantes.
Je crois que ce furent des grands moments de ma vie. Je pensais que, de cet endroit, de ce lieu de culte, au milieu de nulle part et partout en même temps, ne pouvaient se réaliser que les prières les plus folles, les plus téméraires, les plus audacieuses, les plus impossibles. Je crois aussi que c’est de cette plage arrière que j’ai appris à croire en mes rêves. Je regrette encore qu’ils n’aient pas été plus astronomiques. Je rêvais seulement à la hauteur de ma destinée…

Le soleil avait disparu.

De ses fins de clarté diffuse, l’évanescence nuiteuse encore colorée brillait dans nos yeux impressionnés. Le bateau déchirait la mer comme s’il arrachait la page de la journée morte. On ne savait plus trop où regarder. Les confins du monde et de l’univers se mélangeaient et les quelques vagues de notre sillage encore visible en étaient la frontière improbable.

Les discussions reprenaient, plus feutrées, plus journalières, plus terre à terre, mais peut-on vraiment utiliser ce mot… en pleine mer ?... Les innombrables décorations astrales s’accrochaient au Ciel comme des naufragées habituelles et toutes ces guirlandes décoratives et lumineuses embellissaient la nuit.

Pourtant, c’était toujours pendant le six à huit (dix-huit à vingt) que les chaufferies effectuaient leurs énergiques manœuvres de ramonage. Le souffle puissant et chaud des turbos ventilateurs poussés à fond s’amplifiait inexorablement dans l’air en crachant des myriades d’étincelles orangées avec des senteurs âcres et pesantes de souffre comme si le diable en personne, du fond des entrailles du bâtiment, faisait le ménage dans les chaudières.

Sur la plage arrière, l’air devenait irrespirable et c’était le repli à regret dans les coursives. Chacun reprenait le sens de la réalité en essayant de croire à ses prières libérées du joug du navire et naviguant à la vitesse de l’espoir, du côté de l’avenir…

Et puis, c’était le sempiternel message routinier dans les haut-parleurs : « Relève de quart, relève de quart, le… troisième tiers au poste de veille… » Mais il restait toujours assez d’étoiles collées dans nos pupilles pour attendre le prochain six à huit

vendredi 30 octobre 2015

Fred Mili - Une photographie

J'étais inquiète, il n'était pas à la maison. Je passais le voir chaque jour à la coupure, entre le service du midi et celui du soir. Il avait l'habitude d'être là, s’ennuyait à mourir. Sa jambe gauche ne pliait plus, elle lui faisait mal. La plupart du temps il était assis dans son fauteuil face à la télé. 
Je fis le tour de l'appartement, frappant à la porte des toilettes puis celle de la salle de bain, les ouvrant en parlant pour ne pas le surprendre dans son intimité. Ne pas le trouver  m'inquiétait. Il n'était pas homme à sortir et encore moins à faire des farces. 
Je cherchai vainement s'il avait laissé un mot sur la commode ou sur la table de la salle à manger, en vain. Je ne vis ni sa canne ni son chapeau habituellement accrochés à la patère dans l'entrée. Dans la penderie son manteau n'y était pas non plus. 
Etait-il sorti ?  
Je dévalai l'escalier quatre à quatre sans prendre le temps d'attendre l'ascenseur. Je loupai une marche à mi-palier mais me rétablis contre le mur. Évidement les talons n'étaient pas l'idéal pour ce genre d'exercice mais je n'y prêtai pas attention. Je sonnai chez la concierge même si loge n'était pas encore ouverte. Je frappai à même la main sur le carreau.  Elle ne répondit pas.
Je maugréai, l'insultai. Pour une fois que j'avais besoin d'elle. Je rageais. 
Une fois passé la lourde porte de bois, les bruits de la rue m'assaillirent. Je traversai sans regarder, hypnotisée par l'entrée du square en face de moi, les klaxons des voitures me faisaient dévier ma trajectoire. 
Je poussai violemment la barrière qui me revint dans les genoux, je vacillai sous la violence. Je n'y prêtai pas attention seul mon père m'importait. Je courrais dans les allées, à la recherche des bancs qu'il fréquentait. Mon cœur battait la chamade quant à mes genoux le choc avait été rude, j'avais mal. 
Je paniquai. Il fallait que je m'asseye, que je me calme, que je mette mes idées en place, que je réfléchisse avant d'appeler les urgences des hôpitaux. 
Je lui avais acheté un téléphone portable, avec des grosses touches. Un téléphone étudié pour les gens de son âge mais il ne le prenait jamais. Lorsqu'il l'avait déballé, il s'était fâché « Tu veux me flicker avait-il dit? » Je n'avais rien répondu.
Mais où pouvait-il être ? 
Mon cerveau tournait à cent à l'heure. Mais sous la pression il tournait mal. Je ne voulais pas laisser aller sans savoir. Chouiner ne servait à rien. J'avais besoin d'un café. Je franchis la route à nouveau, la tête dans le cercueil sans prêter attention aux véhicules. C'était idiot. 
Au bar de l'avenue, en bas de chez lui, le patron me dit qu'il lui disait aller au bois parfois. Le pousse-café qu'il m'offrit me fit chaud au cœur.
Le bois n'était pas loin. Il faisait beau mais froid. Je transpirais sans savoir si c'était dû à l'alcool ou à mes angoisses. Je remontai le boulevard au pas de course, m'engouffrai dans l'avenue puis débouchai sur le bois. J'entrepris le tour du lac à la vitesse de l'éclair, cherchant sur les bancs une silhouette familière, traquant les vieux à chapeau et canne. Le stress, la fatigue, provoquèrent quelques crises d'angoisse, mon cœur battait à 100 à l'heure. 
Je désespérai. Où était-il ? Pourquoi était-il sorti ? Est-ce que je n'étais pas assez présente ? Je venais tous les jours, même mes jours de repos. Je connaissais sa solitude. Je lui achetais les glaces qu'il préférait, choisissais ses gâteaux au chocolat dans les meilleures boulangeries, préparais sa soupe au potimarron pour lui faire plaisir parce que je l'aimais, parce qu'il était seul depuis que maman était décédée. 
Comme à n'importe quelle heure, les joggers tournaient autour du lac, seuls, en groupe. Derrière l'un d'eux, je devinai une silhouette familière. Sur le banc, la canne à sa gauche, le chapeau sur la tête, le bouquin à la main, son sac ouvert près de lui. Il lisait. 
J'étais en colère autant qu'heureuse. Il fallait que je me calme, que je laisse éclater mes sanglots avant de le rejoindre. Il semblait heureux, sans souci. Pourquoi m'énerver, pourquoi lui en vouloir, pas sûr qu'il comprendrait. 
J'immortalisais la scène avec mon smartphone. 
C'est cette photo qui jaillit la première de mon dossier 'images » lorsque je l'ai ouvert. Depuis papa vit « Au paradis des anciens » une maison de retraite médicalisée, je suis rassurée. Cependant c'est un peu la prison du 3ème âge avec un maton qui le poursuit pour faire pipi, pour boire son verre d'eau, pour finir son assiette à table, lui faire avaler ses médicaments, lui laver les fesses s'il oublie. Il ne parle plus maintenant mais ses mains sur les miennes m'en disent tant. 
Pour la paix de mon âme j'ai l’impression de l'avoir mis au pénitencier. Quelle douleur !
(Photo prise au bois de Vincennes)

Ecri'turbulence - Une photographie


  • Tu te souviens du mariage de la Mémère Loulou ?
  • Comment veux-tu que je me le rappelle ? Je n'étais pas née, c'est notre arrière-grand-mère !
  • Je sais bien ! Mais, comme moi, tu en as entendu parler, non ? Et de ceux qui assistaient à ces épousailles !
  • Ah ! C'était une sacrée bonne femme la Mémère ! D'ailleurs, c'est elle qui a toujours porté culotte dans le couple. Le Pépère, on dit qu'il a jamais eu trop droit à la parole !
  • De toute façon, il n'a pas eu le temps de parler longtemps ! La guerre l'a fauché promptement !
  • On dit que la Mémère s'en est vite remise de son deuil ! Qu'elle a pas gardé le noir pendant le temps réglementaire. Tu le reconnais, celui qu'elle a marié après ? L'accordéonneux, là, en bas à droite !
  • Bien sûr. Il avait mis sa fille dans la dot. Parce que quand la Gustine elle a décampé, elle s'est pas encombrée de la mioche.
  • C'est vrai, la Gustine… mais elle était pas aux noces de la Mémère ?
  • Mais si, regarde ! au troisième rang à gauche avec son chapeau à panache. Déjà, elle se mettait pas à côté de son homme : elle lorgnait sur le Paul. C'est pour ça qu'elle s'était placée derrière lui. Ni vu ni connu ! Et la p'tiote, c'est comme si elle le sentait, elle était venue se coller mine de rien à côté de la Mémère.
  • Pauvre gosse ! Remarque, elle a pas perdu au change ! Quand la Mémère a ouvert son hôtel de passe, place de la Carrière à Nancy, elle l'a mise derrière le comptoir, et c'est elle qui était chargée des encaissements.
  • Et les autres qui sont autour des époux, t'en reconnais quêque-z-uns ?
  • Oui, l'Adélaïde, juste derrière la mariée. On dit qu'elle est tombée dans la bouteille quand son Paul il est parti avec la Gustine.
  • Ah mais, elle était pas à côté de lui sur la photo ! T'as vu les nains qui l'encadraient ?
  • Oh mais le Paul c'était un galapiat. Il lui avait collé ses deux frères aux fesses et pendant qu'ils l'occupaient, il faisait le joli cœur avec la Gustine.
  • Mais… la Mémère Loulou, tu t'en souviens, toi ?
  • Bien sûr ! Quand j'étais petite, je devais aller lui souhaiter la bonne année. Elle m'effrayait avec sa figure complètement fardée, rouge aux lèvres, poudre et yeux maquillés. Je croyais que c'était une sorcière. Maman et Papa avait beau me dire que c'était mon arrière-grand-mère et qu'elle était gentille, j'étais complètement terrorisée.
  • N'empêche. Quand on regarde cette photo, c'est vrai qu'elle avait l'air gentil, la Mémère.
  • Elle n'en avait pas que l'air, tu sais. Elle l'était.

L'Arpenteur d'étoiles - Une photographie




Août 1993.
Sans doute le plus beau et le plus riche voyage que nous n'avons jamais fait. Nous avions commandé par minitel (!) sur « Dégriftour ». Un prix défiant toute concurrence pour 15 jours de croisière sur le Nil, depuis Assouan jusqu’au Caire. Nous avions atterri à Louxor peu avant minuit. Une espèce de minibus nous emmena jusqu'à Assouan. La route empruntée longeait une ligne de chemin de fer et la coupait régulièrement pour passer d'un côté, puis de l'autre. Pas de clim dans le véhicule malgré la chaleur  ; nous étions assis sur nos bagages. Nous devions être une douzaine brinquebalée par les cahots de la route. Le plus surprenant : le chauffeur éteignait les phares lorsqu’il croisait d'autres véhicules pour ne pas les éblouir. Au fil des discussions nous comprimes que nous étions tous passés par le même canal pour acheter le voyage. Nous nous ressemblions tous, entre vingt et quarante ans, un peu fous, un peu artistes, un peu baroudeurs.
Le bateau n'était pas très grand mais fort bien équipé. Les autres voyageurs, étaient bien plus âgés que nous et avaient des cabines confortables. Nous, nous étions dans de toutes petites, mais avec douche et lit correct. Le sol de ces cabines était juste en dessous de la ligne de flottaison et il valait mieux ne pas ouvrir le hublot lorsqu'un autre bateau, plus gros, passait près du notre. Ce furent les seules différences avec les autres passagers : ce minibus, et les cabines.
Haute Egypte, Assouan, Philae, Louxor, Karnak, vallée des rois, palais d'Hatchepsout, les colosses de Memnon, Edfou, Esna … merveilles des merveilles.
Puis le bateau traversa ensuite la moyenne Egypte où très peu de touristes s'aventurent. Nous avons visité les premiers couvents de la chrétienté copte, près de Minieh, vu des temples dédiés aux animaux (chats, singes), et ceux d'Akhenaton et de Nefertiti à Tell el-Armana. On s’arrêtait dans des villages, accueillis par les femmes et les enfants prêts à nous vendre des paniers en osier, des fruits ou des figurines d’albâtre (!). Souvent, les enfants se baignaient avec des buffles, dans les eaux troubles du Nil (photo du haut). Un matin même, vers cinq heures, trois tracteurs tirant chacun une espèce de tombereau nous emmenèrent visiter des sites troglodytiques, à flanc de montagne dominant le fleuve. Nous avions en plus la chance d'avoir une guide historienne, parlant parfaitement le français, pleine d'humour et qui nous a aussi appris tant de chose sur la vie et les mœurs de son pays.
Enfin, la basse Egypte. Le Caire et le musée, Saqqarah et la pyramide de Djéser et bien entendu Gizeh. Le bateau était notre hôtel, garée à quai. On nous emmenait visiter les sites en car (climatisé) et nous rentrions le soir pour le repas.
L'avant dernier jour nous allons visiter les pyramides. Nous y sommes arrivés en début d'après-midi après la visite du musée du Caire puis celle d'une fabrique de tapis (où œuvraient surtout des enfants). Le sphinx, puis le musée de la barque solaire.
La grande pyramide fermait à seize heures. Trop tard pour nous. Nous ne pouvions plus y accéder. Les participants aux voyages étaient assez furieux et surtout voulaient retourner au bateau pour prendre le thé ! Nous,avons refusé cette option. Nos accompagnateurs ont insisté pour que nous revenions avec tout le monde : « dès la fermeture des pyramides il n'y a plus de touristes, il y a des risques de vols, voire pire ... ». Devant notre volonté de liberté, ils nous ont finalement laissés. De plus, le soir même, il y avait le son et lumière et tous revenaient pour ce spectacle.
Effectivement le site s'est très vite vidé. De jeunes gens à cheval nous ont proposé de faire un tour des pyramides. Seule ma femme a craqué (le cheval est sa seconde nature). Elle est revenue une demi heure après, empoussiérée et ravie de cette magnifique balade. Nous n'avions eu aucune inquiétude. En montant à pied sur un point plus élevé, nous avons rencontré un chauffeur de taxi avec une Espace. Il nous a dit qu'il nous attendrait jusqu'à minuit pour nous ramener au bateau. Ce qu'il fit.
Le photo ci dessous est celle d'une partie de notre petit groupe prise ce jour là. Ce dernier jour du voyage. Nous avons vu, seuls, le coucher de soleil sur les pyramides. Spectacle magnifique, inoubliable. Puis, nous avons assister au son et lumière en mangeant sur la terrasse d'un restaurant de fortune, juste en face du sphinx. Le lendemain, nous prenions l'avion pour revenir en France.

Fin septembre nous avons invité chez nous tous ceux du groupe qui le pouvaient pour partager photos et souvenirs. Ils sont presque tous venus. La soirée fut extraordinaire …
Et pourtant, depuis, nous ne nous sommes jamais revus ...


Chri - Une photographie

Une maison blanche


Il en va des maisons comme de certains paysages, ils vous appartiennent sans qu’on les ait vraiment achetés.
Cette maison là était mienne. Accrochée à son bout de roches, ça ne se discutait même pas. L’œil, le vrai, celui du cœur, l’avait désignée entre mille. Il avait senti, de très loin, son odeur particulière, celle d’un endroit peu habité, un parfum mêlé d’humidité marine, d’oyats salés et d’ifs vigoureux. En l’observant de loin, en tendant l’oreille, d’un môle en face, je pouvais entendre sa musique, composée de chœurs des rires d’enfants, cascadant des combles aux caves, ses lumières étaient rythmées par les ciels changeants glissant sur ses ardoises luisantes, y déversant parfois des seaux d’averses versatiles.
Solide sous les grains, tenace aux tempêtes, impavide aux bourrasques…
En y regardant bien, on la devinait vivre au rythme des vies qui y vivaient.
Ici, on y venait parfois l’hiver, mais le plus souvent l’été. C’est du reste à cette période qu’elle donnait le meilleur d’elle-même.
Quand elle tremblait de présences, les volets paupières bleuies, refusaient, souvent, le soir, de se laisser fermer. De dedans, ils voulaient, à tout instant que le regard puisse porter aussi loin que le ciel permette. Que l’océan soit disponible !
Après les repas du soir, pris sous des parasols de tamaris roses, la cire alanguie des dernières bougies éteintes, des lucioles vigilantes éclairaient alors les fenêtres des chambres.
On y lisait tard allongés dans les tiédeurs des nuits estivales. Il arrivait même que dans certaines chambres on s’y embrasse à lèvres feutrées, on s’y regarde à pupilles dilatées, on s’y caresse à peaux dessalées… C’est qu’ici, tout le disait, l’amour y était comme chez lui.
Sans que je n’y sois jamais entré, je le sais bien maintenant, que c’est elle qui m’a toujours habité. Que la bise s’y lève, c’est une promesse de vent.
Un rêve de maison ?
Un rêve de rêve ?

Où voir les photos de Chri 

Pivoine - Une photographie



Photo : croquis de 2013, inversé et retravaillé avec photoshop


J'ai cassé mon crayon

Je suis assise sur un haut tabouret, à une table à dessin improvisée, avec mon bloc de papier et ma boîte de crayons, plus la gomme « mie de pain », ouf, je ne devrai pas dessiner debout jusqu'à neuf heures du soir. Souffrance, souffrance, quand tu nous tiens !

J'ai cassé mon crayon et je récupère la mine, toute petite, moins d'un cm à peine entre mes doigts. Et comme j'ai le temps, que la pose dure une demi-heure, je peaufine les ombres entre les côtes du modèle.

Le jeune homme est maigre, et je me souviens de mes copains (indifféremment hommes et femmes) du groupe Graphite, qui n'aimaient pas quand un homme posait. Moi, j'aime plutôt bien, cela change, non pas pour des raisons, des raisons, comment dire, heu d'intérêt pour l'un plutôt que pour l'autre, (vous me suivez?) mais j'aime bien, surtout parce que la musculature masculine est essentiellement différente. Les muscles sont plus longs, plus denses, le squelette sans doute aussi, je ne sais pas encore très bien dire en quoi, parce que je ne m'y connais pas assez en anatomie...

Respect d'une personne humaine.

Mais enfin, du croquis de modèle vivant, j'en ai fait, total, depuis 2006, cela fait sept ans. Plus les stages avant, plus une lointaine année de dessin, où l'on se partageait entre le plâtre antique (c'était le règne du dessin académique) et une soirée de croquis de modèles habillés. Pour une première année, le prof y tenait. Ce prof-là. Ce qui m'était égal, car j'avais découvert le bonheur de faire du modèle vivant – dessin qui s'associe souvent à la rapidité et à la concentration.

Une demi-heure, vingt minutes, un quart d'heure – cela restait de l'ordre du faisable.

J'ai découvert que j'aimais, par-dessus tout, être entièrement dans ma feuille, dans l'instant présent, puis, soulever la main, m'écarter de ma planche, et tout d'un coup, voir une oeuvre vivante ébauchée.

Je me souviens de mes soirées chez Graphite, un groupe d'amis artistes, qui se réunissaient le jeudi pour du croquis de modèle vivant. C'était loin de Bruxelles. Enfin, il me fallait faire une heure de train de banlieue, le petit tortillard qui va à Louvain-la-Neuve via Rixensart et Ottignies, mais je la faisais avec bonheur. Il fallait installer les tables, l'éclairage, accueillir le modèle, on dessinait jusqu'à 9 heures à peu près, on faisait une pause, le maître de cérémonie coupait le cake ou la tarte qu'il avait préparé, on échangeait les derniers potins du coin, autour d'un verre de vin ou de jus de fruit, et puis, on redessinait.

Chez Graphite, les poses duraient entre trois et cinq minutes. Les uns pleuraient pour que cela dure encore un peu plus longtemps s'il vous plaît « il y a beaucoup à dessiner », moi, j'aimais bien les défis et toujours aller plus vite, mais cinquante secondes, c'est vrai que c'était peu, il fallait amputer le modèle de sa tête ou de ses jambes ou de ses bras...

J'ai cassé mon crayon, et je n'ai plus réfléchi à rien. Je me suis laissée bercer par le son de la musique classique, diffusée en sourdine, je me suis concentrée sur les côtes du modèle, j'ai rêvé, mes doigts ont agi sans que ma pensée s'y joigne...

Le prof est arrivé, il a regardé, et il m'a dit « stop, arrête... »

J'ai cassé mon crayon, et voilà, c'est justement ce dessin-là qui a été épinglé aux murs de la classe pour l'expo de fin d'année.

J'ai cassé mon crayon, puis, j'ai troqué le cours de dessin contre le cours d'infographie. Un ordi, une souris, photoshop, des calques, transformation manuelle, pixellisation, au secours !

Quand on est fou, c'est pour la vie !

Mais je ne conçois pas ma vie sans l'art, sans l'image, sans les livres ou les fanzines... Sans l'écriture, sans l'amitié, sans mes rêveries sur l'inspiration, je ne conçois pas ma vie sans Laethem-Saint-Martin, ni le musée, sans l'académie des Beaux-Arts, sans le cours du soir, sans les saisons, les châteaux et les voyages, et d'ailleurs...

Il faudrait peut-être que je songe à me préparer pour le cours de ce soir...

Chri - Une photographie

  Tranches



Nous sommes arrivés là haut, à pied, par le revers de la dune. Les têtes dans la lumière, les âmes abandonnées aux bleus du ciel. Et, si l’ascension fut rude, nos corps n’ont pas trop souffert. Le sable a pourtant tout tenté pour nous dissuader de monter.
Il s’est dérobé sans cesse sous nos pieds, un pas en avant, un pas en arrière comme dans la ritournelle qui nous est venue. Malgré les difficultés, l’ambiance était légère et la chaleur flottait autour de nous comme un chaud linge dans un restaurant japonais.
Un pas sur le côté, un pas de l’autre côté…
Il n’y avait pas de chemin tracé, seul, le bleu était La Voie. Nous avons débouché au sommet en criant victoire, alors ce que nous avons alors vu, nous a assis.
Le plus bel horizon qu’il nous avait été donné d’embrasser.
Un horizon en tranches.
Une de paix et de jaune, une de sérénité et de bleu, une de silence et de turquoise.
Un sandwich d’absolu. Nous sommes restés sur cet amas scintillant de lingots d’or émiettés et nous avons attendu, immobiles, muets, transformés, que le jour fatigue de tant de beauté.
Sans plus un mot. Tout était dit.
Tout était vu.
Un immense tas de sable, un grand ciel, deux paires d’yeux et un peu de temps pris sur la mort. Les émotions les plus fortes n’ont le plus souvent besoin de rien d’autre, il suffit de voir pour être chamboulé.
Pour redescendre, nous avons attendu, là haut, sagement, que la nuit descende sur la terre.

Où lire Chri