lundi 5 octobre 2015

Lorraine - Les premiers mots d'un livre



LES DERNIERS JOURS DES SOURDS

    Depuis bien longtemps, les vieilles maisons se serraient l’une contre l’autre, simplement pour tenir debout ; elles habitaient « L’impasse aux chats » , hommage silencieux aux félins qui hantaient les escaliers croulants, un perron voûté, une vitrine fendue derrière laquelle, obstiné et vaillant l’horloger Jasmin s’entêtait à mettre les pendules à l’heure.
        Il avait sa clientèle furtive de petites gens, gênés d’être quelconques et pauvres pour toujours. Ce qui ne les empêchait pas de sourire à l’horloger dont les doigts de fée effleuraient le cadran, le désincrustaient, en deux parties, tandis que son œil nanti d’une loupe lisait le secret des écrous minuscules et des roues dentelées. Jasmin aimait le temps qui passe et, quelquefois, ayant fureté longtemps au vieux Marché dominical, parmi les clous, les vis, les couteaux ébréchés, les ferrures de portes étalées à même le sol, il en ramenait une pièce unique à ses yeux, qui affinerait encore son labeur d’artisan. Ce jour-là, il ramena une ampoule.
        Pas une ampoule ordinaire, non ; elle brillait seule d’une petite flamme intérieure,  inutile et intrigante sur le pavé disjoint. Il l’acheta pour presque rien. Elle battait sur son cœur, dans la poche de sa veste. Quand il la déposa sur la table, elle battait encore. Et quand il se retourna d’un bond inconsidéré sous l’explosion, elle ne battait plus, elle irradiait…Jasmin voulut crier ; il n’avait plus de voix. Jasmin, courut dans la ruelle, se heurta au  boulanger, se cogna contre l’épicière, ne comprit pas ce que criait le cabaretier, vit au fond de la ruelle les pompiers qui se démenaient, Et comprit soudain : il était sourd. Sourd comme tous les habitants de l’impasse, sourd comme son voisin, la coiffeuse éperdue, le nain d’à côté qui se frappait la tête contre le mur, sourd comme un pot  et tous les autres avec lui…

13 commentaires:

  1. Souhaitons que la suite du conte leur redonne l'ouïe et qu'on ait pas inventé l'horloge parlante pour rien :)

    RépondreSupprimer
  2. je suis saisie car je suivais tes descriptions de cette "impasse", et je m'y voyais presque, lorsque tout à coup la déflagration m'a atteinte de son onde de choc, et je reste abasourdie
    tu tiens un début d'histoire très intéressante il me semble

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Désolée pour la déflagration, Tisseuse!C'est vrai que, vous, les lecteurs, n'êtes pas sourds!..

      Supprimer
  3. L'Arpenteur d'étoiles6 octobre 2015 à 19:18

    grand plaisir de te relire chère Lorraine et le début de cette histoire est une vraie "bombe" et pas à retardement :o)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ils l'entendirent tous, puis cessèrent d'entendre...Ensuite? Mystère complet, y compris pour moi!

      Supprimer
  4. tu sais installer une ambiance, c'est certain, captivante et mystérieuse, et quelle originale façon d'y amener les sourds

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La couverture du livre m'a frappée, j'y ai vu l'humble labeur de l'horloger, le reste a suivi...sans savoir où il pourrait me mener!

      Supprimer
  5. Belle atmosphère et grand mystère ! C'est très bien amené. Bravo !

    RépondreSupprimer
  6. Réponses
    1. Avant de parler des "Derniers jours des sourds", je me suis dit qu'il fallait d'abord les présenter! Voilà qui est fait! :)

      Supprimer
  7. J'ai aimé ce contraste entre le tic tac de la rue et l'explosion "en mots" subtils....

    Bien frappé!

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".