lundi 2 novembre 2015

Ecri'turbulence - Les huit éléments

ET POURTANT JE T'AVAIS PRÉVENU

"Tu sais, petit, les ponts, c'est une source d'inspiration sûre, pour nous, les artistes, tous les artistes."

Ainsi parlait un clown-funambule qui, ce jour-là, avait défié la pesanteur devant une foule médusée. Dans la multitude, un petit enfant grimpé sur les épaules de son grand-père, bouche-bée, avait assisté à la traversée de trois-cents mètres, à trente mètres au dessus du Rhône. Il s'appelait Charles Elleano, c'était un jour de septembre, en 1952.

"Tu sais, petit, les ponts, c'est nous, les impressionnistes, qui leur avons donné vie".

Ainsi parlait une multitude de peintres – aquarellistes, expressionnistes, surréalistes, fauvistes, pointillistes, pastellistes –. Seul, immensément seul dans un musée bien trop grand pour ses émotions, un petit enfant voletait de fresques en paysages, en quête de cette toile d'un pont enjambant un fleuve, dont on lui avait dit que son arrière-grand-père, Horace Antoine Fonville, en avait été l'interprète, avant son décès en 1914.

"Tu sais, petit, le pont sur l'Isis, c'est là que j'ai rencontré Alice pour la première fois".
Ainsi parlait un lapin blanc aux yeux roses à un petit enfant qui contemplait le portrait d'une jeune fille, incrusté dans un pendentif, que lui avait confié son grand-père.
Son grand-père, celui sur les épaules duquel il était juché, en 1952.
Son grand-père, ami de Monet, de Maurice de Vlamink, de Jongkind et de tant d'autres, dont le père posait son chevalet sur les berges du Rhône, quelque peu avant la Grande Guerre.
Son grand-père, qui jamais ne s'était consolé de la disparition d'Alice, lorsqu'elle était passée de l'autre côté du miroir.

"Et pourtant, petit, je t'avais prévenu : il suffit de passer le pont, c'est tout de suite l'aventure".

Mais le petit enfant n'a pas passé le pont : du parapet il est tombé. Aucun fil, aucun chevalet, aucune montre, aucune chanson n'ont pu retenir sa vie.

4 commentaires:

  1. Sources d'inspiration, les ponts sont des passerelles entre réel et imaginaire... mais gare au vertige !

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    1. C'est aussi le symbole du passage des âmes vers l'au-delà...

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  2. Un joli florilège avec tant de liens tressés, mais... une triste fin....

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  3. Oh, Martine, vous tissez encore ces liens dont vous avez le secret entre le lecteur et l'histoire, bien balancée, en équilibre entre imaginaire et réalité, entre drame et comédie. Et puis, zut, je dois changer le nom de mon personnage qui s'appelle Charles aussi, encore un pont entre nous, mais comme j'écris lentement, j'ai le temps avant l'envoi. Et je vous retrouve toujours avec plaisir au tournant de vos parutions.

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