vendredi 18 décembre 2015

DJ- Noël en couleurs

Le rêve de Joseph.


Joseph se réveille au milieu de la nuit et son rêve se délite sitôt qu'il ouvre les yeux. les quelques images qu'il retient - un long manteau rouge, une cheminée, des paquets multicolores... et cette curieuse mousse blanche et froide qui couvre les rues et les toits bizarrement pentus des maisons – sont tellement abracadabrantesques qu'il désespère y trouver un sens. Il faut reconnaître qu'il n'est pas savant. Il a un bon métier, charpentier - on aura toujours besoin de poutres et de planches. Mais de là à comprendre les rêves...


Joseph tend l'oreille. À cette heure, la ville est silencieuse. La nuit doit être douce ; la lune éclaire les toits en terrasse, les jardins exhalent leurs parfums. Une belle nuit pour les amoureux... Voyons, Joseph, reprends-toi, tu es papa, maintenant. Tu as un fils, un premier-né, qui dort à côté de sa mère !
Il prend une longue inspiration. C'est une chance d'avoir pu être hébergé par des bergers. Aussi, quelle idée ont eu les romains d'organiser ce recensement qui a fait accourir à Bethléem du monde des quatre coins de la province ? Ils sont fous, ces romains ! Quelque effort qu'on fasse, il est impossible de les comprendre.
Somnolent, Joseph se retourne et songe : est-ce qu'on comprend les gens ? Ce qu'il voudrait, lui, c'est comprendre les bêtes. Ce que jappent les chiots qui batifolent devant son atelier, ce que stridule la cigale du jardin, ce que zinzinule la mésange nichée dans l'acacia de la cour, ce que flûtent les merles de l'oliveraie, ce que blatèrent les chameaux du caravansérail, et même à quoi songent les crabes qui trottent en biais sur les plages de la mer Morte.
Décidément, le sommeil le fuit. Il se lève, tente quelques pas précautionneux dans l'obscurité. Patatras ! Il se prend les pieds dans un balai, tombe sur les présents amoncelés le long du mur, trébuche sur la cassolette d'encens, manque renverser la bouteille d'essence de navet, bouscule la jarre de myrrhe, piétine le pot de benjoin, s'étale sur la boite de guimauve... Ouf, le tintamarre n'a réveillé personne !
Mais qu'est-ce qui leur a pris, aussi, à ces trois visiteurs du soir ? Débarquer en pleine nuit, passe encore : l'hospitalité est sacrée. Mais venir les bras chargés d'offrandes, c'est trop. Il a cru un moment à une erreur. Mais ils ont insisté. Et ils ont l'air si bons, si savants. Eux sauraient expliquer son rêve. Joseph aimerait bien en discuter avec eux, mais il a peur de passer pour un niais.
La poussière dorée qui s'élève des pots renversés lui chatouille le nez. Voilà qu'il entend des voix qui percent le silence... ça vient de l'étable, juste à côté, où logent les trois visiteurs. Ce doit être eux : des savants, ça peut parler toute la nuit. Curieux, Joseph se rapproche de la cloison et saisit des bribes d'un dialogue :
"Mais rends-toi compte que cette herbe d'or, Balthazar dit qu'il en a une pleine cassette. C'est l'occasion ou jamais d'essayer.
Ainsi, l'herbe d'or - l'herbe magique qui permet aux hommes et aux bêtes de se parler - ne serait pas une légende ? Ainsi, les savants sont comme lui, désireux de comprendre les animaux ? Joseph tend l'oreille :
- L'herbe d'or... même si elle existe, à quoi pourrait-elle nous servir ?
- Mais, à les comprendre enfin.
- Parce que tu as vraiment envie de les comprendre ?
- Mais oui, ils savent forcément des choses qu'on ignore. Ils n'ont pas été créé en vain.
- Enfin, écoute-les un peu, c'est toujours la même chanson. Ça, une langue ? Au mieux, du baragouin. Pas même de la musique."
Au jugé, Joseph attribue la voix la plus grave à celui qui s'appelle Melchior et l'autre à... voyons, Gaspard.
"Et même si nous arrivions à les comprendre, quelle égalité y aurait-il entre eux et nous ? Ils ne font que proliférer et manger ! Rien ne les intéresse à part eux ! Regarde-les vivre : des rats, des chameaux, des souris, des rapaces, des pigeons, des moutons, des loups, des requins, des étourneaux, et je te parle même pas des maquereaux et des grues... que sont-ils d'autres ?"
Décidément, Melchior ne mâche pas ses mots. Toujours chuchotant, il ne laisse même plus à Gaspard le temps de répondre :
"Dis-moi combien de poètes, de comédies, de romans - des classiques pas trop mièvres - ont-ils donné au monde ? Et puis cette manie de se couvrir de tissus ou pire, de la fourrure des autres, quelle honte !"



Tissu ? Fourrure ? Mais de quels animaux parlent-ils ? N'y tenant plus, Joseph ouvre la porte et pénètre dans l'étable éclairée par la lune. Parmi la lente houle des moutons silencieux, trois couvertures rebondies signalent Melchior, Gaspard et Balthazar profondément endormis.
Mais alors, qui parlait ?
Près de la mangeoire qui déborde de foin, l'âne et le bœuf - mâchant avec ostentation - louchent curieusement vers Joseph puis détournent la tête, l'air entendu.

7 commentaires:

  1. Jolie histoire que vous nous contez là, qui rejoint le thème de la semaine et l'agenda ironique. A quelle race appartenez-vous ? Mon arrière-arrière-arrière grand-tante nous racontait cette histoire : pensez, ça appartient à la famille qui se la passent de génération en génération. Je vous quitte, c'est l'heure d'aller brouter. Merci et à bientôt. L'ânesse Cadich'Anne.

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    1. Dans la famille, on se la raconte de boeufoncle en neboeuf (la génération des boeufs étant, je le conçois -si j'ose dire - certes problématique, mais c'est un autre sujet) depuis au moins l'arche de Noë[l].
      C'est dire.

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  2. Ah! J'ai adoré. C'est génial cette réécriture de noël!

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    1. Merci Pivoine ! Je me suis dit que c'était l'occasion de mettre en avant les "seconds roles", les muets de l'histoire, ceux dont on parle toujours sans les écouter. :)

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  3. C'est plein de rebondissements, de sous-entendus et d'humour... j'aime beaucoup cet épisode déjanté mais de circonstance!

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    1. Merci Vegas ; je me suis bien amusé à l'écrire ; content que ça amuse à la lecture !

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  4. Une manière originale de revisiter la nativité .C est plein d humour, j ai apprecié cette approche! Merci pour ce partage!

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