mercredi 2 décembre 2015

JCP - Nos profs


Les fesses du professeur
ou : (x² + y² - ax)² = a²(x² + y²)

D'un physique inspirant le respect, l'homme était sévère et l'on se tenait tranquille au cours de mathématiques de Mr Pierre Delmas, dit cependant "Pierrot". Le cancre et le chahuteur, ignorant la voix du professeur ou y cherchant facétie demeuraient pareillement silencieux, et c'est à peine si l'on remarquait, ici où là, l'œil mi-clos ou l'esquisse de quelque grimace sur des visages prudents : on savait l'homme d'humeur prompte à punir. Égaré dans la projection spatiale comme dans l'intégrale, qui ne voulait écouter se tenait coi.
Mais qui, animé du désir de suivre pas à pas cette voix lente, grave et engageante pouvait voir, ébahi, se dresser lentement devant lui tout un monde neuf en construction, dont l'image grandissait autant à la surface du tableau noir, qu'elle emplissait l'esprit des merveilles d'exactitude froide - et pourtant grisantes - de la géométrie, qu'elle fût plane ou dans l'espace.
Le discours prenait alors un tour lyrique. Sans jamais s'essouffler, la voix montait mille échafaudages de droites infinies, de segments définis, de coniques aux courbes avantageuses appelant de caressantes voluptés, d'incroyables points de concours où l'angle aigu tolérait la répugnante promiscuité de plus obtus que lui, dans la paix sans bornes des espaces tridimensionnels.

Nées de foyers si chauds qu'elles devaient les fuir, hyperboles, spirales et paraboles tendaient leurs bras sans fin vers les lointains indicibles alors que, de plus modeste condition, cercles, ellipses et ovoïdes, parallélépipèdes ou sphères se laissaient mieux appréhender par le regard - comme par l'imaginaire.

Mais il fallait voir comme les "fesses du lait" (telles qu'on les voit paraître à la surface du lait dans la casserole), et que de pudiques mathématiciens nommèrent "cardioïde" déclenchait, - instant trivial autorisé -, une déferlante de rire éveillant jusqu'au cancre qui, regrettant de n'avoir pas suivi, consentait à s'instruire de la réjouissante courbe auprès de camarades plus studieux, Pierrot ajoutant alors que, - nom de dieu ! -, il fallait bien nommer un cul un cul !

Et c'est à regret qu'une sonnerie assassine ramenait à son monde, celui du Temps, un moment oublié alors que les restes du rêve tracé s'évanouissaient sous les coups du tampon effaceur - quand à notre insu nous étions déjà investis d'une part supplémentaire de ce merveilleux savoir qu'avait su nous insuffler Mr. Delmas, dit "Pierrot".


8 commentaires:

  1. La moins caustique des théories - celle des cardioïdes - qui a su réveiller ceux qui somnolaient au coin du radiateur aura réussi à me réconcilier avec les maths... 20 sur 20 élève JCP

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  2. Merci Végas, rigoureusement authentique et vécu, ce prof, sévère, s'autorisait de temps à autre d'hilarantes vulgarités, propres en effet à rallier les cancres. Excellent prof qui jadis me donna un certain goût pour les maths, perdu depuis...

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  3. Waouh... moi, ce que je retiens, c'est la poésie que peuvent révéler les math!

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    1. Merci Clémence, en y regardant de près, la géométrie dans l'espace peut être une affaire de rêveurs....quelques nuages joufflus, le soleil couchant, un fagot de paraboles, des sphères sur des ellipses, et puis des hyperboles, beaucoup d'hyperboles...

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  4. L'Arpenteur d'étoiles2 décembre 2015 à 17:53

    ce style de prof qui dans les cours permettent de lâcher la pression et de mieux apprendre sont géniaux !!
    (les cardioïdes, courbes cycloïdales, et les fesses du lait ne sont que du bonheur :o)) )

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    1. Merci beaucoup Arpenteur, c'est exactement ça, il y en a peu ainsi, moins encore peut-être de nos jours...l'ambiance des lycées s'est tellement dégradée...
      J'aimais ses cours.

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  5. C'est qu'il nous ferait aimer les maths, le bougre ! Et je ne parle pas du Pierrot ! Quelles jolies descriptions où les mots concrets du français rejoignent l'abstraction de l'esprit.

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  6. Merci beaucoup Anne - je réponds avec retard...

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