mardi 5 janvier 2016

JCP - Patafatras


                             
Mozart le Troisième
                             

                                          Plus que six petits mois de rien du tout, et Günther prendrait sa retraite ; oh, ce n'est pas qu'il était impatient : avec son côté vacances et touristes turbulents, sa fonction de gardien attaché au "Geburtzhaus", le Musée-demeure des Mozart à Salzbourg, ne l'avait jamais lassé ; et il n'y avait que très rarement ressenti le poids du travail, au terme de toutes ces années - qu'il avait à peine eu le temps de voir passer.

Non autorisé à la visite, un lieu pourtant lui laisserait des regrets : le sous-sol de la vieille demeure, cave basse, sinistre et voûtée, où tout un peuple à patte noire tissait toile dans une atmosphère étouffée de poussière, et sous les senteurs aigres du moisi des siècles que portaient les vieilles pierres. Ici point de parole incongrue, de short ou d'appareil photo : le seul anachronisme que tolérait ce silence était dans la succession de ceux qui, tout comme lui, avaient veillé sur ces lieux, que n'éclairait qu'une misérable ampoule noircie au dangereux câblage séculaire. Hormis une sorte de vieux coffre vide et une étagère à demi effondrée au mur, il n'y avait rien d'autre dans cette pièce au sol de terre battue, que les galeries des rongeurs avaient rendu traître sous le pied.
Mais ce qui le tourmentait, c'était ces vestiges de voûte en brique, murés de pierres disjointes, précisément derrière le coffre : une pièce de la vieille bâtisse avait-elle été soustraite à la vue depuis les siècles ?
Équipé d'une torche puissante, il avait déjà tenté d'observer à travers un interstice entre les pierres au ciment délité : il semblait bien y avoir là derrière un vide, mais le faisceau lumineux, incapable de se faufiler par la fissure ne lui ayant montré rien d'autre que du noir, il avait fini par renoncer - il n'allait pas attenter au musée Mozart !

Aujourd'hui pourtant, le dernier visiteur parti et la fermeture dûment accomplie, un pic de maçon en main, Günther était résolu à percer - s'il y en avait - les raisons de ce murage. La tâche ne fut pas ardue, le liant tombait en poussière sans effort, et, dégageant quelques grosses pierres au ras du sol, il parvint à se frayer un passage suffisant, qu'il emprunta en rampant sans plus attendre ; et put se redresser de l'autre côté du mur.
D'une torche impatiente il ne put que vérifier ses pressentiments : il y avait bien là une espèce de crypte étroite et voûtée dont, curieusement, poussière et araignées n'avaient pas pris possession. L'air y paraissait même plutôt léger, et les murs de pierres grossièrement taillées ne recélaient que les modestes traces d'une humidité ancienne.

Il l'avait vue dès sa lampe levée : il y avait là une armoire immense, à première vue bien conservée, contre le mur du fond. Et sa main fébrile actionnait déjà la clé rouillée, tirait à lui le gros bouton de bois alors que, manquant le renverser, la porte s'écroulait sur lui, déversant au sol le flot d'une imposante quantité de livres et de manuscrits, que les étagères vermoulues ne retenaient plus. Il repoussa non sans effort la porte et la fit basculer en appui contre le mur.
Il avait deviné : des secrets séculaires résidaient bien là !

Mais ce qu'il vit le surprit davantage : l'étagère supérieure, demeurée intacte, portait deux immenses bocaux de verre emplis d'un liquide glauque dans lequel baignaient deux fœtus très développés au vu de leur taille - des enfants mort-nés peut-être...
Des étiquettes jaunies portaient, d'une encre mauve pâlie : "W. A. - 12 März 1754" sur l'un, et "W. A. - 7 Januar 1755" sur l'autre.

Et ce que Günther put voir au faisceau de sa torche électrique le surprit encore :
Il y avait là des ouvrages anciens - dont les titres feraient aujourd'hui sourire -, traitant de génétique, d'hérédité, d'atavisme, d'évolution à travers les âges et de morphologie comparée des races humaines, des qualités intellectuelles et physiques inhérentes au génie artistique, mais aussi un petit fascicule intitulé "Du premier cri du nouveau né et de ses relations futures avec la musique" qui le troubla beaucoup.
En outre, contenues dans des chemises de carton fort, datées et liées de rubans, des quantités de pages manuscrites, d'une écriture enluminée à l'encre encore lisible, rendaient un compte minutieux de l'évolution des grossesses et des naissances avortées (volontairement ou non ?...) de la famille Mozart, écrit comme le comprit Günther de la main de Léopold en personne, père autoritaire et mentor du célèbre musicien.
Photographiant avec soin les documents, les deux bocaux sous tous les angles et même les lieux - ce dont il emplit une carte-mémoire entière -, Günther se retira à une heure avancée de la nuit, après avoir masqué de son mieux grâce au bahut les traces de son extraordinaire visite.
On le vit alors songeur, tête basse et regard sévère à toute heure du jour, et transfiguré au point de négliger ses amis.


                                                  Günther prit sa retraite avec enthousiasme, et surprit ses collègues comme son entourage, déclarant que ses activités au n° 9 de la Getreidegasse ne lui manqueraient pas et qu'il ne saurait connaître l'ennui, s'étant découvert depuis peu certains talents d'historien ; qu'il employait déjà à rédiger le manuscrit d'un premier ouvrage traitant des prédispositions musicales chez l'homme à travers les âges, ainsi que de la manière de les détecter et les développer dès la petite enfance.



12 commentaires:

  1. Waouh.... Un thriller musicalo-génético-historique, original comme approche!..
    Bouh... le génie de Mozart ébréché???Non.... il en faudrait bien plus que cela !!!



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    1. Merci Clémence.
      En tout cas c'est ce que Günther m'a dit - mais a-t-il bien tout dit et n'a t'il pas menti ?...

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  2. Günther est bien inspiré de célébrer la vie de l'artiste qui fit l'objet de tant d'études sur les causes de sa mort...

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    1. Grâce à lui, la vérité éclate enfin au grand jour, il était temps !

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  3. Je me suis plongée avec Günther dans les méandres de cette histoire de cave et de vieilleries manuscrites et "bocales"... Mais que va-t-il encore découvrir ? J'en ai un goût de trop peu. Encore, encore, de ce suspense qui nous tient en haleine de bout en bout.

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    1. En effet Anne, resterait à écrire l'ouvrage de Günther qui, je le crains, pourrait avoir trait à certaines sélections raciales de triste mémoire appliquées à l'obtention du musicien parfait... il est plus sage de s'abstenir je crois...ces lignes ont dépassé mes intentions.

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  4. Voilà " une petite musique de nuit" qui ne manque ni de surprises, ni de suspens ! Il semblerait que Günther ait trouvé quelques notes discordantes. Idée originale.

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    1. Je crois qu'elles sont dans les pages de "Du premier cri du nouveau né et de ses relations futures avec la musique"...
      (Sans lesquelles nous n'aurions pas connu "LE" Mozart...)

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  5. Arpenteur d'étoiles7 janvier 2016 à 08:12

    ce n'est que le début d'un thriller historico musical vampirique et mystérieux qui nous emmènera dans les tréfonds de l'âme humaine, jusqu'au sublime requiem ... belle idée en tout cas, à creuser absolument ...

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    1. Merci Arpenteur, il se peut en effet que je poursuive, et dévoile le contenu du "petit fascicule"...

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  6. Réponses
    1. Si peu, si peu... le texte a finalement pris le volume d'une nouvelle de 6 pages A4.

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