vendredi 29 avril 2016

Chri - Le carrelet

Le carrelet.

J’étais si entamé que je n’ai même pas été surpris quand j’ai entendu une voix de femme me dire :
Sais-tu à quoi ils servent vraiment ?
Je me suis à peine tourné vers l’endroit d’où j’ai pensé qu’elle venait.
Il faut dire qu’on avait fêté la fin des vacances dignement, comme ça se méritait. On avait bu autant que ça nous coûtait de devoir partir d’ici, c’est dire.

Un moment j’avais eu besoin de faire une pause, de marquer le pas, d’interrompre la descente, de prendre l’air. J’avais attrapé une bouteille d’eau minérale et j’étais monté sur la digue où se trouvait le carrelet. J’étais venu m’asseoir sur les marches branlantes en bois. Le soleil n’était pas encore couché, pour l’instant il s’occupait de foutre le feu à la bande de nuages qui barrait l’horizon, je m’étais dit bêtement ben dis donc, là-bas en Amérique, vont avoir un sacré coup de chaud… J’ai prévenu, j’avais bu pas mal, je ne m’attendais donc à rien de malin venant de moi-même. J’entendais les bruits de la fête, les éclats de rire et de verres, le son d’une basse lancinante, les cris des enfants, les gens qui chantaient faux à tue-tête et j’étais bien. Heureux de voir le spectacle flambant du jour finissant et de l’île en feu et bien de n’être pas loin d’une fête et de ses flonflons.

C’est là que j’ai entendu :
Sais-tu à quoi ils servent vraiment ?
Je me suis surpris à répondre : Ben oui, à pêcher ! Cette bêtise. Elle a repris, insistante :
En as-tu déjà vu en service ?

Là j’ai réfléchi quelques secondes et effectivement, je n’en avais jamais vu fonctionner. Ils avaient toujours été là, le filet bien en l’air accroché, secoué par les rafales quand il soufflait d’Ouest…
Mais j’étais entré en conversation avec une voix.
Dites vous êtes où ? Montrez vous, quoi.

Peu importe qui je suis, où je suis, je suis là et je vais te confier un secret à toi seul je vais t’apprendre à quoi servent vraiment les carrelets…

Heureusement que j’étais assis parce qu’en plus j’étais sur le cul.
Elle a continué m’interrompant :
Regarde les bien, en vrai, ces grands filets servent à attraper et retenir dans les brumes apportées par les marées tous les murmures du grand large et ces murmures portent les prénoms des marins morts en mer. Viens, les jours de brume, viens à marée montante, viens écouter ce que le large a à te dire, viens entendre la mémoire des morts…

Je suis resté silencieux. Je suis retourné à la fête. Si je n’ai rien dit à personne, en revanche, je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’arrête pour ce soir, que j’avais franchi la fameuse ligne.

Le lendemain, en prenant la route du retour, j’ai regardé comme jamais la longue ligne des carrelets relevés, tournés vers le large.

Où lire Chri
Où voir ses photos

jeudi 28 avril 2016

Arpenteur d'étoiles - Le carrelet


Une bien étrange enquête

Au petit matin, Dethiers et Pacôme courraient sur la plage, humant l’air marin. Le soleil pointait, démesurant leurs ombres. Ces deux policiers belges, avaient choisi de passer quelques jours près de La Rochelle avec leurs familles. Tenter d’oublier Molenbeek dans une maison louée ensemble, juste au bord de l’eau. Ils s’arrêtèrent un instant pour souffler un peu et faire quelques étirements. La marée avançait ; dans deux heures ce serait la pleine mer. Ils admiraient la ville proche que coloraient peu à peu les rayons du soleil. Les grands oiseaux jouant sous le vent, les bateaux de pêcheurs rentrant au port, l’île de Ré semblant émerger, le pont encore dans une brume pâle et enjambant l’immensité mouvante.

- Tu as entendu cette nuit, cette étrange musique venue de nulle part ? Demanda Dethiers.
- Oui, oui, répondit Pacôme.
- C’était comme un chant, comme des vocalises portées par le vent, entrecoupées de silence. Mais j’ai eu l’impression de percevoir aussi une sorte de souffrance, d’angoisse au cœur de ces variations mélodiques.

Pâcome commençait à faire des pompes lorsque la voix reprit doucement, mais très proche. Il se releva, troublé. Dethiers aussi avait entendu.
- Regarde on dirait que ça vient de cet abri-là, juste là.
Ils se dirigèrent vers la construction de bois gris et rouge. Au-dessus de la porte en haut de l’escalier, une inscription « Miss-ter ».
La voix continuait, modelant une mélopée à la fois calme et inquiétante. Ils décidèrent d’aller voir à l’intérieur.

La porte n’était pas fermée à clef. Ils l’ouvrirent doucement. La pièce était encore un peu sombre, à peine éclairée par une ouverture en forme de cœur. Et là ils restèrent immobiles, interdits ; devant eux, dans une espèce de baquet rempli d‘eau de mer, une femme aux yeux clairs et à la chevelure abondante et blonde était nue. Ses bras graciles étaient liés à deux crochets ancrés aux parois. On ne la découvrait que jusqu’à la taille, le reste de son corps était dans l’eau. Celle-ci était couverte d’algues sombres. Contre le baquet, un panneau en bois sur lequel était écrit « Tiss-mer ». Elle les regarda intensément et d’une voix étonnement grave murmura :
- Libérez-moi s’il vous plait, sinon je vais mourir dans la chaleur du jour.

Dethiers et Pacôme s’approchèrent. Ils trouvèrent un couteau et coupèrent les liens. Ils ne pouvaient détacher leur regard de ce corps superbe. Ils voulurent la soulever pour la sortir enfin de ce piège, mais elle leur demanda de ne pas le faire :
- S’il vous plait, n’écartez pas les algues. Emportez, si vous le pouvez, le baquet près de l’océan. Alors vous comprendrez. Pacôme bredouilla :
- Bon d’accord, nous allons vous aider comme vous le demandez. Puis nous reviendrons examiner ce local.

Ils réussirent tant bien que mal à descendre le bac avec la jeune femme. Ils ne cherchaient plus à comprendre. Leurs esprits de policier s’étaient envolés. Ils étaient à la fois dans la cabane du pêcheur et dans une autre dimension, dans un autre monde, portés par la voix qui continuait à moduler une douce mélodie.
Ils arrivèrent près de l’eau qui montait encore.
- Avancez un peu s’il vous plait, afin que je sois entièrement dans l’eau.
Ils obéirent.
- Je dois vous expliquer sur j’ai été prise dans les filets d’un pêcheur. Il m’a capturée et portée dans sa cabane. J’étais à la porte de l’enfer. Merci de m’avoir libérée.

Elle leur sourit, appuya ses mains sur le rebord du baquet, émergea et replongea aussitôt dans l’océan. Son immense queue de poisson bleu lui fit gagner très vite le large. Elle leur fit un signe de la main et fila vers les grands fonds. Pacôme et Dethiers venaient de sauver une sirène.
Le pêcheur au carrelet fut arrêté. Il avoua tout et fut pris pour un fou. Il finit ses jours dans un asile psychiatrique.

Le deux policiers gardèrent cette rencontre pour eux, bien cachée au fond de leurs cœurs. A chaque anniversaire de cette aventure, ils entendent la voix grave et mélodieuse qui les remercie, et un baiser se pose délicatement sur leurs lèvres.

Œuvre de John William Waterhouse

mercredi 27 avril 2016

Anne de Louvain la Neuve - Le carrelet

Photo de Tisseuse
Miss-Ter en Bretagne

Si l’archipel des Bermudes doit son nom au navigateur
espagnol Juan de Bermúdez qui le découvrit en 1515, tandis que d’autres se faisaient trucider à Marignan, il faut ici rappeler que cette cabane de plage accessible par un escalier assez raide aux seuls initiés, a été inventée en 1743, date complètement oubliée des livres d’histoire, par Cabanes de Sardine, un pêcheur portugais dont les grands-parents avait émigré en Bretagne suite au tremblement de terre d’on ne sait plus quand.

Tout petit déjà, Cabanes, efflanqué mais débrouillard, se démarquait de sa famille bancale, composée d’un père alcoolique et cul-de-jatte, d’une mère sourde, myope, et relativement chevelue, et de neuf frères et sœurs dont le célèbre Petit Poucet, l’ainé, qui restera dans toutes les mémoires.

Cabanes était de fait le cadet de la fratrie et malheureusement pour lui, comme les vivres venaient souvent à manquer, il fut décidé qu’il allait être mangé un jour ou l’autre. Comme le rappelle la chanson, l’un voulait qu’on le fricassât et l’autre qu’on le fritât. Il faut noter que le verbe frire n’existant pas au subjonctif, il était temps que les linguistes des impromptus littéraires s’attaquassent à ce sujet.

Cependant, durant quelques années, on lui foutit la paix, au gamin. Alors que fit-il ? Il ramassait des bouts de bois à longueur de journée pour en faire des châteaux forts. C’était à marée basse, tous les après-midis, et le sable fin cimentait la construction qu’il consolidait à l’eau trouble avec un peu de salive. Cependant, les marées sans gêne et sans vergogne s’obstinaient à lui renverser ses fragiles édifices après avoir copieusement inondé les culs-de-basse-fosse, les oubliettes, puis les postes de garde, les salons d’apparat, les chambres du premier, celles du second, jusqu’au plus haut des tours de guet. Il assistait impuissant à l’anéantissement successif de ses architectures savamment élaborées et magnifiquement exécutées, mâchicoulis compris.

Cependant, l’heure fatidique approchait : les parents indignes décidèrent de le faire rôtir la semaine suivante avec le dernier rutabaga et l’avant-dernier panais. Légèrement ébranlé de l’intérieur, mais néanmoins courageux, il résolut alors, dans un éclair de génie, de s’enfuir là où personne n’aurait l’idée de le dénicher, ni même de le chercher, car pas un ne penserait qu’il pouvait penser s’y trouver, bien en évidence sous les yeux de tous, sur la plage !

La construction de la cabane lui prit le temps que vivent les roses, l’espace d’un matin, trois heures et demie, en tout et pour tout ! Un exploit, et sur pilotis, comme vous pouvez le voir sur la photo, extraite du dossier de police relative à cette affaire n° 362. Avec un pochoir, il prit soin d’en interdire l’entrée avec ce qu’il pensait être un homard mordant, le résultat fut, que homard ou pas homard, il fit fuir effectivement tous les curieux. Il inscrivit aussi sur la porte le mot « mystère » mais il ne savait pas l’orthographier correctement. La conclusion que l’adjudant Conrad nota sur le procès-verbal fut que le «Homard l’a tuer sans doute » et l’on clôtura l’enquête.

La cabane rouge que vous voyez derrière est un leurre. Cette couleur est attrayante, demandez aux malheureux taureaux des corridas si vous ne me croyez pas. Effectivement, les recherches n’aboutirent à rien du tout. La police fouilla la cabane rouge, mais pas la première, moche et délavée par les embruns, gardée par LE crabe-tambour à l’allure martiale et pénétrante.

Trois semaines plus tard, sans nouvelles de lui, le père et la mère, désorientés, furent obligés de se résoudre à manger un de leurs huit autres enfants. C’est alors que Poucet intervint et obtint les lauriers de la littérature : on ne se souviendrait à l’avenir que du sauveur général, en oubliant à jamais celui qui ne devait sa vie qu’à lui tout seul. Ainsi disparut Cabanes de Sardine, mais pas son œuvre, la cabane, qui donna des idées à certains. Elle devint refuge au fil du temps pour délinquants de tous poils, repris de justice, bandits en cavale, pêcheurs de carrelets, ou amoureux en fuite (tels Tristan et Iseult dont les corps n’avaient jamais été retrouvés, on comprend pourquoi).

Célestine - Le carrelet



Plage oubliée

*

Ce promontoire, cet oasis au milieu de nulle part, où nous allions enfants, t’en souvient-il ? Tu cueillais des oyats pour caresser mon cou de cygne, nous regardions les cormorans piquer du bec dans l’océan. C’était notre échelle de Jacob, notre haricot magique, notre vigie de galapiats. La plage abandonnée aux sels de l’automne emplissait nos poumons de chanvre et de réglisse et les pieds clapotant dans des flaques nous jetions aux orties nos rêves de conquêtes en écoutant la mer. Où es-tu désormais, mon capitaine amadoué, la frange de tes cils sauvages bat-elle encore le velours de ta joue comme autrefois, sur cette rampe de lancement où tu déclamais tes poèmes une main posée sur mon sein blanc ?
Le hasard des aigrettes frôlant de leur aile grise la frange écumeuse des ondes nous indiquait comme de mystérieux augures les caprices d’un destin que nous aurions voulu conciliant et rieur. Pourtant tu m’as quitté sur une barque sombre et je retourne parfois au promontoire sur la dune, sentir la gifle des embruns comme jadis quand tu pris ma candeur d’une volée de prince, et me laissas pantelante et extasiée au bord d’un monde humide et minéral.

mardi 26 avril 2016

Marité - Le carrelet

Un carrelet très spécial.

Que serait la côte de Beauté sans ses carrelets ? Et même s'ils ne servent plus beaucoup à pêcher, ils font partie intégrante du paysage et sont un tremplin original entre la terre et la mer. Certains ont été reconstruits ou retapés après les tempêtes de 1999 et Xynthia. La plupart sont entretenus par leurs propriétaires ou les municipalités mais d'autres tombent pratiquement en ruine. Ce qui n'enlève rien à leur charme et attire les photographes du dimanche guettant le meilleur moment pour capter les rayons d'un coucher de soleil sur les cabanes de guingois. Mais que l'on ne s'y trompe pas : leur support est solidement ancré dans la mer.

Parfois, d'ailleurs, ne subsistent que les pilotis et une plateforme nue de toute construction. Les vagues en furie ont eu raison de la minuscule maisonnette de pêcheur qui y trônait face à l'océan.
On peut remarquer aussi, comme sur la photo de Tisseuse, une antique porte rescapée des fortes marées fermant l'accès au ponton alors que la cabane dont elle défend l'accès est elle-même flambant neuve. Nostalgie d'un autre temps sans doute.

Il est rare de voir encore fonctionner un carrelet. Et il y a attroupement lorsqu'un vieux pêcheur actionne le treuil pour descendre ou remonter le grand filet lorsque la marée est haute. Les badauds s'agglutinent sur le port de Meschers craignant de manquer l'attraction du moment. Et si les yeux quittent un instant le carrelet, ils accrochent, juste en face, la masse sombre ou baignée de soleil de l'église Sainte Radegonde de Talmont défiant l'océan. Les carrelets du port de Meschers sont idéalement placés et les touristes ne s'y trompent pas quand ils en louent un pour passer une journée avec des amis.

Mais je voudrais évoquer maintenant un autre carrelet de Meschers. Celui ci n'est pas destiné à la pêche. Même s'il regarde la mer du haut de la falaise de la plage des Nonnes, il n'a pas les pieds dans l'eau. Ses pilotis l'amarrent doucement dans la terre d'un beau jardin à l'arrière et sur l'avant, sa plateforme repose doucement sur une murette. Ce qui ne l'empêche pas d'être rutilant, paré de ses jolies couleurs bleues et blanches. Rien ne manque. C'est vraiment un carrelet miniature. On s'étonne un peu quand on l'aperçoit pour la première fois. Mais il réserve une bonne surprise : il regorge de livres. Et invite le promeneur à se servir.

Une belle âme, sans doute amoureuse des livres a voulu faire partager sa passion. L'initiative n'est pas nouvelle bien sûr. Mais quoi de plus génial que d'avoir fabriqué un carrelet, symbole de la région pour ce faire.

Si l'on est en panne de lecture en allant à la plage ou tout simplement curieux de découvrir des ouvrages que l'on n'achèterait pas forcément, on peut visiter le carrelet-bibliothèque. Chacun peut y puiser selon ses goûts. Bien entendu, on y dépose aussi ce que l'on a lu et aimé afin que les livres circulent et que tout le monde puisse en profiter. Une belle initiative. Que sa créatrice altruiste en soit remerciée.

JCP - Le carrelet

Sludge Wars*


Aux vastes étendues que la mer abandonne, de pitoyables coques roulent leur ventre mort. Et la vase apparue dessine entre les roches un morne paysage, où ruisselets et flaques retiennent une part de la vie que le flot, traîtreusement enfui, délaisse sans remords.

Engins guerriers tels qu'on en vit aux combats stellaires des sombres siècles wadoréens, des bastions de bois s'élèvent sur les terres découvertes, leurs longues pattes impatientes de repousser le vil envahisseur aux confins écumeux. Une infinie tension que le silence aggrave s'étend sur l'improbable champ de bataille, où de grands oiseaux blancs plongent un bec gourmand dans les vases putrides. Et, préservant l'azur d'un odieux mélange, une mince limite bleuâtre sépare ciel et vase, seul vestige lointain des eaux lassées de l'homme.

Mais la vie reprend ses droits ; la guerre annoncée attendra peut-être encore. Tout semble alors espérer le retour des eaux purificatrices, alors que sur ces grèves temporaires, nombreux et décidés, des humains s'affairent encore. Fouillant le sol mouillé, chacun retire à la hâte un butin à peine examiné, poursuivant une quête que le flot, qui déjà reprend ses droits, est en passe d'écourter.

Et la mer revenue, une fois encore, n'apporte pas l'ennemi pressenti : on respire un moment les airs venus du large, on se félicite de cette journée de répit. C'est avec raison qu'on l'a pleinement vécue : qui sait de quoi demain sera fait...

* Guerres de vase

Où lire JCP

Tisseuse - Le carrelet

Mystère

A perte de vue
La marée basse
Exhibe sa peau à nue
Telle une amante lasse

La terre mouillée malaxée
S’étale en vaguelettes répétées
Petites dunes négligemment dessinées
Par une intense gravité

La lumière vient diffracter
Les taches d’eau irisées
Laissant un peu désorienté
Le promeneur désœuvré

Irrépressible envie de marcher
Afin de retrouver la mer désirée
Et qu’elle revienne enfin me lécher
Les pieds

Mais je suis immobile
Car mes pontons sont fixés
Par des mains habiles
A la glaise je suis arrimé

Il me faut patienter
Pour que le mouvement d'éternité
Nous jette de nouveau enlacés
Mer et terre enfin mêlées

lundi 25 avril 2016

Vegas sur sarthe - Le carrelet

La pêche au carrelet pour les Nuls

Le mot “carrelet” apparu dans la langue française vers 1360 possède deux 'r' comme dans Biscarrosse où ce type de pêche est autorisée ou encore comme Carrosse mais sans les roues.
La pêche au carrelet fait partie des pêches par hasard ou “pêche au pif”; elle se pratique sans appât mais pas sans filet... par sécurité.
Les cabanes à carrelet sont nées avec les congés payés pour jalonner la route des vacances.
Si elles sont colorées c'est pour ne pas les confondre avec les cabanes tout court qu'on ne peut pas voir en peinture.
Les cabanes à carrelet sont en bois et on dit qu'elles ont toutes du charme quelle que soit l'essence du bois.
Les pilotis des cabanes construits avec d'anciens poteaux EDF ou PTT sont traités au chrome, au cuivre et à l'arsenic que l'on retrouve naturellement dans les poissons.
Les cabanes à carrelet sont attribuées par l'Etat au moyen d'une commission où siège un préfet; le préfet siège en petite ou grosse commission selon ses besoins.
Si les procédures de candidature sont téléchargeables sur le site internet des services de l'Etat, le téléchargement des poissons est interdit.
En Charente le filet de carrelet meunière s'accompagne d'un écrasé de pommes de terre exclusivement de l'île de Ré, alors que le filet de carrelet 'sauce chien' éloignera efficacement les curieux.

Comme la marée, le filet monte et descend: pour descendre le filet, le pêcheur actionne un treuil alors que pour remonter le filet, le pêcheur actionne un treuil jusqu'à ce que le carrelet plie, chargé de plies qu'on appelle aussi carrelets. C'est simple.
Le filet doit être remonté très rapidement. Les treuils rapides s'appellent naturellement des palans alors que les treuils lents ne treuillent rien à part l'éperlan.
La plie est un poisson plat – qui a donné l'expression plat de poisson – qui permet d'empiler beaucoup de plies dans le filet sans avoir à les plier; ses yeux sont d'un même côté du corps – le côté pile – afin de distinguer le babord du tribord.
La taille de la plie (22 cm minimum) est fixée par un arrêté du 16 juillet 2009 alors que la taille du filet est fixée à une armature fixée par le treuil au cabanon fixé sur un ponton fixé sur une côte ou un estuaire fixé sur rien.
Un carrelet dont la maille est plus grande que la taille de la plie s'appelle un carrelet-bredouille.
Pour la pêche au mulet on utilise des filets très solides car le mulet a la réputation d'être têtu.
La pêche aux sandres ou aux Cendres se pratique en février et correspond au début du Carême contrairement à la pêche au bar qui se pratique aux heures d'ouverture du bar.

Traditionnellement les cabanes sur pilotis disparaissent au rythme des tempêtes
( décembre 1999, Xynthia, etc...) et se remontent au rythme des commissions du préfet.
Les vieux cabanons à carrelet s'appellent des patri-moines, sortes de vieux débris pittoresques montés sur échasses, revêtus d'une rugueuse toile de bure et disciples de saint Palais-sur-Mer; le plus célèbre est le cabanon du révérend père Fouras.

A suivre : La pêche Melba pour les Nuls (et pour les gourmands)


Laura Vanel-Coytte - Le carrelet

Le paysage au carrelet

Je ne connais pas ce paysage au carrelet
Mais c’est un paysage  inconnu qui sait
Vivre dans mes rêves de  paysages,
Espérés avant d’être buts de voyages.
 
Je découvre déjà le travail des pécheurs
Qui vivent avec la mer heure par heure,
Redoutant le mauvais ou le gros temps
Qui serait pour leur vie même, un accident.
 
Je  sens l’iode et le sel frapper ma peau,
Le soleil ou la pluie laver mes défauts
D’attention à ce paysage qui ne désire
Que nos regards qui l’admirent.

Où lire Laura Vanel-Coytte

Semaine du 25 avril au 1er mai 2016 - Le carrelet

 
© Photo Tisseuse

Nous ne sommes plus dans le temps de l'uchronie...
Les éléments cette semaine sont simplissimes : une photo, vos mots !

A condition que vos textes nous parviennent comme d'habitude avant dimanche 1er mai minuit à l'adresse impromptuslitteraires[at]gmail.com.

dimanche 24 avril 2016

Kris - Uchronie

Grand saut

Si vous ne vous étiez pas inscrits, je n’aurais pas cette angoisse depuis plusieurs jours.
Si vous n’y alliez pas, ce cruel dilemme ne me réveillerait pas en pleine nuit : je ne veux pas voir, pas savoir, ne pas être là, et puis : ils veulent le faire, ils sont vraiment courageux et il me faut y être. Tout de même, on ne fait pas cela tous les jours !
S’il y avait une tornade, si brusquement il faisait trop chaud ou trop froid, si l’organisateur annulait, si le pont se fissurait la nuit d’avant, si cela devenait interdit dorénavant…
Si je n’avais pas eu des enfants, je ne m’imposerais pas de telles craintes.
Si je n’avais pas rencontré votre père, je n’aurais peut-être pas de fils.
Si mon père et ma mère n’avaient pas été amoureux, ils n’auraient pas eu de fille…
Si ma grand-mère n’avait pas eu autant de charme, elle n’aurait pas fait craquer mon grand-père.
Si mon autre grand-mère n’était pas tombée amoureuse de « son » homme, nous n’en serions pas là, non plus !
Si mes grands-parents maternels n’étaient pas italiens, je n’aurais peut-être pas autant cette fibre maternelle…
Si mes grands-parents paternels n’étaient pas si peu ordinaires, je n’aurais peut-être pas ce brin de folie, ce respect de la liberté.
Si je n’avais pas aimé, si je n’avais pas donné la vie… je n’aurais peut-être peur de rien !
Au moment du grand saut, vous aurez donc la liberté de sauter ou pas, je ne dirai rien !
De toute façon, quoi que vous fassiez, je serai fière de vous !
Terrorisée de vous voir tomber dans le vide ou rassurée que vous ne le fassiez pas !
Tout cela pourrait être bien différent, mais il en est ainsi…
Mes garçons veulent sauter à l’élastique !
Dans le fond, je suis satisfaite de ma vie… : Je vous aime sans condition !

vendredi 22 avril 2016

Tiniak - Uchronie

UCHRONIES PARIETALES, EN SI

Si le ciel avait eu moins d'ors au chevalet
Si la chair ne souffrait plus de ses abandons
Si la mémoire avait l'élégance d'un bond
Si le vent ne soufflait que de tendres versets

Si la danse de l'arbre inspirait le nanti
Si l'ombre n'abritait que la fraîcheur du jour
Si le nombre n'était qu'une somme d'amours
Si la pierre entendait ce que je te confie

Si l'organe océan venait à l'être l'humain
Si les champs souterrains n'avaient plus de chaleur
Si la main s'arrêtait au regret d'une fleur
Si les graves élans n'avaient plus de destin

Si l'agneau s'amusait de finir en méchoui
Si le sang n'était pas si rouge qu'on le voit
Si le verbe riait d'être porté en croix
Si le peuple n'était pas qu'un vaste gâchis

Je croirais en un dieu qui n'a pas de vie sage
Je peindrais davantage une voie d'espérances
J'applaudirais des deux l'égalité des chances
Je fermerais les yeux sur les pauvres adages

Et puis, avec un mal au dos
enfin, j'aurais compris
la grotte de Lascaux



















Arpenteur d'étoiles - Uchronie

Je remercie Chri qui m'a donné l'idée de retrouver ce texte.
Je l'avais déjà publié il y a quelques années sur les Impromptus (je l'ai, d'ailleurs, modifié) mais, à cours d'inspiration, je tenais à participer à ce thème qui me plait au plus haut point !

Le pourquoi du comment

La boîte que son père lui avait offerte pour son anniversaire, était tout à la fois splendide et colossale. Le puzzle de plusieurs milliards de pièces qu’elle contenait lui promettait des heures passionnantes et créatrices. Lui-même n’en revenait pas, tant le cadeau correspondait parfaitement à ses attentes les plus chères et les plus secrètes. Il allait enfin apporter la preuve de son exceptionnelle intelligence, comme de sa capacité à imaginer des systèmes dont la complexité n’égalait que la précision de leur assemblage. 

Il était considéré dans sa famille comme un enfant normal. Ses parents regardaient ses nombreuses trouvailles sans admiration excessive et les trouvaient, au fond, assez banales. A chaque fois déçu, il retournait dans sa chambre pour y ranger soigneusement ses précieuses découvertes. Puis allongé sur son lit, il versait quelques larmes de colère et de rage et finissait toujours par s’endormir. Le lendemain, tout était oublié. Son enthousiasme reprenait le dessus et il repartait dans des utopies faramineuses, qui plusieurs jours plus tard, rejoignaient à leur tour leurs devancières dans le grand placard.

Aujourd’hui, il était comblé. Il comprenait que son père lui lançait enfin un véritable défi. La mission était sans commune mesure avec celles qui lui avaient été confiées jusque-là. Missions qu’il avait toujours menées à terme d’ailleurs, mais sans bien y prêter attention. Il est vrai que créer des équilibres dans des espaces vides, pondre des théories philosophiques sur la bien peu probable existence d’une entité supérieure, ou imaginer des limites à l’éternité restaient des occupations somme toute plutôt anodines. A la première excitation passée, la suite devenait routine et l’ennui s’installait bien vite.

Et surtout, il venait de découvrir en manipulant la boite pour l’observer sous tous les angles possibles, qu’elle portait une mention accréditant de façon définitive son hypothèse sur le challenge paternel. Il était écrit en lettres minuscules, sur un côté de l’emballage : made by Daddy ! En l’apercevant, il eut une bouffée d’orgueil car cela corroborait l’idée que, finalement, ses parents avaient tout à fait confiance en son immense talent. Le soir même il se mettait au travail.

Ils avaient ensemble conclu un simple marché. Prends le temps qu’il te faut ; nous n’interviendrons jamais au cours de ton ouvrage ; nous ne le découvrirons que lorsque tu le jugeras achevé ; tu ne nous poseras aucune question et trouveras en toi-même les solutions aux différents problèmes qui éventuellement adviendront. Il lui fallut six jours pleins pour aboutir. Il ne sortit pas une seule seconde de sa chambre, au demeurant équipée de tout le nécessaire. Ses parents avaient en plus reçu consigne de sa part de ne le déranger sous aucun prétexte. On posait les repas devant sa porte et on venait reprendre le plateau un peu plus tard, souvent à peine entamé.

Au matin du septième jour, il les appela. Après de multiples recommandations il les fit entrer dans ce qui était devenu un véritable atelier. Il était cependant rangé avec soin et ils ne virent rien. Un peu décontenancés, ils se tournèrent vers lui, qui souriait doucement.
- Restez là. Ne bougez pas. Regardez juste devant vous.
- Mais il n’y a rien à voir, tenta son père. 
- Patience, patience Daddy.

Dans un bruit métallique il ouvrit le grand rideau. Devant eux, un infini de galaxies, de planètes, d’étoiles était suspendu dans un univers sans limite.

En riant à moitié derrière des larmes claires, sa mère bredouilla :
- Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau.

Elle serrait la main de son fils d’un côté et de son homme de l’autre.

Celui-ci scrutait avec attention le moindre recoin de cet univers dont il percevait la prodigieuse ingéniosité. Puis en se retournant vers son fils :
- Mais, Petit, n’as-tu pas trouvé autre chose dans la boite ?
Le jeune homme sourit à nouveau.
- Je me doutais bien que tu allais m’en faire la remarque … et que tu m’as bel et bien tendu une sorte de piège …
Son père le coupa fièrement :
- Le coup imparable de : la pièce en trop !

Il sortit du fond de sa poche une bille d’un bleu profond. Il la tint un moment comme en lévitation au-dessus de la paume de sa main, la laissant au regard de ses parents.
- Tu vois Dad, cette pièce n’est pas en trop ; elle est en plus. Et c’est bien différent. En effet, c’est elle qui est la clef de mon œuvre.
- Mais où vas-tu la poser ? Demanda son père éberlué.
- Je ne vais pas la poser puisqu’elle n’a pas de lieu dédié. Je vais la lancer au hasard, et lui laisser trouver seule sa place, unique, absolue. Regardez comme elle prend encore plus d’éclat, comme elle semble s’animer. Elle tourne déjà sur elle-même. Ecartez-vous.

Il ramena son bras derrière lui et d’un geste ample, projeta la sphère dans l’espace. Ils la suivirent des yeux jusqu’à ce qu’elle s’arrête près d’une superbe étoile. Une autre bille plus petite la rejoignit. Tout se suspendit immobile, comme des acteurs en attente du premier lever de rideau.
- Et maintenant regardez bien :
Il frappa dans ses mains.
En un fragment de temps, l’univers neuf se mit en mouvement. Galaxies, étoiles, planètes entamèrent leurs rotations infinies. Une musique issue même de leur danse les enroba comme une chaude caresse.

Là-bas, dans un coin de cet univers qui semblait s’étirer sans cesse, une petite planète bleue commençait sa course autour d’un soleil brûlant.

Et si, il avait raté le lancer.
Et si, il avait pu décupler sa force et envoyer la planète bleue tout au bout de l’univers.
Et si, il n’avait pas trouvé « la pièce en trop ».
Et si, il l’avait gardée dans sa chambre pour jouer avec elle le soir, dans son lit, comme avec un bilboquet …

Où serions-nous, nous ?


Célestine - Uchronie



Nous sommes tous des miracles
 *
 Avez-vous seulement pensé parfois à la somme de hasards incroyables qu’il a fallu pour que vous soyez ce que vous êtes ?  Tiens moi, par exemple. Imaginons que la Guerre de 14-18 n’ait pas eu lieu : mon arrière-grand-père n’aurait pas été gazé dans les tranchées, il n’aurait pas eu besoin de s’installer à la montagne pour soigner son asthme, il n’aurait donc pas rencontré mon arrière-grand-mère, (qui était sans doute elle-même la résultante d’une suite vertigineuse de hasards qui l’avaient fait naître dans un petit village reculé des Alpes à l’air particulièrement pur)
Ma grand-mère ne serait donc jamais née, ni ma mère, a fortiori, ni, en l’occurrence, moi qui vous parle en ce moment. C’est quand même fou de se dire que si j’écris mon texte en ce moment même, c’est parce que le gars qui a tiré sur l’Archiduc à Sarajevo, un certain serbo-bosniaque du nom de Gavrilo Princip, (qui lui même était là par la conjonction de coïncidences absolument fulgurantes) n’était pas un branque dans le maniement des armes à feu. Pensez, s’il avait eu la tremblote au moment crucial…
A quoi ça tient, hein, la vie…Ça me laisse toute chose. Et encore, là je n’ai développé que la branche maternelle de mon ascendance…parce que si on va fouiller dans mes racines paternelles, c’est encore plus ébouriffant de se dire que mon aïeule était irlandaise et que je ne serais pas là si son père ne l’avait envoyé à Paris comme jeune fille au pair.
En somme, je suis un miracle uchronique. Comme vous tous.

Chri - Uchronie

Ce jour là.

Il y a environ douze milliards d’années. Quelque part.
___Dieu Chérinou où files-tu comme ça ?
___Je vais juste faire un truc M’an, je fais ça vite fait et j’arrive…
___Non, non pas maintenant, Amour, c’est l’heure de faire la sieste. Embrasse Papa et monte dans ta chambre…

Comme cet enfant était plutôt du genre obéissant, personne n’a, ce jour là, rien vu de l’univers…

Où lire Chri

jeudi 21 avril 2016

Marité - Uchronie

Cléo et la génèse.

- Dis Mamie, pourquoi les vers de terre se promènent tout nus ?
Cette gamine, avec ses questions... Mamie Simone jardine et Cléo, sa petite fille la suit pas à pas. La voilà penchée, intriguée, sur un lombric qui s'étire sur la terre fraîchement retournée.
- Parce que le bon Dieu l'a fait comme ça. Voilà tout.
- Mais il doit avoir froid. Le bon Dieu, c'est qui le bon Dieu Mamie ?

Simone voit là l'occasion inespérée d'inculquer quelques notions de religion à sa petite fille. Ce ne sont pas ses parents, ces mécréants, qui s'en donneront la peine.
- Vois-tu, ma chérie, le bon Dieu a fabriqué le monde. Et nous aussi, nous vivions tout nus dans un grand jardin.
- Qui ? Papi et toi ? Vous étiez tout nus dans le jardin ?
La petite ouvre de grands yeux incrédules.
- Mais non, voyons. C'était il y a longtemps. Justement quand le bon Dieu a crée le monde. Il a inventé un beau verger avec beaucoup d'arbres qui donnaient des fruits délicieux. Et puis, pour manger tous ces fruits, il a fabriqué un homme qui s'appelait Adam. Comme Adam s'ennuyait, il lui a donné une femme, Eve. Adam et Eve sont les parents de tous les gens depuis ce jour là. Le jardin merveilleux où ils habitaient s'appelait le paradis.
- Mais ici c'est pas le paradis, maman, elle dit toujours.
- Eh bien non. Et c'est la faute d'Adam et de sa femme aussi, un petit peu (!)
- Ils ont fait des bêtises ?
- Oui. C'est ça. Ils pouvaient manger tous les fruits du jardin sauf ceux d'un arbre qui se trouvait en plein milieu. Le bon Dieu leur avait interdit de croquer les pommes de ce pommier. Et ils ont désobéi. S'ils n'avaient pas mangé cette pomme, nous serions tous très heureux au paradis encore aujourd'hui.
- Et on serait tout nus ?

Cette enfant ne perd pas le nord pense Simone amusée.
- Mais oui.
- Ben alors, tu n'aurais pas besoin de te cacher quand je rentre dans la salle de bain ?
- C'est ça. Puisque tout le monde vivrait sans porter de vêtements.
- Pas de vêtements ? Alors, je pourrais pas mettre ma robe avec de la dentelle. C'est nul.
- Non. Au contraire. Tout le monde serait pareil et ce serait beaucoup mieux.
- Je te crois pas Mamie. Pourquoi alors tes placards sont pleins d'habits ? Papi grogne toujours qu'il ne trouve pas ses affaires parce que tu prends toute la place.
- Ton grand-père n'est jamais content et d'ailleurs, il n'a pas besoin de beaucoup de choses parce que ça ne le dérangerait pas d'aller le derrière à l'air.
- Oh ! Mais dis Mamie, les animaux n'ont pas d'habits eux ?
- Non. Eux au moins sont tels que le bon Dieu les a faits.
- Ben alors, pourquoi tu mets un petit manteau à Canelle quand tu vas la promener ?

Anne de Louvain la Neuve - Uchronie

64e épisode - Les enquêtes de Sibelius -
Culotte suédoise contre calotte lapone


La station polaire finlandaise Bötjorn 34-Pflüg (livrable en kit dans les 3 jours si de stock) dans une Laponie nord-nord-est glaciale dormait encore du sommeil du juste. Il était midi, heure locale inuit, confirmée par le baromètre approximatif de la salle technique. Aucun soleil de minuit n’illuminait l’étendue parfaitement plane sur laquelle ce centre de haute technologie était posé comme une excroissance incongrue dans une noirceur que n’aurait pas reniée un dictateur digne de ce nom.

Sous son plaid en laine mérinos Knäglut (25 euros), debout devant l’entrée principale, sa tonsure exposée aux vents, Sibelius contemplait l'immensité de neige vierge, absolument blanche, plus blanche que le nouveau Dash, mais moins vierge que la Vierge tout de même, agenouillez-vous bande de mécréants.

La disparition inquiétante de la calotte glacière, malgré un père Noël à demeure, 35687 rennes et 756 monticules, avait alerté le shérif du comté et un ordre de mission impossible lui était tombé dessus. Arrêtons le massacre, sus à la fonte ! Il avait donc accepté cette enquête sans coup fait rire, car on ne rigole pas de tout avec n’importe qui, d’autant que, comme le dit très bien un proverbe kenyan : « Si le babouin pouvait voir son derrière, lui aussi rirait ». Encore un contrat alléchant qu’il ne pouvait pas refuser. Ainsi débutait sa 64e mission.

Souvenez-vous que dans le volume précédent (n°63, Sur filage à la Scala) il retrouvait et finissait sa petite affaire avec Eurydice la violoniste perdue. Sibelius avait agi comme tout bon espion qui se respecte avec tact, diplomatie, efficacité. Il n’était pas moine pour rien. Il y avait mis du sien. Elle y avait mis du leur, notre, votre, leur, nos, vos, leurs, mais on s’égare, pas question de revenir sur les difficultés de la langue alors que la leur venait d’arpenter toutes les clés des gammes, sol majeur comprise, et cela sans plus d’arabesques que nécessitent ces opérations à cœur ouvert. L’âme du violon en était restée coite. C’est dire !

Son scribe fort actif Laïonel Messaïe, totalement rasé comme lui, hormis deux mèches en accroche-cœur sur les tempes, lui avait fait parvenir en temps réel et pas artificiel un message d’extrême urgence, code « Abricot – tango – Charlemagne. Il a inventé l’école, je répète – il a inventé lé-go-le» ce qui pouvait se traduire par « vas-y fissa, faut pas trainer ».

Vingt ans déjà que Sibelius avait rencontré puis engagé son splendide secrétaire si dévoué (cf. N° 14, Penche-toi si tu peux à Panama). Vraiment d’une souplesse à toute épreuve, qui renvoyait sur la touche la belle et moins souple Ingrid de son rival Flanagan Johnson, Messaïe se démenait pour son patron qu’il aimait comme l’abeille le pistil d’une Héritage, variété David Austin (les connaisseurs apprécieront). Ainsi, s’était-il littéralement et concrètement vendu en chair et en os pour lui obtenir un siège de first class dans le premier Airbus venu pour la Finlande hostile.

Une fois débarqué, Sibelius avait foncé droit devant, malgré de nombreux tournants en angles verticaux, vers la station polaire où l’attendait une équipe sous le choc dans une ambiance ahurie. Le moine avait déboulé en scooteur des neiges ! Cela les avait tous laissés pantois, quelle audace, quel courage, avait murmuré la responsable en chef Janna Bristoantolayleinenkirjallisuustiede que tous appelaient Bristol.

La dernière fois, un anglais qu’on ne connaissait pas, avait investi les lieux en automobile de luxe, une pure Aston Martin Vanquish V12 de couleur ambre (prétendait le morveux, car il était daltonien) équipée standard de pistolets automatiques à air co et missiles thermopiles pilotés par ordinateur, fonction d’invisibilité et pneus à clous rétractiles pour conduite sur glace. Bref, un joujou d’un autre calibre que ce scooteur des neiges à deux balles monté par un Charlot déguisé en glaçon. Mais enfin, l’individu avait été annoncé comme l’as des as ! « On » n’avait pas précisé de quoi. Ils ne se battaient pas dans un roman à l’eau de source de Barbara Cartland mais dans un polar spécialisé espionnage. Je suis ici, moi auteure, contrainte de confier à mon cher lecteur que le mot anamorphose que je dois utiliser dans ce texte vient d’être casé à l’instant et ajouterai-je, passons au suivant.

On avait dû abreuver le moine surgelé de triples schnaps/vodka frappée. La soif ne le quittait plus et lui ne décollait plus de la réserve d’alcool. Deux jours plus tard et malgré un mal de tête aussi envahissant que les manœuvres secrètes de son ennemi juré Le Nombre, il avait la solution finale : pour contrer le dégel de la calotte glacière, il suffisait de l’empêcher de fondre, affirmativement évident. Les vapeurs des cocktails finlandais lui avaient mis la puce à l’oreille et il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Sibelius n’était pas de cette sorte de curé qui fait fi de tout bois surtout s’il est en bure.

Une fois Bristol informée des détails, ils sellèrent le scooteur et s’en furent dans un bruit assourdissant de pétarade, lui devant, elle derrière : c’était un homme après tout, un barbouze azimuté redouté mais galant. Le froid décuplait ses capacités testostéroniques neuronales. Pour l’occasion, il troqua sa chasuble contre un pantalon de ski Nördfrida (épuisé), un anorak Mökelby + capuche Onkelbröm (85 euros) et tous deux s’engagèrent sur la banquise fondante au péril de leur vie et de celle de la demi-douzaine d’ours blancs qui les pistaient pour en faire des Fishs sticks.

Un proverbe circule depuis lors dans les chaumières, isbas, iglous en nouvelle orthographe, penthouses, HLM, maisons, châteaux en Finlande et du monde entier « Si la banquise avait dégelé, la face du monde en eût été changée ».


Barbara Cartland

Aston Martin Vanquish V12