jeudi 21 avril 2016

Anne de Louvain la Neuve - Uchronie

64e épisode - Les enquêtes de Sibelius -
Culotte suédoise contre calotte lapone


La station polaire finlandaise Bötjorn 34-Pflüg (livrable en kit dans les 3 jours si de stock) dans une Laponie nord-nord-est glaciale dormait encore du sommeil du juste. Il était midi, heure locale inuit, confirmée par le baromètre approximatif de la salle technique. Aucun soleil de minuit n’illuminait l’étendue parfaitement plane sur laquelle ce centre de haute technologie était posé comme une excroissance incongrue dans une noirceur que n’aurait pas reniée un dictateur digne de ce nom.

Sous son plaid en laine mérinos Knäglut (25 euros), debout devant l’entrée principale, sa tonsure exposée aux vents, Sibelius contemplait l'immensité de neige vierge, absolument blanche, plus blanche que le nouveau Dash, mais moins vierge que la Vierge tout de même, agenouillez-vous bande de mécréants.

La disparition inquiétante de la calotte glacière, malgré un père Noël à demeure, 35687 rennes et 756 monticules, avait alerté le shérif du comté et un ordre de mission impossible lui était tombé dessus. Arrêtons le massacre, sus à la fonte ! Il avait donc accepté cette enquête sans coup fait rire, car on ne rigole pas de tout avec n’importe qui, d’autant que, comme le dit très bien un proverbe kenyan : « Si le babouin pouvait voir son derrière, lui aussi rirait ». Encore un contrat alléchant qu’il ne pouvait pas refuser. Ainsi débutait sa 64e mission.

Souvenez-vous que dans le volume précédent (n°63, Sur filage à la Scala) il retrouvait et finissait sa petite affaire avec Eurydice la violoniste perdue. Sibelius avait agi comme tout bon espion qui se respecte avec tact, diplomatie, efficacité. Il n’était pas moine pour rien. Il y avait mis du sien. Elle y avait mis du leur, notre, votre, leur, nos, vos, leurs, mais on s’égare, pas question de revenir sur les difficultés de la langue alors que la leur venait d’arpenter toutes les clés des gammes, sol majeur comprise, et cela sans plus d’arabesques que nécessitent ces opérations à cœur ouvert. L’âme du violon en était restée coite. C’est dire !

Son scribe fort actif Laïonel Messaïe, totalement rasé comme lui, hormis deux mèches en accroche-cœur sur les tempes, lui avait fait parvenir en temps réel et pas artificiel un message d’extrême urgence, code « Abricot – tango – Charlemagne. Il a inventé l’école, je répète – il a inventé lé-go-le» ce qui pouvait se traduire par « vas-y fissa, faut pas trainer ».

Vingt ans déjà que Sibelius avait rencontré puis engagé son splendide secrétaire si dévoué (cf. N° 14, Penche-toi si tu peux à Panama). Vraiment d’une souplesse à toute épreuve, qui renvoyait sur la touche la belle et moins souple Ingrid de son rival Flanagan Johnson, Messaïe se démenait pour son patron qu’il aimait comme l’abeille le pistil d’une Héritage, variété David Austin (les connaisseurs apprécieront). Ainsi, s’était-il littéralement et concrètement vendu en chair et en os pour lui obtenir un siège de first class dans le premier Airbus venu pour la Finlande hostile.

Une fois débarqué, Sibelius avait foncé droit devant, malgré de nombreux tournants en angles verticaux, vers la station polaire où l’attendait une équipe sous le choc dans une ambiance ahurie. Le moine avait déboulé en scooteur des neiges ! Cela les avait tous laissés pantois, quelle audace, quel courage, avait murmuré la responsable en chef Janna Bristoantolayleinenkirjallisuustiede que tous appelaient Bristol.

La dernière fois, un anglais qu’on ne connaissait pas, avait investi les lieux en automobile de luxe, une pure Aston Martin Vanquish V12 de couleur ambre (prétendait le morveux, car il était daltonien) équipée standard de pistolets automatiques à air co et missiles thermopiles pilotés par ordinateur, fonction d’invisibilité et pneus à clous rétractiles pour conduite sur glace. Bref, un joujou d’un autre calibre que ce scooteur des neiges à deux balles monté par un Charlot déguisé en glaçon. Mais enfin, l’individu avait été annoncé comme l’as des as ! « On » n’avait pas précisé de quoi. Ils ne se battaient pas dans un roman à l’eau de source de Barbara Cartland mais dans un polar spécialisé espionnage. Je suis ici, moi auteure, contrainte de confier à mon cher lecteur que le mot anamorphose que je dois utiliser dans ce texte vient d’être casé à l’instant et ajouterai-je, passons au suivant.

On avait dû abreuver le moine surgelé de triples schnaps/vodka frappée. La soif ne le quittait plus et lui ne décollait plus de la réserve d’alcool. Deux jours plus tard et malgré un mal de tête aussi envahissant que les manœuvres secrètes de son ennemi juré Le Nombre, il avait la solution finale : pour contrer le dégel de la calotte glacière, il suffisait de l’empêcher de fondre, affirmativement évident. Les vapeurs des cocktails finlandais lui avaient mis la puce à l’oreille et il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Sibelius n’était pas de cette sorte de curé qui fait fi de tout bois surtout s’il est en bure.

Une fois Bristol informée des détails, ils sellèrent le scooteur et s’en furent dans un bruit assourdissant de pétarade, lui devant, elle derrière : c’était un homme après tout, un barbouze azimuté redouté mais galant. Le froid décuplait ses capacités testostéroniques neuronales. Pour l’occasion, il troqua sa chasuble contre un pantalon de ski Nördfrida (épuisé), un anorak Mökelby + capuche Onkelbröm (85 euros) et tous deux s’engagèrent sur la banquise fondante au péril de leur vie et de celle de la demi-douzaine d’ours blancs qui les pistaient pour en faire des Fishs sticks.

Un proverbe circule depuis lors dans les chaumières, isbas, iglous en nouvelle orthographe, penthouses, HLM, maisons, châteaux en Finlande et du monde entier « Si la banquise avait dégelé, la face du monde en eût été changée ».


Barbara Cartland

Aston Martin Vanquish V12






17 commentaires:

  1. Joli deux en un...mais chut ! je ne dirai rien à la grande prêtresse...
    J'adore le proverbe kényan !
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Caramba, je suis dévoilée. Mais chuut, c'est samedi le jour de la grande prêtresse. Et je te jure que le proverbe kenyan existe bel et bien comme tel, un peu comme celui qui dit que "si tu manges une noix de coco, tu dois faire confiance à ton anus".

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    2. Quelle sagesse ces Kenyans ! mdr
      ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Où l'on découvre que Sibelius ne suce pas que de la glace :)

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    1. Caramba, encore raté. Mais chuut, c'est tout de même de l'espionnage industriel et le secret reste tabou comme dirait l'autre.

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  3. Charmante uchronie ; ça serait l'occasion de prévoir les 62 volumes précédents, non ? Certains ont déjà leur titre, yapluka !
    Et j'avoue que se débarrasser d'anamorphose avec une telle aisance me laisse pantois (j'étais content de ma combine, mais là, chapeau !) ; un truc à se faire voler dans les Plumes.

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    1. Je retrouve le Dodo ici comme chez lui avec un plaisir jamais démenti. A tout à l'heure chez vous, mon ami. Et toc pour l'anamorphose !

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  4. En vérité où la glace fond seul vit le poisson.

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  5. Arpenteur d'étoiles23 avril 2016 à 12:24

    et donc Lionel Messie joue au foot sur la banquise et il a failli prendre l'eau. On préfère largement les triples schnaps/vodka ... c'est dingue, comme l'est ton texte !
    une question : le Kenya est sur la banquise ?? :o)))

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    1. Mais voyons, c'est le cousin par alliance de l'arrière-tante kenyane de Lionel Messie (le joueur de foot) ! Raut pas tout confondre, l'Arpenteur, car c'est qu'on fait trop souvent et ils n'en sont pas contents !

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  6. Fonte euh...morte de rire. Quelle imagination ! Tu t'en es donné à cœur joie, on dirait. Et le résultat de ces divagations "banquisiennes" est surprenant.

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    1. Merci Marité. Cette imagination me joue des tours, elle prend souvent la poudre d'escampette...

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