vendredi 8 avril 2016

Lilousoleil - Le Salon

Le salon dormait dans la pénombre, Magali était assise dans rocking chair. Elle se balançait doucement et fredonnait. Contre son épaule,  une fillette fraîchement débarbouillée, sentant la fraise et la vanille serrant dans ses bras une peluche, vestige d’un doudou, était endormie. Près d’elles, un chiot tout propre, allongé dans un corbeille, le museau dans les pattes, les observait. La chaleur de ce petit être  contre sa poitrine lui fit l’effet d’un baume ; c’était du miel … Demain, elle verrait, demain elle prendrait une décision, demain elle irait à la gendarmerie… demain, elle irait voir le capitaine, demain serait un autre jour.
Un mois, deux mois, trois ou plus, déjà ou seulement, elle ne savait pas, elle ne savait plus. Elle avait une montagne de copies à corriger. Elle n’en avait pas, elle n’en avait plus le courage. Aujourd’hui, elle pouvait plus. Sa sœur, Lilas, l’avait aidé autant qu’elle avait pu ;  Lilas avait en fait tout pris en main. Trier les vêtements, les jeux, les bibelots préférés. Lilas s’était chargée de faire une distribution équitable. Elle avait aussi assuré les courses et les repas. Mais elle avait dû repartir. Elle aussi avait sa famille et son travail, ses cours à préparer.
Magali, assise dans la cuisine, une tasse de thé brûlant, comme disent les Anglais c’est le remède souverain contre tous les maux,  regarde tristement la grande cour pavée de cette ferme qu’ils avaient retapée ensemble, cette cour remplie de voitures de gendarmerie. Elle revoit, le cœur battant, le capitaine lui annoncer avec beaucoup de douceur que l’accident…que son mari… ses deux enfants… la voiture…
Elle n’entendait plus rien ; elle ne voyait plus rien. A quarante ans sa vie était brisée. Elle ne pourrait pas s’en remettre. Il avait été délicat, très prévenant ce capitaine il était venu une fois ou deux à titre personnel juste par gentillesse. Afin c’est ce qu’elle croyait.
Magali se leva, elle soupira les larmes aux yeux. Le silence toujours ce silence coupé seulement par le requiem de Fauré, ce requiem si apaisant qui  passait en boucle le mercredi matin. Plus jamais elle n’entendrait :
- Mag t’as pas vu ma cravate Gilbert, bleue à pois ? T’ sais dans la buanderie je pourrai t’installer un…..
- Maman, Vincent ne veut pas zouer avec moi… M’an mon maillot de basket ?  Maman fais moi un câlin. Plus jamais, elle ne dirait : « un gratin dauphinois pour ce soir » ?
Plus de câlins plus de fou rire, plus de balade en vélo sur le chemin des noisettes.
Elle s’installa dans la petite serre, au milieu des plantes exotiques qu’Alain aimait tant, sa pile de devoirs de maths à corriger. Elle en était à sa dixième et comme toujours, elle commençait à compter combien il lui en restait quand son œil fut attiré par un mouvement  dans l’embrasure du portail ; une silhouette se découpait. Une petite fille maculée de boue, le regard éteint trébuchait sur les pavés de la cour. Elle  avançait tenant dans ses bras un paquet bizarre ; un petit chien, son chiot.
Sans même réfléchir,  Magali se précipita vers l’enfant.
Le salon dormait dans la pénombre... une toute petite lumière blanche filtrait au travers du volet cassé ; une toute petite mais lumière quand même… Demain, elle verrait, demain elle prendrait une décision, demain elle irait à la gendarmerie… demain, elle irait voir le capitaine, il comprendrait ; demain serait un autre jour.

4 commentaires:

  1. Demain j'irai voir le capitaine pour qu'il m'explique...
    Magali dissipera toute cette pénombre

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    1. Une mère brisée par la disparition accidentelle de sa famille, un capitaine gentil et compréhensif pour recommencer un vie...
      avec le sourire

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  2. Extrêmement bien vu, ces affres et ces hallucinations de cette mère qui est dans le déni...
    Mais qu'est-ce que c'est triste... bouhou ! :-(
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Je ne voulais pas être triste... Au contraire, la petite lumière de la fin se voulait une petite ouverture vers une guérison. Mais ton interprétation est aussi très intéressante et je l'apprécie...
      avec le sourire

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