lundi 31 octobre 2016

stouf - Demain

- Driiiing driiiing monseigneur, c'est l'heure, on est déjà demain, bouge ton cul !
- Oh zut, tais toi le réveil !
- Naaaan ... j'insiste patron, vous m'avez acheter pour cela.
- Bon, je te rend ta liberté de choisir et j'veux pas que ce soit déjà demain, ok ?
- Objection votre honneur, je n'en démordrais pas... c'est aujourd'hui demain et je prend plaisir à vous torturer quelque peu !
- Tout de même, ordinateur... euh réveil, je suis déjà assez vieux et je veux que cela cesse, je veux retourner à hier !
- Point possible, désolé.
- Pourtant... c'était mieux avant, non ? Bon, monsieur marteau, t'es dans la salle ?
- Oui maître, à vos ordres !
- Pète la gueule à réveil.
- Quand ça, demain ?
- Mais vous vous êtes tous liguer contre moi ou quoi ? Bon ok, c'est demain.

Alors messieurs marteau et réveil son contents, le vieux con d'hier est enfin levé pour vivre demain. Du coup ils partent « bras dessus bras dessous » s'en j'ter un p'tit derrière l'oreille, chez Georgette, la bar-girl patronne d'en face.
Là, Stouf n'en reviens pas... il a quinze ans et avec la télécommande de la téloche (ça existe encore), un vieux de 3O ans lui dit qu'aujourd'hui c'est lundi 35 Octobre 3OO16 ! Assurément... y a quelque chôse qui cloche.
Beeen ... c'est qui la belle nana toute nue avec des fesses magnifiques qui ronfle encore à côté de lui ? Oh, Christine. Il l'aimera toute sa vie et même plus tard, c'est sur.
Aprés demain ce sera toujours demain et tant mieux, on a le temps.

Y a une version plus longue de l'histoire mais je la lirais demain à ma Christine, quand elle ne sera plus morte.

Laura Vanel-Coytte - Demain

Si Dieu (ou la Nature, selon les croyances) me prête vie, bien-sûr
Si j'ai encore toute ma tête et mes yeux, si mes mains ne me lâchent
Pas définitivement, je me lèverais d'un pied plus ou moins sûr
J 'essaierais de ne pas te bousculer, je t'embrasserais si possible.

Demain, si une main innocente ne m'a pas coupé l'eau chaude
Ou l'électricité qui fait tourner le chauffe-eau et tout le reste
Je prendrais une douche puis je déjeunerais avec une boisson chaude
Puis je lirais sur l'écran et sur papier des nouvelles ou des classiques

Demain, j'irais retrouver mon lieu de travail ou je resterais chez moi
Mais plus sûrement, je lirais de la presse, des polars et des essais d'art
Demain, je marcherais et ferais du sport à la piscine, à la salle ou chez moi
Plus sûrement, je lirais du matin au midi puis de midi jusqu'à bien tard

Demain, je lierais les mots aux images et les tableaux aux livres
Ca me fera pleurer ou rire, j'apprendrais sur le monde, je lierais
Les paysages peints aux lieux de ma vie et à tous les livres
Que j'ai lus hier, que je lis aujourd'hui et demain, je lirais.

Semaine du 31 octobre au 7 novembre 2016 - Demain

Après nous avoir parlé de vos racines, vos aïeux, vos ancêtres, nous vous suggérons un thème proposé par Stouf : Demain

A vous de nous dire ce que sera demain pour vous :
Imagination débridée, science fiction, retour à la préhistoire, ou réalité ... imaginez ce que vous avez envie de nous narrer ...

Non, n'ayez pas d'inquiétude, vous avez jusqu'à dimanche 7 novembre à minuit pour nous faire parvenir à l'adresse habituelle votre texte en vers ou en prose sur ce thème là.

dimanche 30 octobre 2016

Mabata - Racines


Racines

Je n’ai pas de racines : je suis un elfe. Je ne connais même pas mon âge !... Je fais partie du peuple le plus ancien de la terre, et j’ai vu passer des centaines de générations d’humains. Drôles de créatures… Ne le prenez pas mal, je sais, vous en faites partie. Je n’ai rien contre les humains. Seulement ils n’apprennent rien ! Ou alors si peu vite… Il oublient les leçons du passé, se projettent dans un avenir illusoire et ne vivent pas leur présent, seule réalité, si éphémère qu’il n’y prêtent que peu d’attention.
Il y a quelques milliers d’années nous vivions tous ensemble dans les bois. Mais quand le temps a fraichi, ils se sont mis à avoir froid et au lieu comme nous d’utiliser la magie, l’un d’entre eux a découvert le feu, et ils ont commencé à couper la forêt. Peu à peu, ils se sont éloignés de nous, pour finir, au fil des générations, par nous oublier. Quelques uns se sont souvenu, nous ont réduit au rang de légendes, mais au moins ont gardé notre trace à travers les âges.
Tant et si bien, que certains d’entre vous, revenant à leurs racines, maintenant nous cherchent. Mais c’est un peu tôt pour nous découvrir à nouveau. Il faudra encore de nombreuses années avant que vous ne soyez en paix et viviez en harmonie.
Mais je serai là ; prêt à vous accueillir, car je dois l’avouer, vous me manquez !

vendredi 28 octobre 2016

Tisseuse - Racines

Volée d’escaliers

Imagine une ville entourée de collines
Resserrée sur ses rues étroites et ouvrières
Chacune en son sommet coiffe un cimetière
Insolites crassiers, vestiges des mines
Impressions de labeur, senteurs de poussières
Monte tout droit, porte ta croix vieille grand-mère
Tôt le matin, va toute en noire, fiévreuse et fière
Visiter tes morts, leur porter la bruyère
Ta couleur anthracite n’est pas féminine
Mais ta fougue est sauvage et à moitié sorcière
Tu te moques bien de ne pas sembler câline
Tu poursuis ta route sans craindre les ornières
Vive dans ma mémoire tu restes ma terre
Mon ancre bizarre, ma folie passagère
L’ombre d’un autre moi qui me hante et me serre
Qui m’appelle en ce lieu où je me sens étrangère
Comme transparente, absente et opaline
Tu montres la césure comme ultime frontière
Remontant le temps de trente ans en arrière
Cet au revoir pas dit sans cesse j’imagine
Comme un élan du cœur qui enfin me libère

Le rue de l'Eternité, menant au cimetière du Crêt de Roch

Abagendo - Racines

Racines
Dans ma famille, on déménageait tout le temps quand on était petits….
On n’était pas bohémiens…on n’habitait pas une roulotte, mais tous les six ou sept ans, mon père décrétait que l’herbe était plus verte ailleurs. Ma mère pleurait, mais ne s’insurgeait pas ; les arguments relatifs à l’avancement, à la vie professionnelle étant sacrés.
Bizarre : moi je partageais la propension à la bougeotte paternelle : jamais aucune nostalgie, aucun regret : tout départ se devait d’être une amélioration. La maison serait plus jolie, le maître d’école plus intéressant, les copains bien plus marrants…..
Parfois, le désenchantement était de taille. Mais ça ne m’a jamais refroidie.
Alors, à l’âge adulte, la question ne s’est pas posée : les racines ? Ça se transplante, le monde est ma patrie, au diable l’esprit de clocher : on s’expatrie, la fleur au passeport, et on trouve tout nouveau tout beau, s’il vous plaît.
Puis est venu un autre âge, d’adulte un peu défraîchi, avec sa cohorte de modifications, de neurones en sursis…enfin…on a parfois du mal à se reconnaître!
Alors ! Maintenant….je m’attendris devant une boîte à biscuits en forme de France, je fais collection de photos des clochers des villages où j’ai vécu ...

                   

Et  j’ai une affection  particulière pour les calendriers français avec les jours fériés spécifiques :
8 mai, 11 novembre, 14 juillet. Enfin je regarde les prévisions météo d’un pays où je n’habite plus !
Ce sont sans doute mes racines superficielles. Rien de bien sérieux. Mais y a-t-il d’autres racines plus profondes ? Est-ce que ce ne serait que ce petit tissu-là qui nous fixerait ?
Je me demande si j’en viendrai un jour à m’acheter une boule de verre avec effet de neige sur une Tour Eiffel ?

Bricabrac - Racines

Radicalisation

En classe de sciences naturelles, on nous montre des planches anatomiques,
les bronches, comme un arbre à l’envers, la circulation sanguine, l’appareil lymphatique.
Mais depuis la rentrée de septembre,
endormi comme une souche au dernier rang, je songe à mes racines de gingembre,
qui par mon père plongent dans le Gange, par ma mère dans le fleuve Amour.
Je ne suis pas plus gaulois qu’un topinambour.

C’est pire à l’heure des mathématiques,
nous apprenons les racines carrées et cubiques,
et petit i, qui de -1 est la racine imaginaire.
Assoupi, me reviennent en mémoire la transparence bleutée des eaux du Niger,
le goût douceâtre, un peu terreux, de mes racines d’igname,
le réticule mystérieux des mangroves, la résille crépue des cheveux des femmes,
le délice d’être blotti, nourrisson, dans leurs bras.
Je ne suis pas plus franc qu’un rutabaga.

Le cours d’arts plastiques pourrait me faire un plaisir fou.
Pourtant, assis près du radiateur, je suis mou comme le caoutchouc
qui fit la fortune de Manaus et de son théâtre baroque,
à la façade couleur de goyave. Là-bas mes luxuriantes racines de manioc,
baignées par l’Amazone, ont poussé comme au paradis.
Mais quand j’eus quitté les jaguars et les colibris,
j’arrivai chez vous sans un radis.

La professeur de lettres n’a à sa bouche aux lèvres peintes que les racines grecques et latines.
Moi je baye à Corneille et me fiche de Racine.
Fatalement je suis collé. En cachette je versifie,
mais je m’y prends comme un salsifis.

jeudi 27 octobre 2016

Célestine - Racines

Je rêverai encore longtemps de toi, avant de comprendre pourquoi, âpre terre de landes ébouriffées, égratignées par les vents du large, tu m'attires et me fascines.

Dans ma généalogie, je sais te devoir quelques gouttes de ce sang fier et abrupt que l'on retrouve dans ma famille, les cheveux carotte de mes cousins et mes quelques éphélides...

Je sentirai longtemps encore en moi ce bouillonnement souterrain qui me rend juvénile et qui relègue au rang de guimauve le gingembre et la mandragore, avant de comprendre ma fureur de vivre, ancrée en moi aussi sûrement que les pierres de granit des chemins de Cork ou de Galway, et dans mon corps, ô mon corps plein d'éclairs ruisselants, j'entends la rage des colons, leurs rêves de fortune et leurs arrachements d'esclaves.

Il me faudra traverser tes villages tout enluminés des lueurs laiteuses de ta pluie froide, m'imprégner de ta langue qui roule comme des rochers dévalant une pente, écouter jaillir de tes longs soirs ta musique d'opale et de sombre gaieté...

Ô ta musique! En sentir le frisson imprimé à mes jambes, de bas en haut, de haut en bas, telle une houle. N'être plus que harpe et violon et flûte celtiques avec des fourmis jusques au bout des orteils, mon cœur, dansant et riant et pleurant à la fois...

Être pour une nuit une fille de Tipperary, opulente et chaude, perdue au fond d'un pub suant de bruit et de fumée, d'amour brut et de hareng saur, m'enivrer de bière rousse et de whiskey jusqu'à en oublier mes mots. Jusqu'au matin frileux, façades blêmes et cris de mouettes apeurées au-dessus des toits, enroulée dans un pull de laine. Le regard sur l'horizon.

Pays émeraude. Pays joyau, planté sans détour dans l'écrin bleu d'un océan furieux, la mer qui ronge le noir des falaises de Moher, le blanc de l'écume, le gris du ciel, ta presqu'île de Dingle, tes lacs du Connemara sont comme des yeux brillants de fièvre. Je pourrais faire miens ta culture millénaire, ton trop peu d'arbres, ton trop d'eau, tes murets arrachés au roc, et le bruit patient des charrettes, et des chevaux, et puis la tourbe, et le parfum meurtri de tes bruyères en fleurs, et l'herbe plus verte que dans un chromo saturé.

Je rêverai encore longtemps de l'Irlande.

Et quand j'aurai assez rêvé, j'irai boire à la source de mon rêve.


Tiniak - Racines

Le fleuve est noir et parle aux nues
Dessus, la rue va, sans espoir
Je marche dans les pas du soir
Sa rêverie m'est plus aigüe

Mes fers aux pieds sont invisibles
Le fouet claque dans un regard
Je chante : "On se verra plus tard"
(un code puisé dans la Bible)

Un enfant me touche la main
Son parent l'en détourne, vite !
Je lui adresse mon invite
Il est pâle; il est incertain...

Là, taire embrase mes racines !
Oh, nulle pitié dans mon coeur
Je suis l'inconcevable Ailleurs
Je suis plus près qu'une cousine

Savoie, tu t'es rangée plus tard...
mais sur quel fart vas-tu skier ?
Réunion, tu t'es oubliée
à envier Madagascar ?

Je vais me faire un columbo
en raillant la fin des ans pires !
Je vais te lire comment dire
autre chose que mon négro

L'espèce, nôtre, est noire au fond
(vois-tu un peu ce qui te gène ?)
Oh, tu peux ranger ta gégène...
Bientôt finis, les roux, les blonds !

Mes parents m'ont nommé David
Depuis, j'engrange la question :
"Quand reverrai-je Salomon
pourfendre les temples avides

disant : que Justice est Raison
que l'Homme est meuble, mais censé
exercer toute sa pensée
pour que règne le seul Pardon

Possible...
Nulles fautes ! Eh ! Que l'erreur
tangible...
de se penser plus qu'infaillible
que ton frère ou ta sœur

Aminh ? Amen ? Et quoi encore !?!
Je vais crever au pied de l'arbre
Je vais y loger mon palabre
Tu me lis ? C'est que je suis mort

Sans nom...

Autre que celui de ta maison

Où (ne plus) se demander, mais d'ousse-k-y-vient-donct-y, le

Gene M - Racines

Je suis parisienne et je le revendique haut et fort. J'adore cette ville !
Pourtant, mes racines sont berrichonnes. Déjà le mot est peu glamour : chonchon choin choin....

Lorsque j'étais ado puis jeune fille, je préférais passer sous silence les racines provinciales de mes parents, surtout le Berry ...
De plus le hasard des gènes m'avait doté d'un physique un peu exotique, pommettes hautes et yeux clairs légèrement bridés...
Je ne compte pas les fois où l'on m'a demandé si j'étais russe, polonaise ou hongroise,
en tous cas pas berrichonne !

Née à Paris de parents berrichons "montés à Paris" comme on disait alors, je grandis entre un père devenu un amoureux fou de Paris et une mère qui avait gardé la nostalgie et l'accent de son Berry natal. D'ailleurs, elle est restée abonnée au Berry Républicain jusqu'à son décès.

J'avais toujours quelque peu envié les amis qui avaient un grand père italien, espagnol ou autre. Certains avaient des racines multiples et cela me fascinait. Alors moi avec mes parents berrichons chon chon choin choin, il me semblait que je n'avais rien à dire...

La vie est malicieuse parfois, j'épousais donc un jeune homme qui possédait ces multiples racines qui me faisaient rêver. Ses ancêtres à lui se baladaient entre Alexandrie, Istanbul, Athènes et Ispahan. Les femmes portaient des robes de soirée et les hommes avaient des professions prestigieuses Il étaient egyptologues ou industriels. Et pendant ce temps mes ancêtres berrichons chon chon menaient des vies tout ce qu'il y a de monotone...

Et puis la surprise, il y a 3 ans. On me découvrit une maladie génétique appelée hémochromatose (on n'élimine pas le fer dans le sang)
L'hémato à l'hôpital me demanda alors si j'avais des racines bretonnes puisque cette maladie atteint souvent les peuples celtes. Je répondis par la négative, mais lors d'un séjour berrichon, du côté de Sancerre, je posai la question à mes cousins sur l'existence d'un éventuel ancêtre breton.
Et le cousin resté au pays me révéla que nous avions un ancêtre irlandais venu se perdre dans notre bled au 19 ème siècle.
Ca y est, je l'avais ma racine étrangère !!


Arpenteur d'étoiles - Racines

Je me souviens … du berger ...

Nous dessinions des maisons.
Souvent, les jeudis pluvieux. Avec Odette la petite voisine. Brune, jolie, espiègle. Nous devions avoir tout juste quatorze ans à nous deux. De belles maisons avec des toits de tuiles rouges, de l’herbe bien verte autour, et le chemin incurvé respectant la perspective que mon père m'avait apprise. Nous les peignions aussi. A la gouache. Sur la table de la salle à manger, recouverte par prudence d’une toile cirée fleurie. Parfois, on découpait de petits carrés peints en vert, qu’on collait sur le côté des fenêtres, afin de faire comme des volets qui pouvaient s’ouvrir et se fermer. Il fallait bien plier le bord du carré pour que celui-ci ne se déchire pas, et le coller juste avant la pliure. Mais le résultat était bien, vraiment bien. Entre nous on disait « vachement bien » en pouffant et en rosissant un peu.

Odette peignait des fleurs, plein de fleurs. Moi, je mettais la cheminée sur le toit, avec la fumée qui en sortait. Je rajoutais toujours des oiseaux, plein d’oiseaux. Ou des avions qui laissaient derrière eux des lignes blanches et cotonneuses. En tout cas, c’est ainsi que je les voyais.

Un jour j'ai dessiné un bonhomme un peu bizarre. Avec un grand chapeau et un bâton à la main, qui tournait le dos à la maison, comme pour en partir. On sentait bien que c’était définitif ce départ. Que le bonhomme étrange n’allait jamais se retourner.

A Odette qui me demanda "c’est qui ?" je répondis d’instinct : "le berger".
Mes parents ont vu le berger et mon père intrigué m'a expliqué que dans le temps, il y a longtemps, mon ancêtre, mon arrière grand-père, était parti, très jeune, de sa maison. Tout comme le bonhomme de mon dessin. Mais pas une maison aussi jolie que la nôtre. Non, non. Une vieille ferme cachée dans un ourlet de la montagne. Loin, dans les Hautes Alpes.

Je savais déjà ce qu’était les Alpes. Mais les « hautes » Alpes, ça devait être quelque chose d’encore plus immense. Plus grand que le Mont Blanc que j'avais déjà vu depuis le balcon du chalet de madame Taboury, amie de ma grand-mère, à Chamonix. Et depuis Chamonix, le Mont Blanc, il est vachement grand.
- Et comment qu’il s’appelait l’arrière-grand-père, alors ?
- Vincent.

Je mis tout ça au fond de ma mémoire et n’y pensai plus. Un jour nous nous rendîmes là-bas, dans les Hautes Alpes. J'avais bien grandi. Je ne dessinais plus de maisons avec des volets verts. Odette était partie dans une autre région. On a retrouvé la vallée étroite, le village, puis le hameau de l’ancêtre. On a vu le registre de la paroisse, puis le cimetière où sont enterrés les parents du berger. Je compris d’où venait Vincent et d’où moi-même je venais. Un pays très rude, austère mais d’une beauté sauvage et où la lumière est d’une pureté inouïe.

Longtemps, très longtemps après, j'étais un homme mûr à la mémoire remplie à ras bord. Un dimanche matin mon père m’appela pour me dire "ma femme est morte", puis aussitôt après, "ta Maman est morte". J'ai pensé derrière le rideau des larmes que les pages de la vie se tournaient ainsi, brutalement, même si les vrais enterrements avaient commencé depuis celui de ma grand-mère, plus de vingt-cinq auparavant. Onze années plus tard, l’hôpital m'annonçait que mon père à son tour venait de partir.

En rangeant les affaires, en triant les meubles et les souvenirs du vieux grenier de la maison de mon enfance, je retrouvai quelques pages à l’encre passée. Un très long poème en alexandrins, écrit par le petit berger alors devenu instituteur dans la vallée industrielle où il était arrivé à pied, depuis ses montagnes. Le récit du voyage d'un jeune homme audacieux porté par sa foi en l'avenir et par la providence. Juste en dessous des feuillets jaunis, se cachait un dessin d’une maison aux volets verts d’où un bonhomme bizarre paraissait s'en aller.

Une dernièe anecdote :
Vincent avait été remarqué par le prêtre de la paroisse où il vivait. Ses parents ont accepté qu’il aille à l’école. Il a appris le latin et tout le reste, puis vers vingt ans, il est parti à pied, avec son balluchon, depuis le Valgaudemar jusque dans la vallée de l’Ondaine, vallée industrielle et ouvrière. Nous sommes au XIXième siècle. Cette région (stéphanoise) était la première région industrielle de France (ruban, acier et charbon).
Vincent devint instituteur et précepteur dans une famille bourgeoise possédant plusieurs usines. Les enfants avaient aussi un professeur de musique. Alors il demanda de ne pas être payé comme précepteur, mais que ses enfants à lui puissent suivre les cours de musique. La musique est entrée dans la famille et est toujours présente. Mon grand-père, mon père et ses frères et sœurs jouaient tous de plusieurs instruments. Mes cousins et cousines et leurs enfants également. La musique est l’âme de notre famille.

Où lire l'Arpenteur
Les mains d'or de Bernard Lavilliers

La chapelle en Valgaudemar

Les aciéries de Jacob Holtzer

Le château de Dorian et Fraisses, berceau de ma famille


JCP - Racines

Les tentacules du temps

Venues de la pointe extrême de mes fondements intimes, en ces régions distantes de mon être - mais non de ma conscience - régions à la fois douées de la meilleure part de ma sensibilité et soustraites à mon regard, diffuses sous le voile des fonds obscurs, me parviennent depuis quelque temps d'étranges sensations.

Un sentiment de crainte vient troubler le cours de ma vie, une vie que d'autres créatures disent longue, et dont je ne me soucie de tenir le compte, ignorant de la mesure d'un temps dont la substance même se dérobe à mon entendement.

Et c'est ainsi que, venue de ces appendices longs dont la forme, le nombre et la situation exactes m'échappe tant le maillage de leur multiplicité s'étire au fil du temps, l'idée d'une rupture possible dans le cours de mon existence, sereine jusqu'alors, s'empare insensiblement de moi. Une forme de panique lente qui impliquera, je le sens bien, certaines restrictions des présents que la vie m'a toujours offerts, et renouvelés ; en somme les effets de ce qui, dans le langage d'autres êtres vivants reliés tout comme moi à la Nature par des liens plus ou moins ténus, voire ignorés d'eux-mêmes, porte le nom de "vieillissement". Un terme qui, à l'image du temps et de ses enfantements de durée, n'éveille en moi rien de palpable.

Mais dans l'immédiat de ce présent qui semble me fuir - un présent mobile où de tout temps s'enracina le cours de mon existence - la sensation se fait plus forte et, par trois fois, le flux nourricier sans lequel je ne serais pas s'est ralenti. On croirait que le réseau infini de mes capteurs vitaux, qui serait pareil à ce que d'autres espèces nomment poumons si on devait en inverser le relief, bute contre l'insurmontable, ou n'a plus la force de s'immiscer aux profondeurs, désorienté, oublieux de ces points cardinaux, mes guides de toujours.

Ah oui. Car il faut que je vous dise, je suis un chêne, un très vieux chêne - un arbre, savez-vous. Et mes vieilles, mes pauvres racines qui ne sont plus ce qu'elles étaient, vont je le crains m'instruire de la notion de ce temps que vous chérissez tant - vous autres humains.


mercredi 26 octobre 2016

Laura Vanel-Coytte - Racines

Racines m'évoque un livre dont a été tiré un feuilleton vu à la télévision dans les années
Quatre-vingt; je tire le fil de mes souvenirs et je revoie en écho la couverture turquoise
De La case de l'Oncle Tom et à nouveau Tom Sawyer en feuilleton à la télé, mêmes années
Dans mon cerveau se mêle ainsi, comme une pelote indétricotable, mots et images.

J'ai de par mes racines familiales, un pied dans le Sud et un dans le Nord,
Un bras à l'est et un à l'ouest, j'essaie de garder mon équilibre entre ces pôles
Ces hémisphères qu'éclairent le soleil et que baignent les brumes pluvieuses
J'ai parcouru de belles plaines, des côtes découpées et des montagnes jeunes et vieilles.

Longtemps, je n'ai juré que par l'histoire, dédaignant la géographie et les paysages
J'idolâtrais mes aïeux et cherchais à m'inscrire dans leur lignée honorable
Mes aïeux sont morts, j'ai quitté leur pays mais je suis resté débout, je trébuche
Tombe et me relève car la rigueur protestante tempère dans mon âme anxieuse

La ferveur latine; les palmiers voisinent avec les saules pleureurs dans mes paysages
Les bougainvillées se cueillent aux jardins de mon cœur avec les dahlias de mon enfance
Les ânes tristes font leur pèlerinage auprès des chats-fantômes et des chiens qui aboient
La caravane passe, j'avance en déplaçant mes racines au gré de tes baisers et tes caresses.


mardi 25 octobre 2016

Jacques - Racines

1548
Pouvait-il ne serait-ce que m’imaginer, Jacques Amielh, lorsque le 27 octobre 1548 il a signé devant notaire le contrat de mariage qui l’engageait à Jaumette Rainière ? Imaginer que, quatre cent deux ans plus tard, à quelque distance de là, naîtrait au bout d'une longue chaîne de générations un autre Jacques, moi, ainsi homonyme par le plus total des hasards ?
Je ne sais pas grand-chose de Jacques Amielh, juste qu’il était couturier, que le contrat mentionne quelques sommes rondelettes – plusieurs centaines de florins en tout – et son épouse fille de laboureur.
Je me le représente mal, tout juste le stéréotype de l’artisan du XVIème siècle, quelque chose de flou dans mon imaginaire d’informaticien du XXIème. Au mieux, le savetier de La Fontaine, peut-être ? Chantait-il en travaillant, ou craignait-il pour ses florins ?

Je contemple les photos du registre vieux de quatre siècles, une page couverte de lignes tracées à la plume, illisibles pour qui n’a pas entraîné son œil, incompréhensibles pour qui ne connaît pas le latin et l’occitan qui se mêlent à ce français exotique. La seule lecture de la transcription annihile toute illusion sur l’immuabilité de l’orthographe et de la syntaxe du français, tant revendiquée pourtant par certains. Je m'en amuse.

Ce français du XVIème siècle m’est aussi lointain que ce Jacques Amielh cousturier, comme l’est la cohorte d’artisans et d’agriculteurs qui peuplent mon arbre généalogique, autour de Marseille, avec quelques étrangers venus de Sainte-Réparade, l’autre bout du monde.

Ou de la haute vallée du Drac, de vrais extra-terrestres.

Est-ce un luxe que de prendre ainsi son ascendance à la légère ? Que reste-t-il des Jacques Amielh, Melchionne Bassac, Lazare Pinatel ou Jacomin Pons, d’Anthoronne Freze, Catherine Cabrier, Alcyone Portal ou de Baptistine Gandolfi ?

Si, Baptistine Gandolfi, j’ai des photos d’elle, c’était mon arrière-grand-mère. Enfin, l’une d’elles. Parce qu’elles étaient quatre – les arrières-grand-mères vont toujours par quatre, sauf une fois il y a deux mille ans, et encore, c’est discuté. Statistiquement, Baptistine Gandolfi représente douze virgule cinq pour cent de mon patrimoine génétique. Six virgule vingt-cinq de celui de mes filles.

Alors Jacques Amielh, dilué au quarantième par les errements de l’histoire, je le salue à travers les âges, comme une vague connaissance. Qui sait, peut-être y-a-t-il un après dans lequel il s’amuse de se voir exhumé du silence des registres par
un instituteur à la retraite, et m’attend, patiemment, pour me raconter la vie d’un couturier marseillais de 1548.

Kakushi Ken - Racines

Il y a des rumeurs dans la nuit profonde, rumeurs de chants et de batailles, d’honneurs et de forces… Ces rumeurs portées par les vents d’antan : des hommes recherchant de nouvelles contrées, des hommes fiers et courageux que les petits hommes nommaient « Berserkers ».

Il faisait partie d’eux, dans la fureur des batailles de la vie et de la mort ; il était avec eux quand le soir tombé ils se réunissaient pour boucler le cycle de vie, prenant les femmes dans la chaleur d’un feu, sur des peaux de bêtes, rugissant leur puissance…

Ils ont fini par le déraciner au cours des brumes hivernales ; ils l’ont jeté aux quatre vents du Temps.
Celui qui est devenu un ruisseau sans source s’est répandu dans le sable, transformant un sol quelque peu malléable en un marécage. Sa vigueur, sa course déterminée par le lit du ruisseau, tout cela a été perdu définitivement…

L’eau vivante a finie par stagner, nauséabonde, en un sol qui ne fut pas le sien ; incapable de remplir son office : celui de donner la vie, de perpétuer le renouvellement, de danser sur les reliefs de l’existence, de rebondir sur les rochers, vivace et joyeuse comme un saumon.

Le combattant s’est perverti, se transformant en un de ceux là qu’ils combattaient… Plus aucun courage, plus aucune ferveur ; il est devenu informe, atone, sans honneur.
Il vit dans un milieu qui n’est pas le sien, sondant l’espace et le temps à la recherche des siens, en vain.

Il n’a pas sa place, ni sa langue, sans culture, sans âme…
Il est un arbre sans racine, un ruisseau sans source…
Il laisse le temps s’écouler, vide...

Où lire Kakushi Ken

Pascal - Racines

Romans  

Romans, c’est la plus belle ville du monde…

Combien de fois, lors de mes plus lointaines escales, ai-je pu penser à toi en respirant tes cartes postales… Tu étais dans tous mes paysages pluvieux quand je souffrais trop du mal du pays. J’avais des pensées troubles comme les tourments incessants de l’Isère quand elle s’enroule d’amour autour des piles du Pont Vieux…  

Tu étais ma bouée de sauvetage, mon ballon d’oxygène, mon île flottante, quand je me perdais dans les bouges à matelots. Bien sûr, je t’ai trompée quand l’alcool s’emparait de ma raison. Bien sûr, mes chansons à boire clamaient nos farandoles de trottoir. Bien sûr, les belles autochtones, les amuseuses des ports, n’avaient pas ton accent du vent du Nord. Mais je rêvais de toi et à tes monuments posés dans la verdure des squares. Je voulais m’abriter sous le bras tendu des statues anciennes et ne plus bouger pour garder l’abri de cette ombre protectrice Je rêvais du Jacquemart et à ses heures de tintamarre…

Tu étais mon point de mire, ma seule raison de survivre, dans ces contrées lointaines sans âme. Dans les tempêtes, les paquets de mer, les embruns de dentelle cousus de colère, je voulais retrouver nos cieux si noirs, ceux venus de l’ouest, et qui gâchaient tellement souvent nos après-midi de piscine municipale avec leurs orages de colère. Dans le vent du large, je cherchais les nuages rédempteurs, les preux voyageurs qui s’écartent, pour éclairer nos campagnes, d’impressionnants scintillements découpeurs, quand le soleil se faisait charmeur…  

Si tu savais comme tes couchers de soleil mourant derrière nos collines me manquaient. Je perdais la notion des grands marronniers de la gare et de leur feuillage printanier, les visages aimés se dissipaient comme flétris sur l’onde assassine du ressac découpant, les maisons se contorsionnaient dans de vagues souvenirs imprécis. Les barrières du passage à niveau ne résonnaient plus de leurs bruits de ferraille dépliée, les locomotives à vapeur étaient aphones et leurs jets de fumée coléreuse dans les airs ne sentaient plus rien ; les tourterelles ne chantaient plus leurs roucoulades amoureuses, les moineaux se taisaient sans partition, les merles des bosquets ne sifflaient plus leur liberté…  

Désespéré, au milieu de nulle part, je cherchais mes meilleurs souvenirs et je n’avais que dix-sept ans… A perdre haleine, je courais dans tes rues… C’était la pluie de l’automne qui mouillait les toitures avec ses senteurs captivantes et ses douces chansons de clavier sur les tuiles rougissantes. C’était le goudron de notre petite avenue qui fondait sous l’assaut des rayons du soleil d’août et tous ces effluves de bitume qui s’accrochaient à nos habits comme des clandestins voyageurs. C’était le grand drap blanc du pré de Cinq Sous, collé sur notre Vercors, celui nous signifiant, avec une précision barométrique, l’imminence des frimas et de nos jeux d’hiver. C’était des batailles de boules de neige avec nos pieds gelés pour rire de nos glissades, c’était les bouquets de lilas sur la cheminée de la salle à manger qui transpiraient leurs senteurs enivrantes dans toute la maison. C’était la Foire de Romans, ses moissonneuses et ses tracteurs agricoles, ses défilés de majorettes, ses manèges et ses chevaux de bois aux mille caracoles, ses pipes en plâtre et le parfum des gaufres, les pommes d’amour et les barbes à papa si collantes…

Je placardais dans ma raison chavirée le marché du vendredi et tous ses étalages de fruits, le parfum brutal des Halles comme si tous les poissons de la mer s’étaient réunis, les légumes en tas, déterrés du matin, et se fanant lentement, les poules enfermées dans des cages et les tommes bien à l’abri des mouches dans leurs clayettes, les fleurs battant des pavillons de complaisance multicolores dans des pots inondés…  

C’était encore la musique tonitruante sous le kiosque, ce concert de décibels à faire fuir dans les airs tous les pigeons de Notre Dame de Lourdes ; c’était la vendeuse de malabars, ses caramels à un franc, ses serpentins de réglisse et son maquillage hors de propos avec sa boulangerie. C’était les voitures immatriculées vingt-six qui longeaient les rues en soulevant des poussières de charrue, c’était le cinéma l’Alhambra et ses tickets poinçonnés pour admirer Walt Disney et tous ses abracadabras, etc, etc…

Combien de fois ai-je tiré sur mes cigarettes en regardant la fumée de mes clopes s’envoler dans le vent comme les âcres cheminées de nos tanneries ?... Si loin, dans ce bout du monde inconnu, leurs parfums violents me manquaient, non pas comme si je m’étais défait d’elles, mais parce qu’elles ne me voulaient plus et cela me faisait de la peine. Pendant ces moments de grands vagues à l’âme, je reniflais mes vêtements, jusqu’à perdre ma respiration, pour retrouver un brin de toi : mon Romans.

Tu étais ma ville en pente douce, ma ville et ses bouches d’égout aux baisers odorants du vent du Midi, ma ville et ses sirènes d’usine au métronome des heures de labeur, ma ville et ses nids de poule toujours aussi profonds, ma ville et les cloches généreuses des églises au rassemblement des fidèles dominicaux, ma ville et la joie de mes premières promenades en vélo, ma ville et mon école, son préau, ses cris d’allégresse pendant les récréations…

Aujourd’hui, je suis rentré au pays et, même si plus rien ne ressemble à rien, si les cheminées se sont tues, si les trains ne passent plus, si on a changé le nom des rues, si la Foire est au rebut et si les halles ont disparu, c’est encore mon Romans. Il me reste le cimetière à visiter pour honorer mes morts car ils vivent toujours au milieu de mes plus beaux décors…

Romans, c’est la plus belle ville du monde…


Jacou - Racines

Il était une fois un soldat, écossais, venu défendre les possessions de la Couronne Anglaise, quelque part en ce coin du Sud-Ouest, de nos jours, à nouveau, très prisé par les anglais, en mal de climat tempéré, mais avec ce paysage herbeux vert, qui leur rappelle leur campagne.

Lorsque les troupes de John Talbot, vaincues par l'armée du roi de France, retournèrent en leur pays, le soldat resta sur ce sol devenu français. Périgourdin d'adoption, il fonda une famille.

Ainsi voulait le croire, et le racontait ma grand-mère maternelle, se fiant au nom qu'elle portait, le même que celui de cette rivière qui traverse la ville de Glasgow.

Aucune archive n'étant venu étayer la véracité des dires de ma grand-mère, il faut bien constater toutefois, des prédispositions familiales à pratiquer aisément la langue anglaise...Why not? ;)

Plus sérieusement et sans conteste, des racines périgourdines, plutôt Périgord Vert, lignée de cultivateurs, d'enseignants, religieuses et prêtres.

D'un autre côté, des désirs d'Océan Atlantique, mêlés à quelques ancêtres gasconnant, suivi de la rencontre de deux milieux bien différents.

Des ouvriers, une brodeuse, et un conducteur de train, ce dernier issu d'une famille BCBG arcachonaise, vivant de ses rentes, que de vilains bruits de bottes collaborationnistes, de par et d'autre de la frontière franco-allemande, obligèrent à se dessaisir de leurs biens, en même temps que d'arborer cette constellation à six branches, faisant d'eux des êtres, considérés, différents.

Il était une fois une petite fille, portant en elle, ces différences, profondément attachée à sa Gironde natale, bercée par les vagues de l'océan, courant sur les longues plages atlantiques, dévalant la dune, écoutant les histoires de sa grand-mère maternelle, dans une langue française roulant joliment les R, dormant dans des draps magnifiquement brodés par sa grand-mère paternelle...

Où lire Jacou

Vegas sur sarthe - Racines

Malédiction au château



Cher Monsieur Louis Chi-Sing,

Je ne sais par où commencer ni si je peux vous appeler Louis. Dans la région on dirait plutôt “le Louis” mais vous n'êtes pas encore tout à fait de chez nous et beaucoup vous appellent “le chinois”.
Moi, c'est le Claude et si je me permets de vous écrire alors que vous devez être bien embistrouillé à gérer tous vos casinos à Macao, c'est parce que je suis né à l'ombre de ce château qui est aujourd'hui le vôtre.
On vous dit amoureux de la Bourgogne et je le crois facilement. Il faut être beusenot pour ne pas en tomber amoureux et si on n'a pas la mer de Chine, nous on a un bareuzai qui pisse dru chaque année comme personne au monde!
Mais je ratasse au lieu d'en venir à l'essentiel c'est à dire à la Malédiction.


Vous pensez bien que depuis saint Odilon et quelques abbés de Cluny après lui, il s'en est passé des drôles au château, aussi il faut que vous sachiez toutes ces choses puisque à ct' heure vous en héritez avec les pierres.
J'ai appris la Malédiction au mois d'août 1957 puisque j'allais avoir dix ans dans trois mois et que l'Isabelle abandonnait le cancre que j'étais pour rentrer en CM2 à l'école du centre.
De toutes les ptiotes du village la seule qui m'ait donné le virot c'était l'Isabelle et je crois que c'était un petit peu pareil pour elle. Elle habitait rue Gaizot et moi rue de la Croix des Champs si vous voyez - mais je vois bien que vous ne voyez pas - alors disons qu'on habitait à vingt coups de pédale.


On trainaillait souvent autour du château pour l'angelus du soir en évitant Calamity Jane qu'on appelait la “doyenne” avec son oeil noir et sa fourgonnette pourrie, c'est comme ça qu'on a déniché la planque idéale sous le porche de la porterie où on posait nos biclous avant de refaire le monde.
Vous nous auriez vus là, l'Isabelle et moi, assis à croupetons dans l'ombre du pont dormant et des murs surchauffés à regarder le soleil se coucher tout en nous jetant des pignolôts dans le cou... bref, c'est en gravant nos initiales sur une grosse pierre du porche - celle qui dépasse un peu du mur et que vous trouverez facilement, Monsieur Louis - que la Malédiction s'est manifestée.


Je ne pensais pas à mal, juste envie de mélanger mon C à son I pour l'éternité dans le grès couleur de miel qui brille au couchant et qui d'après moi a donné son nom à la Côte d'Or, mais notre grosse pierre s'est soudain enfoncée dans le mur et le parchemin nous est apparu.
On l'a lu ensemble, surtout l'Isabelle car je grebillais trop mais elle s'est mise à trembler elle aussi. Je ne l'avais jamais vue trembler comme ça, même pas quand le Martenot nous pinçait à relever ses pièges à la Combe Lavaux.
Bref, ça causait d'un dénommé Hugues de Chalon, de Robert le Pieux et surtout de tous les malheurs qui s'abattraient sur les curieux qui oseraient chavirer cette pierre comme nous autres.


Vin diou! On n'a pas voulu ça et on n'a même pas pu lire jusqu'au bout car la nuit est tombée d'un coup, une nuit d'encre - comme aux fortes rabasses - avec un foutu coup de vent à décorner les cagouilles et tout a cessé dès qu'on a eu remis le parchemin en place.
Alors on a jarté et on n'en a plus jamais reparlé mais ça n'a pas empêché que l'Isabelle disparaisse sans raison quelques jours plus tard.


Si j'écris tout ça, c'est moins pour vous faire regretter votre investissement que pour vous avertir du danger si vous devez toucher au porche pour vos projets de rénovation.
Si vous allez au bout de ma lettre et que l'envie vous prend de pousser notre grosse pierre, ne rabeutez pas à chercher le parchemin puisque c'est moi qui l'ai repris après la disparition.
Je me dis qu'avec tout votre argent vous pourriez m'aider à vaincre la Malédiction et à retrouver l'Isabelle. Si comme moi vous avez déjà eu le virot pour une ptiote - d'après mes renseignements, il n'y a pas d'endroit au monde plus peuplé de ptiotes que Macao - vous comprendrez pourquoi je vous écris alors que vous devez être bien embistrouillé à gérer tous vos casinos, mais ça je l'ai déjà dit.
Quand vous reviendrez à Gevrey, demandez le Claude à la maison de retraite de Vigne Blanche, y en a qu'un ici.
 
 
embistrouillé : ennuyé
beusenot : idiot
bareuzai :Statue de Rude place du bareuzai
ratasser : radoter
virot : vertige
grebiller : trembler
rabasse : averse
cagouille : escargot
jarter : s'enfuir
rabeuter : fouiner

(En 2012 Monsieur Chi-Sing rachète le château de Gevrey-Chambertin et ses vignes).

Où lire le Claude

lundi 24 octobre 2016

Stouf - Racines

Certaines de mes racines sont solidement accrochées à ce cailloux volcanique en plein océan indien au large de l'Afrique,la Réunion. Tandis que d'autres sont plus évasivement plantées dans ce borought de New York que l'on appel Brooklyn ou dans le 18 ième arrondissement de Paris, mais c'est une autre histoire dont je n'ai que très peu de bribes en tête.

Mémé Célestine m'aimait tout autant que la nombreuse marmaille qui envahissait chaques jours sa case et son terrain du Morne A L'eau était un merveilleux air de jeux,son cœur était bien assez grand pour tous nous acceuillir. Pourtant,un jour de beau temps (c'est tous les jours beau temps sur l'île)... il a bien fallu qu'elle s'en aille (à 85 ans) rejoindre son Jules, là haut avec le p'tit jésus. Je fus là pour lui dire ... a talèr gromère !

Madame Célestine Duciel a tout préparer pour sa randonée annuelle.
Son sac à dos est prêt,deux paquets de gateaux « petit lu cheng » (une marque chinoise,moins chère), des cuisses de poulets (qu'elle à écraser elle même avec sa vieille deux cv au carrefour du village parce qu'ils voulaient contrôler ses papiers et qu'elle n'en a jamais eut), un kilo de riz déjà cuit avec des aromates et des tomates de son jardin et sa p'tite fiole de rhum Charette biensure. Ah oui... un hélicoptère aussi pour rentrer plus vite du plateau de Mafat, à la réunion où c'est qu'elle vit depuis 85 ans.
- Pourvus que Zéphyrin ne soit pas encore mort !
Dit elle en pensant à son ancien soupirant de y a très longtemps, c'est chez lui qu'elle va manger le cari, dormir (dumoins s'il n'essaye pas de lui sauter dessus toute la nuit ) et se rappeller le bon temps autour du feu dans la cheminée de la case, lorsqu'ils pêchaient l'espadon sur la barcasse du vieu Santiago avec l'autre con d'américain alcoolique Ernest Emingway à Cuba.
Voila ... madame Célestine met son sac sur son dos,elle fait coucou au p'tit jésus qu'est sur la croix au dessus de la porte et chiao asta la vista,a revederchi ,by by, viva la revolution, que sera sera et...ouais bon, ça va bien !

Là il faut y aller, la route sera longue,le chemin du facteur et la grimpette avec un dénivelé de fou (ou de folle). Tiens, des mômes de 4O ans à peine la croisent, ils ont des sacs au dos et descendent du plateau vers St Leu où les attend un bateau affrété par la reine d'angleterre pour lui amener sa consomation de zamale de l'année.
- Salut madame l'honorable vieille dame Célestine, ça gaze ou quoi ?
- Ah ben c'est des chinois qui font la livraison maintenant ? Salut les poteaux !
- Ah oui, tchinois,trés bien tchinois, eux très sympas ! Disent-ils,en cœur.
Normalement, à cet endroit il devrait y avoir le chat sauvage qui pue, il devrait être sur le rocher à droite et faire « quchiii quchiii... » et disparaître pour faire croire que c'est un descendant du chat de Cheshire. Il n'est point là et madame Célestine prend un coup de vieux, elle se sent un peu triste.
Aprés cinq heures de marche la vieille (ma grand-mère noire et très belle) se retrouve à mafat, d'vant la sonnette du Zéphyrin, elle sonne. Y a personne qui répond (et pi y a plus d'sonnette de toute façon).
- Oh merdre se dit elle, tout fout l'camp !
Elle va tomber par terre, se laisser partir mais ... y a un poulet, un flic, qu'arrive en courant et qui met ses bras sous les siens, pour qu'elle reste debout.
- C'est moi Stouf, mémé reste avec moi !
- Ah ... c'est vous Zéphyrin ... vous semblez long à la comprenette, je vous aime !
Mémé est morte ce jour là.

Chanson que me chantait ma vieille grand mère à propos de mon grand père tchinois que je n'ai pas connu (au coin du feu) :

Inn té pansé po misel

Twé la kit ton pèî
Po alé èd ton bann frèr
Twé la fé la gèr
Twé la vi la mizèr
Lavyon i pasé anlèr
Bonm i pété atèr
E twé lé mor mon sèr
Mon kèr i plèr

Semaine du 24 au 30 octobre 2016 - Racines

Après nous avoir dévoilé vos cheveux blancs, quoi de plus normal que de nous parler de vos racines, de celles qui vous relient à vos ancêtres, à un terroir ou une ville.
Ne dit-on pas « Oublier ses ancêtres, c’est être un ruisseau sans source, un arbre sans racines ». 


En vers ou en prose, votre texte devra nous parvenir à l'adresse habituelle: impromptuslitteraires[at]gmail.com avant dimanche 30 octobre à minuit.

dimanche 23 octobre 2016

Mabata - Ce matin trois cheveux blancs

Dans la glace en me levant ce matin : trois cheveux blancs.
Oui, trois !

Le premier, juste à la limite de la tempe gauche, je le connaissais bien. Je l’avais découvert le jour de mes dix ans. Il était arrivé comme ça, sans prévenir, long déjà et brillant au milieu de mes cheveux noirs. Ma mère m’avait dit : ce n’est pas grave, arrache le si tu veux. Ce que j’avais fait. Mais il avait repoussé. Je l’avais à nouveau arraché. Il était revenu. Alors je l’avais laissé.
Le second, il s’est manifesté à l’anniversaire de mes vingt ans. Exactement à l’opposé du premier sur la tempe droite. C’est comme s’il m’avait fait un clin d’œil dans la glace. Oui je sais, un clin d’œil de la part d’un cheveu, ce n’est pas courant … Je ne l’ai pas touché. Juste admiré. Puis je l’ai oublié.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire : j’ai trente ans. Alors j’ai bien regardé à gauche à côté du premier. Rien. J’ai fouillé à droite à côté du deuxième. Rien non plus. C’était déjà fini ? Pas de troisième cheveu blanc ?... Et je l’ai aperçu dans un éclair argenté, à la naissance du front, à égale distance des deux autres. Ouf ! J’étais soulagé.

Un cheveu blanc à chaque dizaine d’année : loin de moi la crinière de lion albinos. A moins que…

A moins que, comme mon amie Isabelle, une énorme mèche blanche n’apparaisse du jour au lendemain, sans prévenir... Ou comme Marie-Antoinette que toute ma chevelure ne blanchisse en une nuit… Mais non. Je n’y crois pas.

La question c’est où vas se nicher le prochain dans dix ans ??? En attendant, je suis fier de mes trois cheveux blancs !

Stouf - Ce matin trois cheveux blancs

En ce temps là ma belle Christine et moi passions souvent quelques mois de vacances en Engleterre, dans le Somerset plus exactement. Les bains chauds de Bath ravissaient nos globules vasculaires, Brighton n'était pas loin et puis le festival d'été de Stonhenge ou l'ile de Wight (nous y prîmes un pied géniale en 197O, en compagnie de Jimi H,Jim M et les 6OO OOO autres).

Betty,l'ancienne « petite amie » de ma Christine, nous prêtait un joli chalet dans les collines où nous avions vue sur la mer. Le market avec des patates et choux-fleurs naturels (bio en nouveau french), nous ne mangions déjà plus de viande mais oui pour les oeufs. Et puis le pub de « chez Marcel », un exilé français qu'un certain fisc cherchait en vain à localiser, de mémorables bitures et un p'tit join pour avoir la pêche et monter jusqu'à le chalet tout là haut dans la colline.

Et puis un jour, ce matin là trois cheveux blancs...
J'entrais nu dans la salle de bain (bath in english) et mon cœur faillit s'arrêter de battre, Christine commençait à sangloter (j'aime pas lorsqu'elle fait snif et qu'une larme coule sur sa joue gauche).
- Christine, lui demandais-je, mais que ce passe t-il donc ?
- Regarde dear my love, there are three white hair !
- Ou ça ?
- On my comb.
- Ah merdre, chérie mets tes lunettes, c'est pas ton peigne mais celui de Clara qu'est venue dormir au chalet il y a trois jours.
- Shit mais c'est bien vrai, comme je suis heureuse mon amour.
- Oh lala les meufs, me dis-je en moi-même.

samedi 22 octobre 2016

Lilousoleil - Ce matin trois cheveux blancs

"Dans la glace en me levant
Ce matin trois cheveux blancs..."
Et si je n’y prends garde demain il y en aura six !

Un deux trois
Nous irons au bois
Quatre cinq six
Cueillir des cerises
Mais si tous les jours ils se multiplient par deux,
Mathieu aura des cheveux bleus
Il en sera bien aise
N’en déplaise à Blaise !
Ils seront bientôt optante douze !
Tous teints en rouge !

Dans la glace en me levant
Ce matin trois cheveux blancs ?
C’est la marque des ans.


Où lire Lilou

vendredi 21 octobre 2016

Gibulène - Ce matin trois cheveux blancs

Dans la glace, en me levant
Ce matin, trois cheveux blancs !!!
...
Comment se fait-ce, m'écriais-je
Mais quel est ce sacrilège ???
Peut-être l'heure est-elle venue
D'accepter que je ne suis plus
La jeune femme alerte et belle
Cheveux d'ébène et teint de perle.....
Les rides aussi se sont creusées
Marquant le fil de ces années
Faites de bonheur et de larmes.
Elles soulignent, et non sans charme,
Le passage du temps, des heures,
Vers cette beauté intérieure
A laquelle aujourd'hui je tends.......
Alors, ces cheveux enneigés

Pas question de les camoufler !!!


Jacou - Ce matin trois cheveux blancs


Chut, ne le dites à personne !

"Dans la glace en me levant
Ce matin trois cheveux blancs,
Et des rides, tout autant.
Enfin, bien plus qu'auparavant.
Sans mes lunettes, en les ôtant,
De moi, retrouve un portrait charmant.
Que faut-il donc que je fasse,
De tout ce corps à l'avenant?
Crèmes, mon cerveau, amincissant,
D'éternelle jeunesse, mes espoirs s'envolant.
Même si, ces trois poils, les coloriant,
Et d'un miroir non grossissant, usant,
Ne pourrais du temps,
Ses outrages empêcher,
Ni la vérité farder.
Voilà donc, si longtemps que je suis née,
Aujourd'hui, fanée,
Et c'est nature qui le fait.
Parfois, trompe-couillon, userai,
Suffisant, mes états d'âme, transformer.
Alors, en ce matin,
Trois poils blancs de plus ou de moins,
Ne me font pas chagrin.

jeudi 20 octobre 2016

Stouf - Ce matin trois cheveux blancs

Une magnifique femme dont la crinière évanescentement noire fait resplendir les yeux verts, vient de se laver les dents, qu'elle a toutes droites et admirablement bien rangées. Habillée d'une simple nuisette de soie, ses seins et son corps sans défaut transparessent légèrement.
Elle est formidablement contente de se contempler en ce miroir de salle de bain qu'elle acheta à prix d'or, la vie pour elle semble splendide, somptueuse et toute à son honneur.

Bob le beau gosse riche vient de lui faire cadeau d'un peigne de marque Thomas Liorac excessivement « in » et elle s'en sert de façon tout à fait « hip »,ses doigts « cools » courent le long de sa chevelure idyliquement abondante et ...et ... mais qu'est ce donc ... ne sont-ce point trois cheveux blancs ?
- Qu'est-ce que c'est ce bordel ! S'exclame tout à coup la charmante ... et tout le toutim.
- Ce sont mes poils blancs à moi ! S'écrie une voix de vieux derrière elle.

A ces mots elle ne se sent plus de joie, elle est contente du retournement de situation et regarde derrière elle par le miroir.
Un monstre apparaît, une chose nue sur ses pattes levées et pleine de poils blancs.
Ses yeux globuleux sont injectés de sang et ses dents jaunes sont acérées et prètes à mordre.
Tout à coup ... les placards de la salle de bain s'ouvrent par eux même. NOOOON ! Ce sont de jeunes loups garous plein de poils vigoureux et il y en a beaucoup.

La belle se met à transpirer,elle à chaud, elle a peur, son corps est empli de sueur froide.
Ni une ni deux, elle esquive le vieux monstre, elle défonce la porte de la salle de bain, la porte de sa maison et se retrouve dehors.
C'est la pleine lune mais c'est l'été. Une forêt, un sentier. Elle court, elle court, droit devant elle. La peur la stimule, l'enthousiasme, la terrifie, la ...
- Mais ta gueule gros dégoutant !

A un moment un jeune monstre est très prés d'elle, elle sent son haleine fétide, dégoutante. Elle frise la nausée mais continue sa course éperdue ... elle sent sa nuisette disparaître d'un coup de griffe, son corps et ses seins sont à l'air !
Un p'tit vent frais la rafraichit mais elle est toujours affolée, elle se hâte.
Un autre jeune mal intentionné pas beau et puant met ses griffes sur son slip et l'arrache, elle est nue.
Elle s'arrête tout à coup et, pleine de courage, fait face aux malotrus, toute la compagnie stoppe aussi, bras ballants.

- Mais qu'allez vous me faire maintenant ? S'exclame t-elle peuplée d'angoisse.
- Ben, on sait pas madame, c'est vous qui rêvez !

mercredi 19 octobre 2016

Minsky - Ce matin trois cheveux blancs

Foutu pour foutu...

- Oh non, non, non! C'était donc vrai?! s'exclame-t-il, désespéré, la tête entre les mains.
Il arrache le cheveux d'un coup sec et rageur, puis le regarde tomber sur le carrelage brillant.
Il observe attentivement ce fil blanc à l'air accusateur.
- Oh ça va! Tu n'es qu'un cheveu blanc! Que vas-tu faire maintenant? Des cheveux, j'en ai plein...

- Il y a si longtemps que je n'avais pas été heureux à ce point, murmure-t-il dans un sourire à la femme dans ses bras, avant de s'endormir.
Au petit matin, après avoir déployé des trésors d'ingéniosité pour ne pas réveiller la jeune femme, il pose sur son reflet dans le miroir de l'ascenseur, un regard d'homme satisfait de toujours parvenir à prendre sans jamais rien donner.
- Oh non, non, non! Ce n'est pas vrai!
Il s'approche du miroir et colle son nez sur la surface froide en louchant sur le haut de son crâne où apparaît un superbe cheveu blanc.
Il l'arrache lui aussi et le laisse flotter dans les airs en sortant dans la rue inondée sous la lumière du petit jour.

- Sors-moi de cette galère et je te promets que la moitié de cet argent est à toi.
Le jeune homme qui lui fait face le regarde avec des étoiles plein les yeux. Quelque chose de bien lui arrive enfin. Ça va être très difficile de régler le problème dont l'homme parle, mais avec la promesse d'une somme pareille, il se sent pousser des ailes.
Il voit son futur sauveur se frotter la tête avec vigueur et s'arracher un cheveu qui est aussi blanc qu'il devient blême.
- Et merde! s'écrie l'homme en fixant le cheveu posé sur la paume de sa main.
- Demain, même heure, même endroit, dit-il sèchement au gamin avant de partir précipitamment.

- Cette photo va être une merveille! Recule encore un peu, que la nature et toi ne fassiez qu'un.
La femme fait quelques pas en arrière, docilement, puis vacille en sentant son pied à moitié dans le vide.
Son regard s'emplit d'effroi au moment de basculer dans l'immensité du rien, sous le regard parfaitement serein de son compagnon.
Bizarrement, au moment de chuter et de disparaître, ce n'est ni un cri de terreur qu'elle pousse, ni même un appel à l'aide.
- Tes cheveux, tes cheveux...
Puis elle tombe dans l'oubli du néant.
L'homme se précipite vers la voiture et dirige fébrilement le rétroviseur face à lui.
Lorsqu'il croise son regard dans la glace, il y voit une lueur à peine étonnée.
Tous ses cheveux sont désormais blancs.
Il hausse le épaules.
- Trois mensonges pour toute une vie? Qui peut réussir ça? D'accord, je n'ai que 27 ans, mais foutu pour foutu, au moins, maintenant, je vais pouvoir mentir sans compter.

Fleur de Bruyère - Ce matin trois cheveux blancs

Janice au miroir

Ce n'était pas vraiment trois cheveux blancs qu'elle s'était découverts dans le miroir ce matin...
Ce stade, elle l'avait déjà dépassé.

Elle se regarda longuement. Tout comme une jeune fille, là-bas, au pays, se regardait aussi dans le miroir, se demandant anxieusement si elle pouvait plaire.

Toutes deux se posaient la même question. A mille kilomètres de distance.
Et pour le même enjeu.
Pourraient-elles lui plaire ?

Janice dans le fond, se préoccupait peu de plaire. Ou non. Comment savoir? Qu'est-ce qui fait qu'on plaît ou ne plaît pas? En tout cas, elle avait le bon âge. Presque trente ans. La situation. Une bonne situation. Le dynamisme. La petite Volkswagen blanche. Comme sa chevelure. L'humour à froid. Un certain "je m'en foutisme". Et elle était sportive. Elle avait de l'appétit. Même maigre, même anguleuse, même "laide" au sens commun du terme – ou de la mode, bref, de l'apparence. L'appétit de vivre. Donc. De séduire. Et elle y arrivait. C'était l'un ou l'autre: elle repoussait ou elle séduisait. Jamais de demi-mesures. Cette fois, elle y arriverait encore.

Alors, trois cheveux jouaient-ils leur partie dans ce concerto? Qu'importait? Dans quelques heures, Son amie-collègue et elle partiraient à bord du catamaran, en équipe, pour filer sur la mer. La Loire-Inférieure brillerait de tous ses feux, mer et campagne brûlantes sous l'été, et les gouttes d'eau de mer iriseraient sa chevelure filetée de blanc, à la coupe nette et courte.

Et cette nuit, cette nuit... Et les autres nuits. Elles auraient le lit, l'amour, le couple, les membres enlacés, tout. Et même l'alliance, un jour lointain.

***
Plus loin, beaucoup plus loin, la jeune fille aux longs cheveux châtains, à la féminité hésitante, perdait son premier amour, son amour de jeunesse, son rêve irréalisable. Dix-huit ans dans un mois. Et l'étoile qui brille toujours au firmament. Bien sûr, ce n'était qu'un premier amour. Qu'un amour de jeunesse, qu'un rêve irréalisable. Des tonnes de pages écrites et jamais révélées. Des portraits, des poèmes, des rêves à en pleurer. Alors quoi ?

La morale de cette histoire, c'est que trois cheveux blancs ne sont pas un obstacle à l'essentiel, quand on a près de trente ans.

C'est-à-dire le bon âge. Au bon moment. Au bon endroit.

Bref, la vie devant soi.