vendredi 31 mars 2017

Stouf - Lécrivain voyageur

L'histoire du marin breton,
en voyage lointain au sud de Marseille 27 mille ans après.

Oups là, ça tangue, ça ballotte, ça swingue … bon allez, ça roule !
Franchement, on peut pas dire que la Méditerranée est pire que la Manche mais je préfère la piscine. Dommage pour un plongeur à bouteilles (d'oxygène, pas de Chouchen biensure ) comme moi. Là, faut que je vais chercher des traces de gens du genre paléozarbilitique disparus parce que d'après une très très très vieille légende y ' avait des pingouins à Marseille dans l'temps et c'est un vieil ivrogne qui me l'a raconté sur le port.

Mon ami Popeye le capitaine du rafio s’écrit alors :
- Azimut 25 ° sud, vas y gamin, plonge on y est.
- Comment ça, dans l'eau salée où y a des poissons qui chient dedans ?
- Biensure, c'est toi le chercheur scientifique. Tu vas faire des recherches scientifiques et pis c'est tout, au boulot fainéant !
- Oui chef, bien chef !

Du coup je suis obligé de plonger puisque c'est mon destin.
Aïeuu … je me suis fracasser les fesses sur les rochers ( c'est mon ostéo qui va être contente de me prendre ses 75 euros ). j' me lève et j'ai de la flotte jusqu'aux mollets, popey semble perplexe et moi je me frotte l'arrière train.
Pensant qu'après tout Popeye est un con je décide d'utiliser mon bon vieu gros GSM afin d'appeler ma pote Yoyo ( Yollande ), chercheuse au CNRS et accessoirement mon amante qui vit de temps en temps avec moi dans le phare de la jument à Ouessant.
- Zyva Yoyo, CQ DX … tu m' copies ?
- Grooos, arrêtes tes bêtises, c'est fini le temps de la CB et du GSM, là tu m'appelles avec le téléphone portable de chez Mac Intosh que je t'ais offert.
- Le quoi ? Bon, c'est pas cela la question. La supposée grotte sous marine datant du paléolithique Marseillais, bien avant que l'amante Maria Magdaléna du sieur Jésus Christ n'y posa une sandale, elle est où d'après les satellites russo-grecs israélo-chinois, j'm'en souviens plus ?
- Ben j'en sais rien, je suis physicienne et je fais dans la théorie quantique.
- Naaaan … tu m' l'avais jamais dit !
- Biensure que si mais tu t'endormais à chaque fois que j'essayais de te donner des bases du quantique des champs !
- Oooh excuse moi franchement, bon ben vazy, j' m'en grille une et tu peux me chanter un truc mais pas une berceuse parce que j'ai du boulot. Tout ce qui est à moi est tout ouïe .
- Ah tu changeras jamais, complètement bargeot le pauvre. Et dire que c'est pour cela que je t' aime ! Bon, j'ai une idée. Tu te souviens du môme Thomas à qui tu as appris à nager ?
- Oui … le petit Pesquet, quel boulet c'ui là il avait peur de tout, il en a bu des litres de flotte à force de couler.
- Ben aujourd'hui il est spationaute (ou cosmonaute, puisque les lanceurs de la fusée Soyouz russe le ravitaillent « unionement » en bouffe et touti quanti ) et peut être qu'il peut faire quelque-chose pour toi.

Quand la Yollande elle cause, vaut mieux s'escamoter et apprendre. Je m'attarde dans ma recherche et pense à maman qui m' attend avec un far gwinisdu dans le placard … ah nooon, quelle horreur.
Ben, tout à coup un rayon laser tout rouge sort de dessus les nuages et se plante dans un endroit précis de la mer, Une bande d' algues explose et un message écrit dans le ciel m'est adressé personnellement : « Tu vas voir, mon ami vieu machin quand je vais revenir sur terre, j'vais te mettre cent mètres à la nage ! »

La suite au prochain thème.


Loïc - L'écrivain voyageur

La mer ?

"La mer, vous dites ? comment vous dire ... je ne peux pas dire ... Je ne sais pas ce que c'est.
Je sais que je suis seul, perdu dans l'immensité, secoué par les vents et le froid, écartelé dans l'écume de creux, de trous, dans cette épuisante succession de coups de boutoir.

Chaque choc est devenu un supplice, chaque écueil un challenge. J'ai perdu, voici quelques heures, mon stylo, mon compagnon de voyage qui m'incite et m'oblige à continuer, à m'accrocher : Je vous l'ai promis, et je me le suis juré. J'ai un témoignage à vous, à me, fournir. Pas une promesse, encore moins un contrat, non. Un voeu sacré, un sacerdoce. Il ne me reste que mon crayon gris, seul contact avec votre monde habité.

Dès mon retour je vous remettrai mes écrits, promis.
Et je m'autoriserai à rejoindre ma maison, quittant le monde blanc du pays des hauteurs.
Finie alors l'évasion en montagne : Bonjour la mer, je vais me présenter à toi, et ... à nous deux !

Armel Le Cleac'h

Café Byblos - L' écrivain voyageur

RETOUR DE CAHOKIA

[…]

C’est ce soir-là, à l’intersection de la 10e Avenue et de la 12e Rue, devant une Honda CRV grise à l’arrêt, alors qu’au-dessus de ma tête batifolait une lumière turquoise dans les remous obscurs des nuages, c’est là et à ce moment que j’ai pris la décision de faire le chemin de Cahokia d’où je te ramènerai, Élise, ma sœur Anne, la décision d’entreprendre ce voyage que je ne sais encore comment je vous le raconterai, ni même si je saurai vous le raconter dans ce que véritablement il aura été. Ayant ce soir-là choisi de vivre encore longtemps, et dans le lent du temps, je voudrais maintenant, dans ce livre qu’un jour vous lirez sur un banc vermoulu à m’attendre sur le quai délabré de la gare à l’abandon devant laquelle ne passera plus, et depuis longtemps, aucun convoi à destination de Cipango, je voudrais tant vous avoir raconté que je l’ai fait, ce qu’il fallait faire, et que je les ai trouvés et les ramène avec moi, comme je le ferai avec Élise, pour qu’ils poursuivent jusqu’à vous leur errance, tous ceux de mes morts et quelques uns des vôtres qui ont échappé à la drave des frères Awashish et qui se sont échoués dans les eaux basses du chenal de l’est, à la hauteur de l’Île-des-Piles, sur le Saint-Maurice, en aval de Grand’Mère, bien avant et peu avant que ne se fût corrodé le temps.

J’aimerais tant aussi avoir réussi à vous révéler tous les secrets du monde et de l’Amérique à la manière de cette petite toile où le jaune et l’ocre dominent, je vous la montrerai si un jour vous venez chez moi, et sur laquelle papa disait avoir représenté son grand-père Alphée Allibert. Il avait peint en plan rapproché la galerie d’une cuisine d’été et les quelques marches qui y menaient, sans rien d’autre devant ni sur les côtés. Sur la galerie qui était de bois, il avait posé une chaise vide, une chaise de bois à fond de babiche, adossée à un mur de bois, un mur en clin de cèdre, non loin d’une porte qu’on pouvait supposer elle aussi être de bois. Il avait laissé sur le plancher de la galerie de bois, quelque part entre la chaise de bois et la porte de bois, une paire de vieilles bottines éculées au cuir ratatiné, l’une reposant sur sa semelle, l’autre sur son côté. C’est sur cette toile, l’année même où papa l’avait peinte, que je fis la connaissance de mon arrière-grand-père Alphée. Il somnolait, affirmait papa, prétendait le peintre, dans la cuisine d’été de cette maison campagnarde sur laquelle donnait la porte défraîchie qu’on devinait plus qu’on ne la voyait, suggérée qu’elle était par l’écru de la toile plus que représentée par les couleurs et les traits. C’est de cette porte, pour qui saurait voir, que ressortirait, pour qui saurait attendre, le vieil Alphée, les yeux encore lourds du sommeil de sa sieste. Il chausserait ses bottes et disparaîtrait de la toile comme il y serait venu pour aller, dans le monde des faits, soigner les bêtes à l’étable. C’est ainsi que Paul Allibert, notre père, peignait ce qu’il croyait être la vérité des personnes et m’apprenait à voir ce que l’œil seul ne pouvait distinguer.

Je voudrais tant, malgré l’épuisement dans lequel m’aura laissé un voyage aussi long que celui que j’aurai fait à Cahokia, être parvenu à vous faire voir, telle qu’elle voulait la découvrir, l’Amérique oubliée qu’Élise, ma sœur Anne, m’avait dit vouloir y trouver. J’aimerais tant, dans ce livre que vous lirez, peut-être même le lisez-vous? être parvenu à vous raconter tout cela à la façon dont me sont revenues, dans le confusion où j’étais ce jour-là de mon retour, des images disparues depuis longtemps et que je ne savais pas qu’elles étaient encore là à m’attendre derrière l’opacité des jours. Je voudrais avoir écrit que…

…sur les trottoirs de chaque côté de cette rue sur le bord de laquelle j’ai garé mon vélo à la fin de mon périple, je remarque que ne circulent que des vieilles personnes ou des obèses de tous âges au volant de tri et de quadriporteurs, quelques toxicomanes décharnés et des errants saurs et médicamentés, et que tous me semblent atteints d’agitation vaine.

[…]

jeudi 30 mars 2017

Arpenteur d'Etoiles - L'écrivain voyageur

Un texte de fantasy, dans un voyage étrange après la presque fin de l'humanité ...

Le Livre.

Voilà plusieurs mirlosques que nous avancions dans cette jungle épaisse et nauséabonde. Les gigantesques fulriliformes arabesqueuses ne cessaient de se mettre en travers de notre route et nous devions les abattre systématiquement, puis enterrer leurs tronçons visqueux afin que leurs esprits ne nous reconnaissent pas dans l’obscurité mauve.

Josépha II nous retardait un peu plus chaque jour. Son simiobabil accroché à sa double poitrine devenait de plus en plus lourd, mais personne ne pouvait se résigner à l’abandonner. C’était le seul souvenir qu’elle emportait de l’Envers et de son histoire d’amour passagère mais intense avec ce superbe simioniger mâle. Le petit était né dans la jungle des contrebas et avait bien failli se faire enlever par une harde de krischtalons affamés. Drôle de façon de commencer dans la vie, nom de Brotlan le Dru, qu’il m’entende !

Nous étions une trentaine, lancés dans cette aventure. J’avais pu fédérer des hommes, des simionigers, des burlus et des dithyramboïdes autour de cette idée : retrouver les derniers exemplaires d’auriculoptères gris encore vivants. J’avais eu pas mal de difficultés à convaincre mes compagnons de voyage, d’autant plus que je voulais garder secrète la vraie raison de notre quête. Seule Bastetha la fine, ma compagne et complice de toujours savait pourquoi nous risquions nos vies à longueur de mirlosques dans cette région de l’Avers si peu hospitalière.
- Le tirlusque va bientôt survenir, dis-je. Plantons les mâts et les orifeux alors qu’on y voit encore.

C’était en vérité le premier endroit un tant soit peu accueillant que nous rencontrions depuis le début de notre périple. Les ampourlées de cette dimension sont si rares dans l’Avers. Les dithyramboïdes, malgré leurs incessants bavardages étaient d’une efficacité remarquable et je me félicitais à chaque étape, de les avoir emmenés avec nous. Les campements étaient montés en vitesse et nous gagnions un temps de repos dont nous avions tous grand besoin. Mais avant l’obscurité mauve, il me fallait réunir les chefs de groupe pour établir nos plans futurs.

- Réunion dans l’orifeu central. Bastetha passa dans chacun des groupes pour informer les élites.
Nous étions quatre plus elle et les chantres de chaque élite, soit huit personnes, Bastetha remplissant également le rôle de chantre pour notre groupe d’hommes.

Gorouk, l’élite des burlus prit le premier la parole :
- Harpidesternen, il est temps que tu nous expliques ce que nous sommes venus faire dans cette tristejungle.Il me regardait de son unique œil-fanal jaune pâle.
- Il est temps, en effet surenchérit Onisoyt l’élite des dithyramboïdes, petit personnage verdâtre qui paraissait toujours embarrassé de sa paire d’élytres et des ses quatre bras digiformes.
- Hummpfff, conclut Pi environné par les vapeurs du chalumeau qu’il ne lâchait jamais. Sa masse imposante remplissait à elle seule la moitié de l’orifeu. Il parlait peu, les trois quarts du temps par onomatopée et fumait une espèce d’herbe parfumée à la réglisse parfaitement écœurante. En le voyant je me demandais toujours comment Josépha II avait fait pour s’amouracher d’un simioniger si beau fut-il. Seul leur force démentielle les sauvait à mes yeux.
- Vous le savez bien, mes amis. Nous devons retrouver les traces d’auriculoptères encore vivants, c’est tout.

Onysoit gloussa nerveusement. Il replia ses quatre bras sous ses élytres et adopta une attitude d’attente un brin narquoise.
- Tu nous prends vraiment pour des clamobus tonna Gorouk en tapant le sol avec sa griffe gauche. Tu te fous pas mal des auriculomachintères et tu nous caches les vraies raison de cette expédition. Son œil-fanal virait à l’orange et tournait sur lui même, ce qui n’était pas bon signe.

J’échangeais un rapide regard avec Bastetha :
- Puisque vous semblez y tenir, je vais vous révéler la réalité de notre mission.
- Ah, hummpfff, moui … obtins-je en réponse.

C’est alors que le phénomène se produisit. Un bruit énorme descendant du sommet des fulriliformes nous tétanisa. Puis un cri strident retentit tout juste au bord de l’orifeu. Le sol trembla violemment renversant notre table de parlance et l’animal pénétra dans l’enceinte.

L’auriculoptère nous dévisagea les uns après les autres. Sa trompe nous flaira avec circonspection se rétractant devant le chalumeau de Pi, puis s’attardant sur les formes parfaites de Bastetha. Ses immenses oreilles garnies de fourrure grise vinrent se ranger élégamment le long de son corps démesuré. Même le simioniger semblait petit devant une telle majesté. Enfin, il parla :
- Harpidesternen, tu es venu me voir. Je suis là. Mais je sais ce que tu es venu chercher.

Un murmure parcourut l’assistance, la totalité de l’équipe nous ayant rejoint autour de l’orifeu.
- Tu es venu chercher ma mémoire et donc, celle de ton peuple. Tu tends à reconstituer l’histoire des hommes depuis le grand éclair. Tu as raison en cela que c’est nous qui détenons les secrets de vos existences. Notre race est une des rares de celles alors présentes sur le continent primordial qui a résisté à votre folie. Notre masse, notre expérience et surtout, notre jardin secret que vous aviez baptisé le « cimetière des éléphants » mais que vous n’avez jamais découvert nous ont aidé à survivre. Là-bas, nous avons su nous retirer pour nous protéger. Nous nous sommes transmis, de générations en générations Le Récit. En même temps, nous avons pu développer de nouveaux modes de locomotion. Les bouleversements chimiques que vous aviez provoqués nous ont permis de muter doucement. Aujourd’hui, nous utilisons nos oreilles gigantesques pour voler, comme vous avez pu vous en rendre compte. Nous pensions couler des jours éternels et sereins jusqu’à ce que quelques-uns d’entre vous qui avaient réussi à subsister, remettent votre folie en marche. Notre biotope s’est à nouveau réduit et te voilà ici pour nous voler encore nos secrets. Tu vois, cela je ne peux l’accepter.

L’auriculoptère se dressa et lança un barrissement formidable. Une dizaine de ses congénères planèrent gracieusement jusqu’à nous.
- Tu vois, nous pouvons très facilement vous éliminer en quelques coups de trompes, mais nous ne le ferons pas. Nous vous laisserons la vie sauve pour que tu ailles expliquer aux élites humaines, puisque c’est ainsi que vous nommez vos chefs, que votre seule chance d’exister est de trouver la voie de la sagesse et de nous oublier. Je t’ai apporté le seul livre qui reste de vos anciens mondes. J’ignore comment il nous est parvenu. Je ne sais pas lire et ne sais pas de quoi il s’agit exactement, mais c’est le seul lien que vous avez désormais avec vos lointains ancêtres. Prends-le et disparais après nous avoir fait le serment de ne jamais revenir.

Tous nous avons juré, en posant la main sur le Livre.

Aujourd’hui des milliers de mirlosques sont passés depuis cette histoire. Je vais bientôt disparaître et j’ai consigné ce récit sur un parchemin, roulé puis enterré dans la terre grasse du pays de l’Envers. Notre expédition a fait grand bruit et m’a permis de devenir le grand-élite. Je contemple Le Livre posé devant moi. J’ai juste réussi à déchiffrer la première page de ce précieux document sur lequel nous avons juré de garder le secret de l’auriculoptère. Je suis sur maintenant qu’il s’agit d’un livre de prière à Brotlan le Dru, qu’il m’entende.

Bastetha est là qui me tient la main.
Je revois l’ombre du grand éléphant.

Bricabrac - L'écrivain voyageur

Lupins, loup, lupus

Aimé de Courrière grandit à Veyrier-du-Lac, dans la maison familiale entourée d’un grand jardin planté d’arbres dans lesquels on pouvait grimper, et orné de massifs de lupins et de delphiniums. Enfant, il faisait du cyclorameur dans les allées, pilant lorsqu’une colonne de fourmis traversait le chemin, occupée à transporter des brindilles jusqu’à la fourmilière, comme un château de sable à l’envers. La pelouse descendait en pente douce jusqu’au lac, au bord duquel il installa plus tard, cachée dans la roselière, une balance à écrevisses. Dès qu’il fut assez grand pour en avoir le droit, il poussa une barque dans l’eau, se griffant aux feuilles de la laîche qui colonisait les berges. Ramant entre les roseaux et les iris des marais, il s’éloignait du rivage et laissait traîner une ligne pour pêcher des ombles chevaliers. Il y avait aussi un ponton, auquel il amarrait aux beaux jours un petit dériveur à la voile bleu ciel, avec lequel, guettant les risées, il traversait le lac jusqu’à Beau Rivage ou s’aventurait jusqu’au Bout du Lac, tirant des bords pour revenir le soir venu. Le monde lui semblait vaste, quasiment illimité, habité d’une infinité de bestioles et de plantes dont il collectionnait les noms comme des timbres rares.

Le monde était aussi peuplé d’amis, garçons et filles, qui tout au long de son enfance ne cessèrent de franchir l’imposant portail en ferronnerie et d’aller et venir dans la maison et le parc. On joua beaucoup, au fil des saisons et des âges, aux petits chevaux, à la bataille, à cache-cache, à courir dans les escaliers, à se déguiser avec les habits trouvés dans les malles du grenier, à colin-maillard, aux gendarmes et aux voleurs et à chat perché, on fit d’interminables parties de balle au prisonnier, de croquet, de foot et de badminton. Quand il eut atteint seize ans, il arriva qu’une jeune fille vînt de plus en plus souvent. Ils s’enfermaient alors dans sa chambre l’après-midi pour faire leurs devoirs, préparer un exposé, rire et bavarder, feuilleter une encyclopédie, une anthologie de poésie ou un atlas, qui les guidait doucement vers des rêves de voyages lointains. D’autres jours, se tenant par la main, ils partaient pour une longue promenade ou une baignade dans les eaux froides du lac. Aux splendeurs du monde, dont les livres reculaient les limites, était venu s’ajouter l’amour.

C’est au cours des vacances qui suivirent l’obtention de son baccalauréat, et alors qu’il hésitait encore entre les lettres classiques et l’étude de la géographie ou des sciences naturelles, que la maladie se manifesta et recouvrit peu à peu d’un nuage sombre le jardin, le lac, et jusqu’à l’été éblouissant. Un matin arriva, où, la peau irritée, il remarqua dans la glace, de part et d’autre de son nez, une éruption d’un rouge violacé, qui, les jours suivants, galopa vers ses joues, prenant la forme d’ailes de papillon ou de chauve-souris, puis, ne cessant de s’étendre, dessina autour de ses yeux comme un loup de carnaval, de plus en plus œdémateux et squameux. Le médecin de famille hocha la tête, grogna, et donna l’adresse d’un confrère de Genève, chez qui un rendez-vous fut pris pour le premier jour de l’automne. Le spécialiste eut moins de réticence à énoncer le diagnostic : le jeune Aimé était atteint d’un lupus fulgurant, qui allait le défigurer à jamais, entraînant des complications neurologiques lourdes et des problèmes moteurs handicapants. La progression du mal, qui se développait par poussées entrecoupées de périodes de rémission, pouvait être ralentie par des cautérisations douloureuses. On rapportait certains cas cliniques d’évolution vers la démence au bout de plusieurs années.

Il plut beaucoup cet automne. Les parterres de fleurs étaient ravagés, les fruits du verger pourrirent au sol, une raquette traîna longtemps dans l’herbe qui finit par l’engloutir, et sa bicyclette resta appuyée contre un massif de buis jusqu’à ce qu’une rafale de vent la fît tomber dans l’allée, où elle demeura inerte. Car après cette consultation, Aimé, malgré l’extrême sollicitude de ses parents et l’amour dont ils l’entourèrent sa vie durant, ne quitta plus sa chambre, où sa mère se résigna à lui porter ses repas. Il refusa tout autre contact et n’y reçut plus personne, excepté les infirmières qui venaient chaque jour pour les soins lorsqu’il avait ses poussées et le vieux médecin de famille, qui poursuivait sans conviction ses visites. Il avait abandonné tout projet d’études universitaires. S’étant rappelé la découverte d’un vieil album au grenier, un jour heureux de son enfance, il monta le chercher et entreprit d’étudier et classer les timbres qu’il renfermait. Avec le temps, il fit venir des catalogues et des livres, se documentant abondamment sur toute sorte de sujets, comme en témoigne la dispersion récente de sa bibliothèque, qui se déroula sur deux jours à l’Hôtel Drouot et attira de nombreux amateurs et curieux. Il s’abonna à des revues, se mit à correspondre avec des philatélistes du monde entier, et se spécialisa dans les timbres des pays les plus lointains et exotiques de la planète. A vingt ans, il faisait autorité, au point qu’on lui adressait pour expertise, dans des mallettes à combinaison chiffrée, des planches de timbres précieux multicolores, représentant des paysages exubérants de lacs, de forêts et de jungles, ainsi que la faune fantastique et la flore extravagante qui y prolifèrent, loin de la civilisation.

Les premiers écrits que l’on connaisse d’Aimé de Courrière sont les notices qu’il prit l’habitude de rédiger, soit pour formuler ses estimations, soit pour décrire les spécimens de sa collection qu’il proposait à l’échange. Elles viennent d’être regroupées et publiées sous le titre de « Timbresques », selon le néologisme dont il usa par dérision dans un courrier adressé à un philatéliste brésilien. On y trouve déjà ce qui deviendra la matière et la manière de ses œuvres majeures, où le timbre rare devient le prétexte à une poésie aventureuse du voyage. Encore ce dernier est-il raconté comme une exploration naturaliste de l’âme, et celle-ci considérée, à contrepied du dualisme, comme un entrelac de fleuves remontés jusqu’à leur source, ruisseaux de sève et canaux lymphatiques, neurones, nervures et synapses, une géographie, un cabinet de curiosités.

Il semble que ce soit après une poussée particulièrement sévère, qui le laissa affaibli, tout juste capable de traverser sa chambre, appuyé sur une canne de jonc, qu’Aimé de Courrière s’attela à la rédaction de ses grands romans, qu’il appelait traités. Dès sa parution, Tanganiyka, premier opus du cycle des Grands Lacs, le fit remarquer. La consécration vint avec la publication de Nicaragua, puis vinrent successivement, chaque été, Titicaca, Lagoa dos Patos, Volta, Turkana, Maracaibo, et Victoria. Parallèlement, il composa un petit précis de navigation à la voile, ainsi qu’un guide de la flore lacustre, et surtout entama l’écriture de l’immense essai dont le titre, peut-être provisoire, est L’Amour, et dont l’ambition était de faire la somme de toutes les connaissances érudites, voyages périlleux et itinéraires physiologiques de l’amour, dans chacun des règnes de la nature, de l’art et de l’imaginaire.

Lorsque son éditeur, qui avouait ne l’avoir jamais rencontré, annonça qu’Aimé de Courrière, que personne ne pouvait se vanter d’avoir vu, pas plus à Paris ou Annecy qu’au bout du monde, avait accepté pour la première fois l’invitation du salon annuel des écrivains voyageurs, la nouvelle eut un retentissement considérable dans le monde des lettres. Mais il mourut dans la semaine qui précéda, à quelques jours de son trentième anniversaire, d’une congestion cérébrale consécutive à un accès de démence, laissant, outre une œuvre profuse et encore trop mal connue, L’Amour inachevé.

mercredi 29 mars 2017

Marité - L'écrivain voyageur

Une étoile pour royaume.

Tous les soirs il regardait les étoiles. Il riait en les regardant. Mais son rire était devenu triste. Chaque jour il attendait une lettre d'Afrique. La lettre d'un voyageur lui annonçant que le petit bonhomme était revenu sur terre. Il pensait sans cesse à lui. Il pensait au mouton dans sa caisse qu'il avait dessiné pour lui faire plaisir. Mais il était de plus en plus soucieux. Il avait oublié la courroie en cuir servant à attacher la muselière à l'animal. "Le Petit Prince doit être tellement malheureux si le mouton a mangé sa fleur se disait-il. Et moi, je suis son ami. A quoi sert un ami s'il n'est pas tout près quand on a besoin de lui ? "

Un jour, n'y tenant plus, il monta dans son avion et partit pour le désert d'Afrique. Il chercha le mur en ruine et à la nuit tombée il s'assit. Il ne patienta pas longtemps. Le serpent jaune se glissa bientôt à ses pieds et le regarda ironiquement. "Te voilà enfin ! Je t'attendais. Toi aussi, tu as besoin de moi. Pourtant je ne suis pas ton ami. Je ne suis l'ami de personne. Je sais cependant ce que tu veux de moi et je vais te faire ce cadeau."

"Un cadeau empoisonné pensa l'aviateur amèrement mais il a raison. Il faut qu'il m'aide comme il a aidé mon petit bonhomme pour qu'enfin je le retrouve."

Il sentit à peine la piqûre. Comme dans son avion, son corps n'eut alors plus d'importance. Seul, son cœur le guidait. Il volait encore plus haut, toujours plus haut dans le ciel plein d'étoiles.

Quand il arriva au royaume du Petit Prince, sur l'étoile la plus brillante, celle où était accrochée une écharpe d'or, il aperçut immédiatement l'enfant. Il était assis devant la caisse de son mouton et parlait à la rose. L'aviateur fut soulagé. Le mouton avait épargné la fleur. Le Petit Prince l'assurait de son amour, de sa protection et elle, la coquette, ne cessait de le tourmenter. Elle avait chaud. Elle avait froid. Et le Petit Prince courait de l'arrosoir au globe en verre mais ça lui était égal. Il savait que sa fleur l'aimait parce qu'il l'avait apprivoisée. Et puis elle sentait tellement bon rien que pour lui.

Il s'approcha sur la pointe des pieds. Le Petit Prince se retourna, éclata de son si joli rire et lui dit : "tu en as mis du temps ! Je savais que tu me rejoindrais un jour. Tu verras : on est très heureux ici.
Tu t'occuperas du mouton pendant que je soignerai ma rose."

Antoine de Saint Exupéry n'est jamais revenu de son grand voyage. Il admire les couchers de soleil au côté de son drôle de petit bonhomme dans une étoile invisible pour les yeux mais que l'on voit avec le cœur.

AOC - L'écrivain voyageur

Voyage d’un écrit… vain ?

Je viens d’un pays où je ne sais que trop par quelle magie l’horizon ne cesse de rétrécir. Il n’a jamais été très vaste mais il m’a vu naître, grandir, rêver, étudier, pleurer, espérer, travailler, aimer et le quitter m’a été un déchirement mais avais-je le choix ?

La route est longue comme un jour sans pain mais j’ai l’habitude et je suis courageux.

Comme tous les voyages, le mien est coloré de bien des merveilles et tout autant d’obstacles. Je garderai au fond de moi la faim et la joie des consolations ténues, la douleur et le plaisir d’une main tendue, l’amertume et l’espoir qu’offre une étape enfin franchie, la peur et le soulagement de rencontrer un sourire, le dégoût de le voir se transformer en rictus d’ironie haineuse et la certitude de rester un homme bien… Jusqu’à quand ?

Jusqu’à quand resterai-je un homme debout avec des jambes pour avancer, des bras pour travailler, une tête pour penser mon humanité et au milieu de tout ça un cœur pour animer la lumière de mes yeux ? Jusqu’à quand et jusqu’où ? Chaque jour je rencontre des enfants sans sourire, des femmes au ventre creusé de peur, des hommes comme moi et d’autres dont la violence n’a d’égal que la haine. Chaque nuit j’ai peur de l’atrocité du lendemain.

Là-bas, le poids du plomb ne venait pas que du soleil.
Ici, il ne vient pas que des regards.
Je n’ai pas encore fait le tour de mon espoir, j’espère simplement que mon courage est aussi grand.

Jérôme - L'écrivain voyageur

Un aller-retour aux carpes du jardin

Mais qu’est-ce qui m’a pris de promettre de réciter un haïku fait maison à la prochaine soirée des voisins ? Bien sûr, l’envie de montrer ce que je sais faire, et sans doute de les épater un peu. Tout le monde n’a pas un voisin qui poétise, et encore moins qui haïkuïse. C’est vrai aussi que la prochaine soirée des voisins n’était alors qu’une date lointaine dans un avenir imprécis – d’ici là n’importe quoi pouvait arriver : je pouvais même rêver écrire un haïku, voire un plein recueil éclipsant Bashô. Mais – comme le temps passe ! – voilà qu’aujourd’hui, c’est ce soir, la soirée des voisins et je n’ai rien écrit.

Alors, depuis ce matin, je compte cinq-sept-cinq sur mes doigts en noircissant du papier. Bien sûr, de nos jours, on trouve ce qu’on veut en un instant, même sur la poésie japonaise : des historiques, des recueils contemporains et même des kits-ressources ! Tout, sauf l’inspiration… je ne sais toujours pas quoi faire de ces dix-sept syllabes ! Pourtant, je sens qu’il ne me manque qu’un rien pour y arriver : peut-être juste un vol de hérons striant le ciel, un coassement entre les roseaux ou la vision d’une carpe sous un nénuphar… Je ne demande tout de même pas l’ombre du Fuji-Yama ! De toute façon, il n’y a ni héron, ni carpe ni roseau dans mon appartement. Peut-être qu’au jardin d’acclimatation ? Un coup d’œil à l’horloge : vite, si je me dépêche j’ai juste le temps.

Je passe la porte, dévale l'escalier, me glisse dans la rue. Un bond me hisse sur l’autobus de la ligne S. Las, camionnettes de livraison, travaux publics, déménagements, sorties d’école, tout se ligue pour entraver la marche de la lourde machine qui piétine en ronflant dans les rues étroites. Je gagne l’avant du véhicule pour demander au chauffeur à quelle heure il escompte arriver. Laconique, il se borne à pointer du pouce le cartel derrière lui :

Il est interdit
de parler au conducteur
de cet autobus.

Aux grands maux les grands remèdes : je descends à l’arrêt suivant. En courant, je peux encore arriver à temps pour voir nager les carpes sous l’arche du pont japonais, peut-être assister au repas des tortues, où, à défaut, écouter le vent dans la bambouseraie. Et en rapporter un haïku. Mais j’ai à peine le temps de presser le pas qu’un agent siffle-à-roulette et me montre le panneau d’émail bleu et blanc qui stipule :

Défense de courir
(loi d’avril quatre-vingt-huit)
sous peine de poursuite.

Je vous passe la suite de ma pérégrination à travers rues. Quand je suis arrivé devant la porte – close – du jardin, un petit panonceau pendu à une ficelle disait à qui veut bien lire :

Fermé pour travaux
Le jardin zoologique
rouvrira en mai.

Que faire ? Escalader la grille en évitant les gardiens ? Tant pis, je renonce. Il faut croire que le climat d’ici ne convient pas aux haïkus. Où bien est-ce moi qui ne sais pas les dénicher ? Ce qui est sûr, c’est que – bredouille comme Gribouille – ça n’est pas ce soir que j’épaterais mes voisins.

Où lire Jérôme

Vegas sur sarthe - L'écrivain voyageur

Gra-gra

A la proue de la barque le cormoran poussa un cri guttural, ce “gra-gra” glougloutant si difficile à traduire dans un récit.
Sur la rivière boueuse quelques troncs d'arbres morts semblaient ouvrir les yeux à leur passage.
Théophile sourit intérieurement... ce cri de cormoran le soir au-dessus des jonques lui rappelait tout à coup le film d'Audiart qu'il avait vu étant étudiant en lettres classiques.
Serrault, Blier, Carmet, Meurisse, tout ça était si loin aujourd'hui.
Toujours à la proue le cormoran délesté d'une de ses grandes plumes faisait la gueule, dardant un oeil rouge sur cet étrange scribouillard.
“Vous ne devriez pas faire ça” marmonna le rameur tout en manoeuvrant à l'entrée d'un marigot.
Marigot: le mot était singulier et devrait plaire à son éditeur féru d'exotisme.
Théophile plongea la plume dans l'encrier qu'il avait improvisé: une petite calebasse où dansait un fond d'encre de noix de galle et de bave de crapaud-buffle.
Il avait connu une Marie Gault quand il était étudiant en lettres classiques... dans une autre vie.
“De l'authenticité! De l'au then ti ci té! “ avait aboyé son éditeur en lui jetant le guide du routard à la figure.

Droit devant eux un tronc d'arbre mort baillait à s'en décrocher une mâchoire en dents de scie.
“Chaque marigot a son crocodile” déclama le rameur désabusé.
Comme Théophile s'empressait de noter cet authentique trait d'esprit, il y eut un choc à tribord qui renversa le précieux encrier.
“Merde!” aboya l'écrivain privé de son carburant “tu pourrais faire attention. D'où tiens-tu ton permis?”
A la proue, le cormoran ricanait trop fort aussi le rameur le chassa t-il d'un bon coup de perche en rétorquant: “J'ai eu mon permis chez Hubert”
Théophile soupira. L'Hubérisation des services de pirogues allait faire de l'ombre à ceux qui comme lui exerçaient le dur métier d'auteur-découvreur.
Dans son carnet de voyages l'encre de noix de galle renversée avait dessiné une carte aux contours vaguement africains; il y vit un mauvais présage.
Il lui fallait urgemment rencontrer ce sorcier, ce marabout dont on lui avait vanté les dons.

“On arrive” dit le rameur en redoublant d'effort tandis qu'un tempo lancinant de tambours se faisait entendre derrière un dense rideau de végétation.
Théophile tendit l'oreille :“Du Youssou N'dour” dit-il “non... du Julie Piétri”
Eve lève-toi et danse avec la vie... L´écho de ta voix est venu jusqu´à moi... c'était bien loin tout ça.
Il s'ébroua et sauta gauchement sur un sol grouillant, une sorte de moquette vivante et spongieuse, le coeur palpitant de l'Afrique sauvage.
Le rameur lui tendit la perche: “Marche sur une fourmi et mille autres t'attaqueront”
Théophile s'écarta pour sortir son Montblanc et consigner l'adage sur une page épargnée par l'incident; il sourit à l'idée cocasse d'un Montblanc dégainé au coeur de l'Afrique noire...
Son éditeur ne devait pas savoir, il recopierait tout à son retour.

“Je te dois combien, rameur?” demanda Théophile en fouillant ses poches.
“Voyons, voyageur... trois cent coups de perche – je ne vous compte pas celui pour le cormoran – et cinq adages traditionnels, ça fait vingt euros” annonça le rameur.
“En voici dix” répondit Théophile, rompu à la négociation.
Le rameur s'éloignait déjà en chantonnant.
“Du Youssou N'dour” se dit Théophile puis il tendit l'oreille “non... du Jean Sablon”.
Vous qui passez sans me voir... c'était bien loin tout ça.

On avait dû les prévenir de son arrivée car la porte de la case marquée “Arrivée” s'ouvrit devant lui sur un spectacle d'apocalypse.
Théophile hésitait... devait-on dire maraboute pour une femme marabout ou plus simplement sorcière?
Par quel sortilège avait-elle deviné sa question ? “Appelle-moi Sévigné... Huguette de Sévigné” tonna la grosse femme en éclatant d'un rire gras qui laissait entrevoir les touches noires d'un râtelier incomplet.
Elle lui rappelait Madame Conchon alias Miss Piggy – la directrice d'Etudes de la fac – dont l'embonpoint et la poitrine opulente occupaient largement la chaire dont elle était titulaire.
En guise de chaire la maraboute ne possédait qu'un fauteuil taillé dans la masse d'un baobab par quelque artiste local et qui représentait grossièrement le grand vizir Kara Mustapha juste avant sa décapitation par le sultan Mehmed IV sous les murs de Ouagadougou.

“Mets-toi à l'aise mon poulet” susurra Huguette entre ses rares dents blanches.
Théophile sentit qu'il tenait là son sujet...

mardi 28 mars 2017

Andiamo - L'écrivain voyageur

L'écrivain voyageur ...

Quel pari stupide ! Avant hier avec quelques copains dans une brasserie de la gare de Lyon, après moult bières toutes plus costauds les unes que les autres, j'ai tenu le pari d'écrire un roman entier entre Paris et Marseille, et ce en TGV !

Trois heures pour relever un défi, si au moins il se trouvait un connard pour flanquer un fer à béton sur une caténaire, je gagnerais quelques bonnes heures, mais non pas de risque, les drones surveillent la ligne.

Ou encore une désespérée se balancerait sur la motrice pile au moment où elle passe, mais non, il fait beau, Hollande ne sera plus président dans quelques semaines, tutti va bene.

Tiens une grève inopinée de la S.N.C.F, ça arrive, ils se foutent en "pause" pour un non, ou pour un non, ce serait chouette ... Mais ne rêvons pas, ce ne sont pas les vacances, moins d'affluence... Moins d'impact !

D'abord quoi écrire ? "ILS" m'ont imposé un thème : "l'écrivain voyageur" quelle connerie, parole ils se masturbent le cerveau, un titre pareil ça ne fera pas un rond ! "Mort d'un commis voyageur" ça avait de la gueule, "Le voyageur imprudent" voilà un titre ! L'écrivain voyageur... pourquoi pas le pigeon voyageur ? Biscotte le pigeon c'est ma pomme, nom de Zeus !

Laura Vanel-Coytte - L'écrivain voyageur

"Paysages d'écrivains voyageurs"

J'ai beaucoup voyagé avec un écrivain avec lequel j'ai vécu deux ans: Baudelaire.
Sa famille l'avait envoyé vers Calcutta et nous embarquâmes sur un paquebot.
"L'albatros" décrit les jeux de l'équipage pendant "Le voyage" qui lui apparaît "amer."
A cause d'avaries, nous débarquâmes à l'Ile Maurice, "Un hémisphère dans une chevelure
Dit les "les longues heures passées sur un divan dans la chambre d’un beau navire […] »
Le beau paysage de Maurice est la terre luxuriante du "Parfum exotique." Il renonce
A poursuivre notre voyage vers les Indes, dans cet infâme "fauteuil immobile."
A l'île Bourbon adresse au riche planteur qui fut son hôte, "A une dame créole,"
Inspiré par sa femme, poème galant imprégné d'un exotisme qui fera école.
Quand nous serons revenus dans ce Paris dont il peignit de si grands "tableaux"
Et dont sa famille voulait l'éloigner de l'influence délétère, ce voyage sera
Son "Ailleurs" désirable face à l'"Ici" infernal des paysages spleenétiques.

J'avais à l'époque un amant qui se prénommait Gérard de Nerval avec lequel
Je pris d'autres chemins dans la capitale. Il était né dans le quartier St Martin
Et nous partîmes souvent de là vers l'Est dans le Valois et la Picardie.
Ces "Promenades" dans le pays de Rousseau étaient encore de vraies aventures.
Avec lui, je me sentais "filles de feu" qui hantaient Chaalis et Ermenonville
Où nous nous recueillîmes sur l'île aux Peupliers ; il voulait voir les terres
Où sa mère lui avait été retiré; la Silésie impliquait d'aller plus loin vers l'Orient.
Il me fit visiter ses "petits châteaux de Bohème" avant de m'embarquer
Pour notre Grand Tour en passant par la Suisse où le lac de Constance
Fut le théâtre de nos amours enfin au grand jour : je ne me consacrais plus qu'à lui
Lorsque nous traversâmes l'Allemagne ; à Vienne, j'eus une méchante rivale
Mais je lui suivis tout de même dans ce qui était encore Constantinople
Et le Caire où il berça nos "Mille et une nuits" par ces récits du "Ramazan"
Où le grand architecte "Adonisa" nous mena vers les sciences occultes

Tisseuse - L'écrivain voyageur

Nous sommes les gens d’air
Voyageurs planétaires
Passent les rêveurs
En quête de lueur

Nous inspirons l’écrit vain
Celui qui transpire
De nos mondes éteints
Et de nos absences à dire

De nos noyaux à spire
Et à crachin
De nos drôles de vire
Et volte en chagrin

Nous suivons sans outrance
La moindre turbulence
Qui nous emmènent loin
Des creux et des chafouins

En nous douce folie
Voler c’est inouï
Pour traverser la vie
Et planer à l’infini

lundi 27 mars 2017

Chri - L'écrivain voyageur

Comme la plupart de tous les autres matins, sauf le samedi, il se levait relativement tôt. Dehors, le jour était à peine présent, les rues commençaient à s’animer, les premiers livreurs ouvraient déjà leurs portes arrière. Il filait dans la cuisine après un passage éclair aux toilettes. À l’âge qu’il avait, il s’était déjà levé deux trois fois dans la nuit… Il irait prendre une douche et se laver les dents après le café en posant un thermos chaud sur le rebord de la baignoire. Il refermerait la porte de l’appartement du troisième en prenant soin de ne pas faire plus de bruit que nécessaire. Qu’à l’intérieur ça dorme encore un peu, que tous ceux qui y étaient ne soient pas réveillés par son départ. Cette attention lui conférait une vague aura de héros séculaire. Celle de celui qui part dans le froid matin tuer l’auroch ou le mammouth pour la survie du clan encore blotti autour du feu finissant. Genre.

Il monterait trois étages, marcherait le long d’un couloir étroitement sombre, il sortirait une clé de sa poche et ouvrirait la porte d’une minuscule chambre de bonne sous la charpente de l’immeuble. Il avait fait remplacer le vasistas ridicule par un velux presqu’aussi grand que la pièce et qui l’illuminait comme un projecteur de théâtre.

Dans cette ancienne chambre, un bureau sous le velux, derrière, un fauteuil à roulettes confortable au possible, sur le bureau un ordinateur, une imprimante et un broyeur à papiers qui donnait sur une poubelle gigantesque. Ici, on jetait plus qu’on n’amassait. Et sur le chêne du bureau une multitude de dossiers, livres à demi ouverts, cornés de frais, des encyclopédies posées en tourelles à l’équilibre précaire, des cartes géographiques, des photos, un beau bazar.

Il refermait la porte derrière lui, ouvrait le rideau noir du velux que la lumière dégringole sur le bureau, et il se laissait tomber dans son fauteuil, se frotterait les yeux à deux paumes, ouvrirait l’écran de l’ordinateur. Alors, il regarderait le chapitre écrit la veille, il le garderait ou l’effacerait selon son jugement et il attaquerait le suivant.

Il était à la bourre, il ne lui restait plus que trois semaines avant la date limite fixée par son éditeur pour le huitième livre de la collection à succès : « Mes Voyages avec un animal ! ». Il n’était qu’à la moitié du récit de son soit disant dernier :

La traversée d’Est en Ouest, de la cordillère des Andes, de Cuzco à Nazca, au bord du Pacifique, à pied, en un été, avec un lama chauve…


Semaine du 27 mars au 2 avril 2017 - L'écrivain voyageur

A la suite de ces "chères madeleines" qui nous rappelaient Proust, nous allons vous proposer de nous décrire, de raconter l'histoire, ou de discourir sur : 
"L'écrivain voyageur" !

En poésie ou en prose, à votre choix, votre texte doit nous parvenir d'ici dimanche 2 avril minuit à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com

dimanche 26 mars 2017

Gene M - Ma chère Madeleine

Chère Madeleine,

Voilà dix-huit mois que tu es partie définitivement dans cet au-delà
que tu redoutais tant ...
C'est la première fois  et la dernière que je t'appelle Madeleine -
petit clin d'œil, tu adorais Proust -

 Tu n'aimais pas ton prénom : Madeleine, Bas de Laine  se moquaient
tes petites camarades de classe...

Tu avais choisi un autre prénom : Marianne.
Rappelle- toi Marianne, nous nous étions rencontrées à Athènes,
chacune avec l'amour de sa vie...

J'avais éprouvé un véritable coup de foudre amical pour toi.
Chose étrange et amusante : La grand-mère de mon mari m'avait prédit,
dans le marc de café, la rencontre d'une amie... C'était vrai.

Ta joie de vivre, ta culture et ton humour me ravissaient.
 Tu n'es plus, c'est très douloureux. Bien sûr si je m'apitoie un peu
sur moi de façon assez égoïste, c'est que tu étais reliée aux années
les plus heureuses de ma vie.

François Truffaut disait qu'à partir d'un certain âge on connait plus
de morts que de vivants.
Phrase terrible mais ô combien juste.

Adieu Chère Madeleine-Marianne, tu as rejoint tous mes chers disparus
mais ton souvenir ne me quittera pas.

Loïc - Ma chère Madeleine

Madeleines

Toquer à la porte comme il faut,
comme on nous l'a appris,
doucement, car elles dorment peut-être,
Sieste du dimanche oblige;
Respect.
Entrer seulement quand nous y avons été invités,
se chausser des patins,
s'asseoir sur une des chaises en velours moelleux,
Toujours la même, toujours à la même place;
C'est plus simple et ça évite les disputes,
Elles n'aiment pas les cris,
Ne sont pas habituées aux enfants.
Une bonne odeur de thé nous parvient,
Mais ce n'est que pour les grandes personnes.
Regarder alors la grande soeur qui partage,
Il lui faudrait presque une règle,
La grenadine.
Au beau milieu de la table, une corbeille,
de madeleines, Joëlle ne les aime pas,
"Elle ne sait ce qu'elle perd" a dit Madeleine.
Elle est Tante Madeleine, la soeur de Papa,
prononcer Tannmat'leine.
Elles vivent ensemble, Mémée Marie et elle,
C'est elle - je n'ai jamais su -
Qui paie le loyer de l'appartement ?
Elles vivent ensemble, la mère, la fille,
Relation fusionnelle.
Un long mur, tapisserie aux grandes fleurs
Un peu couleurs cimetière.
En plein milieu, pour mieux l'adorer,
le Christ, sur un grand tableau sinistre;
Il a la poitrine percée, en sort un coeur sanguinolent,
"Coeur sacré de Notre Seigneur".
Tante Madeleine nous a dit que c'est écrit en breton,
Mais "je ne me souviens pas des paroles",
Ai-je déclaré un jour, et ils ont tous ri.
De chaque côté du Jésus,
Le grand-père que je n'ai jamais connu, Mathieu.
En militaire de 14/18.
Mort en 1934 "des suites de gazage",
On m'a expliqué tout ça plus tard.
De l'autre côté, Auguste,
le frère de Mémée,
En militaire de 14/18,
Mort au combat deux semaines avant l'Armistice.
Mémée ne s'en est pas encore remise
Et sa vie est auprès d'eux et d'elle, Madeleine,
Et elles prient, souvent, profondément,
Et elles vivent, pieusement.
Mémée m'a offert un Missel, qui appartenait à son oncle
Vivant au temps de Napoléon III, et portant mon prénom.
Le dimanche, c'est fête, toujours.
C'est sacré, la famille, c'est un don de Dieu, disent-elles.
La grenadine et la madeleine, les cadeaux hebdomadaires.
Et puis le Gramophone, oui un vrai,
On a le droit d'y toucher, d'en remonter le mécanisme,
C'est encore mieux quand un disque est en mouvement
pendant qu'on tourne la manivelle.
Des 78 tours, de l'opéra, et puis des chanteurs du temps.
La "voix de son Maître" est venue plus tard, moderne,
Avec deux haut-parleurs, et un changeur de 45 tours,
Pensez-donc !
Tante Madeleine est à l'aise,
"Agent d'assiette des Impôts", ça classe, même si
(surtout) quand on ne sait pas ce que c'est ...
Elle se fait, elle nous fait des cadeaux :
Chaque dimanche, c'est musique classique.
Tous les grands, elle les possède, et se fait
Une joie immense de "nous les apprendre".
Avec des commentaires, mais toujours après la musique,
Jamais pendant, ça tue le plaisir.
"Deutsche Grammophon", ce nom me berce et m'emporte.
Elle s'est offert, pour être dans le vent,
Quelques 45 tours, choisi un peu au hasard :
John William, Richard Antony, Gilbert Bécaud,
"Qu'elle est dure à porter, l'absence de l'ami ..."
Silence complet, apprécier, ou supporter pour ceux qui n'aiment pas;
En tous cas ne pas se lever :
Le moindre mouvement fait pleurer les lames du parquet
Et le bras, avec son diamant, pourrait rayer le disque !
La séance musicale pouvait durer tout l'après-midi,
jusqu'à ce que la télévision la remplace peu à peu ...
Puis Tante Madeleine s'en allée, tchip tchip
le chuintement des chaussons
Le thé, la madeleine, la grenadine.
Mes frères et soeurs en ont aussi gardé
Les odeurs, les sensations, les délices,
Le bonheur.

Où lire Loïc

Saraline - Ma chère Madeleine

Ma chère Madeleine,
Je t’ai cherchée toute la semaine.
D’abord chez le grand Jacques
Qui t’apportais des lilas,
Je n’ai rien vu, ni fleurs, ni Madeleine…
Ensuite à la fontaine :
Il n’y avait plus que ton seau,
Enfin du côté de chez Swan,
J’ai juste trouvé quelques miettes,
Un peu rassises, d’ailleurs.
Et me voilà, en fin de semaine
Un peu désappointée, sans même la possibilité
De revenir en deuxième semaine.

samedi 25 mars 2017

Jean Pinson Ma chère Madeleine

Chez le dentiste

Mon père, qui est vétérinaire, dit que j’ai trois paupières, comme les lézards. Le matin, je les ouvre une à une, d’abord celle qui clignote comme le gyrophare du camion des éboueurs, puis je m’arrête un instant et reste coi, attentif au roulis des poubelles dans la rue, qui me sert de réveil. Dans un éclair fugace de paresse, je presse mes deux paupières encore fermées, la tête comme une serre à papillons. Le jour grisâtre passe un torchon par les fentes des volets de la fenêtre laissée ouverte et les chasse : ils s’envolent, aspirés par les fleurs de la jardinière posée sur l’appui. Je me levai.

Ah zut ! Cela fait trois semaines que, chaque matin, j’essaie de repérer la position de mon corps au réveil, en particulier les bras, qui me causent beaucoup de souci le soir, afin que, sans perdre de temps (c’est l’année du bac), je m’y installe dès que j’ai décidé de dormir. Mais chaque jour, je me lève avant d’avoir regardé, bien que pour y penser, j’aie mis un post-it sur le pied de la lampe. Installée dans le rond de l’abat-jour à la table de la cuisine, ma mère buvait du thé, un livre à la main. Comme quand, petit garçon, je jouais à l’explorateur, je trouvai, dans l’ébouriffement de ses cheveux, un sentier qui me mena à une clairière, quelque part sur sa joue.

- Tu as rendez-vous chez le dentiste après les cours, tu te rappelles ?
J’aurais pu oublier ? D’abord, mon dentiste est une femme, maman, j’te rappelle. Elle paraît si jeune que, si elle n’était pas dentiste, je ne serais pas surpris qu’elle soit en hypokhâgne, la classe de l’autre côté du couloir par rapport aux terminales, la benjamine peut-être. Ses yeux noirs, son masque vert pastel, l’odeur de chlorophylle qui émane de toute sa personne, la troisième phalange de son auriculaire, comme un radis rose, qui appuie sur la commissure de mes lèvres, sa manière de chercher des baisers tapis dans les recoins les plus reculés de ma bouche avec son miroir dentaire en rhodium. Mais je n’allais pas avouer que je souffre les aphtes de l’amour, qui me mettent à la torture comme des noix trop fraîches. Plutôt réfléchir, en avalant mes céréales, à la façon de lui faire comprendre, une fois que je serai installé avec un bavoir dans son fauteuil lascif, qu’elle pouvait m’embrasser si elle voulait.

À la bourre comme d’hab, à la recherche du temps perdu, je courus à la gare en y pensant encore. La difficulté était, bien sûr, de trouver le début de la phrase : jetuellenousvouselles ? Depuis que je m’intéresse aux filles, je me heurte à ce problème, qui me turlupina comme un abcès tout au long de la journée. À cinq heures moins le quart, je sonnai le cœur battant à la porte du pavillon en meulière où le cabinet est installé, relisant son prénom gravé en lettres adorées sur la plaque dentaire rivée au mur. Elle alluma la lampe scialytique, côtelée comme une madeleine. Je me lançai :

- Jetuellenous…
Mais je me tus (ellenousvouselles), car elle fourrageait déjà à la précelle. Il me semblait pourtant avoir réglé différemment le déroulement de la séance pendant le cours de physique.
- Mais c’est un garde-manger d’écureuils, chez vous ! Des souvenirs de pralinés, des éclats de noisettes, des miettes de madeleine, qu’est-ce que c’est que ces réminiscences ! Je n’ai jamais vu ça. On va faire un détartrage.

Quel quart d’heure je passai ! À la fin, elle m’avait dit que, sinon, tout allait bien, que je pouvais ne revenir que dans un an, et elle m’avait fait cadeau d’un échantillon de brosses interdentaires, que je serrai dans mon poing, à nouveau seul dans la rue désemparée. Un an ! Je m’étais montré si maladroit que j’en avais la rage de dents. J’avais dans la bouche un goût triste de larmes, qui soudain me fit tressaillir, car il me revint à la mémoire ces jours gris de mon enfance, quand je pleurais comme une madeleine.

vendredi 24 mars 2017

AOC - Ma chère Madeleine

Le vent des globes

90 jours, il m’en avait fallu quatre vingt dix pour le boucler.

Je ne faisais pas partie des meilleurs mais pas non plus des moins bons. Dans cette histoire-là nous étions à peu près tous à égalité : de simples Hommes prêts à tout donner, acharnés à y arriver malgré les déferlantes, les tempêtes, les jours sans, les pannes, les accidents et les peurs. 90 et bien d’autres encore avant le largage de la dernière aussière que fut sa main ou plutôt son regard. C’est lui qui m’avait laissé partir en dernier. C’est elle qui m’avait accompagné tout au long du voyage. Son souvenir, quelquefois ses mots lors des vacations téléphoniques. Toujours encourageante, rassurante, jamais une inquiétude dans la voix même aux pires endroits de la planète océanique.

Mais c’était fini et je la serrais enfin dans mes bras. Il ne m’a pas fallu longtemps pour sentir que quelque chose avait changé. Oh peut-être pas grand-chose, mais tellement indéfinissable… De l’ordre d’une intensité différente, plus ardente, légèrement inquiétante…

Je passe sur les obligations d’une arrivée qui prennent un temps infini et une énergie folle, parce que je ne m’en souviens plus vraiment mais surtout parce que j’étais plus préoccupé qu’autre chose. Ça m’a semblé plus long et plus lourd que l’incroyable aventure que j’avais vécue.

Le retour à la véritable intimité rajouta un poids au trouble que j’avais ressenti. Elle ne se laissa pas enlacer, suggérant que je devais modérer mes ardeurs, mais qu’elle me proposait plutôt un petit massage en guise de cadeau de bienvenue avec un petit air taquin qui fit fuir toute inquiétude parce que je le connaissais bien celui-là. Elle avait raison, pendant l’heure qui suivit je me sentis renaître à la terre. Peu à peu, mes bras, mes épaules, mon dos se sont détendus, ont évacué toutes les tensions nées du grand large ; mes jambes ont repris contact avec une promesse de stabilité ; mon ventre s’est reconnecté avec la douceur, la tendresse, la puissance de ma vie. Lorsque ses mains se sont arrêtées sans encore rompre leur contact soyeux avec ma peau, j’ai apprécié encore un peu ce calme, cette sérénité, cet univers de plénitude puis j’ai ouvert un œil.

J’ai entendu : Veux-tu un thé ?
J’avais envie d’elle. J’ai dit Oui.
Elle m’a apporté le plaid géant et moelleux des soirées d’hiver, elle a animé la cheminée et apporté le thé accompagné de ces petits gâteaux que j’aime tout simplement parce qu’ils portent le même nom qu’elle.
Se hâter lentement me semblait être la leçon que je devais potasser en ce premier après-midi de retrouvailles ! Mais je n’avais pas dit mon dernier mot.
- - Pas sans toi, mais sans ce magnifique peignoir qui est le mien, que tu portes à merveille mais qui va te faire mourir de chaud là-dessous !

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle l’envoya aux oubliettes et se précipita sous le plaid. J’ai tout juste eu le temps d’apercevoir une jolie nuisette blanche.

Ma main trouva sa hanche et suivit la courbe de ses reins. Dans ses yeux brillait un éclat ravageur. Je sentais bien que je n’étais pas encore au bout de mes surprises, il me semblait bien sentir une légère différence, mais quand je n’ai pas reconnu ses seins, tous les vents de la planète se sont déchaînés dans ma tête.
Doucement, j’ai écarté le plaid. Sur la peau de ses épaules voyageait un frisson jusqu’à envelopper ses seins majestueux et son ventre rebondi de tendresse.

Quatre mois de silence, de secret au chaud de l’amour, « pour que tu ne penses qu’à bien nous revenir » Je ne sais pas si elle a vu toutes les étoiles, les galaxies, les nébuleuses et les comètes de l’univers dans mes yeux, mais elles y étaient. Toutes.

jeudi 23 mars 2017

Marité - Ma chère Madeleine

La maîtresse d'école.

Chère Madeleine,

Je me permets, aujourd'hui de vous nommer par votre prénom. Parce que je sais que vous ne lirez jamais cette lettre. D'ailleurs, cela me paraît curieux de vous appeler Madeleine. Pour moi, comme pour tous les élèves à qui vous avez enseigné dans notre bourg de campagne, vous étiez La Dame.

Je ne savais pas que vous vous appeliez Madeleine. C'est en prenant la pile de cahiers sur votre bureau pour les distribuer que je l'ai découvert par hasard. Et cela m'a d'abord fait un choc. A l'âge de 5 ou 6 ans, on ne se pose pas de question. Est-ce que ceux que l'on admire, qui représentent le savoir ne se différencient pas du reste des gens ? Et bien non. La Dame portait un prénom comme tout le monde. La Dame se prénommait Madeleine. Il me semblait alors que j'avais commis une faute, une incongruité en découvrant cela.

Un lien particulier m'attache à vous. Je connaissais les rudiments de l'écriture et de la lecture grâce à mon père quand je suis arrivée dans votre classe. Mais vous, vous m'avez ouvert les yeux sur le monde. Un autre monde que celui dans lequel je vivais jusque là, même si ce dernier était riche de découvertes journalières sur la nature, surtout, que j'aimais passionnément.

Vous assuriez toutes les sections avec une bonne quinzaine d'élèves en tout. Mais le silence régnait dans la salle de classe. Nous étions quatre, cette année 1955, au cours préparatoire. Vous vous occupiez particulièrement d'un camarade de CP - devenu depuis romancier connu - qui avait de grosses difficultés dues à des absences répétées pour cause de maladie. Et aussi à ses états d'éternel rêveur, ayant autre chose en tête que les leçons et le travail scolaire.

Pour vous soulager un peu, vous demandiez aux grands du certif de prendre en charge les trois autres dont j'étais. Je partageais avec André le banc d'un bureau double et je ne cessais de le harceler avec mes questions. Agacé, il finit par me dire : "tu m'embêtes avec tes opérations. Tu n'as qu'à demander à La Dame ou lui dire merde." Me croyant bêtement autorisée, j'ai répété tout haut le gros mot en m'adressant à vous. La phrase de morale inscrite chaque matin au tableau noir ayant trait ce jour-là au respect et à la politesse avait trouvé matière à développement. Je m'en souviens...Et vous aussi sans doute.

Fin septembre, les années suivantes, il m'était bien sûr, assez difficile de cesser mes vagabondages dans les prés et les bois quand sonnait la fin des vacances. Mais j'avais une telle soif d'apprendre que je me faisais une joie de vous retrouver contrairement à mes frères qui traînaient la jambe pour rejoindre l'école.

Et puis, nous n'étions pas toujours enfermés. Quelle chance les leçons de choses dans la nature ! Nous qui y vivions comme des petits sauvages ne savions pas mettre un nom sur les insectes, les plantes. Sans vous lasser vous expliquiez que les fleurs n'étaient pas seulement là pour faire joli, qu'elles avaient leur utilité et qu'elles nourrissaient les abeilles. Vous montriez, à notre grand étonnement que les champignons ne poussaient pas seulement dans les fougères mais aussi sur les arbres. Chaque sortie en plein air était un émerveillement et une source d'apprentissage pour chacun d'entre nous.

Chère Madeleine, je vous dois surtout l'un des plus grands bonheurs de ma vie : l'amour des livres.

Je vous serais éternellement reconnaissante de m'avoir inculqué cette passion qui ne s'est jamais démentie et qui m'a apporté tant de joie. Vous m'avez ouvert en grand les portes de la bibliothèque qui se trouvait au fond de la classe. Et j'y ai découvert des trésors. J'étais tellement attirée par les livres et je vous demandais avec une telle ferveur de rester en classe pendant les récréations ou après 16 heures 30 pour puiser dans ces richesses que vous m'y autorisiez quelquefois, attendrie et amusée. 

Madeleine, chère Madeleine, pardonnez ce rapprochement quelque peu osé mais ma madeleine de Proust à moi, ce n'est pas l'odeur délicate et parfumée du petit gâteau en forme de coquille de Marcel mais celle, puissante et subtile des livres.

Le goût de la lecture n'exacerbe pas mes papilles comme l'exquise pâtisserie de Proust mais il nourrit mon esprit et c'est bien une gourmandise.

Madeleine, ma chère maîtresse, où que vous soyez, sachez que je ne peux évoquer mon enfance lointaine sans que vous y soyez intimement associée. Merci.

Bricabrac - Ma chère Madeleine

Les origines de l’amour

Quand j’eus fini de réparer la machine pneumatique, dont la nébuleuse était tombée en panne, je passai acheter des fleurs sur le chemin du retour, et me rendis à la boutique qui se trouve dans la venelle sombre donnant sur la voie lactée. Beaucoup continuent à l’appeler La Queue du Lion, mais depuis que l’enseigne a changé de propriétaire, c’est La Chevelure de Bérénice. La devanture était illuminée. Je fis composer un bouquet de dénébola éclatantes, mêlées à ces géantes bleues importées de la croix du sud qu’on appelle mimosa, et le fis envelopper dans du papier cristal.

En sortant du magasin, je croisai le bouvier, qui menait paître ses sept bœufs dans les prairies étincelantes de la couronne boréale. Vers l’horizon ouest, sous le radiant du ciel obscurci, un éclair zébra un instant la girafe, tandis que le cocher, chantant a capella pour se donner du courage, fouettait les chevaux de son quadrige, fuyant l’orage qui menaçait. Je ne pus échapper tout à fait à l’averse, et lorsque je poussai la porte du sas et m’ébrouai, frappant mes bottes l’une contre l’autre, une myriade de perséides dessina en l’air la roue du paon qui se pavane dans l’hémisphère sud.

À cette heure matutinale, Vanessa arrosait nos salades. Elle sourit à mon bouquet. « J’ai pensé que, même si ce n’est pas explicitement prévu dans le protocole expérimental, ces fleurs allaient nous aider. » Vanessa acquiesça et les posa sur la table de nuit, qui dérivait nonchalamment dans la station. « La Terre a appelé, dit-elle. Nous approchons de la zone d’ombre. Il faut enclencher le compte à rebours. » À ces mots, j’accélérai mon cœur d’1 kilomètre par seconde. Elle en fit autant. J’aimerais, sans jargon, par un effort de vulgarisation qui me fasse comprendre des écoliers qui suivent notre aventure en direct, trouver des mots simples pour expliquer le programme de travail du jour. Il s’agissait de vérifier la possibilité, pour des cosmonautes entraînés, de reproduire en impesanteur les gestes de l’amour, afin de pouvoir envisager dans le futur des voyages dans l’espace en amoureux, voire, à plus longue échéance, qu’on y fondât des familles.

Vanessa est russe. Jamais je n’aurais pensé que la langue russe fût si douce et voluptueuse. Hélas, le programme était si chargé que notre baiser ne dura que le temps de survoler le Venezuela. Nous nous dévêtîmes à la hâte au-dessus du Brésil. Respectant à la lettre les instructions, nous nous livrâmes à des travaux préliminaires, qui nous occupèrent jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Quand nous arrivâmes à sa verticale, nous étions tout près du triangle austral, dont la magnitude blonde m’éblouit. Il serait fastidieux de relater ici tous les détails techniques de l’expérience, qui dura 45 minutes comme il était prévu, et dont le succès fut salué au sol par les hourras des ingénieurs, qui l’avaient suivie sur leurs écrans. D’ailleurs, nous avons tout consigné dans un rapport accessible à tous.

La nuit s’acheva, et Apodis, l’oiseau de paradis, commença de chanter comme nous émergions de la zone d’ombre. Au hasard essoufflé de l’amour, nous flottions tête-bêche, comme les poissons du zodiaque sous l’œil bienveillant de Pégase. Nous ouvrîmes les rideaux des hublots pour admirer le jour naissant. Nous survolions Paris. La Seine s’écaillait comme un serpent gris et la pluie ruisselait des gouttières, les moineaux sautillaient dans les flaques. Je désignai à Vanessa les rues et les monuments remarquables, qu’elle reconnaissait grâce aux tableaux de l’Ermitage. « Oh, cette chère Madeleine de Pissarro », s’écria-t-elle. À moins que ce ne fût de Caillebotte. Sur sa prière insistante, nous fîmes halte et descendîmes boire un verre à une terrasse abritée, riant des passants qui couraient après leurs parapluies tordus par le vent. Elle acheta un sachet de madeleines dans une pâtisserie de la place en souvenir, et sitôt que nous eûmes regagné notre vaisseau, nous repartîmes pour le tour de la terre. Depuis ce jour, l’impesanteur nous pèse moins.

mercredi 22 mars 2017

Célestine - Ma chère Madeleine

Mât de laine

Bien sûr, j'ai des moments ouate, où la vie me comble de rester simplement assise à contempler le monde...molle et alanguie comme une baleine échouée, dans un cocon de confort.
Mais j'ai aussi des moments watt, où l'envie est là, électrique, au ventre, aux tripes. Puissante. L'envie d'avoir envie, dis, Johnny, est-ce l'envie d'être en vie ?
La vie m'attire, piège mortel. Délicieux. Fascinant. Curieuse, insatiable, insatisfaite.

Une faim qui ne se résout pas à l'immobile, au prévisible, à l'infernale routine des jours tous pareils, sans avoir l'impression de glisser le long de parois vides jusqu'à la mort par asphyxie...

J’ai essayé de me fixer tant soit peu, de me choisir un port d’attache. Avec l'idée de me sentir d’ici plutôt que de là. De m’accrocher, coquillage languide à un rocher. Mais l’appel du large est si fort, le vent des alizés tellement empreint de l’odeur douce et âpre du voyage, la mer si rugissante et si pressante au cœur, que je me suis souvent laissé embarquer vers d’autres rivages, comme on donne un coup de pied salvateur pour se dégager d'une emprise. Celle du temps grisâtre, sans doute, qui grignote nos secondes. Celle de l'habitude qui emprisonne nos raisons dans un étui.

Un temps où il est temps d’entrevoir des lieux nouveaux, d’autres vertigineux paysages, d’autres façons de traverser. Voir ! Voir des couleurs, des lumières inédites ! Ecouter, entendre d'autres voix, d'autres accents, d'autres musiques... Il y a toujours un mur à franchir. Une porte à ouvrir. Un horizon à bercer, avec un virage qui cache un mystère au loin, là-bas. Quel mystère ? Une herbe verte, un air pur...Une ville dans laquelle se perdre. Connaître, découvrir, rencontrer, apprendre, savoir... Ma madeleine de Proust, celle qui me booste, c'est mon mât de laine au rafiot de coton, c'est la mer tricotée du fil de la passion.

Je ne traverserai toujours la vie que comme une éternelle touriste, le cœur et l'âme en bandoulière.

lundi 20 mars 2017

Arpenteur d'Etoiles - Ma chère Madeleine

Madeleine et Rodolphe

- La nuit n’est jamais complète.
- Ah, vraiment. Croyez-vous ? Mademoiselle Madeleine de Landery avait dit cela avec le sourire qu’elle aimait à prodiguer pour signifier qu’elle était surprise par la subtilité d’une remarque, qu’elle voulait que l’on pense qu’elle se trouvât intelligente et, par là même, flatter celui ou celle qui l’avait émise, mais en signifiant qu’elle n’était pas tout à fait dupe d’elle-même et que son étonnement admiratif était volontairement un peu appuyé. Elle accompagnait alors ce sourire d’un regard amusé et d’un léger froncement du nez qui rajoutait à son charme un côté presque enfantin, qui ne pouvait qu’attirer la bienveillance de celles et ceux qui se trouvaient dans sa proximité immédiate.
- Une nuit est une nuit monsieur de Villeneuve-Vallas. Elle commence avec l’obscurité naissante et s’achève aux premières lueurs, dans son accomplissement définitif. Que diable lui voulez-vous de plus ?
- Le diable a bien peu de chose à voir, chère mademoiselle. La nuit comme le jour sont éternels en cela qu’ils ne commencent ni ne finissent. La rotation de la terre sur elle-même et sa course autour du soleil font qu’il fait à la fois toujours nuit et, simultanément, toujours jour quelque part. C’est pourquoi il me paraît comme une évidence, que la nuit ni le jour ne sont jamais ni complets, ni finis.

Le prince de Villeneuve-Vallas portait en lui, et en permanence, l’histoire de sa famille dont les généalogistes s’accordaient à établir la genèse dès les premières heures de l’ère chrétienne. Descendant en ligne directe d’un noble romain établi en Gaule après les victoires des troupes de César et, chuchotaient encore les méchantes langues, d’une femme légère arrivée dans les impedimenta de leur arrière-garde, il avait épousé sa jolie cousine Armande de Plany-Brincourt et la conjonction de leurs deux fortunes, bien que celle de la jeune marquise ne fût tout à fait sur un pied d’égalité avec la sienne, faisait du prince l’homme le plus riche et, partant, le plus courtisé du pays. Reconnu pour sa brillante intelligence et son immense culture, jusque dans des domaines aussi peu usités que la physique ou la mathématique, il ne cessait d’être invité dans les soirées où se pressaient une aristocratie désoeuvrée, à peine troublée par les bruits de bottes sporadiques entendus à la frontière de la lointaine Russie dont on murmurait que le Tsar aurait tôt ou tard, mais à coup sur, raison.

Appuyé négligemment sur le piano où la toute jeune mademoiselle de Martimpré, en qui tous voyaient une future concertiste de renom international, s’apprêtait à jouer un nocturne de Chopin, lui-même s’étant offert pour tourner les pages, le prince avait distillé son explication d’une voix grave et mélodieuse, sans afféterie, mais avec l’orgueilleuse humilité que l’on inculque dès la plus tendre enfance à ceux de son rang. Son élégance raffinée mais non ostentatoire et le bleu marin de son regard lui avait assuré d’innombrables conquêtes féminines et son récent hymen n’avait en rien calmé ses ardeurs. Armande avait très vite compris qu’il lui fallait trouver consolation dans les quelques heures hebdomadaires qu’il lui consacrait, dans la poursuite des bonnes œuvres auxquelles sa mère l’avait initiée et, comme on le murmurait du côté de Notre Dame de Grâce où le couple avait un domaine très prisé par la bonne société normande, dans des amours saphiques avec Miss Pimbercoat la gouvernante anglaise au teint de rose.

Le prince fit un signe discret et un autre vint prendre sa place auprès du demi-queue. Les premières notes de Chopin résonnèrent dans le grand salon et les invités furent bientôt pris par le charme évident et le doigté exceptionnel de la pianiste. Le prince s’approcha de mademoiselle de Landery qui ne l’avait pas quitté des yeux depuis son discours. Il tenait deux coupes du meilleur champagne et lui souffla à l’oreille :
- Nous pourrions prolonger notre conversation ailleurs, chère Madeleine.
Elle considéra la taille bien faite et les mains soignées de Rodolphe, fronça à nouveau le nez et dessina sur ses lèvres un sourire, où l’enfantin avait fait place à une certaine forme de provocation ironique.
- Il paraît que l’étage regorge de tableaux de l’école de Barbizon.
- Comment donc savez vous cela ? Vous disiez encore tout à l’heure que vous n’étiez jamais venu dans cette demeure, "la plus provinciale qu’il soit".
- Norpois me l’a confié pas plus tard qu’hier : "ah, vous allez chez les Gardy ? Ils ont une superbe collection de ces jeunes artistes, comment dire … naturalistes !"

Il avait dit "Norpois", et non monsieur de Norpois, ou le marquis de Norpois ou même monsieur l’Ambassadeur Norpois ainsi que l’eussent dit des personnes moins introduites dans la haute société. Ce "Norpois", bref et amical avait pour intention non pas de montrer sa qualité car il savait l’inutilité que tous ici le connaissaient, mais il voulait ainsi que Madeleine de Landery se sentît hissée à son rang, pensant qu’elle même pourrait dire aussi "Norpois" comme une évidence, qu’elle en fut flattée et qu’elle l’admirât encore d’avantage.

Ils avaient doucement gagné le fond du grand salon où jouait mademoiselle de Martimpré sous le regard rempli de larmes d’émotion et de fierté de madame sa mère. Arrivés ainsi au pied de l’escalier de marbre, ils montèrent prestement. L’assemblée était tant absorbée par le romantisme de l’auteur et la finesse du jeu de l’interprète que personne ne remarqua leur esquive.

Lorsque le Prince poussa la porte d’une des chambres de l’aile ouest, Madeleine s’arrêta un instant : écoutez Rodolphe, ce n’est plus Chopin.
- Non, c’est Vinteuil, un compositeur qui monte. Et cette expression "qui monte" avait dans la bouche du prince quelque chose de populaire et de surprenant qui fit frissonner Madeleine de Landery, comme une fille du peuple eût, dit-on, pu frissonner d’excitation à la vue du couteau qu’exhiberait devant elle un mauvais garçon à visage d’ange.
- Venez maintenant, Rodolphe, n’attendons plus.
- Soyons discrets, ce sera encore plus divertissant.
- Rassurez-vous je ne suis pas La Berma et peu adepte du contre-ut, cher Prince.
- Ne me sous estimez pas, mademoiselle, mais nous ne devons en aucun cas prendre le risque de réveiller le petit Marcel.

Laura Vanel-Coytte - Ma chère Madeleine

Ce soir, j’attends Madeleine [1]
Que j’ai vue au Palais des Beaux Arts de Lille dans sa « tentation » de Sainte 
Par Jordaens ; Jordaens [2] que Nerval cite parmi les peintres qui l’intéresse,
La « bionda e grassota », thème en commun avec son ami Gautier ; Marie-Madeleine
Ancienne courtisane qui se réfugie dans une grotte, que l’on vient tenter : vanité et luxure

Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Elle est toute ma vie
Madeleine que j'attends là [3]

Vanité, vanité, tout n’est que vanité ; le crâne symbole des Vanités pour Madeleine
Ce soir, j’attends Madeleine
Madeleine avec son vase de parfum, son attribut, que Witz représente avec Ste Catherine [4]
Une pénitente avec une martyre sur un panneau qui marque l’histoire du paysage
Ste Madeleine est aussi symbole d’amour : elle, le Christ et l’Eglise
Aller voir le musée Georges de la Tour à Vic-sur-Seille

Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Elle est toute ma vie
Madeleine que j'attends là [5]

Revoir la « Madeleine à la veilleuse » : se perdre dans sa lumière ténébreuse à la Caravage
Ce soir, j’attends Madeleine
Que René Char évoque « qui veillait » lors d’une rencontre dans le métro, fulgurance
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[1] "Madeleine" par Jacques Brel https://www.lacoccinelle.net/950418.html#GPPa2ghVRjbcuqvh.99
[2] Vers 1620
[3] Id.
[4] Vers 1440
[5] Id.