lundi 27 mars 2017

Chri - L'écrivain voyageur

Comme la plupart de tous les autres matins, sauf le samedi, il se levait relativement tôt. Dehors, le jour était à peine présent, les rues commençaient à s’animer, les premiers livreurs ouvraient déjà leurs portes arrière. Il filait dans la cuisine après un passage éclair aux toilettes. À l’âge qu’il avait, il s’était déjà levé deux trois fois dans la nuit… Il irait prendre une douche et se laver les dents après le café en posant un thermos chaud sur le rebord de la baignoire. Il refermerait la porte de l’appartement du troisième en prenant soin de ne pas faire plus de bruit que nécessaire. Qu’à l’intérieur ça dorme encore un peu, que tous ceux qui y étaient ne soient pas réveillés par son départ. Cette attention lui conférait une vague aura de héros séculaire. Celle de celui qui part dans le froid matin tuer l’auroch ou le mammouth pour la survie du clan encore blotti autour du feu finissant. Genre.

Il monterait trois étages, marcherait le long d’un couloir étroitement sombre, il sortirait une clé de sa poche et ouvrirait la porte d’une minuscule chambre de bonne sous la charpente de l’immeuble. Il avait fait remplacer le vasistas ridicule par un velux presqu’aussi grand que la pièce et qui l’illuminait comme un projecteur de théâtre.

Dans cette ancienne chambre, un bureau sous le velux, derrière, un fauteuil à roulettes confortable au possible, sur le bureau un ordinateur, une imprimante et un broyeur à papiers qui donnait sur une poubelle gigantesque. Ici, on jetait plus qu’on n’amassait. Et sur le chêne du bureau une multitude de dossiers, livres à demi ouverts, cornés de frais, des encyclopédies posées en tourelles à l’équilibre précaire, des cartes géographiques, des photos, un beau bazar.

Il refermait la porte derrière lui, ouvrait le rideau noir du velux que la lumière dégringole sur le bureau, et il se laissait tomber dans son fauteuil, se frotterait les yeux à deux paumes, ouvrirait l’écran de l’ordinateur. Alors, il regarderait le chapitre écrit la veille, il le garderait ou l’effacerait selon son jugement et il attaquerait le suivant.

Il était à la bourre, il ne lui restait plus que trois semaines avant la date limite fixée par son éditeur pour le huitième livre de la collection à succès : « Mes Voyages avec un animal ! ». Il n’était qu’à la moitié du récit de son soit disant dernier :

La traversée d’Est en Ouest, de la cordillère des Andes, de Cuzco à Nazca, au bord du Pacifique, à pied, en un été, avec un lama chauve…


16 commentaires:

  1. Quoi de plus beau qu'un velux ouvert sur le monde pour un écrivain de l'ombre... j'ai hâte de tout savoir sur le lama chauve :)

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  2. @ Vegas L'est pas pire que le perroquet de gare... :-)

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  3. Arpenteur d'étoiles27 mars 2017 à 18:28

    Cuzco, Nazca j'en rêve mais d'y aller
    et cet animal doit être rempli de secrets et d'aventures !
    (sinon velux (fenêtre de toit) j'ai bosser chez eux quelques années - commercial - et c'était bien ... :o) )

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    1. Tu as bossé chez Windows? Je n'en reviens pas :)

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    2. :)))
      j'adore le commentaire de Vegas sur le commentaire de L'Arpenteur !

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    3. Arpenteur d'étoiles28 mars 2017 à 11:09

      et toi, Vegas chez "Windows roof" ? :o))))

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  4. stouf
    Evidemment ce n' est pas les voyages de Robert Louis Stevenson le grand aventurier ayant laisser le docteur Jekyl sur son ile au trésor et cette ânesse foldingue dans les Cévènnes, ni le Rimbaud qui finit trafiquant d' armes au yemen.
    Encore moins Alexandra David Neel, la première femme occidental rentrée clandestinement au Tibet, ni Jack London, ni l' Emingway à Cuba ou Malraux anticolonialiste voleur d' antiquités khmers. Non plus que William S Burrough et ses voyages psychotropiques ou le Détouches Céline qui voyageat si génialement au bout de l' enfer pour finir bêtement à moitié nase nazi et surtout trés antisémite au château de Sigmaringen.
    Mais pour finir, je n'ais moi-même jamais rien écrit sur mes nombreux voyages, "Même en s'appliquant, un cul-de-jatte ne sautera pas un mur".

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  5. un "petit" Balzac moderne en quelque sorte, qui écrit en robe de chambre sous la pression de l'éditeur :)

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  6. Ô je ne citerai ni Balzac, ni un autre du reste, je ne veux pas faire de jaloux, ce que je sais c'est que :"lorsque lama fâché, lui toujours faire ainsi" ];-D

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  7. @ Tisseuse Oui.

    @Andiamo On connait ses classiques!

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  8. Excellent. Les plus grands voyages se font entre quatre murs (et avec une ramette de papier).
    Mac Orlan avait théorisé la chose dans son petit manuel du parfait aventurier :)

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  9. @ carnetsparesseux Merci pour le premier mot du commentaire!!! Et pour tout le commentaire, en fait.

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  10. ... ou la circumnavigation de l'écrivain dans sa chambre ; il la faudrait ronde, en fait

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  11. Rufin, un autre écrivain voyageur, écrit aussi sous les combles de sa maison.
    On est sans doute plus près d'En Haut pour trouver l'inspiration.:-)
    Je ne suis pas écrivain mais quand j'étais gamine j'adorais aller écrire mes rédacs près de la lucarne qui donnait sur la vallée, dans le grenier à foin.

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  12. Les voyages immobiles ont ceci de pratique que les trains et les avions n'y sont jamais en retard, et que les bateaux ne font pas naufrage.
    Et quel régal d'inventer des mondes sous une lucarne (ou un chien assis)
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  13. @ Célestine Oui, sans même évoquer l'empreinte carbone ni les tâches indélébiles des tourismes ravageurs...

    @ Marité Oui, ils écrivent souvent auprès d'un chat et d'une fenêtre...

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