samedi 29 avril 2017

Stouf - Aimer l'amour et l'écrire

Ma Mémé d'amour
qui savait pas écrire mais qui m'aimait

Mémé … mémé Victorine, elle causait pas beaucoup ma grand-mère bretonne. En vacances on sortaient deux chaises devant la porte qu'était le long de la route et on regardaient le temps qui passe.
Y avait pas trop de voitures en ce temps là, pourtant j'avais mon petit calepin pour noter les plaques d'immatriculation des étranges trucs bizarres avec des roues, un moteur qui fait vroum et des gens dedans. Mémé ne savait pas lire ni écrire, alors c'était un peu difficile pour mes dix ans.

Par contre à 16 heures tata Gisèle sortait des PTT où c'est qu'elle bossait pas trop dure ( vu le peu d'habitants de la commune ) … c'était juste à 10 mètres et elle avait toujours des crêpes fraîches du matin. On rentraient tous dans la casbah pour étaler un max de beurre salé sur lesdites crêpes, avec plein de confiture. Les vieux boivaient un café mais moi j'étais trop jeune.

Après c'était Dimanche et Victorine regardait le jour du seigneur dans la télé, dans le four à bois y avait le pauvre poulet assassiné qu'on allait manger avec des patates du champ de la mère Leboech à la sortie du village. Ca sentait bon mais je m'ennuyais … un truc de dingue.
Du coup je me suis dit ce jour là que le seau à merdre ( Victorine n'avait pas le tout-à-l'égout ) fallait bien le vider sur le compost pour faire mûrir les tomates et les poireaux du jardin.
J'me souviens, y avait Miaou le chat noir tout dégoûtant à qui j'avais un jour filer les restes et que je continuais à nourrir parce que sa gueule me revenait bien, maintenant il me suivait partout ce con.

Bon, j'arrive vers le tas de fumier le long du mur des PTT et … y a la tronche d'une gamine comme moi qui dépasse du mur.
- Salut Stouf, tu vas bien ?
- Ben t'es qui toi ? Que je demande à la fille ( en essayant de planquer mon seau à merdre ) .
- Christine !

V'la miaou qui saute sur le mur et va lécher la figure de Christine. Ca y est … je suis capturé pour le restant de ma vie ...

vendredi 28 avril 2017

Bricabrac - Aimer l'amour et l'écrire

Problèmes de voisinage

J’entendis à l’aube le braiement de l’âne gratter à la fenêtre. Le jour qui se hissait par-dessus les collines rehaussait les chardons qu’un rayon de lune rousse avait dessinés sur la vitre givrée. Quand j’ouvris la croisée, j’aperçus une écharpe grise, irisée de tourmaline, qui tournait autour du tilleul à l’écorce gercée. Je ris doucement. Je mis un marque-page à mon rêve, enfilai mes pantoufles, et descendis de mon galetas par l’échelle de meunier. La voie lactée avait parsemé le jardin de gelée blanche. Je traversai la cour. À l’aplomb du colombier, sous le larmier de carreaux vernissés, étaient posés dans l’herbe de petits sacs en toile de jute, noués par des brins de sarriette.

Je les posai sur la table de la cuisine. Quel voyage ! Des morceaux cotonneux de nuages étaient restés accrochés aux lanières. Il ne me tardait pas de les défaire, car il y a un temps pour le ravissement, et j’eus la force d’âme de commencer par me préparer du café. Mais quand mon impatience fut sur le point de déborder comme la casserole de lait posée sur le feu, je me précipitai pour les ouvrir, à m’en casser les ongles, et tous tes mots d’amour ruisselèrent, comme le faramineux butin d’un monte-en-l’air. Des parfums de mimosa et l’odeur de biscuit des feuilles de figuier sauvage se mirent à galoper dans toutes les pièces comme des enfants à une fête d’anniversaire. Ma joie soudain à l’étroit dans la maison, j’ouvris la porte en grand. Ma voisine étendait le linge dans son pré de luzerne, des robes que le vent tressait en chignons, et les bleus de travail, raides comme le devoir, de ses trois fils. Elle me héla par-dessus la haie de genêts.

« Ils en ont fait un foin en rentrant, vos pensionnaires, la nuit dernière. Quelle heure était-il donc ?
- Faut pas leur en vouloir, ils avaient survolé des vignobles. Ils sont là, aujourd’hui, vos petits-enfants ? » Ils surgirent, barbouillés de craie et de boutons d’or écrasés. Je cachais derrière mon dos le petit sac que, chaque fois, tu as soin de joindre à leur intention, rempli de mots câlins qu’ils fourrèrent dans les poches de leurs tabliers. « Vous voyez comme c’est bien, d’apprendre à lire.
- Et vous, vous savez à quelle heure il se lève, mon fils ? »

Elle parlait de son aîné. J’étais en train de garnir une tarte de mots d’amour et les recouvrir de vergeoise quand lui-même toqua à la porte pour me poser la même question. Il est désosseur-pareur à Saint-Méen-le-Grand, qui n’est pas la porte à côté, et commence vraiment très tôt. Quand tes mots d’amour me manquent et que je dors mal, je vois sa fenêtre s’éclairer à quatre heures du matin. « Vous finissez tôt, du coup, ça c’est un avantage. »

Je me pourléchais encore en picorant les miettes, et je lisais, je lisais sans me lasser, quand je remarquai que le cadet, dont sa mère regrette qu’il soit toujours célibataire à son âge, se tordait le cou derrière la fenêtre pour arriver à lire à l’envers les mots si tendres que tu avais écrits pour moi seul. « Qu’est-ce que vous allez faire de tout ça, pour vous tout seul ? » me demanda-t-il, se sentant observé, mais il n’eut pas le temps d’écouter ma réponse, car un collègue l’attendait en klaxonnant pour partir à l’usine de découpe de Helléan, où ils travaillent en trois huit.

Des confitures. J’avais mis à macérer des mots d’amour avec la moitié de leur poids de sucre blond de canne, dans une bassine de cuivre. La maison embaumait. Plus tard, j’en mis entre les draps pliés de l’armoire de ma chambre, et même sous mon oreiller, et j’étais en train d’arranger un bouquet avec les plus jolis, quand j’entendis le benjamin, qui avait fini sa journée de ramasseur de volailles à La Chapelle Caro, brutaliser la boîte de vitesses en arrivant, en même temps que sa bétaillère, agressive, escamotait à mes yeux le soleil couchant. Il descendit de la cabine et leva les yeux vers moi, que le bruit avait attiré à la fenêtre.

« Vous êtes content de vos volatiles, ça va ? C’est des couche-tard, hein.
- Vous en faîtes pas, ils ne vont pas faire de vieux os, ce soir. Demain, ils ont de la route. »

Car cette nuit, je t’écris des mots d’amour. Avec des abeilles et des genêts, de la santoline au pied du pommier et le camélia défleuri, les grands nacrés du jardin et les morios du buddleia, le paon du jour aux ailes fermées de velours noir, les ajoncs épineux et les mûres au bord des chemins creux, les bretonnes pie noir ruminant le printemps dans les quatre poches de leur estomac, les grenouilles et les gallinules de la mare, les aigrettes dans les héronnières, la salicorne qui rouille dans les marais, la falaise molle de la mine d’or et les tournepierres courant sur l’estran, et la criste marine, qui sent la carotte. Le clair de lune trace une fenêtre de guingois sur ma table, l’âne s’ennuie dans son pré frissonnant, et moi qui t’écris, souriant, sans un œil pour les hespérides.

Quand j’eus fini de t’écrire ces mots d’amour infini, j’imitai le cri de la chouette pour réveiller les pigeons voyageurs. La lune rousse roucoulait à la cime du tilleul. Ils décrivirent trois cercles au-dessus de la maison, le premier langoureux, les suivants joyeux et braillards, puis ayant fait savamment le tour de la rose des vents, mirent le cap au sud pour te rejoindre, disparaissant derrière les collines, et leurs yeux de rubis se perdirent dans la voûte étoilée du ciel. Les fenêtres de la maison des voisins s’étaient allumées toutes à la fois. Il sera bien temps demain de discuter du problème. Comme tu es loin.

jeudi 27 avril 2017

Tiniak - Aimer l'amour et l'écrire

Réduction de parlotte au sang crèmé monté au beurre

Petite fleur au nom connu d'émoi
que les corbeaux musardent, restant coi
Tes vivaces couleurs, chéries des bois
viennent combler ma peau d'une autre foi

Joli poli caillou millénaire
ourlé par les flots d'une rivière
accordons nos pouls de rude chair
à nos prompts ricochets sur l'amer

"- Eh ! Quoi de neuf au point de fuite ?"
"- L'amour, mon amour, qui t'invite !"

Un ciel meurt à son ponant
Je vais lui brosser les dents
Lui me signe sur le front
une rougeur de pardon

L'amour est un éveil
au tracet de soleil
entre crème et oseille

Je sais qu'il est là
- fillote !
dans mes agrégats
- parlotte !
d'ocre brut et mat

J'entends qu'il chante
que sa tourmente
est une attente
en libre pente

Je les aime
ses dilemmes
son poème

Son cœur
sa fleur
ses heurts
j'en meurs

Oh,
l'Homme !
Ômmmmmmmmmmmmmmm

Où cuisiner l'amour en sauce

mercredi 26 avril 2017

Marité - Aimer l'amour et l'écrire

Parlez-moi d'amour.

- Aimer l'amour. Tu penses quoi de cette affirmation ?
- Comme ça, impromptu, je dirais qu'il s'agit là d'un pléonasme.
- Je trouve la formule belle quant à moi.
- Peut être. Sauf qu'elle ne veut pas dire grand-chose. Ou alors il faut ajouter le mot charnel à la formulation.
- Tu penses donc que l'amour ne s'applique qu'à la copulation ? Cela reviendrait à mettre les Hommes et les animaux sur le même plan.
- Pas du tout. J'essaie seulement d'étayer ton slogan "aimer l'amour". L'amour, justement, nous différencie des animaux. Pour moi, il a tellement de facettes...
- Et, selon toi, quelle est la plus intéressante ?

- Incontestablement, l'amour de la mère pour son enfant. Parce qu'il est inconditionnel. Une mère n'attend rien de son fils ou de sa fille. Elle lui donne l'amour comme elle lui a donné la vie. Son enfant reste dans ses entrailles, comme quand elle le portait, tout au long de son existence. C'est viscéral. Elle consent à des sacrifices incroyables pour qu'il ou elle vive mieux. Ou vive tout simplement. J'admire au plus haut point le courage et l'abnégation de ces mères, prêtes à abandonner leur enfant pendant les guerres ou dans les pays extrêmement pauvres. Ce doit être un arrachement épouvantable. Tout comme de le voir mourir. 

- Je suis tout à fait d'accord avec toi. Il existe, cependant, des cassures moins brutales et moins définitives mais certainement douloureuses. Je parle de l'éloignement. De nos jours, on peut, en quelques heures, aller au bout du monde pour retrouver sa famille. Ce n'était pas le cas lors des siècles passés.

La Marquise de Sévigné, pour ne citer qu'elle, avait crée un lien matériel avec sa fille qu'elle adorait et qui habitait loin d'elle. Elle lui écrivait chaque jour pour lui dire son amour et sa tristesse d'en être séparée. Elle nous a laissé de très belles lettres. La plus émouvante date du 6 février 1671, date du départ de Madame de Grignan, où elle exprime son chagrin en ces termes : " Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre...Je m'en allai, toujours pleurant et toujours mourant : il me semblait qu'on m'arrachait le cœur et l'âme."
- L'amour engendre aussi la souffrance tu le vois bien. Il n'est pas qu'un état de béatitude.
- Oui, en effet. Je voudrais que tu me dises comment tu analyses l'amour entre un homme et une femme, enfin entre deux êtres. Peu importe leur sexe.
- Je ne parle que de ma propre expérience. L'amour, quand on a la chance de le rencontrer et de le conserver de longues années, évolue. Il comporte, à ses débuts, une forte attirance physique en même temps que les élans du cœur. Puis, il devient douceur, immense tendresse et complicité sans oublier le respect. Et l'amour physique n' est pas exclu naturellement. On dit que les deux moitiés d'un couple qui dure finissent par se ressembler. J'ai pu mesurer cela. C'est vrai. Elles pensent les mêmes choses en même temps aussi, ce qui est parfois très surprenant.
- Et l'union des corps, dans tout cela, ne serait-elle que mécanique et source de jouissance ?
- Pour certains, oui. Je dirais qu'il s'agit là de passion. Mais l'amour n'est pas loin même s'il peut être ravageur. Annie Ernaux, lors d'un entretien avec Frédéric Jeannet, parle de son livre "Passion simple" - qui a fait grand bruit à sa sortie - avec ces mots : "j'ai décrit tranquillement la passion très physique d'une femme mûre sans les marques affectives, la déploration, sans la romance qu'on attend des écrits des femmes. Il s'agit, de plus, d'un récit autobiographique, portant sur un moment très court et rédigé de façon clinique." Elle a osé et d'autres avec elle ou avant elle. Et c'est bien.

- L'amour est un sujet inépuisable et aux multiples visages. Il peut rendre heureux, malheureux, embellir la vie, susciter le doute ou la jalousie. Enrichir ou avilir. Que serions-nous sans amour ?

"Le propre de l'homme est d'aimer, même ceux qui l'offensent." Marc Aurèle.

Célestine - Aimer l'amour et l'écrire

J’étais Lola

C'était au temps de ces tempêtes sombres, zébrées d'éclairs aveuglants, que l'on appelle l'adolescence.
Après le déjeuner il m'arrivait de descendre m'allonger sur le gazon moussu pour un moment de sieste, entre deux cours d'anthropologie sociale et de physique des fluides. Les rayons du soleil suivaient les courbes hardies de la colline pour saillir soudain entre les arbres dont ils embrasaient les frondaisons. L'herbe chatouillait mes jambes. C'était un temps fortement déraisonnable. Je lisais Aragon avec fièvre.

Mais seulement quelques pages lues, et dans la moite langueur postprandiale d'un juin triomphant, je me sentais glisser suavement dans une rêverie mi-close, où l'image troublante et défendue de mon professeur de psychologie venait s'intercaler soudain entre mon livre et moi.
Une étrange sensation s'emparait de mon jeune corps vrombissant comme un insecte ailé, cependant que la chaleur empourprait mes joues et mon ventre.

Je regardais ses cheveux moirés aux reflets d'anthracite, son beau corps mince et ses bras et ses mains et sa nuque où mes doigts rêvaient de jouer comme d'une harpe, en détachant chaque phalange pour une mélodie impérieuse qui semblait envahir l'espace. Tout l'espace jusqu'à effacer et les arbres, et le ciel. Seul restait celui de son regard impénétrable.
Il se penchait vers moi et immisçait ses lèvres dans les miennes, faisant couler l'or et l'encens et les rubis jusqu'aux caches secrètes de mes profondeurs. Je haletais. Le vent agitait les feuilles dans ce murmure salé des débuts d'été, à l’heure brûlante où tout se tait, jusqu'aux fontaines. L'air crissant dans ce silence comme un effleurement d'ongle sur de la soie.

Sous le souffle ému de sa bouche s'érigeait le duvet de ma peau et ses doigts se promenaient sur moi comme ceux d'un lecteur en braille découvrant un poème érotique de Verlaine.
Mon corps devenu guitare, il était Louis, il était Paul, il sentait l'ambre, j'étais Lola. Il était forêt, dunes, rivières, et moi exploratrice ardente et impudique. Lui âpre, immense et attentionné, déversant son essence en gouttes chaudes et puissantes de pluie d'été.

Et là, dans la fournaise des désirs mêlés au zénith du thermomètre, le corps non sage en étendard vibrant sous mon corsage de lin, je soupirais sans bruit, l'âme envolée.

¸¸.•*¨*• ☆

Arpenteur d'Etoiles - Aimer l'amour et l'écrire


Pantoum malais ... d'amour

J'ai embrassé l'aube d'été
Lorsque près de moi tu tanguas
Dans ta splendide nudité
Vers les confins du Katanga

Lorsque près de moi tu tanguas
Je découvris ton corps gracile
Vers les confins du Katanga
Embaumés de parfums subtils

Je découvris ton corps gracile
Tu en offrais tous les rivages
Embaumés de parfums subtils
Vibrants appels au doux voyage

Tu en offrais tous les rivages
A mes caresses impudiques
Vibrants appels au doux voyage
Vers les chauds secrets de l'Afrique

A mes caresses impudiques
Tu répondais en m'entraînant
Vers les chauds secrets de l'Afrique                          
Que tu gardais jalousement

Tu répondais en m'entraînant
De tes collines à tes vallées
Que tu gardais jalousement
Comme talisman de sorcier

De tes collines à tes vallées
J'ai conservé dans ma mémoire
Comme talisman de sorcier
Le doux velours de ta peau noire

J'ai conservé dans ma mémoire
L'orbe de tes seins métissés
Le doux velours de ta peau noire
La nuit sans fin qu'on a tissée

L'orbe de tes seins métissés
Soulevé par ton souffle court
La nuit sans fin qu’on a tissée
Vibrait de ton doux chant d’amour

Soulevé par ton souffle court
Ton corps de liane en se tendant
Vibrait de ton doux chant d’amour
Avant de fuir dans le néant

Ton corps de liane en se tendant
M’enroulait dans sa mélopée
Avant de fuir dans le néant
J'ai embrassé l'aube d'été.

(Le Pantoum Malais
Strophes de quatre vers à rimes croisées
construites de telle sorte que le deuxième et le quatrième vers
de chacune passent dans la suivante pour en former le premier et le troisième vers.
Le premier vers de la pièce doit en outre revenir à la fin, comme dernier vers.)

Lilousoleil - Aimer l'amour et l'écrire

Ma très chère Ophélie

Vous ferais-je offense si je prends la plus belle de mes plumes, une plume ordinaire ne pourrait souffrir de tracer pour vous ma très chère amie, ces quelques mots. Ce que j’ai à vous dire ne souffre pas l’attente.
Il m’a semblé que nous étions en osmose ces derniers temps et que nous pouvions envisager une vie commune. Je vous revoie, votre robe de soie orange dont les plis moirés, dansaient autour de vos chevilles si fines et délicates. Votre ombrelle de dentelle blanche protégeait votre visage des rayons brûlants du soleil dans cette allée du jardin de votre grand-père. Oh ! Comme cette image reste l’obsession de mes nuits sans sommeil. Aucun oubli n’est possible !
Vous souvenez vous lorsque je vous ai récité l’Ode à Cassandre comme votre main a glissé dans la mienne. Vous avez été si émue que n’avez pu que bégayer une petite comptine :

Un, deux, trois
Nous irons au bois
Quatre, cinq, six,
Cueillir des cerises
Sept, huit, neuf,
Dans mon panier neuf.

Nous nous sommes alors assis sous le grand cerisier. Vos yeux couleurs de l’océan se sont fermés pour m’écouter. Plus tard vous m’avez confié en dégustant une part de clafoutis avoir entendu les orgues jouer la plus grande des symphonies.
Votre parfum d’orchidée sauvage mêlé aux senteurs de lilas blanc m’a enivré, un orage d’été n’aurait pu m’offrir plus de sensations aussi douces que violentes.
Las, l’accès à votre corsage ouvert sur vos petits seins ronds et fermes me fut interdit ; l’obéissance aux obligations de la bienséance sans doute qui ne cacha pas cependant votre émotion.

Ma chère Eulalie, je dois vous avouer que tout empli de cette image, mon esprit bouillonne et tourbillonne ; si fort qu’hier j’ai eu un léger accident en me rendant à la cave alors qu’un entonnoir à la main afin de remplir un bouteille de sublime Bordeaux (que je compte offrir à Monsieur votre père), je n’ai pas vu la porte. je me suis cogné et celle-ci est sortie de ses gonds. J’ai trébuché et chu dans l’escalier. Dans ma chute, j’ai déchiré la cravate que vous avez tant admirée et qui ne me quitte jamais.
Heureusement dans cette aventure, ma moustache que vous avez si tendrement caressée, n’a pas défrisé.
Tout ceci est bien peu en regard de mes rêves les plus fous, les plus oniriques, je vous vois allongée, reposant au milieu de pétales de roses dans la clarté de l’aube, les rayons pâles du soleil levant, caressent votre corps nacré comme une opale, à votre doigt brille un anneau d’or !
Pardonnez, ma très chère Ophélie, mon emballement, mais, j’irai dès demain, puisque l’opportunité se présente, demander votre main délicate à votre père.

Votre Florimond

Pascal - Aimer l'amour et l'écrire

Les grillons

Elle marche, rectiligne. Son pas est précis, décidé, presque cadencé. Sans doute, une douce mélodie enfantine doit l’accompagner pendant sa démarche dominicale.
Les platanes arrondissent leurs feuillages bercés par une douce brise matinale. On dirait une vague verte qui s’empêche de tomber et qui recommence dans le chuchotement des branches et des moineaux qui piaillent leurs nids tout neufs.
Ses cheveux aussi se bercent du vent ; ils se coiffent et se décoiffent à son gré, pour son seul allant. Il s’amuse à caresser son visage et rivalise avec quelques rayons de soleil curieux en le maquillant d’ombres éphémères. 
Le trottoir blanc se déroule comme un tapis rouge devant cette femme pressée. On dirait qu’elle a plein de choses à dire et à faire, ce matin. Des choses importantes, c’est sûr… Ses lèvres discutent toutes seules et quelques sourires heureux s’y dessinent. Je veux croire que ce n’est qu’une chanson amusante ou un discours agréable, qui traverse son esprit, pendant ces quelques secondes.

Oui. Elle est décidée. Elle ignore le monde qui l’entoure, tellement perdue dans ses pensées du moment. Elle est dans le sien et s’y trouve bien. Je n’entends même pas son pas ; généreuse, elle marche sans toucher le sol, si légère et si convaincue, si absente et si souriante. L’air qu’elle déplace se parfume de son passage et si quelques lauriers roses se penchent dans son courant d’air frais, c’est pour saluer l’assurance dévouée de cette jeune femme.

Ses yeux dans le vague du présent clignotent à cause du soleil taquin. Elle est seule sur ce tapis volant; elle anticipe le temps qui vient à sa rencontre. Elle occulte les gens à sa portée, bien trop occupée à parfaire sa démarche volontaire et engagée. Vêtue d’un tailleur strict et bien ajusté, en bel uniforme de dimanche, elle emporte le présent qui la suit déjà… 
Quand on tourne une vieille clé dans une serrure avachie de ses ressorts, fatiguée de tant d’allers et de retours, usée de s’ouvrir et de se refermer, on se presse avec pudeur, on respecte le mécanisme ancien. On apprécie le pêne qui gémit avec peine et qui délivre ou enferme. C’est selon. C’est l’impression que j’ai de cette femme : en train d’ouvrir sa serrure, certaine d’y parvenir. Le moment qu’elle traverse est le temps qu’elle se donne pour ouvrir une porte avec le plaisir en suspens d’aimer et de donner, de comprendre à l’avance le Bonheur qui la précède…
Sa clé, elle l’a dans la main. Une simple rose enveloppée dans un papier transparent et un ruban frisé décorant s’agitent en douceur dans la cadence de son allant sans terminus, que sa destination extraordinaire. Aujourd’hui, c’est la fête des Mères. Je l’envie pour tout ce qu’elle va dire, pour tous les baisers qu’elle donnera pendant cette journée magnifique. Et je comprends tellement sa précipitation…

Je voulais tant faire danser Maman aux sons clairs des grillons…

mardi 25 avril 2017

Tisseuse - Aimer l'amour et l'écrire

S’inventer, encore et toujours
Se décaler dans toutes ses amours
Tout risquer sur un jour
Et déjouer tour après tour

Les chausse-trappes de la vie
Les illusions, les faux-semblants tout gris
Les fleurs fanées, tous les soucis
Se refiler le mistigri

Descendre tout au fond du mystère
Découvrir de tout nouveaux repères
Se relever encore et encore
Se surprendre un peu plus fort

Les ans rythment le temps
Les ans nous rendent grands
Pour apaiser l’orgueil
Pour passer les écueils

Le couple quel défi
Quelle histoire, quel cri
Quelle beauté, quelle folie
Le vivre toute une vie

Vegas sur sarthe - Aimer l'amour et l'écrire

Sabotage

J'avais organisé, classé, tout bien rangé
de mes jeunes années jusqu'à cet âge mûr 
où l'on se croit blindé et rangé des voitures,
j'avais finalement mis mon coeur en viager.

Mais c'était sans compter sur cette saboteuse
qui a dynamité mon rempart de routine
violé mon intérieur, décapé ma patine
c'est une racketteuse, une maître-chanteuse.

Elle a dépoussiéré mes idées préconçues
et jeté aux orties mes slips kangourou
changé mon aspartame en sucre du Pérou.

Elle a tourneboulé le sablier du temps,
fait de moi un gaillard, jouisseur impénitent.
Elle a mis mes tabous tout sens dessous dessus


lundi 24 avril 2017

Chri - Aimer l'amour et l'écrire

Quand on aime…

On est arrivé sur le pont au meilleur moment du jour: le soir.

On avait roulé toute la journée sans que ça nous pèse parce qu'on avait tout fait pour alléger le trajet. C'est à dire qu'on s'était peloté gentiment une bonne partie du temps. J'avais même, record battu, réussi à aligner cent bornes en ne tenant le volant que de la main gauche. Bien qu'elle ait peur en voiture, elle ne m'avait pas une seule fois, incité à la prudence. Au milieu du parcours, elle avait même fait valser sa jupe et tout le reste sur la banquette arrière. " J'avais chaud…" fut sa seule explication. J’y ai cru, bien volontiers, comme j’avais cru, ce matin, à son envie subite de voir l’Île au soir couchant.

Le soleil nous saluait comme on le méritait, il commençait à mordre la tranche Ouest de l'île et en éloignait, pour un temps, tous les malheurs du monde. Bien sûr, nous avions ouvert les quatre vitres de la voiture pour nous enivrer de l'air d'ici. Il n'y avait que nous de vivants sur cette promesse d'île. Seuls, au-dessus de nos têtes, quelques goélands nous accueillaient en planant. Le vent lui même semblait nous sourire. Des odeurs solides d'iode et d'océan nous frappaient les narines à pleins joncs. En deux temps trois mouvements, nous fûmes comme deux nourrissons repus, déposés au creux d'un couffin de bonheur.

J'ai arrêté la voiture en plein milieu du Pont, j'ai coupé le moteur pour ne plus déranger le vacarme du courant de la marée montante qui se brisait en écumes folles sur les piles du pont et je suis sorti. J'avais les jambes molles et un sourire de benêt joyeux accroché aux deux oreilles. Je n'aurais pas pu aligner trois mots, s'il avait fallu. Heureusement, il n'y avait pas grand chose à dire. Qu'à être là, regarder et apprécier. Et, si le regard portait loin, le monde s'était réduit à ce qu'on en voyait.

Plein Ouest, des tranches de rubis, comme un mille-feuille céleste, alternaient avec le sombre d'allongés nuages, un vol en V d'oiseaux migrant les soulignant. Le rouge tremblotant du couchant avait presque disparu dans du bleu noir quand nous sommes remontés dans la bagnole. A la jonction du ciel et de l'eau, on a vu des tranches oblongues enrougies. Au-dessous de nous, une cavalerie d'écume chargeait à qui mieux mieux comme pour dégommer les piles du pont. Au loin, des barques plates s'en revenaient des parcs en pout pout pout poutan. Derrière, à l'est, le noir, avait déjà englouti une belle partie du continent.

Même si c'était faux, nous nous sommes sentis meilleurs d'avoir assisté à un tel spectacle. Nous avons repris route pour filer droit vers une gargote, posée au bord d'un étroit chenal, parfumé à la marée, qui se remplissait comme une baignoire. Nous nous sommes refait une santé devant une douzaine d'huîtres, chacun, une bouteille de blanc sec... chacun et quelques tranches de pain salement beurrées. On s'en est mis jusque là, comme on dit vulgairement mais sans finir la troisième bouteille.

Je n'étais plus venu dans le coin depuis quelques années et tout y était comme je l'avais laissé. Un simple soupir étendu à un trop long silence. Mais c'était revenu tout simplement, avec du plaisir. Intense, le plaisir. Intense et banal. Celui qu'on peut éprouver quand on retrouve en boule, roulé dans le fond d'une armoire un pull qu'on aimait bien. Je retrouvais ses lumières, son air, ses odeurs, ses douceurs, ses horizontales, ses basses maisons aux bleus volets écaillés, ses tuiles plates, ses humaines dimensions. Ici, l'homme était chez l'homme et donc moi... chez moi. On a roulé encore un peu entre les salants jusqu'à la maison. Et on a dormi, enfin pas de suite, le trajet avait laissé quelques envies que n'a pas altéré la bombance. Elle était heureuse de m'avoir amené jusqu'ici. C'est elle qui avait voulu qu'on vienne sur un coup de tête. Je donnai raison à son bonheur.

Au matin suivant, nous déjeunions sur la terrasse comme des lézards au sanatorium. Devant nous l'horizon s'étirait en langueurs. Après avoir tartiné deux ou trois ficelles fraîches, vidé une bassine de thé, elle s'est levée sans rien dire, elle s'est exilée dans la salle de bains, elle y est restée une belle demi-heure. Elle en est sortie pimpante, très gaie, toute en fille. J'aurais dû sentir quelque chose de bizarre, mais je n'ai rien vu venir. Elle a rangé le peu d'affaires qu'elle avait sorti de son sac. J'étais resté assis à la table pendant qu'elle s'agitait autour de moi comme une abeille dérangée. En regardant virevolter sa robe, j'avais une idée très précise de la façon d'occuper la fin de la matinée...

Elle s'est plantée devant moi, et d'un trait, elle m'a sorti sans sourire:

---- Finalement la mer, l'océan, tout ça me déprime, en partant maintenant, on peut y être ce soir... On bouge ? Si on filait à Paris voir l’île de la Cité? J’ai eu peur de penser qu’elle pouvait changer d’île comme de chemise… J'ai souri un peu niaisement, je me fichais de tout, je serais parti en Chine si elle avait voulu du riz.

Et puis, on n'a pas roulé bien, bien longtemps, on a passé la journée à la campagne… On s’est roulé tout le jour dans un champ de luzerne...

Où lire Chri
Où voir ses photos

ChristelD - Aimer l'amour et l'écrire

Aimer l'amour et l'écrire

Sous ma plume tremblante
Les mots ont du mal à jaillir.
Mes larmes, elles, sont prêtes
À fuir, à déborder.

Aimer l'amour et l'écrire.

T'aimer, mon amour,
Et t'écrire ces mots si difficiles.
Tu me manques, tout simplement.
Ta peau, ton odeur, ta voix.

Aimer l'amour et l'écrire.

T'adresser ce message
Que je n'ai pas pu te dire.
Ces mots ultimes.
Cet amour ultime.

Aimer l'amour et l'écrire.

T'aimer par delà l'au-delà.
T'aimer par delà les mots
Qui enrobent ma douleur dans un cocon.
T'aimer, mon amour, et écrire.

Jak - Aimer l'amour et l'écrire

Amour, toujours,

De mon balcon, où je viens pour  respirer un peu d’air printanier, je découvre  mon voisin vieillissant, le jardinier. Il est protégé des rais du soleil par un ample chapeau de paille tourmenté par les nombreuses expositions estivales.  
Il s’active bizarrement, au milieu du potager
Il dodeline de la tête de façon inaccoutumée et fait des gestes  de semeur, avec  ses mains noueuses déformées par les rhumatismes
Il a cueilli une marguerite, et arrache un à un les pétales   d’une manière sensuelle, portant chacun d’entre eux  à ses lèvres. 
De loin il me semble l’entendre ânonner … beaucoup,  folie  
A-t-il perdu la tête ?

Depuis que Marie son épouse révérée s’en est allée, il est interminablement triste. Mais aujourd’hui c’est  un rayon de soleil qui est venu  illuminer  son  visage sillonné  
Passionnément, il n’a pu résister au plaisir d’entrer en communication avec sa chère et tendre disparue.
Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, cette coutume désuète, ils en jouaient ensemble dans leurs jeunes années.

Aujourd’hui elle  a permis le miracle.
Il lui dit et redit son amour 
Et cette belle expression « Effeuiller La Marguerite » revêt tout son sens devant cet amour qui ne finira qu’avec lui.

Andiamo - Aimer l'amour et l'écrire

Un amour infini.

- Monsieur Delmont ! C'est le quatrième acheteur que vous refusez ! Êtes-vous sûr de vouloir vendre votre maison ?
L'homme qui s'adresse à Claude Delmont est un jeune vendeur, employé chez le marchand de biens ayant pignon sur rue dans la petite ville de Villefranche-de-Lauragais, à une trentaine de kilomètres de Toulouse.

Claude Delmont n'est plus très jeune, soixante-dix ans aux vendanges, un cœur fatigué par une vie un peu débridée, mais dans le sud-ouest con, on aime bien la fête.. con !
- Vous savez, Monsieur Delmont, vous en voulez cent cinquante mille francs de votre maison. Elle est grande certes, mais il y a pas mal de travaux à effectuer, et puis nous sommes en 1963, et avec la ceinture que le grand Charles nous resserre chaque jour, il faut faire des concessions. Tenez, le dernier visiteur vous a fait une offre à cent trente-cinq mille francs, c'est très raisonnable, Monsieur Delmont ! Très raisonnable !
- J'ai dit cent cinquante, un point c'est tout !
- Bon, c'est votre droit, Monsieur Delmont, mais si vous persistez, mon patron va rouspéter et ne s'occupera plus de vous, c'est notre droit également.
- On verra bien, jeune homme : à diù siatz !

Une fois seul, Claude marmonne, "il" m'a envoyé un couple ! Lui, il est boutonneux, elle est mal fagotée, sapée comme une serpillière. Ah non ! Je ne veux pas de ça pour "ELLE" !
Il s'est fait réchauffer un bol de soupe, genre garbure, quelques morceaux de pain dur à tremper afin que "ça tienne au corps" comme on dit, une large tranche de pain de campagne, un morceau de fromage de chèvre, arrosé avec le "chabrot" ! Et au lit...
L'orage qui menace depuis hier s'est enfin déchaîné, apportant un peu de fraîcheur et d'eau pour le maïs qui en a bien besoin. Claude s'est réveillé, il est assis dans son lit, il n'a pas allumé.
Le bruit de tôle froissée tant attendu se fait entendre, Claude se lève, enfile ses bottes de caoutchouc, alpague sa canadienne avant de sortir.
Dehors, le platane de la terrasse est secoué par les bourrasques, et contre le muret il aperçoit, à travers l'encre de la nuit, deux phares curieusement dirigés vers le ciel.
Un sourire illumine sa face, c'est ELLE... Oui, c'est ELLE !

Il ouvre le portillon, un grincement sinistre se fait entendre, nul alentour pour capter ce bruit, il vit un peu à l'écart sur la route de Gardouch.
Contre le muret, une 404, dont on ne distingue pas bien la couleur, est encastrée. Claude ouvre la portière côté conducteur, une jeune femme est affalée sur le volant, elle est seule dans la voiture.
Avec d'infinies précautions, Claude a extrait la jeune femme de la voiture, l'a prise dans ses bras et commence à l'emporter chez lui.
L'effort est considérable pour un homme de son âge, il sent une douleur monter dans sa poitrine, il respire lentement, fait le vide dans sa tête, ne pas paniquer, ne pas s'affoler, inutile d'en remettre une couche !
La porte entrebâillée lui facilite l'entrée, il dépose la jeune femme sur le grand canapé, il ôte ses bottes et sa canadienne, lentement en portant sa main à la poitrine, il reprend son souffle, puis se penche sur la femme.

Elle a la trentaine tout au plus, des cheveux longs, elle est très belle. Claude lui sourit, il sait que dans dix minutes elle ouvrira ses jolis yeux couleur noisette, se passera la main dans les cheveux et demandera...
- Où suis-je ?
Depuis la cuisine, Claude l'a entendue, il arrive une tasse de thé à la main...
- Tenez Madame, c'est du Darjeeling !
- Oh, mon préféré, vous êtes devin ?
- Nooon, mais c'est mon préféré également !

Elle trempe ses lèvres dans la jolie tasse de porcelaine, la dernière d'un service magnifique, cadeau de sa Marraine pour son mariage, c'est loin, si loin, sa Michèle partie il y a près de vingt ans bouffée par le crabe.
Elle va me dire...
- C'était bien bon merci, Monsieur... ?
- Claude, appelez-moi Claude, et vous ?
- Je ne sais plus, je ne me souviens plus de rien ! J'ai ouvert les yeux dans cette pièce, je vous ai vu, c'est tout ce dont je me souviens...

Ça fait combien de fois que je la vois ? Douze, quinze fois ? C'est toujours à peu près le même scénario, bien sûr quelques mots changent, un "je me rappelle" au lieu de "je me souviens" mais vraiment des détails. Je faiblis, mon cœur ne va pas trop fort, ce soir, j'ai bien cru... Qui peut prendre le relais ? Tous ceux qui se sont présentés étaient soit trop vieux, soit trop cons, soit pas assez "couillus" !
Il se souvient de la première fois : c'était il y a quinze ans, le bruit l'avait réveillé, il s'était levé une lampe torche à la main. Une 404 encastrée dans le mûr de clôture, le cœur serré, la peur de découvrir des blessés, des morts peut-être ? Juste une jeune femme infiniment belle et seule. Il l'avait portée chez lui, préparé un thé, le téléphone coupé à cause de l'orage, il n'avait pas pu prévenir les gendarmes. Leur nuit magnifique, suivie des deux autres, et un matin...
Il lui a présenté sa chambre, ensemble ils ont mis des draps propres, et au moment de la quitter : elle va me dire...
- Pourquoi vous partez ? Tout en faisant glisser sa robe.

Elle sera là durant trois jours, une femme magnifique, allant, venant, virevoltant, ils prendront des bains ensemble ! Elle se mettra même aux fourneaux, afin de lui préparer une tarte Tatin puis, au troisième jour, quand il se réveillera, la place près de lui sera vide, seul subsistera un peu de son parfum, Shalimar de Guerlain...

Durant mes longues journées d'attente, Je ne puis lui écrire bien sûr, alors je la dessine infiniment...

Laura Vanel-Coytte - Aimer l'amour et l'écrire

T’aimer, t’aimer, t’aimer
Mes yeux sont trop petits et mes mains, trop faibles
Pour contenir tous ces baisers
T’aimer, mon cœur est trop lourd
Quand je pense à toi
Lourd de bonheur et lourd de tous
Ces regards
T’aimer à ne plus pouvoir le dire
T’aimer et dire que tu es beau.
T’aimer et croire que tu es fort
Essuyer tes larmes.

Où lire Laura

dimanche 23 avril 2017

Semaine du 24 au 30 avril 2017 : Aimer l'amour et l'écrire

Après nous avoir écrit d'excellents textes pour "une histoire de cloche", nous vous proposons un nouveau thème :

Aimer l'amour et l'écrire

Bien entendu, en prose ou en vers comme cela vous conviendra, votre texte devra nous parvenir avant le dimanche 3 avril à minuit, à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com
... et l'amour est éternel ...

vendredi 21 avril 2017

Célestine - Une histoire de cloche

Elle referma son parapluie, grand papillon taillé dans un pan de soie rouge. En empruntant la rue des Lampions, marchant de son pas de vénitienne, elle sentit trois gouttes de pluie oubliées tomber de la branche d’un platane sur le bout de son nez. Le printemps lui serrait la gorge d’odeurs et de parfums diffus.
Quel que fût l’endroit, elle avait toujours l'impression d'être à l’envers. Sa vie était comme un épi rebelle qui refusait de se laisser dompter.
Elle respirait avec ivresse les genêts en pleine floraison qui venaient chatouiller son ventre.

Les effluves de pain chaud et de café finissaient de lui tourner la tête. Tout était bel et bon. C’était sa vie d’aimer la vie. Les étoiles et les fleurs. Et les êtres qui croisaient sa route. Et les multiples ramifications merveilleuses des possibles.
Elle avait dans le cœur tous ses rêves intacts, des rêves de grand Canyon et de baie d’Ha-Long, de Gobi et de Fuji San. Des rêves larges et conquérants, de ceux qui se rient des volailles de basses-cours.
Elle était comme ça tout le temps, comme avec ses élèves, frimousses barbouillées et cheveux en broussailles. Un geste tendre, un sourire, un mot pour chacun. Afin de dispenser l’amour, universel, présent dans chaque brin d’herbe, dans chaque main tendue, dans chaque goutte d'eau. Elle aurait aimé qu'on la comprenne. Qu'on l'aime comme elle était.

Elle n'aimait pas la jalousie, la possession, la rancœur, tous ces masques qui faussent l'amour et le déguisent. Elle n'aimait pas les cages, les prisons dorées, les passages obligés, les conventions. C'était son droit. Tout cela faisait tomber des grumeaux de tristesse dans sa joie d'or liquide. Tout son être s'arc-boutait contre cette idée. Il y avait bien trop de causes de tristesse déjà, dans ce monde insensé.
Un pâle soleil perçait à travers les feuillages derrière la chapelle couverte d'ampélopsis.
Elle s’assit sur le muret de pierre humide de mousse, et ferma les yeux. Elle se seraient presque attendue à voir apparaître le renard, tant son décalage se faisait insistant.

La cloche sonna cinq heures, un peu fort. Elle sursauta, s’ébroua de sa torpeur et repartit à l'aventure, les yeux écarquillés sur les mystères de l'existence. Ses bottes faisaient des arcs-en-ciel dans les flaques.

Où lire Célestine

jeudi 20 avril 2017

Marité - Une histoire de cloche

La chapelle du Mont Gargan.

C'est une fin de journée d'octobre début des années 1980. Nous empruntons l'allée arborée qui s'élève jusqu'au Mont Gargan. Ces hêtres centenaires, dépouillés de leur feuillage nous fascinent. De grosses branches basses, tordues, noueuses, partent dans tous les sens depuis un tronc court. Le climat limousin, rude en hiver les a façonnées, torturées, violentées. Le vent d'automne qui souffle aujourd'hui passe et court dans les ramures sans les agiter. Une sorte de malaise me saisit. On dirait que ces arbres protègent un lieu unique et hésitent à nous laisser continuer.

La magie commence là. Je pense à Georges-Emmanuel Clancier, amoureux de sa province, qui parle d'un "pays vieux, creusé de sortilèges, de frayeurs et de légendes."

Nous débouchons sur une clairière fantastique. Un orme gigantesque trône, imperturbable. Le vent balaie les nuages et la vue magnifique qui s'offre à nous sur les plateaux limousins, celui de Millevaches en particulier, s'étire jusqu'aux Monts d'Auvergne. Il y règne un silence étourdissant mais pas lugubre.

Mais les ruines de la chapelle Notre Dame du Bon Secours, érigée en 1870 par un prêtre et les habitants des communes avoisinantes, me subjuguent. Elles se dressent, majestueuses dans leur nudité. Étrange : la cloche, tombée en équilibre sur les pierres, tinte faiblement, animée par le vent ou quelque créature de Dieu ou du diable. Ce qui ajoute au mystère environnant. On imagine très bien les processions anciennes des villageois qui partaient de la chapelle pour se rendre à la fontaine miraculeuse du Buisson Blanc en contre-bas où Saint Antoine aurait guéri des écrouelles.

Autre facette de cet endroit étonnant : le combat qui s'y est déroulé entre les Allemands et le Colonel Guingouin et ses maquisards lors de la dernière guerre. Le chant des partisans semble d'ailleurs sourdre des landes de bruyère, de genêts et d'ajoncs alentour si l'on tend l'oreille.

Tout ici évoque l'histoire et les mythes de ce Limousin enchanté et enchanteur, rude et pauvre aussi.

Les légendes abondent et le Mont Gargan n'en est pas dépourvu. On raconte que Gargantua, ce dieu celte et gaulois transformé en géant par la croyance populaire, a créé ce sommet en secouant ses bottes pleines de boue et lui a donné son nom. On raconte que Gargantua serait la personnification du soleil. Marcelle Delpastre, poétesse corrézienne, écrit que les habitants des villages marchaient dans la nuit avec leurs vaches attelées aux charrettes, s'éclairant de torches. Ils grimpaient jusqu'au sommet du mont où ils attendaient le dieu soleil. Ils repartaient alors en clamant que le jour était levé.

Je suis revenue quelquefois au Mont Gargan qui m'ensorcelle toujours. La belle allée de hêtres a été gravement endommagée par la tempête de 1999 mais est en cours de réaménagement. Les ruines du sanctuaire ont été consolidées.

La cloche de la chapelle, en acier et non en bronze faute d'argent, a maintes fois disparue, volée, vendue illégalement à un ferrailleur. Elle a été retrouvée par la police et repose désormais accrochée à un portique dans le chœur de la chapelle. Lors de manifestations organisées ici, pèlerinages ou festivals, elle sonne joyeusement réveillant ce lieu perdu et envoûtant.

mercredi 19 avril 2017

Arpenteur d'étoiles - Une histoire de cloche

Une pauvre Cloche

Fais-y voir le kil de Jaja, mon pote … ahhh y arrache mais c’est du bon … enfin si on veut … Un peu qu’j’m’y connais en picrate ! Si j’te disais tout ce que j’ai pu boire, mon pote … et du bon, crois-moi. Le vieux y s’y connaissait vachement en pinard. Le vieux, c’était mon dabe tu vois … Ouais, je veux qu’j’ai eu un dabe. Et un balaise en plus. On vivait sur les collines au-dessus de cette putain de ville. Tiens, viens un peu par là … regarde là-bas, après le clocher d’l’église … au fond … tu vois tous les grands arbres … et ben, parole, derrière c’était la baraque. Non j’raconte pas des conneries, sur la tête à ma mère, tiens j’te l’jure … tu vois qu’j’mens pas.

Ben ouais, j’ai eu une mère aussi. Vain dieu qu’elle était belle quand j’étais môme. Une vraie déesse, blonde, mince et toujours souriante. Y avait souvent des fêtes à la baraque. Y z’appellait ça des soirées. C’était tout illuminé, avec des chandelles partout et y avait même un loufiat qui obéissait à la cloche de la cuisine. Un enfoiré de loufiat … Moi on m’envoyait au pieu, mais j’me rel’vais et j’allais mater dans un coin connu que de moi. Si. Les belles gonzesses, les beaux mecs ; des cadors pleins de blé avec des super bagnoles toutes rouges garées dans le parc ...

Un jour j’ai eu vingt ans. Comme j’te dis. Mes vieux y z’ont fait une fête du tonnerre. Champagne et grands bordeaux. Tu vois qu’je mens pas quand j’te dis qu’j’ai bu des trucs que t’as même pas idée du nom.

Ce soir-là j’avais levé une petite. Une de la haute, de la vraie haute même. Comment c’était son blaze déjà … ah ouais Aude de Trucmuche … j’sais pu vraiment mais chui sur que c’était de quèque chose. Elle faisait sa mijaurée mais elle se laissait embrasser quand même. Moi j’touchais un peu partout. Ça la faisait marrer, mais elle voulait pas aller plus loin c’te’ garce. Alors j’ai laissé tomber et j’me suis mis à siroter un peu trop avec la bande de branleurs de la fac ousque j’étais. Si chui été à la fac ! J’te raconterai ça un jour.

Fais-y péter l’rouquin nom de Dieu … si tu veux qu’je continue.

Au p’tit matin j’étais fait. Alors chui été dans le parc pour prendre l’air, et c’est là que j’les ai vus. L’Aude de machin avec le loufiat d’mes deux. En train d’baiser dans la bagnole de mon dabe. J’ai fait ni une ni deux dis donc. J’suis monté chercher le fusil de chasse du vieux et j’les ai tirés comme des lapins. Pan, pan … du raisiné partout dans la caisse et sur mes fringues aussi. Et j’suis resté comme un con alors qui z’étaient en train d’crever, là devant moi.

Ça a fait un pataquèsse épouvantable. Les flics, les cris, les pleurs. J’oublierai jamais le visage de ma mère quand elle a compris. Mon vieux lui y s’est refermé à tout jamais et m’a plus adressé la parole. Ça fait presque trente ans. Ouais mon pote. Mon baveux était pourtant un ténor, mais j’en ai pris pour trente piges quand même. Paraît qu’j’ai échappé au couperet grâce à lui.

Et c’est en taule où j’ai viré de bord. Chuis tombé de plus en plus bas. J’étais trop tendre pour les gros tatoués. J’me suis fait mettre vite fait. Des vraies bêtes. Et puis j’me suis habitué. J’leur ai servi de souffre-douleur comme a dit le con de psymachin. Toujours est-il que chui sorti en avance y a deux ans, pour bonne conduite. Tu parles que j’avais l’choix.

Je ne suis plus qu’une cloche. Depuis j’suis sous ce putain de pont à lorgner la baraque de quand j’étais gosse. Un jour j’ai même vu ma mère. Elle a pris un sacré coup de vieux mais elle est encore belle. Parole. Elle m’a pas reconnu. Normal, remarque personne est jamais v’nu m’voir en taule.

Non j’chiale pas … ta gueule, j’chiale pas j’te dis, c’est la fumée d’l’usine d’à côté qui pique les chasses ... Allez, file encore un coup d’jaja, va. D’abord ça fait remonter les souvenirs, et puis ça les noie. Et c’est là qu’c’est bon.

Bricabrac - Une histoire de cloche

C’est cloche, l’amour

Il me serait plus facile d’inventer une histoire, comme j’aime à le faire. Je serais sûr que rien ne cloche. Avec le soin qu’on apporte à dessiner le plan de table d’un banquet de noce, j’aurais inventé une ville, toits de tuiles ou bien d’ardoises, imaginé à mon gré les rues et les places, les vitrines et les lumières, ce qu’on voit des fenêtres, la campagne alentour et l’aspect du ciel, et choisi avec soin la décoration, les fleurs des jardins publics et celles à piquer dans les vases, les oiseaux qui pépient dans la charmille, et la couleur des yeux de l’héroïne. Je recommande les yeux noisette ou marron, qui se marient avec tout. Mais un article est paru dans Ouest France, à la page des faits divers, l’information a été reprise le lendemain par Presse Océan à la rubrique mondaine, en sorte que le moment venu d’entreprendre ce récit, la vérité m’impose sa loi d’airain, à laquelle je suis contraint de me soumettre.

S’il n’avait tenu qu’à moi, j’aurais évité ce jour-là de rincer la ville, où j’avais des courses à faire, sous cette pluie de zinc qui ruisselait le long des façades de tuffeau du quai de la Fosse, des trombes d’eau descendant en rappel d’une touffe de giroflées des murailles à l’autre, éclaboussant de perles les feuilles de l’ombilic nombril-de-Vénus qui pousse en bas des gouttières et giflant les arabettes des dames qui fleurissent dans les caniveaux, où s’abreuvaient gaiement les moineaux friquets. Au coin de la rue du Trépied, où des bas-reliefs, sur la façade de la maison Leutellier Tesson, s’élèvent comme des jarretelles du taffetas et des pampilles, je poussai la porte, aspergeant les robes de mariée haute couture quand je secouai mon parapluie. Comme chaque semaine au terme du contrat qui me lie, j’apportais les épithalames personnalisés qui seraient ensuite cousus de fil blanc sous l’ourlet, ce qui est une spécialité de la maison. Après avoir parlé boutique, empoché mon chèque et pris connaissance des nouvelles commandes pour la semaine suivante, je partis me promener, à la faveur d’une éclaircie, tirant des bords le long des quais sur les pavés glissants.

Je passai devant le pont-levis du château et me joignis un moment aux badauds en train d’observer le vol papillonnant du tichodrome échelette qui niche dans le mâchicoulis. Celui-ci, en plumage nuptial, vaquait à ses occupations d’entomologiste, taguant les murs du même rouge sang de l’écaille chinée, tandis que la paire de faucons crécerelles qui a fait son nid dans la lanterne du campanile striait le ciel de gris bleuté et de brun chocolat. Poursuivant ma flânerie, j’arrivai sur la place de l’église Sainte-Croix, une jaguar ancienne d’émeraude pâle avec des rubans blancs accrochés aux portières stationnait devant le porche, et une volée de cloches carillonnait, effarouchant les choucas des tours qui vivent dans le clocher en couples unis pour la vie. Je levai la tête et les vis tournoyer dans le vent qui s’était levé, cependant que l’un d’entre eux, en perdition, commençait de tomber comme une pierre. Comme le journal le relata le lendemain, l’ardoise qui venait de se détacher du toit m’atteignit juste entre les épaules, exactement sur le sommet de la tête.

Rien de cassé. Je relevai péniblement mon nez de la mousse, parmi laquelle fleurissaient les grelots du muguet et les clochettes des bois des jacinthes sauvages, qui continuaient à tinter sous mon crâne. Les maisons de la place avaient disparu et la ville s’était tue. Un chêne fleuri avait poussé et frôlait de ses branches agitées par la brise le toit gauchi du narthex, que je traversai pour entrer dans la nef. Je suivis un rai de soleil qui traversait les arabesques et les fleurs stylisées des carreaux de ciment. Le prêtre prononçait son homélie du haut de la chaire d’acajou et détaillait les deux dimensions de l’amour, ἐρως, le côté sensible et sensuel, et αγάπη, la dimension oblative de l’amour, parlant avec des mots quotidiens et doux qui me remuèrent. J’essorai mon mouchoir trempé par l’émotion au-dessus du bénitier, jusqu’à ce que, redescendu parmi nous à la fin du sermon, le curé donne un baiser de paix à l’enfant de chœur, qui se chargea de le faire circuler dans les travées, en même temps que la corbeille de la quête.

Entre les bruits de menue monnaie et les sons de l’harmonium, il me sembla entendre, à mon grand étonnement, qu’on m’encourageait à avancer dans l’allée centrale. Devant l’autel, la mariée était seule. Quand je me fus approché, elle se retourna lentement et me sourit. Elle était vêtue d’une robe féerique de chez Leutellier Tesson, à la faussure délicieuse. Elle tenait à la main, comme un mouchoir de batiste, un épithalame que j’avais composé pour elle et moi. Ses cheveux dénoués portaient une couronne tressée de campanules bleues et des discrètes petites marguerites du galinsoga qu’on trouve dans les cours. Ses yeux bleus étaient deux aquarelles.

Café Byblos - Une histoire de cloche

Pourquoi Maman ne mange-t-elle pas de chocolat ?

Un jour, j’ai découvert que maman ne mangeait pas de chocolat. C’était Pâques. J’avais au matin déniché, entre les deux portes qui ouvrent sur le balcon, de petits œufs Laura Secord qui ne pouvaient provenir que de la Pharmacie Grimard, à quelques maisons d’ici sur la grand’rue, et qu’y avaient laissés, sur un lit de paille jaune, verte, rose et bleue, toutes couleurs pastel, les cloches de mon église à leur retour de Rome où elles s’étaient rendues de leurs propres ailes et dès le début du carême pour y recevoir la bénédiction papale.
Plus tard dans la journée, comme un soupirant à une belle, je lui en offris un, un œuf à maman qui le refusa. Ma surprise, bien plus que ma déception, fut grande d’être ainsi éconduit. Je n’aurais pas cru, en mon âge d’alors, qu’une personne raisonnable, même un adulte, pût d’emblée refuser un si aimable présent, surtout venant d’un enfant. C’est si touchant. Je lui demandai donc pourquoi elle n’acceptait pas mon offrande.

Elle me regarda tendrement, me dit qu’elle avait fait un vœu, un vœu ? et afficha ce sourire qui montre à l’enfant que sa maman le comprend et l’excuse d’être petit et de ne pas savoir encore qu’on ne tente pas qui a fait vœu, et le respecte, de ne pas manger de chocolat parce que, jusqu’à ce que…
Je la laissai s’empêtrer dans ses pieuses explications et déposai l’œuf en chocolat, celui que je lui avais tendu et qu’elle avait refusé, dans la benne d’un petit camion que je faisais rouler sur la table de la cuisine recouverte d’une nappe de plastique. Broum-broum font les petits camions. « Ne nous induisez pas en tentation. » Le bruit de leurs moteurs imaginés couvre celui des orages qui grondent, au loin. « Pardonnez-nous nos péchés comme… »
Ce n’est que plus tard que j’appris ce que sont les offrandes votives et les sacrifices expiatoires ; et qu’un vœu peut être utile autant pour l’obtention d’une grâce que pour l’expiation d’une faute ; que la faute peut être sienne ou celle d’autrui ; que la grâce peut être pour soi ou pour autre que soi. Et c’est bien plus tard encore que je me demandai, au rappel fortuit de cet incident, quand et pourquoi maman avait fait ce vœu. Une faute à pardonner, une faveur à obtenir ? Je n’obtins pas de réponse puisque ce ne fut qu’à moi que je la posai, cette question qu’aussitôt j’oubliai. J’étais tout à ma vie, vivais au loin de la grand’rue et avais bien d’autres tracas.

Ce n’est qu’après la mort de tous mes chats et après que je n’eus plus rien ni personne à fouetter qu’elle me revint, la question. Qu’elle s’imposa. Comme le font dans le tard du temps toutes les autres questions demeurées depuis l’enfance sans réponse, ces questions étouffées sous l’accumulation des réponses données à celles que l’on n’a pas posées. Mais déjà le temps de l’inquiétude avait rendu obsolète l’espoir, l’appréhension du soir corrodé l’espérance du matin, le bruit des crécelles remplacé le branle des cloches. Les réponses toutes depuis longtemps mollissaient sous la peau sèche et craquelée des vieux tracas et des vieilles craintes.

mardi 18 avril 2017

Tisseuse - Une histoire de cloche

Il existe un temps
Hors du monde et du vent
Il existe un espace
Où les heures trépassent
Il existe un sonneur
Dans la crasse et la douleur
Il existe un humaniste
En de lointaines pistes

Il existe un carillon
Sans cloche ni bourdon
Il existe monsieur Modo
Difforme et clodo
Il existe en mon âme
Une partie infâme
Il existe un endroit de moi
Que je n’aime pas plus que toi

Il existe ce tocsin
Qui nous parle de fin
Il existe ces heures inquiètes
Où le temps n’est pas à la fête
Il existe et bat le rappel
Nous rassemble nous interpelle
Il existe et se fait proche
Pour nous sonner la cloche

Pascal - Une histoire de cloche


Le Bonhomme Jacquemart

Au début du XVème siècle, comme beaucoup d’autres villes, Romans voulut se doter d’une horloge publique. Naturellement, en la rehaussant de plusieurs mètres, on choisit la tour de la forteresse pour cette implantation.
On allait enfin pouvoir lire l’heure à chacun des moments de la journée. Romans allait vivre au rythme des heures entreprenantes, pendant cet emploi du temps de tic-tac. Simplement, en tournant la tête vers le cadran, on saurait à la minute près quelle heure il serait. Les gamins allaient apprendre l’heure en les comptant et les anciens les occuperaient en justifiant leurs habitudes. « Il est et un quart ! » « C’est l’heure du bain ! » « Il est la demie ! » « C’est l’heure de l’apéro ! » « C’est midi ! » « Bon appétit ! » « Tu peux sortir ton pain du four !... » « J’attends moins le quart !... » « Mais ce n’est pas l’horloge qui vient de sonner ?... » « Je suis en retard !... » Notre ville allait vivre sous le joug de l’exactitude du Temps. Nous allions entrer dans un emploi du temps aux séquences journalières implacables.

Réfractaires, les ouvriers regarderaient le cadran de l’horloge jusqu’à la dernière seconde pour reculer l’échéance du boulot et les patrons râleraient en les attendant devant leurs usines. On allait comparer les angélus du voisinage avec celui de la tour. Religieux et laïques allaient s’affronter par cloches interposées et on se demanderait qui est en avance et qui est en retard. Plus tard, les culs-bénits régleraient leurs montres à gousset à l’appel de l’église, les païens et les parpaillots, leurs tocantes, à l’heure de l’horloge publique.
Bien sûr, les vieux n’en voulaient pas de cette invention du diable ! Ils continueraient de regarder le soleil, sa chaleur, ses inclinaisons, ses effets d’éclairage, ses courses d’ombres, en fuyant cette modernité tapageuse ! Les ressorts, les contrepoids, les balanciers et autres pignons baladeurs, mais ce n’était que machine infernale !... Tous les cadrans solaires de la ville en prendraient un sérieux coup dans l’aile…
La ville partit chercher un metteur au point à la précision suisse ! Tu parles, ce n’est pas donné, les experts en horlogerie, surtout s’ils sont helvètes ! L’heure des hommes a un coût ; heures, minutes et secondes, c’est or, argent et bronze.

Originaire de Fribourg, le Pierre Cudrifin, le fameux metteur au point de chez tic-tac, réclamait ses six cents florins d’or pour réaliser son œuvre ! Mieux aurait valu lui acheter quelques fromages des alpages, du chocolat de ses vaches bleues ou même des edelweiss par bottes de douze ! Six cents florins d’or ?!... Une vraie fortune !... De quoi nourrir cent familles de tanneurs des bords de la Martinette pendant mille ans !

Bref, le pognon, on ne l’avait pas. Nous, on voulait l’heure mais on n’avait pas l’or. On pouvait le payer en godasses, en pognes, en ravioles, en tommes mais, lui, il voulait du sonnant et du trébuchant. Les suisses, c’est toute une confrérie d’horlogers et de banquiers ! Poliment, si vous leur demandez l’heure, ils vous répondent en donnant leurs numéros de compte chez UBS !

Après des tergiversations qui durèrent jusqu’à point d’heure, pas con, le neutre intéressé reprit ses billes et son automate brinquebalant aux savants pilonnages temporels. Et puis, il n’avait qu’à aller se faire voir, lui et son batteur d’opérette ! On saurait se débrouiller sans ses aiguilles de tricoteur du Temps !

Mine de rien, à Romans, on était dans la merde et encore incultes du Temps qui passe. Les gosses ne savaient toujours pas compter, les vieux se moquaient et les ouvriers arrivaient en retard à l’usine… Seules, les cloches des églises avaient des tintements allègres, enjoués, heureux, moqueurs…
C’était bien beau, tout ça, mais maintenant, qui allait s’occuper de marteler les heures ?... Nous, les fiers romanais, notre jugeote est à plusieurs étages, à plusieurs embouts, c’est notre couteau suisse ! On phosphora pendant des conseils municipaux et très vite l’idée jaillit. On ferait une petite annonce, un avis de recrutement… Devant la mairie, sur tous les platanes des places et les murs de la cité, on put voir affiché cette singulière offre d’emploi :

« La ville de Romans cherche un solide marteleur de cloche, sachant compter jusqu’à douze et insensible au vertige. Emploi sous abri, travail de nuit, bonne robustesse et sobriété exigées. Le marteau est fourni par la ville, temps libre entre les heures, les demies et les quarts. Tenue correcte exigée. Prévoir un bel habit, un costume d’époque propre et pimpant, justifiant le siècle d’appartenance. Exonéré de la taille et de la gabelle, levers et couchers de soleil assurés, il devra s’acquitter de son office du Temps avec une grande énergie et une ponctualité irréprochable. »

Bien sûr, il en vint des campagnes et des vallées, de tout le canton et des collines ; tous voulaient se taper la cloche avec ses avantages… Marteleurs mélomanes, ferronniers, bûcherons, du tempo à l’enclume jusqu’à la cognée, ils avaient tous postulé. Il fallait élaguer…
L’un ne savait pas compter, on ne pouvait pas compter sur l’autre, le tournis de celui-ci, la peur de la solitude de l’autre, et comment payerait-on les heures supplémentaires du changement d’heure légale, à quel âge sonnerait la retraite, est-ce qu’on avait droit au litron de pinard aux heures les plus froides de l’hiver, est-ce qu’un cache-nez réglementaire était prévu à la dotation vestimentaire, les terribles nuits de vent du Nord ?

Avec un automate, on n’aurait pas eu toutes ces questions d’ordre syndical à régler ! Un peu de graisse, de peinture, des bons contrepoids et le tour était joué, s’écrièrent les consuls en place !...
C’est un revenant de mer, peut-être un ancien galérien, un marin d’antipodes, ou un bateleur sur l’Isère, qui a saisi l’opportunité. Il avait décroché la timbale ; il avait l’allant de celui qui veut le job. Au garde-à-vous, dans son uniforme de belle prestance, il passa toutes les épreuves du questionnaire avec succès. Il savait compter, il était patient, il était ponctuel, taciturne mais efficace. Sur l’heure, il fut mis à l’essai et, donc, le fameux 2 mars 1429, il prenait ses fonctions… 

L’altitude, la solitude, le blizzard, la bise, les bizets, le brouillard, n’avaient pas d’incidence sur ses capacités à proclamer les heures du jour et de la nuit. Je crois qu’il appréciait la tranquillité de l’ermitage, loin de la cacophonie et des troubles des hommes.

D’en bas, on pouvait voir son air un peu ravi, un peu halluciné, ses yeux dans le hasard, les moustaches aux quatre vents. Sous son chapeau officiel, il martelait la cloche avec zèle. Il mettait tellement d’ardeur à l’ouvrage qu’il était en avance sur tous les clochers des églises environnantes ! Il était le Jacques Bonhomme supportant les corvées de l’heure sans jamais se plaindre. En bas, les badauds se moquaient en regardant ses couleurs de perroquet !...
« Hé Bonhomme ?!... Qu’est-ce que tu fous là-haut ?... Tu comptes les étoiles ?... » « Tu sors ce soir ?... » « T’as rendez-vous avec la lune ?... » « Baisse la tête, t’auras l’air d’un sonneur !... » « Hé, frère Jacques, c’est l’heure de sonner les mâtines !... » « Là-dessus, tu vois Montmartre ?... »

Il ne descendait jamais de son perchoir ; il vivait de l’air du temps. Au printemps, il capturait les effluves des premières fleurs ; en été, son uniforme doré était l’attraction de l’horloge publique. L’automne le distrayait avec les feuillages des platanes aux tons roux et chamarrés courant sur les trottoirs. Il y avait même des feuilles étourdies de valse qui venaient le rejoindre dans sa guérite de carillonneur. Sa célérité à la tâche n’avait d’égale que sa ponctualité coutumière. Il faisait foi. « Il est quatre heures !... » « T’es sûr ?... » « C’est le Bonhomme Jacquemart qui l’a dit !... » « Ha, ben alors… » L’hiver, il retardait un peu les heures de l’après-midi pour que les enfants jouent plus longtemps avec la neige des places.

Un jour d’orage, il fut frappé par la foudre avec une telle violence qu’on crut qu’il avait déserté la cime de son clocher. Après la dissipation de l’épaisse fumée de l’explosion, il était toujours là, encore plus resplendissant ! Son uniforme étincelait de mille brasillements multicolores ! Il était fringant comme un Volontaire de la première heure ! Personne n’aurait pu le déloger de son office de marteleur ! Le Ciel l’avait… canonisé, la ville l’avait adopté. Immortel, il était devenu l’habile statue musicienne, le chantre des heures romanaises, l’Ami qu’on vient visiter en premier au retour d’un lointain voyage. Avec lui, le Temps prenait de la valeur…

Pourtant, un jour, il perdit la tête. On dit que c’est à cause d’une révolution, d’une de ces fantaisies humaines qui consistent à raccourcir la bille de tous ceux qui ne sont pas dans le rang. Moi, je crois plutôt que c’est à cause d’une belle, trop bien cachée derrière son ombrelle. Sur sa figure, roulant sur le sol, on voyait sa moustache frisée comme s’il l’avait tressée, entre ses doigts passionnés, pendant un languissamment d’altitude. Avec quelques sermons laïques et des discours de calotin, on lui remit la tête sur les épaules avec les fastes dus à sa hauteur et une grue bien utile… 

A l’époque, il était revenu à la charge, le petit suisse ! Il réclamait son dû !... « Oui, moi, j’ai fait tout le boulot ou quoi ! J’en suis de mon porte-monnaie ou quoi ! Vous n’avez pas le droit ou quoi ! Je vais porter cette affaire devant les tribunaux ou quoi !... »
Il regimbait, le Fribourg’s man ! Il montait les tours !...* Nos consuls ont objecté, quant au prix exorbitant de son automate, vu qu’on avait dépêché le nôtre sous le campanile.

Ils ont refait leurs comptes de florins ; additions pour l’un, soustractions pour les autres. Enfin, ils sont tombés d’accord sur cinq cents florins plus un octroi sur les vins et les denrées.

Voilà, vous connaissez l’histoire légendaire de notre Bonhomme Jacquemart ; celui qui nous assure ses coups de marteleur avec un grand courage et une régularité de métronome consciencieux. Ressentez-vous ces vibrations quand il s’active à nous donner l’heure ? De l’échine jusqu’aux talons, il me court toujours quelques frissons d’empathie médiévale quand je lui rends visite pendant ses heures de grande astreinte.

Des armées défilent au pas des fanfares, des danseurs gambillent aux rengaines des flonflons, des mélomanes s’extasient aux œuvres des grands orchestres. Lui, sur sa partition, et avec une seule note accordée et répétée au Temps, on sait la sortie de l’école, la pause cigarette, le bus de dix-sept heures, l’ouverture de telle devanture, la rentrée du lycée, le claquement des volets de celui-ci, la sortie du chien de celui-là, et tous ces petits détails de la vie romanaise qui cadencent l’ordinaire. Mesdames, ne lui faites pas tourner la tête ; il serait bien capable d’encore… la mettre à vos pieds…

* Monter les tours : expression suisse : s’énerver.