lundi 24 avril 2017

Chri - Aimer l'amour et l'écrire

Quand on aime…

On est arrivé sur le pont au meilleur moment du jour: le soir.

On avait roulé toute la journée sans que ça nous pèse parce qu'on avait tout fait pour alléger le trajet. C'est à dire qu'on s'était peloté gentiment une bonne partie du temps. J'avais même, record battu, réussi à aligner cent bornes en ne tenant le volant que de la main gauche. Bien qu'elle ait peur en voiture, elle ne m'avait pas une seule fois, incité à la prudence. Au milieu du parcours, elle avait même fait valser sa jupe et tout le reste sur la banquette arrière. " J'avais chaud…" fut sa seule explication. J’y ai cru, bien volontiers, comme j’avais cru, ce matin, à son envie subite de voir l’Île au soir couchant.

Le soleil nous saluait comme on le méritait, il commençait à mordre la tranche Ouest de l'île et en éloignait, pour un temps, tous les malheurs du monde. Bien sûr, nous avions ouvert les quatre vitres de la voiture pour nous enivrer de l'air d'ici. Il n'y avait que nous de vivants sur cette promesse d'île. Seuls, au-dessus de nos têtes, quelques goélands nous accueillaient en planant. Le vent lui même semblait nous sourire. Des odeurs solides d'iode et d'océan nous frappaient les narines à pleins joncs. En deux temps trois mouvements, nous fûmes comme deux nourrissons repus, déposés au creux d'un couffin de bonheur.

J'ai arrêté la voiture en plein milieu du Pont, j'ai coupé le moteur pour ne plus déranger le vacarme du courant de la marée montante qui se brisait en écumes folles sur les piles du pont et je suis sorti. J'avais les jambes molles et un sourire de benêt joyeux accroché aux deux oreilles. Je n'aurais pas pu aligner trois mots, s'il avait fallu. Heureusement, il n'y avait pas grand chose à dire. Qu'à être là, regarder et apprécier. Et, si le regard portait loin, le monde s'était réduit à ce qu'on en voyait.

Plein Ouest, des tranches de rubis, comme un mille-feuille céleste, alternaient avec le sombre d'allongés nuages, un vol en V d'oiseaux migrant les soulignant. Le rouge tremblotant du couchant avait presque disparu dans du bleu noir quand nous sommes remontés dans la bagnole. A la jonction du ciel et de l'eau, on a vu des tranches oblongues enrougies. Au-dessous de nous, une cavalerie d'écume chargeait à qui mieux mieux comme pour dégommer les piles du pont. Au loin, des barques plates s'en revenaient des parcs en pout pout pout poutan. Derrière, à l'est, le noir, avait déjà englouti une belle partie du continent.

Même si c'était faux, nous nous sommes sentis meilleurs d'avoir assisté à un tel spectacle. Nous avons repris route pour filer droit vers une gargote, posée au bord d'un étroit chenal, parfumé à la marée, qui se remplissait comme une baignoire. Nous nous sommes refait une santé devant une douzaine d'huîtres, chacun, une bouteille de blanc sec... chacun et quelques tranches de pain salement beurrées. On s'en est mis jusque là, comme on dit vulgairement mais sans finir la troisième bouteille.

Je n'étais plus venu dans le coin depuis quelques années et tout y était comme je l'avais laissé. Un simple soupir étendu à un trop long silence. Mais c'était revenu tout simplement, avec du plaisir. Intense, le plaisir. Intense et banal. Celui qu'on peut éprouver quand on retrouve en boule, roulé dans le fond d'une armoire un pull qu'on aimait bien. Je retrouvais ses lumières, son air, ses odeurs, ses douceurs, ses horizontales, ses basses maisons aux bleus volets écaillés, ses tuiles plates, ses humaines dimensions. Ici, l'homme était chez l'homme et donc moi... chez moi. On a roulé encore un peu entre les salants jusqu'à la maison. Et on a dormi, enfin pas de suite, le trajet avait laissé quelques envies que n'a pas altéré la bombance. Elle était heureuse de m'avoir amené jusqu'ici. C'est elle qui avait voulu qu'on vienne sur un coup de tête. Je donnai raison à son bonheur.

Au matin suivant, nous déjeunions sur la terrasse comme des lézards au sanatorium. Devant nous l'horizon s'étirait en langueurs. Après avoir tartiné deux ou trois ficelles fraîches, vidé une bassine de thé, elle s'est levée sans rien dire, elle s'est exilée dans la salle de bains, elle y est restée une belle demi-heure. Elle en est sortie pimpante, très gaie, toute en fille. J'aurais dû sentir quelque chose de bizarre, mais je n'ai rien vu venir. Elle a rangé le peu d'affaires qu'elle avait sorti de son sac. J'étais resté assis à la table pendant qu'elle s'agitait autour de moi comme une abeille dérangée. En regardant virevolter sa robe, j'avais une idée très précise de la façon d'occuper la fin de la matinée...

Elle s'est plantée devant moi, et d'un trait, elle m'a sorti sans sourire:

---- Finalement la mer, l'océan, tout ça me déprime, en partant maintenant, on peut y être ce soir... On bouge ? Si on filait à Paris voir l’île de la Cité? J’ai eu peur de penser qu’elle pouvait changer d’île comme de chemise… J'ai souri un peu niaisement, je me fichais de tout, je serais parti en Chine si elle avait voulu du riz.

Et puis, on n'a pas roulé bien, bien longtemps, on a passé la journée à la campagne… On s’est roulé tout le jour dans un champ de luzerne...

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17 commentaires:

  1. Des confessions comme ça, ça vaut largement un coup de blanc !

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  2. On s'est roulé tout le jour dans la luzerne... ça m'a rappelé ceci :
    https://youtu.be/1_d19EtxQO8
    Quel beau duo n'est ce pas ? Bucolique comme ton texte.
    J'ai croisé Michel Simon il y a fort longtemps, près de la Porte Saint Denis, je me doute de ce qu'il allait y faire ];-D

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  3. @ Vegas On reprend le même!
    @ Andiaamo: Oui, oui, un joli moment de cinéma. Du Gainsbourg quand même...

    D'avoir vécu le cul
    Dans l'herbe tendre
    Et d'avoir su m'étendre
    Quand j'étais amoureux
    J'aurais vécu obscur
    Et sans esclandre
    En gardant le cœur tendre
    Le long des jours heureux
    Pour faire des vieux os
    Faut y aller mollo
    Pas abuser de rien pour aller loin
    Pas se casser le cul
    Savoir se fendre
    De quelques baisers tendres
    Sous un coin de ciel bleu
    Pas se casser le cul
    Savoir se fendre
    De quelques baisers tendres
    Sous un coin de ciel bleu

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  4. J'aime beaucoup cette place immense laissée à notre imaginaire. Et le coucher de soleil. Le regard porte loin, exact. Tu as coupé des scènes, non ?

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  5. @ Bricabrac Merci, merci... Pas coupées, elles y sont, mais c'est à vous de les voir...

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  6. j'hésite entre "Trousse chemise" de Aznavour, et "L'île de Ré" de Nougaro :)

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  7. @ Tisseuse Je pencherai plutôt pour la deuxième!

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  8. Ce champ de luzerne m'a fait rêver...et peut-être inspiré mon texte ? ;-)
    C'est beau, quand tu parles d'amour.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  9. On ne compte pas, on conte !

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  10. C'est bien mignon;j'ai pensé à l'île d'Oléron avec tes descriptions précises.

    Quant au dénouement, il est ordinaire, sachant qu'il y a autant de filles que de champs de Luzerne... ;)

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  11. @ Célestine Si oui, j'en suis content!
    @ AOC Merci, merci... (Alors deux fois merci?) Ben oui.

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  12. @ Pascal Dupont "Bien mignon"... Je vais le prendre comme un compliment. Signé un gars ben ordinaire...
    PS C'est d'une de ces îles dont je parle.

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  13. Elle a voulu voir Paris...

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  14. @ Marité Et elle a vu Paris, oui!

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  15. Arpenteur d'étoiles29 avril 2017 à 11:57

    ah le champ de luzerne, c'est tellement romantique et doux ... et parfois les filles sont un peu compliquées :o))

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  16. @ L'Arpenteur d'étoiles Ah oui, tu trouves aussi?

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