jeudi 8 juin 2017

Marité - Né quelque part

Mes racines, mes amarres.

Je suis née dans le lit de mes parents. Suis-je arrivée trop vite ? Ou bien ma mère a-t-elle voulu que son premier enfant voit le jour, comme elle avant moi, dans la maison familiale ? Je n'ai jamais pensé à poser la question. Aujourd'hui, cela me semble curieux alors même que toute la fratrie après moi est née en clinique.

J'ai toujours été fière d'avoir poussé mon premier vagissement dans cette vieille maison. Comme une singularité en quelque sorte. J'ai l'impression qu'elle m'avait choisie, moi, la première née, pour perpétuer la descendance de la famille qu'elle abrite depuis deux siècles. Les temps ont changé et ça n'a pas été le cas. Pourtant, il me semble qu'elle et moi avons toujours un secret commun. Il me semble qu'elle a pour moi des attitudes bienveillantes. J'allais dire : des regards. Je suis certaine que les maisons possèdent des yeux. D'ailleurs dans les dessins enfantins - qui sont les plus parlants - on remarque qu'une maison ressemble souvent à un visage avec la porte et au-dessus deux fenêtres qui figurent la bouche et les yeux, puis un toit en guise de chevelure. Je crois que les demeures qui ont vu naitre, grandir, mourir dans leurs murs des familles depuis plusieurs générations sont comme un ventre. Je suis aussi issue de ce ventre hospitalier et jamais, tant que je serai en vie, le cordon ne sera coupé. Nous respirons à l'unisson, elle et moi.

Cette maison porte en son sein la joie, la tristesse, la douleur, les rires et les pleurs de mes ancêtres et les miens aussi. J'y ai vécu l'enfance et l'adolescence. Elle ne m'appartient pas mais je sens que moi je lui appartiens. Chaque fois que je franchis son seuil, j'éprouve ce sentiment étrange de faire partie de ses murs. Comme si j'atteignais mes racines.

J'avais à peine six ans quand maman m'a dit que j'allais avoir une petite sœur. Ou encore un frère ! Mes sentiments étaient partagés entre joie et colère. Je trouvais que ça commençait à bien faire tous ces bébés braillards qui monopolisaient l'attention de tous et particulièrement celle de ma grand-mère que je n'avais plus pour moi seule. Finies les belles histoires qu'elle me racontait : elle n'avait plus le temps. Mais une sœur. Pourvu que ce soit une sœur ! Peut être que ça ne serait pas pareil. Peut être que j'allais pouvoir moi aussi m'en occuper. Puisque maintenant j'étais "grande". Tout le monde l'affirmait.

Je demandais fréquemment où se trouvait le futur rejeton. On me répondait bien sûr qu'un garçon venait d'un chou et une fille d'une rose. Chaque jour, j'allais inspecter le jardin. Mais si les choux grossissaient, je ne remarquais rien qui ressemblât à un bébé dans le potager. De même pour les roses qui s'épanouissaient, fanaient mais n'enfantaient pas. Etonnant ! D'autant que je voyais, dans le même temps, ma mère s'arrondir.

A la campagne, dans une ferme, on assiste tous les jours à des naissances et cela semble naturel pour les enfants qu'un veau sorte de la vache, un agneau d'une brebis. Avec les bribes de conversations que je glanais ici ou là, je commençais tout doucement à comprendre.
Quand maman est revenue avec ma sœur, j'ai été tout à fait sûre, en voyant son ventre plat qu'il n'y avait pas de différence entre les animaux et les hommes en ce qui concerne les naissances. Même si je n'ai rien dit.

Ma sœur a hérité de notre vieille maison. Finalement, c'est elle qui lui est restée fidèle puisqu'elle ne l'a jamais quittée. Elle a su l'embellir tout en lui gardant son caractère. La bâtisse le mérite.

Elle ne m'a pas tenu rancune de ma désertion. C'est toujours avec un grand bonheur que je reviens dans son giron. Je m'y sens chez moi, plus près de ma famille et de mes souvenirs d'enfance qu'elle garde en mémoire dans ses pierres.

9 commentaires:

  1. Ton texte a cette élégance des souvenirs d'enfance racontés par les âmes sensibles, celles qui voient dans les maisons des personnages, celles qui courent pieds nus dans le jardin pour sentir la rosée fraîche sur les orteils, l'été, quand la fontaine glougloute au milieu de l'air vibrant de chaleur.
    Bizarrement j'ai eu moi aussi une flopée de frères avant d'avoir eu ma petite soeur...
    Bisous émus
    ✫ ✫.★**
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    1. Célestine, je suis touchée. Merci. J'écris le plus souvent avec ce qui m'a construite, avec ce que je suis devenue, avec ce qui est au fond de moi. Ce n'est pas cela qui fait le talent mais ce sont mes tripes.

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  2. C'est sans doute cela qu'on appelle "la maison mère" ! ;-)

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    1. Joe, je ne sais pas si les maisons-mères dans les grandes entreprises ont une matrice. M'est avis qu'elles ont plutôt des tentacules...envahissantes !

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  3. Ton histoire est bonne et douce comme une tasse au coin de l'âtre. Apaisante. Il y a, ou il y eut, des maisons natales

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    1. Merci Bricabrac ! Les maisons ne sont plus "natales" de nos jours, ou peu.C'est dommage je crois. Beaucoup de poètes ont gardé les leurs au cœur en tout cas. C'est dire leur importance à leurs yeux.

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  4. La casa nostra, j'ai été élevé dans une maison proche de Paris, mes parents louaient, j'y ai vécu mon enfance, puis mon adolescence.
    On garde des endroits qui nous ont vu grandir un souvenir ému, enfin je vous le souhaite.

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    1. Andiamo, tu as bien compris que tel est mon cas.

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  5. ton texte est très émouvant, de cette profondeur d'attachement à la maison, à la famille, à la maturité qui vient aux enfants alors qu'on essaie naïvement de leur cacher la vie...ils en sentent la force quoi qu'il arrive

    cette maison est très certainement ton ancrage, et tu lui rends un bel hommage

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