vendredi 29 septembre 2017

Pascal - La magie des miroirs

Salon de coiffure

Je suis allé chez ma coiffeuse, ce matin ; disons plutôt une galerie de coiffure. C’était plein. On m’a installé dans un fauteuil d’attente avec des propositions de café, de journaux et d’autres patiences futiles. C’était une vraie ruche débordante et mielleuse. Les abeilles ouvrières, dévolues à leurs tâches habituelles, s’activaient autour des cheveux lavés, permanentés, rasés, brossés. C’était un ballet réglementé de ciseaux et de peignes à l’envolée des regards intéressés des clients assiégés.

Il y avait un type assis à côté de moi, la cinquantaine fanée, le cheveu grisonnant, un peu voûté, aux épaules rentrées. Il regardait cet essaim orchestré et leurs chorégraphies convenues sans participer à cette sorte d’euphorie de groupe qui émanait de leurs gestuelles attentionnées et climatisées. Il attendait son sort avec une philosophie flegmatique, distrait par cette ambiance remuante…

La musique tapageuse rythmait les évolutions cadencées des artistes capillaires à leur besogne. C’était des rengaines obsédantes, des hits énervants sans air, sans harmonie et sans refrain. J’avais quelques sifflements naissants dans les oreilles et une inaccoutumance nerveuse à cette tonitruante oppression montante. Le temps me semblait long.

Le type d’à côté prenait son mal en patience en regardant le plafond blanc. Il était habillé hors de la mode, sur la touche de ce qui se vêt aujourd’hui. Il était hors de la forme des tendances actuelles. Il était hors jeu. J’ai pensé qu’il était rebut, décalé ou pas du bon siècle ; il baignait sous les mauvais éclairages blanchâtres, dans une autre dimension plus anonyme et moins rigoureuse du fashion sélectif du moment…

Des affiches agressives vantaient des coupes modernes où l’ambiguïté ambivalente trônait sur la condition masculine mise à mal. Nouveaux promus, maquillés comme des éphèbes asexués, des jeunes peigne-culs s’y exhibaient avec des regards brûlants de jeunes matadors outrageants. Quelques femelles déguisées en provocatrices dépravées donnaient une réplique incertaine à cette manigance exposée dans le magasin moderne. Les miroirs obligés réfléchissaient cette démonstration glacée à tous les regards de proximité. Ces œuvres placardées semblaient mues par l’instinct grégaire des besogneuses assidues, en uniformes toilettés dans le style, courant ou papotant autour des sièges occupés.

Mon voisin, dans l’expectative, presque indifférent à la compréhension de tous ces mimes complices, s’abandonnait dans d’autres contemplations intérieures plus arrangeantes et il consommait l’évasion en bâillements discrets…

L’éclairage furieux aboyait dans les visages attentifs. Parfois, la tête fraîchement coupée d’un client satisfait s’imprimait dans toutes les postures avenantes. Narcisse s’admirait, l’ego se redécouvrait… Le brouhaha amplifié par cette musique désastreuse forçait les conversations frivoles des ouvrières bavardes. C’était une montée chromatique en décibels énervants. Les sèche-cheveux ronflaient des ardeurs de vent chaud, les tondeuses zonzonnaient sur les crânes dégarnis, les casques irradiaient d’obscures vibrations agaçantes.

Le type d’à côté comptait les rayures sur son pull. Il remarquait les imperfections de sa stature fatiguée, les plis disgracieux de son pantalon froissé, la tache graisseuse sur la chaussure lacée à son pied. Il avait secrètement déserté le présent en s’impliquant dans d’autres attentions, plus personnelles…

J’ai voulu fuir en abandonnant cette idée saugrenue de rafraîchissement ! Les publicités aguicheuses me stressaient ! L’éclairage oblique vandalisait mon visage dévasté en l’accréditant de cernes impossibles ! C’était l’abattoir ici ! Le paysage découpant était sans concession et les reflets étaient acharnés ! Mon corps massacré, assailli, contemplait son exécution ! C’était un désastre et j’étais le prochain sur la liste. Mais les glaces sont déformantes ici ! Rien ne me rassurait, sinon le type d’à côté.

Il baignait dans une sorte de sagesse apaisante, sans le trouble évident d’une confrontation pénible avec un sombre miroir contrit. Il avait admis son état et ses cheveux blancs, les taches sur ses mains et ses lunettes épaisses. De tous les parfums capiteux qui planaient dans ce salon, il n’en gardait qu’une odeur de trouble éternuant passager. De tous les beaux visages féminins virevoltant dans l’ambiance miroitante, il n’en décelait pas un de singulier qui pût attirer son attention. De tous les décors artificiels, « up-to-date » et tellement actuels, il n’en prenait pas ombrage, laissant les starlettes de papier glacé à leurs contorsions costumées provocantes…

La cacophonie stridente battait son plein ! C’était la totale anarchie bruyante ! La horde sauvage dévastatrice allait me scalper sans manière au tintamarre assourdissant des rires obséquieux et hypocrites. C’était l’échafaud, la peine capitale, le bain de sang…

Mon voisin ignorait le bain… de foule et son infection tonitruante. Il jouait avec le fauteuil tournant et sa jambe tendue comme une aiguille recherchant un nord utopique puisque ici, tout n’était que mascarades illusoires, pastiches d’intentions de modernité éphémère ou ritournelles intransigeantes fardées…

Tout à coup, on est venu m’arracher de l’ombre anonyme. On voulait m’entreprendre et décider de laver mes cheveux blancs, on voulait me fondre dans le troupeau, me défriser… Désespéré, j’ai cherché un réconfort, du côté de mon voisin. Il s’était levé aussi. On lui ajustait en douceur une blouse de future coupe. J’étais rassuré... Ensemble, nous sommes allés vers le bac de rinçage. Ensemble, nous avons mis la tête en arrière…

4 commentaires:

  1. une vraie épreuve en quelque sorte !

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  2. Toutes ces dames au salon, de se voir ainsi dépeintes, ça va les défriser !

    Et pourtant, quel bonheur de lecture, rien n'est plus superbe que cette description. Simplement les deux protagonistes sujets aux blouses perdront sans doute la leur, de petite superbe, une fois qu'ils auront eu "la tête coupée" !

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  3. Mais pourquoi il va chez le coiffeur si ça lui fait tant de mal...
    Voilà la question... ;-)
    ¸¸.•*¨*• ☆

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