mardi 24 octobre 2017

Marité - Mystérieux voisins

La maison de la demoiselle

La Demoiselle, notre plus proche voisine, avait quitté sa maison quelques années plus tôt pour aller vivre chez des neveux à Paris, son grand âge ne lui permettant pas de rester seule. Depuis, la bâtisse que tout le monde au village appelait le château affichait un air d'abandon, ses portes et volets définitivement clos.

J'aimais me glisser dans le parc par une brèche dans le mur qui entourait la propriété. J'avais découvert ce passage un jour alors que je suivais un chat sauvage qui venait rôder près de chez nous. Moi seule connaissait la fissure et je prenais soin de bien refermer en remettant en place les branches et broussailles qui en masquaient la vue.

Je m'installai sous la basse ramure d'un oranger des Osages et j'y apportais mes trésors. Mais la plupart du temps, je venais là pour m'évader, rêver. La maison ne me faisait pas peur contrairement à mes petits camarades. Elle me fascinait. A moi, elle me parlait, me racontait. Je trouvais qu'elle - comment dire - avait une respiration. J'interrogeais souvent ma mère qui avait travaillé au château pendant la guerre. Je voulais tout savoir sur le père de la Demoiselle, fou de botanique qui avait rapporté de ses voyages toutes les espèces d'arbres exotiques qui poussaient en majesté dans le parc. J'étais chez moi puisque personne n'y venait jamais. Et je m'y sentais bien.

Un jour de juin, alors que je m'apprêtais à entrer par effraction comme d'habitude, j'eus la surprise de voir les grilles du haut portail poussées. J'ouvris de grands yeux : la lourde porte de chêne de l'entrée était entrebâillée et les volets ouverts. Une entreprise de nettoyage était à pied d'œuvre je me demandais bien pourquoi.

Une semaine plus tard, une voiture aux vitres teintées s'engagea dans la propriété. A partir de ce moment, je ne pus en détacher mon regard. Je m'aventurai sans cesse aux abords de l'enclos. Il y avait là un mystère : la voiture allait et venait mais on ne voyait jamais ses occupants. Il se murmurait que des cousins de la Demoiselle résidant à l'étranger passaient leurs vacances au château et qu'ils étaient un peu bizarres.

Qui étaient-ils et pourquoi ne se montraient-ils pas au village ? Je me postais chaque après midi derrière un des piliers du portail et j'observais sans me lasser. J'attendais. Il fallait bien qu'il se passe quelque chose. Je n'eus pas longtemps à patienter. Enfin, je la vis. Une petite fille très brune, en robe rouge faisait les cent pas sur la terrasse, les mains nouées derrière le dos. Elle semblait avoir à peu près mon âge, une dizaine d'années. Elle ne jouait pas et paraissait se morfondre.

Elle finit par percevoir ma présence et lançait fréquemment des coups d'œil vers le portail. Le manège dura 3 ou 4 jours. Puis elle s'avança résolument vers moi. Je ne bougeai pas, soudain intimidée. Nous restâmes un moment figées, à nous dévisager. Je tendis la main mais elle ne la prit pas. Je donnai mon prénom mais elle ne comprenait pas. Je réalisai qu'elle ne parlait pas français.

J'allai partir, déçue quand elle prononça, en pointant son index vers elle : moi, Marisabel. Toi ?

A ma grande surprise, elle sortit du parc. Comme nous ne pouvions pas communiquer par des paroles, nous résolûmes d'une commune entente d'accorder nos pas. Et commença alors une amitié éphémère dont je garde un souvenir merveilleux.

Je revins chaque jour de cet été là. Chaque jour, Marisabel m'attendait. Nous entreprenions de longues marches qui nous emmenaient fréquemment au ruisseau. Quel bonheur de s'éclabousser en riant aux éclats ! Souvent ses belles robes ne résistaient pas à nos courses vagabondes mais elle s'en moquait. Rien n'aurait pu l'arrêter dans sa frénésie de liberté et je l'aimais pour ça. Escalader les talus, courir après les papillons, cueillir des brassées de fleurs des champs, s'étendre dans les herbes fraîches, harassées. Nous vivions des heures hors du temps, ce temps si précieux de l'enfance.

Puis la voiture noire partit un matin emportant tous ses mystères. Je ne sus jamais de quel pays venait ma belle amie et je ne vis jamais ses parents. J'avais le cœur lourd, n'ayant pu lui dire adieu. Elle me manquait tellement. Je repris alors mes errances dans le parc de la Demoiselle, cherchant partout Marisabel.

Je pensais parfois que j'avais rêvé cette aventure mais en fermant les yeux, je voyais une fillette en robe rouge qui me souriait depuis le perron. J'entendais son rire en cascade et je pleurais.

8 commentaires:

  1. Belle histoire, rêve ou réalité ? Il vaut mieux ne pas savoir ! ];-D

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    1. A rêver sous des arbres exotiques, l'imagination s'enflamme et s'égare Andiamo. ;-)

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  2. Tout est mystérieux dans l'enfance. L'Enfance, le plus mystérieux des continents.

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    1. Je suis bien d'accord avec toi Joe : l'enfance est mystérieuse...quand on l'a laissée derrière soi depuis longtemps. Mais y puiser à l'infini donne un sentiment de plénitude.

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  3. C'est une belle histoire d'enfance; les histoires d'enfance sont toujours belles car empreintes de magie, de rêve, d'imagination, de naïveté.

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  4. très tendre histoire d'enfance :)
    en écho un certain Marcel Pagnol et ses amours enfantines...

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  5. Espérons qu'il ne lui arriva pas malheur, à cette petite fille en rouge...
    J'aime beaucoup ton récit.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  6. C'est un joli souvenir qui laisse des traces au creux de chaque sens :)

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