jeudi 30 novembre 2017

Marité - L'acupuncteur

Les sœurs Ding.

Les demoiselles Ding avaient maintenant pignon sur rue. Ce n'était pas le cas au début de leur installation dans ce quartier résidentiel de la petite ville de Picon La Mer.

L'ouverture de l'institut de beauté et d'acupuncture " Ding Zhï Gua Sha" avait fait grand bruit. On se posait beaucoup de questions et les plaisantins n'avait pas manqué de traduire l'enseigne par "dingue, c'est quoi ça". Beaucoup regardaient de travers ces deux jeunes chinoises venues dont ne sait où. Ils voyaient dans leur commerce un lupanar d'un nouveau genre. Il y avait même eu des dépôts de plainte à la gendarmerie. L'esprit petit-bourgeois de Picon s'accommodait mal de l'implantation d'une telle officine.

Ce fut Madame la Maire qui osa la première franchir le seuil du salon. Il fallait bien montrer l'exemple. Mais c'était jouer quitte ou double, les élections municipales approchant à grands pas.
Bien lui en prit. Après quelques séances, elle sortit du cabinet métamorphosée. Les sœurs Ding avaient fait du bon travail.

Tin Kao Lin, l'esthéticienne, avait transformé le teint brouillé et rougeaud de la mairesse - trop de gueuletons sans doute - en un teint pur, blanc comme de la craie. Kou Su Min, l'acupunctrice avait, quant-à elle, planté ses petites aiguilles dans le corps dodu de la dame lui rendant souplesse et vigueur. Cette dernière avait toutefois nourri quelque appréhension avant de s'allonger sur la table de soins. A part les vaccins de son enfance dont elle ne gardait aucun souvenir, elle n'avait jamais subi la moindre piqûre. Elle ne se plaignit pas.

Bientôt, le nouvel aspect physique de Madame la Maire fit le tour de la ville. La sous-préfète prit vite un rendez vous chez Ding. Puis, en moins de temps qu'il faut pour le dire, toute la gent féminine défila au salon de beauté. On vantait haut et fort les mains expertes des chinoises, leurs prestations sur mesure et les bienfaits de leurs soins. Les hommes, quant-à eux, fantasmaient sans doute mais faisaient semblant de se désintéresser de la chose.

Le commandant de gendarmerie qui avait quelques problèmes de peau commença à roder dans le quartier. Il se disait que l'un n'empêchant pas l'autre, il en profiterait pour se faire masser les pieds. Au moins les pieds pensait-il avec un sourire égrillard. Le commandant adorait les massages de pied qui le détendaient après sa dure journée de travail. Hélas, sa commandante d'épouse n'était pas douée pour ce genre d'exercice. Ni pour aucun autre d'ailleurs qui aurait pu pigmenter leur vie de couple depuis longtemps sans relief, songea-t-il avec amertume. Il rêvait de plaisirs subtils. Qui sait ?

Il ne tarda pas à franchir le pas. Il sortit ce jour là de l'institut transfiguré. Il résolut de venir chaque semaine, à la tombée de la nuit pour ne pas attirer l'attention. L'habitude fut vite prise. C'était délicieux : confier son visage et surtout son corps tout entier à ces quatre mains habiles lui procurait une jouissance puissante. Il aimait par dessus tout les massages profonds, lents que savait prodiguer
avec volupté Kou Su Min après une séance d'acupuncture. Et le gua-sha, cet effleurement délicat le transportait au septième ciel.

Le commandant changea et sa femme, heureuse au début de le voir de meilleure humeur finit par se poser des questions. Un coup de fil anonyme lui fournit, bien à propos, toutes les explications. Une voix - qui se disait amie - lui apprit que son époux fréquentait assidûment l'institut Ding. Le besoin de se venger ne la quitta plus. Elle ferait coup double : elle n'aimait pas les chinoises. Pourquoi ? Parce qu'elles étaient chinoises.

Elle mit au point un plan d'attaque. Elle se posta un soir non loin de l'officine, attendit que son mari s'y engouffre et se glissa à son tour dans la salle d'attente. Elle alluma un gros pétard qu'elle jeta avant de se précipiter à l'extérieur. La déflagration ébranla toute la maison. La commandante regarda avec un rictus de satisfaction les deux Ding en blouse rose sortir en hurlant. Mais son sourire s'effaça et elle demeura un instant ébahie quand elle vit son époux courir à leur suite.

Au lieu de son éternel caleçon informe il portait un string rouge et noir très sexy. 

mercredi 29 novembre 2017

Joe Krapov - L'acupuncteur

L’apprentie-sorcière au Saint-Nectaire

Aujourd’hui le cabinet du docteur Pinterest, l’acupuncteur de Vezet-le Coquin (Ille-et-Vilaine) est fermé. On a épinglé sur la porte : « Clos pour cause de Closer ».

Et c’est vrai que le docteur Pinterest est en train de lire le journal qui vous mène au plus près de la vie des stars dans la salle d’attente du « Venus Beauté Institute » de Vezet. Mais c’est bientôt son tour. Il se dessape derrière un paravent puis se confie aux bons soins de Madame Debord, la directrice du salon de beauté. Seulement il s’aperçoit qu’il a mis pour venir ici le caleçon offert par ses collègues de l’AFA (Association Française des Acupuncteurs). C’était pour son anniversaire qui tombe en même temps que le congrès et ça se passait au restaurant du château de Chantilly où l’on célèbre le duc d’Aumale.

Sur la face arrière du caleçon est écrit « Suivez la flèche !». Sur la face avant est représentée une horloge où la petite et la grande aiguille se chevauchent sous le nombre douze. Pour insister à peine lourdement sur la symbolique il est aussi écrit « Toujours sur midi ! ».
- C’est un peu gênant, Madame Elvire. J’espère que vous n’y verrez pas malice ? s’excuse-t-il avant de s’allonger sur le dos et sur la table.
- Oh vous savez, j’en ai vu d’autres ! répond Madame Debord, l’esthéticienne, en le décorant de rondelles de concombre avant de l’enfourner sous la chaleur des lampes à UV.
- Elle est un peu curieuse, votre spécialité locale, vous ne trouvez pas ? Qu’est-ce qui se passe quand le concombre est cuit ?
- Les carottes le sont aussi et on arrête le légume coupable ! D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez vu mais la gendarmerie est sur la piste !
- Sur la piste du concombre masqué ?
- Hier le brigadier Pandore est venu nous interroger à propos de l’affaire.
-  L’affaire ?
- Vous n’êtes pas au courant ? L’affaire des caleçons qui rétrécissent ! Depuis une semaine tous les caleçons des gendarmes rétrécissent.
- Au lavage ?
- Pas plus au lavage qu’à l’essorage ! Pendant que les gendarmes les portent ! Pandore n’y comprend rien. Il pense qu’on a jeté un sort à la brigade. Du coup il oriente l’enquête vers les sectes du secteur.
- Il y aurait des sectes vaudoues à Vezet-le-Coquin ? En Ille-et-Vilaine ?
- Moi ce que j’en dis, hein, c’est ce que j’en sais ! Et ça m’a mise en colère, d’ailleurs. J’ai été suspectée ! Il paraît qu’ils ont reçu un coup de fil anonyme.
- Ca disait quoi ? Une demande de rançon pour que les caleçons retrouvent leur taille normale et que ça ne leur serre plus le kiki ?
- Non ça disait « le vaudou est toujours Debord ».
- Debord avec un d, comme Guy Debord, la société du spectacle et… comme vous ?
- Ben oui ! Vous vous rendez compte ? Elvire Debord soupçonnée d’envoûtement, de hashtag #balancetonsort, de sorcellerie, de planter des aiguilles… Mais où va-t-on ? Mais où va-t-on ?

Là-dessus elle se tait, car elle vient de se rendre compte qu’il n’y a pas mieux qu’un acupuncteur désorganisé pour transpercer une statuette maléfique.

***

Voilà. Je me suis arrêté là. Si j’avais mis la suite, ça aurait été trop long, j’aurais encore fait fuir tout le monde ! Parce que ce n’est pas le tout d’installer un mystère, après il faut procéder à sa résolution. Et dans les polars d’aujourd’hui, plus c’est compliqué, plus c’est long, plus ça plaît. Sauf à moi qui ai d’autres choses à écrire et à vous qui avez autre chose à faire !

Voici quand même mes pistes de développement de ce scénario :

De retour à son cabinet le docteur Pinterest reçoit la visite du gendarme Pandore. On a en effet retrouvé des aiguilles dans une botte de foin à l’entrée de son cabinet. Le docteur explique qu’il plante en effet dans la paille ses aiguilles usagées afin que les employés du Centre de tri des déchets ne se piquent pas par mégarde.

On suit alors le brigadier Pandore qui rentre chez lui. On découvre qu’il est célibataire, qu’il est auvergnat et que pour résoudre les mystères de Vezet-le-Coquin il s’installe dans son fauteuil et visionne des dévédés de films de cape et d’épée tout en réfléchissant au problème posé. Ce soir-là il s’envoie « Le Capitan » avec Jean Marais. Et pendant la scène où l’acteur escalade la muraille du château de Val – ah, les paysages de sa jeunesse ! – il a une illumination rimbaldienne ! « Le vaudou est toujours Debord » ? Non ! « Le vaudou est toujours de Bort !». Bort les Orgues. C’est la ville importante la plus proche du château de Val ! Sa ville natale !


Le lendemain matin il entre dans la boutique dont l’enseigne est « Papa pique et maman coud ». La patronne de la boutique de couture est nouvellement arrivée dans le village. Une dame d’à peu près le même âge que lui qui rougit, confuse, devant son uniforme et son prestige. Et soudain, il la reconnaît ! Céline Lapiquouse ! Son ancienne voisine de pupitre à l’école de Bort-les-Orgues ! Ils se tombent dans les bras l’un.e de l’autre et dans la mode de l’écriture inclusive en même temps.

D’habitude les histoires d’amour finissent mal en général mais pas chez moi. Même si Céline doit lui avouer que c’est bien elle la coupable. En effet elle est venue s’installer ici pour le retrouver car elle l’aime depuis toujours mais est timide et n’a jamais oser lui avouer et patati et patata comme dans Closer. Alors quand elle a reçu dans sa boîte aux lettres le prospectus de Monsieur Hamidou elle est allée le consulter pour obtenir un retour de flamme.

De retour chez elle, elle a suivi les conseils du marabout. Elle a confectionné dans du Saint-Nectaire fermier une poupée représentant un gendarme. Elle a habillé la figurine d’un caleçon bleu marine et l’a coiffée d’un képi Playmobil. Puis elle a planté une aiguille à coudre dans les fesses de la poupée. Pas très fort pour ne pas lui faire mal.

- Mais dis-moi, Céline, a demandé Hugues – Pandore se prénomme Hugues, ne cherchez pas, il n’y a pas de jeu de mots au frais pour une fois – T’es toujours aussi bête ou quoi ? C’est pas là qu’il faut piquer ! C’est de l’autre côté ! Regarde, c’est écrit : Suivez la flèche !
- Ah oui ! J’avais pas vu ! Alors c’est ici ?
- Oui, vas-y. Et pique fort !

Elle plante son aiguille à l’endroit idoine.

Aussitôt tous les caleçons de la gendarmerie française se dilatent, les pantalons eux-mêmes tombent, le retour de flamme a lieu et pas qu’un peu. Si bien qu’aujourd’hui « Papa pique et maman coud » est fermé. On a épinglé sur la porte : « Clos pour cause de Closer ».

Quelques semaines plus tard tout le village de Vezet-le-Coquin est invité à un mariage auvergnat avec marquisette et tripoux à volonté, chabrot obligatoire et Saint-Nectaire en roue libre au dessert. Bien sûr le docteur Pinterest a cru rigolo d’offrir comme cadeau de mariage un service à fondue bourguignonne avec douze piques. Elvire Debord, pas rancunière a offert un bon pour une croisière sur le lac Chambon et une cure thermale à La Bourboule.

Elle est pas belle, la vie, par chez nous ?

P.S. OK, pour le coup de fil anonyme, j’avoue, c’est moi. Ben quoi, il faut bien un deus ex machina aussi, non, avec une consigne d’écriture aussi tordue ?

mardi 28 novembre 2017

Tisseuse - L'acupuncteur


Une acupunctrice
Croise la factrice
Au salon de beauté
De la rue d’à côté

Un gendarme culotté
Entre pour enquêter
Sur ce qui est allégué
De l’illégale pharmacopée

C’est un corbeau de quartier
Drapé d’anonymat
Qui a téléphoné
Au privé Nestor Burma

Les chinoiseries ça l’inspire
Ying et yang y a pas à dire
Pour une infiltration de terrain
Quoi de mieux que d’aller au turbin

Les aiguilles sont prêtes
Le caleçon dans les chaussettes
Méridiens en goguette
L’énergie est refaite

Pour stimuler quelques points
Sur l’axe vessie-rein
Pas besoin d’herbe ni de foin
Pour brûler quelques moxas

Il ne fallait pas ameuter
La maréchaussée
Pour de malheureuses luttes intestines
Entre différentes médecines

C’est tout de même désolant
De chercher à se piquer des clients
Entre système de soins officiels
Et praticiens traditionnels

Célestine - L 'acupuncteur

 Les carottes sont cuites pour Kim Lou


A « La Dragée Rose », l'excellent et réputé institut de soins et de massages, les clients viennent éliminer leurs graisses superflues, mais aussi trouver, dans la soierie froufroutante des kimonos et sous les mains expertes des hôtesses, l’oubli fugace de leurs soucis.
Kim Lou y travaille comme acupunctrice.
D’habitude, elle plante ses aiguilles dans les corps qui s’offrent à elle, avec un raffinement très professionnel. Pourtant, depuis le matin, elle n’est pas dans son assiette et multiplie les erreurs, arrachant même des cris de douleur à certains clients sensibles.
Et même le caleçon ridicule, orné d’un gros Mickey,  du gros monsieur étalé devant elle à l’instant, ne parvient pas à lui arracher un sourire.
C’est qu’un coup de fil anonyme et assez tranchant, reçu la veille, d’une voix à la fois douceâtre et hostile, lui a annoncé une affreuse mauvaise nouvelle qui a eu pour effet de la bouleverser, elle qui a la réputation de savoir dominer ses émotions à la perfection.
Kim prévient la police en tremblant, de l’imminence d’un drame au salon de beauté de la rue des Rosiers. Un gendarme arrive en éclaireur, à la recherche d’une explication à cet étrange jeu de pistes. Pourquoi le mystérieux meurtrier a-t-il annoncé son crime ? Quel rôle la jeune acupunctrice va-t-elle jouer dans ce drame ?
Voilà le point de départ du nouveau roman haletant de Bad Gateway, le célèbre auteur de polars déjantés.

Les Carottes Sont Cuites Pour Kim Lou, de Bad Gateway, 2017. 
175 pages.
Dans toutes les bonnes librairies.

Où lire Célestine

Vegas sur sarthe - L'acupuncteur

Bruits d'abeilles

"Allo, chef? Vous d'vinerez jamais où que j'suis"
Habitué aux devinettes foireuses de Ouatson, l'inspecteur La Bavure soupira :"Dites toujours mon vieux, si ça peut sauver une enquête déjà vouée à l'échec"
"J'suis comme qui dirait dans les bras d'Orphée"
"Si vous voulez dire dans les bras de Morphée, y faudrait arrêter d'rêver mon vieux!"
"Non chef, dans les bras d'Orphée... enfin, dans les mains expertes d'une jeune employée de l'institut Orphée pour un massage californien dont vous n'imaginez même pas le..."

La Bavure trancha net :"Qu'est-ce que vous glandez à c't'heure dans un salon d'massage au lieu d'être en planque?"

"Euh... c'est que j'étais en planque chef, suite aux menaces d'un coup de fil acronyme qu'y z'ont reçu au salon. J'ai relevé le pandore de service du fait qu'y termine à 18 heures à cause de sa gamine qu'y doit récupérer à la crèche du 9ième arrondissement et..."

La Bavure eut une brusque quinte de toux.
"Vous avez pris du mal, chef? Vous êtes vacciné au moins?"

Pour être vacciné, La Bavure se croyait vacciné et pourtant :
"Passez-moi les détails, Ouatson... z'êtes en service ou z'êtes au massage?"
"Euh... les deux mon capitaine, pardon, inspecteur. J'suis en tenue d'massage et en bonne position pour interroger cette jeune employée aux mains z'expertes qu'a reçu l'appel acronyme"

La Bavure s'étouffa :"En tenue d'massage?"
"Euh... c'est comme la tenue d'hiver réglementaire du 36 quai des Oeufs Frais,chef... avec le borsalino mais en caleçon"

Le gargouillis de l'étouffement s'amplifia :"Me dites pas qu'vous êtes en caleçon et qu'vous essayez d'tirer les vers du nez d'une fille qui vous caresse, Ouatson?"
"Pardon chef mais vous caricaturez la situation. J'aimerais bien vous voir à ma place"

La Bavure avait pris une inquiétante teinte aubergine :
"Apprenez Ouatson que la place d'un inspecteur principal n'est certainement pas là où vous êtes! Z'allez vous rhabiller fissa et m'balancer votre rapport pour midi!"
"Y'a pas d'souci, chef. Natacha s'est bien épanchée en attaquant les fessiers..."
"C'est qui cette Natacha?"
"Euh... la jeune masseuse, chef. Le type au coup d'fil acronyme est un fada, un excité du bulbe, il les a menacées d'leur faire la peau! Ca sent l'tatoueur ou l'apiculteur..."

(Soupir)

"Vous voulez dire acupuncteur, Ouatson"
"Non chef... un apiculteur, y'avait un de ces bourdonnements sur la ligne..."

Celle du 36 Quai des Oeufs Frais rompit dans un claquement rageur.
La Bavure ramassa le vieux bigophone en bakélite; ça au moins c'était du solide.

lundi 27 novembre 2017

Andiamo - L'acupuncteur

Athanase Deté, se lève comme chaque jour à sept heures, s'étire, baille bruyamment, puis de son pas traînant se dirige vers l'étroite fenêtre de son studio niché au sixième étage du 16 de la rue des Abbesses, une moue dubitative : il pleut encore !

Il se prépare son "Nescafé" quotidien, pas trop de poudre, Athanase est pingre, il préfère voir gonfler son bas de laine plutôt que de se faire plaisir, un vieux garçon, qui chaque jour passe devant les prostiputes qui tapinent en bas de chez lui, elles lui ont souvent proposé la botte, mais lui plus par radinerie que par timidité, n'est jamais "grimpé" !
Autrefois il y a bien longtemps il avait exercé la profession d'acupuncteur, il louait pour se livrer à son activité professionnelle un petit local au 13 de la rue du Mont Cenis, pas très loin, une petite balade quotidienne pour s'y rendre, dans ce Montmartre qu'il affectionnait tant.

Après une (très) rapide toilette, un brossage de dents plus symbolique qu'efficace, il ouvre le grand tiroir de la commode en chêne ciré, et en sort une poupée de chiffon, une poupée du genre "vaudou", à côté une longue boîte en bois, un couvercle à glissière comme les plumiers des écoliers d'autrefois ferme le précieux coffret. Précautionneusement il tire le couvercle, une vingtaine d'aiguilles fines comme des dards de guêpes, et longues d'une dizaine de centimètres sont présentes, elles sont faites d'or !

Délicatement Athanase en saisit une, puis prenant la poupée de l'autre main, enfonce l'aiguille dans l'épaule... Au même instant chez Capucine, le salon de beauté du Boulevard Haussmann dans le très chic neuvième arrondissement, Vanessa la préposée aux soins esthétiques, pousse un cri tout en portant la main à son épaule droite, Madame Riboulet de Valombreuse à laquelle elle fait le maillot pousse également un cri horrible, dans son geste, Vanessa (de son vrai nom Germaine, mais pour un salon d'une telle classe, un blase pareil ça n'était pas possible) vient d'arracher une touffe de poils pourtant solidement implantée sur la noble foufoune de Madame Riboulet de Valombreuse !

Bien sûr Athanase n'imagine pas les conséquences inouies et inespérées de sa petite vengeance, Germaine (alias Vanessa) perdra sa place bien entendu, s'il avait su il en aurait éprouvé davantage de satisfaction, mais après tout elle l'a bien cherché, car figurez vous que trois mois auparavant ...
Traînant son ennui du côté des galeries Lafayette au moment de Noël, il avait malencontreusement croisé la trajectoire de Germaine (alias Vanessa) distrait comme il l'était, il ne l'avait pas vu, car il admirait à cet instant précis une vitrine animée des galeries Lafayette, justement.

Germaine avait chuté, un mec s'était précipité pour lui porter secours, et avait sévèrement enguirlandé Athanase devant les badauds agglutinés, allant jusqu'à le traiter de pédé ! Lui !
Discrètement, Athanase après avoir fait semblant de s'éclipser, les avait suivi, il apprit plus tard que l'homme n'était autre qu'un gendarme en goguette de passage dans le quartier, qui avait flairé la bonne aubaine en portant secours à l'accorte Germaine (alias Vanessa), puis en l'accompagnant jusqu'au salon de beauté, espérant un furtif de porte cochère ! C'est ainsi que notre acupuncteur avait repéré l'endroit où officiait Germaine (alias Vanessa).
Seul luxe que se permettait Athanase, le téléphone, un vieux bigorno à cadran circulaire, les gros tout gris tout moches, cadran que l'on fait tourner avec l'index... (Mais si t'as connu, un p'tit effort de mémoire) ! On ne l'appelle jamais, mais lui adore balancer des coups de grelots anonymes, et il y a vingt ans, aucune chance d'être repéré.

Un jour alors qu'il passait devant chez Michou, rue des Martyrs, un grand con maquillé comme une drag queen, le bouscule du haut de ses pompes à talons d'une quinzaine de centimètres de haut, il le traîte de "nabot" ! Certes Athanase n'est pas très grand 1 m.69 quand il monte sur une brique, mais tout de même, de là à le traiter de nabot !
Renseignements pris, cette grande folle n'est autre que "Zaza" qui imite entre autres Sylvie Vartan, à la perfection c'est vrai !
A traîner dans les bistrots de la place des Abbesses, il a appris que Zaza s'appelait en fait Roger Cagolle, un ancien docker de Marseille qui en avait chié des boules de pétanque afin de perdre son accent. Qu'importe il allait payer lui aussi!

Samedi soir, neuf heures, chez Michou la salle est pleine à craquer, on dîne avant le spectacle, les serveurs ne sont autres que les artistes qui tout à l'heure feront le show, l'ambiance est bon enfant, simple, pas guindée du tout.
Dix heures trente, les tables ont été débarrassées, sur scène les "Michettes" entonnent l'hymne de chez Michou :

Quand j'étais petit, on m'appelait Mimi
Plus tard quand j'ai grandi, on me nomma Chouchou
Un beau jour j'ai choisi, ni Chouchou, ni Mimi
Je n'ai plus qu'un nom, pour vous, moi c'est Michou...Etc.

Les numéros défilent, plus époustouflants les uns que les autres, enfin Michou en personne, lunettes assorties au costume bleu bien entendu, annonce dans un sourire jusqu'aux oreilles : "la grande Zaza"
Epoustouflant ! On jurerait Sylvie Vartan en personne qui s'avance sur scène, bien sûr Zaza ne chante pas, c'est une bande son qui diffuse "ce soir je serai la plus belle", Zaza (alias Roger Cagolle) est gracieux comme Sylvie, c'est incroyable.

Dans son tout petit logement de la rue des Abbesses, Athanase qui connaît par cœur le "timing" du cabaret, plante dans la partie charnue de la poupée vaudou à l'effigie de Zaza, l'une de ses aiguilles fine et longue, longue, longue. A quelques centaines de mètres de là, Zaza pousse soudain un cri horrible ! Arrache littéralement sa robe, porte le main à son fessier sous l'œil amusé des spectateurs qui s'aperçoivent alors que Zaza porte un caleçon blanc à pois rouges, comme celui de Belmondo dans "Le Guignolo" !



Laura Vanel-Coytte - L'acupuncteur

Je cherche

Je cherche une chanson qui énumère
Mieux que moi cette semaine :
Un gendarme qui enquête dans le quartier
Un acupuncteur qui a perdu ses aiguilles
Un salon de beauté où on se sent moche
Un caleçon qui traîne dans la salle d’attente
Une enquête qui sème le trouble
Un appel anonyme qui désigne le coupable
Je cherche l’ordre dans cette masse d’informations

Où lire Laura

Semaine du 27 novembre au 3 décembre 2017 - L'acupuncteur

Vous avez vidé vos greniers et c'est le cœur léger que vous allez vous retrouver dans une histoire abracadabrantesque qui mêlera :

- un personnage : un acupuncteur ou acupunctrice désorganisé(e)
- un lieu : dans un salon de beauté
- un objet : un caleçon
- un moment : après la venue d'un gendarme dans le quartier
- un problème : un coup de fil anonyme

Vous nous raconterez vos aventures en prose, en vers, ou les deux ; vous aurez jusqu'à dimanche 3 décembre minuit pour nous envoyer votre texte à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com

dimanche 26 novembre 2017

Bricabrac - Vide-greniers

Naguère

Je faillis dégringoler en descendant l’échelle de meunier, les bras chargés de nos costumes des dimanches et des jours d’enterrement, et tenant à la main la jeannette et le fer à repasser en fonte. Une araignée avait tissé sa toile de soie dans mes cheveux gris, gluante comme la chassie qui colle mes cils le matin.

Un bel arôme de chicorée s’échappait d’une cassolette en fer-blanc posée sur le poêle. Une jungle de lianes, des rubans de bloomers et de crinolines pleurant des larmes de lessiveuse, pendait au conduit galvanisé qui traverse la pièce. Ma mie, rayonnante, fourrageait dans le foyer avec la pince à feu pour en tirer des charbons rubiconds comme des rouges-gorges ou des crimes de sang. La remerciant d’un baiser d’autrefois, j’en remplis le fer.

Par la fenêtre encore grise de nuit, on apercevait les montagnes saupoudrées de neige et les cols amidonnés. Quand j’en eus fini avec ma chemise et mon gilet, j’attrapai le fer à gaufrer et plissai les dentelles de son caraco de brocart. Les manches à volant de son corps sage de satin m’occupèrent un tendre et long moment.

Quand nous eûmes consommé notre brouet d’orge, nous nous rendîmes à pied à l’église par des venelles pavées, bordées de roses anciennes. Le bedeau sonnait le glas d’un air lugubre. Une linotte mélodieuse jouait à l’harmonium des airs d’antan. Après nous avoir rappelé pourquoi nous étions là, le chanoine expédia l’affaire rondement, car déjà deux vieux chevaux fatigués attendaient sur le parvis de tirer le corbillard, précautionneusement entre les étals de la brocante, qui battait son plein sur la place.

Nous sommes rentrés doucettement, bras dessus bras dessous, croisant une noce qui arrivait en dansant la chaconne. L’enterrement nous ayant émoustillés, nous grimpâmes à l’échelle de meunier, sans même prendre le temps de boire un lait de poule à la cannelle. Quelle belle vie de grenier nous menons, dit ma mie, tandis qu’elle passait par-dessus tête son jupon de batiste et le lançait jusqu’aux poutres en bois de châtaigner, entre lesquelles il tournoya avec langueur avant de se poser sur une malle de souvenirs.

Jacques - Vide-greniers

Un jour, il y a eu une nouvelle maison, dans l’enthousiasme de vies qui se construisent, d’enfants qui apprennent à marcher un animal en peluche en guise de balancier et de carrières qui s’installent.
Dans cette maison, était un « grenier », bien grand mot pour décrire une sorte de recoin mansardé, en haut d’un escalier si raide qu’il serait plus honnête d’appeler échelle.
Un recoin toutefois assez vaste pour accueillir toute l’obsolescence de la famille, et même une sorte d’espace aménagé en bureau.
Les années se sont écoulées, voyant les enfants grandir, les carrières louvoyer, et mon pas perdre de sa superbe lorsqu’il fallait gravir les raides degrés menant à mon recoin : sauvé par le temps des études supérieures et l’éloignement du foyer familial, libérant des chambres où les bestioles en peluche sont depuis longtemps des éléments de décoration pour un usage de bureau.
Ainsi a été franchi un jalon de cette histoire, entre l’adoption de lits jumeaux et celle de stores électriques, un peu laids mais si pratiques…
Et puis un jour arrive, on choisit de quitter cette maison, pour une avec des étages en moins et des cieux à la météorologie plus agréable.
Alors, il va falloir le vider, ce grenier : en redécouvrir le contenu, ces dizaines de petites boîtes de toutes formes, s’atteler à l’inventaire, au tri, s’apprêter à voir ressurgir des vagues de souvenirs pas toujours bienvenus – et pas uniquement la vieille collection de VHS pornographiques.
Car on sait que l’on va surtout retrouver les carnets de dessins délaissés, les partitions jamais déchiffrées, des cohortes de manuscrits inachevés, toutes ces strates de projets abandonnés, faute de temps, d’idées, de sincérité et, hélas, de talent.
Un jour, il y a une vie qui s’étiole, usée, lasse du fardeau de tous ces rêves abandonnés, de ces renoncements...et la fureur du nettoyage, radical, gaver toutes les bennes à ordures du quartier jusqu’à écœurement…
Un dernier vide-grenier pour chasser les vieilleries qui emprisonnent un espoir que l’on ne veut pas abandonner.

Lilousoleil - Vide-greniers

C’est en parcourant les petites annonces pour un vide grenier que je suis tombée sur cette information.

Vends armoire normande en chêne clair massif avec tiroir.
Description :
le panneau droit comporte une rayure faite pas mon fils qui s’exerçait au lancer de couteau avec un opinel ; un petite couche de pâte à bois et il n’y paraîtra plus.
Le tiroir coince un peu ; il suffit de mettre régulièrement de savon de Marseille et le tour sera joué.
Sur les quatre pieds, un mais un seul est branlant mais avec une cale bien placée l’armoire restera droite comme un i.
Sur le panneau latéral gauche, une cible est encore bien dessinée ; pour jouer aux fléchettes c’est parfait, les enfants adorent… Sur le droit, la Reine des Neiges est peinte à l’acrylique ce qui lui donne un coté très original.

Joignable tous les jours à l’heure des repas et le prix est à débattre. 

samedi 25 novembre 2017

Pascal - Vide-greniers

Providentiel vide-greniers

Divorcé de frais et dorénavant exempté des obligations maritales, j’allais de conquête en conquête sur mon fidèle destrier décapotable. On the road again, c’était ma devise. Rasé, pomponné, le sourire en devanture, les mots aiguisés comme des flèches de Cupidon, le slip amidonné et les chaussures cirées, j’étais en mission d’Amour…
Les kilomètres, les paysages, la musique dans la voiture, c’était mon no man’s land, un interlude ronronnant, où je n’accrochais mes pensées à rien de concret qu’à ce futur de bons moments coquins.
Avant de partir, c’était sucres lents, barres chocolatées et régime glycémique approprié à mon menu de sportif en chambre ; aussi, c’était toujours la fleur au fusil que j’allais affronter ces femelles adversaires. Chair et dentelles, frissons et pâmoisons ornaient mon blason…

Avec mon stock inépuisable de caresses en bandoulière, je connaissais par cœur la liste des zones érogènes de toutes ces dadames ; au hasard convenu de mes aventures, j’en trouvais même de nouvelles et je les gardais comme des bottes secrètes pour chausser le pied de la belle. Je connaissais leur gourmandise insatiable, leurs défaillances feintes, leurs pouvoirs de jeune biche effarouchée, leurs simagrées têtues et leurs roucoulades d’alcôve. Eternel jardinier édénique, j’étais le spécialiste émérite de leurs doigts de pied en bouquet de violettes. J’étais le Pygmalion de leurs fantasmes secrets, l’épée brandie fièrement aux joutes érotiques ; à ma grande aiguille, il était toujours midi à l’heure des débats charnels. Parfum discret ou envahissant, ongles longs ou griffes rentrées, bouclettes brunes ou crinière sauvage, rien de ce qui allait arriver ne me serait étranger, à part le menu du resto, le film du cinéma de quartier ou l’éventuelle boîte de nuit à la mode de la région. Bref, je ne craignais personne. Mais cette Messaline fut l’exception, pendant le furieux temps de mes aventures licencieuses…

Rempli d’idées aphrodisiaques, en fin de matinée, j’étais pile au rendez-vous au Parking des Anges. Tu parles d’une appellation de parking. Yeux de braise, bisous mouillés mais salive bouillonnante, mains fiévreuses, nous étions deux affamés chérubins démoniaques, irrésistiblement attirés l’un vers l’autre. Bras dessus, bras dessous, nous partîmes déjeuner au restaurant du coin. Nous fîmes plus ample connaissance ; elle avait du charme, elle savait me séduire, j’avais du charisme, je savais la faire rire. Séparée ou divorcée, elle avait un bon job, une belle voiture et elle vivait seule dans sa belle villa ; ses deux enfants s’étaient envolés du nid.

En définitive, son histoire était banale comme toutes les histoires de femmes qui, un jour, font le grand ménage dans leur vie ; elles s’aperçoivent enfin que la vraie poussière encombrante, c’est leur bonhomme ventru. Comme il ne pouvait pas se défendre, le déchu, il en prenait plein son matricule ; tout ce qui était arrivé, c’était de sa faute, etc, etc. Lasse des confidences, elle avait plutôt envie de parler du présent, des choses qui se touchent, qui se boivent et qui se respirent dans la réalité.
Mine de rien, tout au long du repas, elle m’observait, elle m’auscultait, cherchant à savoir comment elle allait m’accommoder, croustillant, fricassé, rôti, au court-bouillon, mais forcément à poil… D’habitude, c’est moi qui tiens le rôle du mâle prédateur dominant ; là, j’avais l’inquiétant rôle du gibier et, innocente canaille, je me laissais embarquer dans ses pièges…

Quand elle se taisait, j’avais l’impression tenace qu’elle pensait « Bon, tu te dépêches de manger, on n’a pas que ça à faire… » Elle paya la note, malgré mes insistances de savoir-vivre, et se leva sans attendre sa monnaie ; c’était dit, on boirait le café chez elle…
Aussitôt arrivés dans sa maison, comme je n’étais pas venu pour trier des lentilles et qu’elle attendait autre chose de moi que des mots de gazouilleur, nous nous retrouvâmes vite en habits d’Adam et Eve pour continuer nos échanges labiaux avec d’autres sujets… plus libertins. L’après-midi se passa sous la couette entre batailles et gémissements, entre paix éphémère et victoires hors d’haleine.

De temps à autre, sauvé par le gong du besoin naturel, j’allais pisser en respirant l’air frais du dehors, par la lucarne entrouverte des chiottes. A travers ses volets presque clos, la nuit nous surprit ; elle alluma des bougies et des bâtonnets d’encens, ce qui avait le don de me faire éternuer. Je ne pouvais pas reprendre mon souffle ; elle revenait à la charge. Continuellement insatisfaite, elle cherchait toujours une autre étreinte ; avec le nombre de fois qu’elle avait grimpé aux rideaux, elle aurait pu escalader l’Everest !...

Enfin, un peu contrariée, elle se leva pour aller nous préparer quelque chose à grignoter ; cela me laissait le temps de prendre une nouvelle douche. On mangea au lit et les miettes de pain, elle les ramassa avec sa langue, cette coquine vorace.
Ni ciné, ni resto, ni boîte de nuit, il fut hors de question qu’on sorte ; elle déboucha une bouteille de champagne, trouva des flûtes et nous continuâmes notre musique sur l’air des amants insatiables.
Je re-retournais à la salle de bains, je me re-relavais les dents, je me re-repassais un coup de gant de toilette sur la figure mais ces « Tu viens ?... » revenants, lancés comme des SOS inquiets, me rappelaient à mes devoirs de sauveteur…

Toute la nuit, j’eus des apnées de sommeil ! Son lit, que dis-je, son ring, sa cage, était trop bas, trop dur et trop petit ! Comme si elle me guettait, dès que je bougeais un orteil, elle venait se serrer contre moi ! Au petit matin, je l’avais encore entre les bras ; je me souviens de son parfum un peu fané, de ses cheveux un peu collés, de ses yeux un peu cernés…

Grimaçant devant la glace, j’étais dans un sale état ; j’avais le teint gris comme un jour sans soleil. Pourtant, cela m’amusait de voir mon visage de Roméo dévasté ; n’étais-je pas venu ici pour ça ? Pendant que le café passait, elle me rejoignit dans la salle de bain. Plaquée contre le mur de la douche, elle put apercevoir le septième ciel par le petit fenestron.
L’amour physique, c’est bien tant que cela ne devient pas une compétition de cul mais, là, je frisais l’overdose ; il fallait absolument que je recharge mes accus, que je m’éloigne de ses mandibules, que je repousse ses tentacules…

Si je ne pouvais pas m’enfuir de chez elle comme un vulgaire voleur, j’arrivai à la persuader de venir faire un tour de bagnole dans la campagne. Ce dimanche matin d’octobre augurait une belle promenade et le toit ouvert de la bagnole refroidirait peut-être les ardeurs de mon exigeante nymphomane.
Les belles couleurs automnales, les feux d’artifice enflammant les arbres et les confettis de feuilles soulevés dans notre sillage, elle s’en foutait. Tout le trajet, la jupe remontée au-delà de la bienséance, elle garda la main posée sur ma cuisse ; quand elle l’avançait, poursuivant inlassablement ses avantages, je la repoussais gentiment mais fermement.

Tout à coup, à l’entrée d’un petit village, je vis un attroupement de voitures avec des étalages de fringues bigarrées et des passants se baladant dans la rue encombrée.
Un vide-greniers ! Un vide-greniers ! Sauvé ! J’étais sauvé ! Au milieu du monde, elle ne pourrait plus me suivre avec toutes ses assiduités de mante religieuse affamée ! Sans attendre son avis, je garai la voiture sur le bord de la route…

Pendant notre flânerie, renfrognée, elle boudait ! Frustrée, elle traînait la jambe ! Jalouse, elle me serrait fortement les doigts pour redevenir l’unique objet de mon attention ! Elle me faisait des appels de phares pour qu’on rentre à la tanière ! Constamment, elle orientait ma main vers son postérieur ! Y avait-il des vibromasseurs en bon état de fonctionnement dans cette brocante ?!... Une valise bourrée de sex-toys avec des crèmes, des plugs, des menottes et un ou deux fouets ?!... Des Mars, des Bounty, des Crunch ?!... J’aurais pu le crier, tant j’en avais besoin… En y repensant, pour m’en débarrasser, entre chiffons et crécelles, et bidons et vieilles dentelles, j’aurais pu la perdre dans ce providentiel vide-greniers…

Bon an mal an, j’arrivai à la traîner, au milieu des chalands, jusqu’à l’heure de midi. Connaissant un bon resto dans la région et ne lui laissant pas la possibilité de refuser, je fonçai sur la route…
Elle me faisait du pied ! Comme elle n’était pas très grande, en se tenant au dossier, elle se laissait glisser sur son siège jusqu’à ce que son pied touche ma jambe ! Cela la faisait à moitié disparaître sous la table ! Les gens qui observaient son manège, elle ne les voyait même pas ! Ma tigresse, elle était seulement contente de jouer au chat et à la souris et… j’étais la souris.
Pendant un instant, parce que le civet de sanglier était excellent, j’ai pensé à attraper son pied et à le tirer violemment pour la faire basculer complètement de sa chaise. Je ne sais pas ce qui m’a ravisé, peut-être des restants de bonne éducation. J’avais envie d’aller aux WC mais je m’y refusais : elle m’aurait suivi…

En retournant chez elle, j’avais les yeux pétillants de bon vin et quelques rots rentrés qui fêtaient dignement ce repas gargantuesque. Ce dimanche après-midi d’automne était grandiose ; au-dessus de nos têtes, les grands platanes du bord de la route nous applaudissaient avec leurs feuilles multicolores dépliées comme des guirlandes de 14 Juillet. Dans les haut-parleurs, c’était Dylan et « Blonde on Blonde » qui entretenait l’ambiance. Oubliant sa ceinture, elle s’était blottie contre moi mais j’avais posé ma main sur sa cuisse largement dénudée.

Entre secrets d’oreiller et confidences d’alcôves, la fin de l’après-midi fut encore torride et la digestion difficile ; on but du champagne Badoit entre nos rapprochements guerriers ; on fit encore quelques galipettes à haute teneur orgasmique dont la décence m’interdit ici de dévoiler les détails. Le soir, c’est sur les genoux que je grimpai dans ma bagnole et je pris le chemin du retour… en mode survie…

Stouf - Vide -greniers


Pff ... nous v'la t'il pas un samedi qu'arrive et un truc super horrible qui s'appelle le "Black Friday', qu'est une supercherie américaine de ceux qui veulent vider leurs greniers de supermarqueks de toutes les cochonnerie qu'il leur reste, à moitié prix ! A moitié prix de quoi ?
 Une nouvelle télé plus grande en full-hd ou un robot débile qui roule dans le salon en aspirant continuellement les cochonneries des clients qui ne sont pas là chez eux ?
Personnellement,dans notre hôpital psychiatrique pour les pas méchants c'est plus cool ...
Ouai ouai okay ... je vois bien cela ainsi que les messieurs gentils psy m'ont bien vidé le grenier et je trouve cela cool !
Aie ... les électrochocs m'ont donné une super érection sexuelle et le lendemain j'avais super mal au bide. 
Eh ... avant de tirpar, faut que je vous présente monsieur Windows le dixième de sa génération.
- C'est vraiment un con cet ordi !
- Moi je te beug quand je veux ducon ! 
Signé l'ordi.:o)

vendredi 24 novembre 2017

Turquoise - Vide-greniers

La neuvième

Ce dimanche de novembre, Félix est seul avec Hugo, son fils ainé. Son épouse s’est levée avant l’aube pour participer à une brocante « vide-grenier » et Victor, le plus jeune, passe la journée chez un copain, qui fête son anniversaire.

Père et fils ont rarement l’occasion de passer une journée à deux, et ils ont décidé de se faire plaisir.

Vers quinze heures, ils se dirigent vers la Salle Philharmonique de Liège, où est programmée la Neuvième; le Chœur Philharmonique de Bonn (ville natale de Beethoven) est l’invité d’honneur de cette représentation.

La salle est magnifique, elle a été entièrement rénovée, et son acoustique est l’une des meilleures que Félix ait jamais expérimentée




Ils sont à l’aise dans cet environnement : Hugo étudie le violon au Conservatoire de Musique, ils échangent quelques mots avec de nombreuses connaissances, et s’installent.

L’orchestre se prépare, de tous côtés surgit ce fameux « la » qui mettra tout le monde d’accord : bois, instruments à vent ou à corde, personne ne prendra le risque de la moindre dissonance.

Le chef fait son entrée, les archets sont prêts à attaquer la première note, le public retient son souffle.

Félix et Hugo sont assis au deuxième rang, juste assez près de la scène pour sentir le signal de départ, et quelques instants suffisent pour que la magie opère.

Le premier mouvement commence tout en douceur, de façon presque mystérieuse. Les thèmes s’enchainent ensuite, alternant fortissimo et interventions beaucoup plus subtiles des instruments à cordes. D’où ils sont, Félix et Hugo peuvent suivre le moindre mouvement des musiciens, les basses qui invitent les violons à entrer en scène, le premier violon qui répond au reste de l’orchestre; plus rien n’existe autour d’eux, ils sont subjugués.

Tout à coup, Félix se sent transporté devant sa télévision, le neuf novembre mille neuf cent quatre-vingt neuf quand, de la foule en liesse, s’est élevé le son du violoncelle de Rostropovitch qui jouait l’ode à la joie, qui sera désormais le symbole de la construction européenne.

Il est très vite ramené ici et maintenant; la salle devient trop petite, les chœurs transcendent l’espace, renforcés par des percussions qui sont restées très discrètes jusqu’au final, particulièrement majestueux.

La dernière note retentit, suivie d’un moment de silence; le public se lève, applaudit fort et longtemps, plein de reconnaissance pour la beauté de ce moment.

Père et fils cheminent maintenant côte à côte, presque sans parler.

A la maison, ils retrouvent Victor et sa maman; le repas du soir sera animé, chacun racontera sa journée, et partagera les moments forts avec les autres.

Pascal - Vide-greniers


Salvator Mundi 

Après maints coups de téléphone de l’ANPE aux différents employeurs éventuels de la région, je fus finalement embauché comme apprenti déménageur, chez Emmaüs. Pas franchement à ma place dans cette ambiance un peu rustre, j’avais été chef-démouleur sur une chaîne de caramel mou chez Dupont d’Isigny avant que la boîte ne ferme et, passionné d’art à temps perdu, je m’appliquais de mon mieux pour satisfaire à cet emploi inespéré…

Un vieux monsieur était décédé, laissant sa maison inoccupée ; la famille lointaine avait reporté ses prérogatives de nettoyage par le vide à un notaire du coin et celui-ci n’avait pas trouvé mieux que de faire appel à nos services. De la cave à la dernière mansarde, du garage à la verrière du jardin, il fallait tout débarrasser et laisser place nette, avant l’arrivée imminente des bulldozers affamés des promoteurs avisés...

Le jardin sentait bon le bassin parisien derrière l’immense portail en fer forgé. Pas encore habitué à ce genre d’intrusion, cela m’avait rendu tout chose de pénétrer dans cette maison. Des parfums d’après-rasage planaient encore dans la salle de bain, des effluves de friture stagnaient dans la cuisine, des odeurs de fleurs séchées restaient collées aux motifs forestiers des vieilles tapisseries murales.
Des placards, s’échappaient des fragrances tenaces de pain d’épices, de bonbons à la menthe et de sirop d’anis ; du buffet de la cuisine, c’était les aromates exotiques, le café, la réglisse, le cumin, qui s’échappaient comme pour retourner bronzer dans leurs lointaines contrées.
Il montait de la cave, des senteurs de fagots et d’anthracite ; au faible halo de la lampe, des pépites de charbon étaient incrustées dans les murs, et cette cave, c’était une mine…
Dans les escaliers presque glissants qui emportaient à l’étage, c’était l’encaustique qui prenait le nez. Avec un peu d’imagination, dans la corbeille de fruits posée sur ce meuble, je pouvais voir des pommes et des poires célébrant l’automne…

Le plancher craquait sous nos pas comme s’il n’était plus habitué à recevoir du monde ; derrière la porte, il y avait encore des patins et, innocemment, comme un invité bien élevé, je les chaussai… Avec leurs brodequins crottés du jardin et leur casquette vissée sur la tête, mes équipiers du jour n’en avaient rien à foutre de tout cela. Carte blanche mais place nette, avait répété le notaire. Il fallait juste trouver quelque chose qui vaille le coup afin de rapporter un peu de fric, pour rentrer dans les frais de notre déplacement.
Comme des trophées d’importance, une petite pendule en faux marbre, fin dix-neuvième, une paire de statuettes en ivoire, une boîte à musique, sans bijou dedans, un banal jeu d’échecs avec toutes ses pièces, une montre à gousset, un vase, peut-être en cristal, un lustre aux mille reflets miroitant, une petite collection de timbres oblitérés des anciennes colonies françaises et un abat-jour contemporain, s’entassèrent au fond de notre camionnette…

Derrière un tiroir, je trouvai des insignes militaires, des médailles de champs de bataille ainsi qu’une baïonnette à la pointe écornée. Au fond d’une malle, il y avait des parchemins enroulés ; leurs majuscules pompeuses gravées à l’encre noire célébraient des brevets d’obtention à des Grandes Ecoles ; pêle-mêle, des photos sépia racontaient des petits-enfants, en précieuses marinières du dimanche ; leurs regards curieux et leur garde-à-vous figés pour ne pas l’effrayer, ils attendaient le petit oiseau…

Dans le salon, nous avons décroché des tableaux sans nulle valeur, mais comme on devait tout débarrasser. Il restait leurs marques claires contre les murs telles des pièces de puzzle tombées du panorama…
Nous avons enroulé les tapis, descendu les suspensions, empilé les livres anciens, démonté la bibliothèque. Il y avait plein de recueils de peinture ; ce vieux monsieur devait être un féru de tableaux et des choses des enluminures anciennes. Une des étagères était exclusivement remplie de bouquins exaltant l’œuvre de Léonard de Vinci.
Malencontreusement, en manipulant un des volumes, je le fis tomber à terre ; comme s’il voulait me montrer quelque chose, il s’était écartelé à sa double page, découvrant en grand la photo de « Salvator Mundi » ; je le reconnus sans peine...

Un à un, nous sortîmes tous les meubles ; nous étions comme des fourmis ouvrières, arrachant de cette maison les pans de son histoire. Dans la chambre du vieux monsieur, il y avait cette peinture étrange accrochée au mur ; de dimension quarante-cinq sur  soixante-cinq,  (j’avais mon mètre) il représentait le même personnage auréolé que celui du livre tombé. Quelle coïncidence, me dis-je, en le manipulant avec une précaution de connaisseur. Panneau en noyer, peinture à l’huile, art chrétien, renaissance italienne ; aucun doute, c’était une belle reproduction du chef-d’œuvre expliqué dans la double page du bouquin...

« Hé, l’instruit, il te plaît, ce tableau ?... » En m’observant de loin, ils se moquaient, les manutentionnaires, comme s’ils voyaient ce genre de croûte tous les jours.
Celui-ci trouvait ses tatouages aux biceps mieux réussis que cette allégorie énigmatique : « Ta bondieuserie, mets-la au-dessus de ton lit !... » me railla-t-il, en décapsulant une bière…
Celui-là préférait gratter les jeux de la Française : « Tu verras, ton Sauveur du Monde, c’est une vraie machine à miracles !... » me china-t-il, en allumant une clope…
« T’as qu’à le garder, ton barbouillage !... Ce sera ton cadeau de bienvenue !... » me dit, en riant, le chef de notre équipée. «  T’en seras quitte pour payer ta tournée !... »

Au diable, tous ces béotiens, ils ne comprennent rien à l’Art, me dis-je, en hochant la tête ; mon Salvator Mundi, dans un vide-greniers du coin, j’en tirerai toujours une bonne cinquantaine d’euros…

Quand nous eûmes complètement débarrassé la maison, elle résonnait de tout son vide. Au bout de la rue, les rugissements des engins démolisseurs entonnaient déjà leur fringale, quand nous nous en allâmes…