mardi 12 décembre 2017

Marité - Allumer

Louise, Léon et Johnny

- Mais il fait noir ici. Tu es là Louise ?
- Oui.
- Qu'est ce que tu fabriques ? On se croirait dans le cul d'un, enfin, dans un trou. Tu es où ?
- Là.
- Où, là ? Allume nom d'un chien.
- Non.
- Pourquoi ? Mais ma parole, tu pleures. Il est où Léon ?
- Me parle pas de Léon. Me parle pas de Léon !

Odette tourne le bouton et la lumière fut. Euh, la cuisine s'éclaire. Odette n'en croit pas ses yeux. Louise git sur le sol au milieu d'assiettes cassées, de sauce tomate dégoulinant, de saucisses à moitié mangées.
- Beurk ! C'est dégoûtant. Tu es tombée ?
- Tombée ? Tu veux rire. Léon est rentré tout à l'heure, complètement pompette. Et quand je dis pompette...Ivre-mort plutôt.
- On est en semaine. Et d'habitude, Léon ne va pas se saouler la gueule en semaine ?
- Mais Léon ne se saoule pas la gueule. Tu n'as pas honte de traiter ton frère comme ça ? Il va boire un apéro avec les copains le samedi seulement, tu le sais bien.
- Tu le défends ? Pourtant tu viens de me dire qu'il est rentré ivre-mort. Et on n'est pas samedi que je sache.
- Eh bien là il a fait une exception figure-toi.
- Il avait une raison ? Explique.
- La raison ? Ah, je vais te la donner la raison. La mort de son idole.
- Johnny ?
- Déjà, il m'a cassé les pieds tous ces derniers jours avec ses disques, la télé, les journaux. Voilà pas qu'il s'est fait la banane. Je te demande un peu. A son âge. Regarde, il a ressorti de je ne sais où les vieux posters et les a placardés sur tous les murs de la maison.
- Que veux-tu ! Les souvenirs ressurgissent. Tu l'aimais pas, toi Johnny ?
- Si. Bien sûr que si. Il me faisait pleurer quand il chantait sa Marie. Mais tout de même. Y a des limites.
- Essaie de comprendre Louise. Mon frère s'identifiait à Johnny. Léon et moi avons été élevés par notre tante Berthe, tu le sais bien. Comme Johnny. Enfin, sa tante ne s'appelait pas Berthe mais... Il a le même âge que Johnny. Et puis, il lui ressemblait un peu à dix sept ans. D'ailleurs, avoue-le : c'est bien cette ressemblance qui t'a attirée toi aussi ? Un bel ange blond, mon frère. - Odette sourit avec tendresse - Quand il a commencé à travailler aux abattoirs, il a économisé pour s'acheter une méchante guitare...
- Arrête. Tu sais quoi ? Ce matin, il est allé décrocher le crucifix au-dessus de notre lit pour se le mettre autour du cou. Avec de la ficelle. Tu vois le tableau ? Tu es sa sœur mais avoue que ça dépasse les bornes.

- J'ai envie de te dire que je le comprends.
- Et c'est pas tout : il y a la Paloma.
- La Paloma ? Mais c'est pas une chanson de Johnny ça !
- T'es bête. La motocyclette, la Paloma. Figure-toi qu'il est allé la récupérer au fond du poulailler où elle croupissait. Tu aurais vu l'état. Sa couleur dorée écaillée, la selle bi-place en léopard mitée...Il s'est mis en tête de lui rendre ses années de gloire. Il a passé la semaine à la nettoyer, la repeindre...
- Tu ne vas me dire qu'elle pétarade quand même ?
- Non. Mais il a promis de la remettre en état de marche.
- Tant mieux. Ça va l'occuper un moment. Mais raconte, qu'est-ce qu'il s'est passé ici ? Léon ne t'a pas frappée ?
- Oh non ! Jamais Léon ne m'a brutalisée. Seulement, tu sais bien que l'alcool le rend chagrin. Quand il est arrivé, il pleurait...De gros sanglots. Même quand il a perdu sa Mirette, sa chienne de chasse, la meilleure, la plus fidèle, il n'a pas pleuré autant. La mort de Johnny le tourneboule que ça en frise le ridicule, tiens.

- Allons. Allons. D'abord, pourquoi es-tu allongée par terre ?
- Comme je te le racontais, Léon est arrivé en pleurs. J'ai eu le malheur de hausser les épaules. Il l'a mal pris et il a balayé la table d'un revers de manche en me traitant de grosse dinde. Remarque, c'est de saison ! Je ramassais une assiette et j'ai glissé sur la sauce tomate juste quand tu es entrée.
- Pas grave du moment que tu ne t'es pas blessée. Mais où est Léon ?
- Il est parti se coucher en éteignant la lumière.

A ce moment, Léon sort de sa chambre, un peu honteux, va embrasser sa Louise en lui demandant pardon. Puis il se tourne vers sa sœur.
- Alors, sœurette, on se le danse ce twist ?

Souvenirs, souvenirs,
Il nous reste ses chansons...

13 commentaires:

  1. Ah une belle histoire ! La Paloma j'en ai connu, moi c'était la Vespa, puis la moto, faut bien vivre sa jeunesse, Johnny c'était mes 20 berges ! A diù siatz Jojo. ];-D !

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  2. Hé bé ! ça l'a mis dans un bel état le Léon :)
    mais effectivement, c'est plutôt sa jeunesse qu'il essaie ainsi de retrouver entre la coiffure, et la mobylette...et peut-être même avec une gueule de bois en milieu de semaine...

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  3. Oh Marité, si tu savais ... tout le mal que tu me fais. Evanouie mon innocence etc etc ;o)

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  4. Je trouve ce Léon très attachant, moi...

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  5. J'aime bien la fin, elle justifie les moyens... ;)

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  6. C'était un chanteur populaire alors forcément... ça bouscule du populo !

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  7. Les souvenirs accentuent le chagrin de ce pauvre Léon...Toute sa jeunesse en prend un coup.
    Un twist et ça repart!

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  8. Merci de m'avoir lue ! ;-)

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  9. Si touchant ce Léon. Si représentatif de cette génération aux larmes communicatives un après-midi glacial sur les Champs-Elysées.

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  10. Dur dur d'être fan de Johnny !
    Pour la santé, mieux vaudrait être fane de carottes... mouarf mouarf !
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Ben, toi ! Tu serais bien en mode 5 bulles à deux balles par jour... Huh, huh ! ;)

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  11. Très touchant ce Léon...Comme tant d'autres de sa génération :)

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  12. J'ai adoré "la dinde... de saison" #balancetonpoulet, hé hé !

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