lundi 19 février 2018

Annick SB - Lune de sang

Les lunes … 

Lune, feuilleté de lumière grignotant les lucioles du cœur
Pleine lune, astre gourmand déguisé en tartelette, tranche de beau rassasiant les étoiles des cieux
Lune descendante, astre qui tendrement éclaire les linceuls
Lune montante, astre qui évidement éclaire l’âme des optimistes
Lune de miel, intense moment partagé entre deux cœurs d’artichaut
Lune rousse, muse des poètes, des peintres et autres artistes insomniaques
Lune de Sang, fillette curieuse, douce, intrépide et à la recherche de ses origines 

Cette nuit là, Lune de Sang sortit dans son jardin et s’assit sur le banc ; elle savait qu’elle désobéissait un peu mais elle avait l’habitude.
Elle avait préparé l’après-midi une galette aux épices, un petit pot de cancoillotte et une bouteille de vin jaune pour se rendre le matin suivant chez mère-grand.
Comme elle ne trouvait pas le sommeil, elle décida de faire nuit blanche au milieu des étoiles ; c’était sa couverture préférée.
Ça lui arrivait quelquefois l’été de rester toute la nuit dehors et le matin, ni son père ni sa mère n’osait vraiment la gronder.
Lune de Sang se posait beaucoup de questions et était passionnée de généalogie, on comprend bien pourquoi  avec  un nom pareil !
Sa grand-mère, vieille mémé ridée au chignon argenté,  la fascinait ; son sourire, sa Paix et cette joie qui brillait dans ses yeux ; toujours …
...
Quand grand-mère faisait du tricot l’hiver, ses doigts agiles, que fixaient imperturbablement ses lunettes en écaille, bougeaient à toute allure. Parfois la fillette avait peur que l’énorme rubis de sa bague de fiançailles, en forme de lune, s’ôte des griffes de l’anneau. Mais non, elle tenait bien la précieuse et ne risquait pas de tomber dans le sac de croquettes si grand-mère nourrissait ses chats !
Le bruit des aiguilles métalliques couvrait chaque jour la radio ; ce n’était pas un problème pour grand-mère car grand-mère fredonnait toute seule ses airs préférés ; ça faisait sourire Lune les paroles de ces cantiques vieillots mais elle trouvait ça beau finalement car ça sortait de la bouche de mère-grand qui avait une jolie voix.
Au début du printemps, grand-mère s’asseyait sur la terrasse dans son fauteuil en osier ; elle délaissait un peu l’ouvrage pour plonger le nez dans des catalogues de jardinage ou dans des albums photos ; parfois, elle se mettait à effilocher des brins de laine sortis de ses poches ; elle les laissait s’envoler librement, pensant ainsi aider les oiseaux à nicher. Puis l’été arrivait et grand-mère passait des heures à contempler les fleurs et les insectes du jardin.
Ce matin là, grand-mère était impatiente.
Lune devait venir la voir.
Grand-mère était fascinée par Lune, le petit trésor de son cœur.
Elle savait que sa petite chérie lui apportait toujours des bonnes choses à manger et salivait déjà mais ce qui était le plus important c’était le bonheur de sa présence, de ses questions, de ses rires, le bonheur de l’enfance.
Ce matin, elle allait enfin lui faire découvrir son trésor et lui raconter l’histoire de famille, faite comme dans toutes les familles de secrets, de non-dits, de sommes inimaginables de brins de poésie, de clin d’œil à la vie, de morceaux d’âmes et de rires en cascade…
Grand-mère était une collectionneuse.
De tout et surtout de petits riens qui pouvaient tenir dans une menotte.
Elle avait promis à Lune de lui montrer son trésor un de ces quatre.

Quand Lune souleva le couvercle de la boîte aux souvenirs de grand-mère elle arrêta quelques instants son souffle.
Quel privilège !
La main plongea  et sortit lentement les objets les uns après les autres ; à chaque petit trésor, mère-grand disait quelque chose et Lune buvait ses paroles.

Un galet  - « Tu m’as aimé sur les galets, tralalala lala, lala  … » 
Un morceau de lichen - Le petit faon en mange dans la forêt … 
Un peu de mousse – Comme celle sur laquelle on a posé les santons dans la crèche cet hiver… 
Une quenotte - La petite souris l’aurait-elle oublié ? 
Un buvard taché - Preuve que dans la vie on peut se tromper ! 
Un trèfle à trois feuilles - Pour celles et ceux qui n’aiment pas les superstitions… 
Un ruban de velours turquoise- Qui servait jadis à embellir la longue natte… 
Une graine de haricot - Pour partir à la rencontre de Jack… 
Un bonbon au miel - Qu’il ne faut surtout pas croquer, sinon il ne sera plus dans la boîte… 
Une feuille de laurier -  « Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés… » 
Une mini toupie en bois d’olivier – L’heure tourne… 
Un dé -  Il n’y a pas de hasard… 
Un mouchoir de poche brodé - Celui qui avait fait pleurer arrière grand-mère lors d’un repas de fête des mères… 
Une perle noire - Trouvée dans une foire… 
Un poil de loup - Celui qui n’a réussi à tuer ni grand-mère ni le Chaperon rouge … 
Une coquille d’escargot - Echappée d’une autre boîte… 
Une photo de famille sépia - C’est à la mode… 
Une Bible-chignon - Le plus ancien et le plus précieux des trésors de la boîte…

Lune attrapait les objets délicatement les uns après les autres en buvant les paroles de sa grand-mère chérie ; elle les reposait ensuite dans la boîte mais quand elle eut le tout petit livre dans ses mains, elle le garda, l’ouvrit au hasard et lut ceci : 
« Le soleil se changera en ténèbres, et la lune en sang, avant l'arrivée du jour du Seigneur, de ce jour grand et glorieux. Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » 
Toutes deux se donnèrent la main en écarquillant les yeux pour admirer les nuages qui avançaient à vive allure ; elles prirent acte de leur bonheur de vivre, souriant de plaisir en regardant le ciel si prometteur … 

Où lire Annick SB

24 commentaires:

  1. Curieux je suis ! Je suis aller m'instruire sur la "bible chignon" incroyable ! Merci de la découverte, et joli texte. ];-D

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    1. Moi aussi ! Alors merci à Annick qui nous instruit en plus de raconter une très jolie histoire;)

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    2. Oui c'est incroyable et très puissant cette ingéniosité dans la résistance pour l'amour de la Parole de Dieu.

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  2. toujours ton imaginaire foisonnant et d'une étrange poésie

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    1. Quand deux pluriels deviennent singulier ... mélange des souvenirs et des désirs = un imaginaire ;-)

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  3. une jolie tranche de vie
    c'est très doux et bourré de petits clins d'œil
    j'ai beaucoup aimé

    :)

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  4. Les grand-mères sont des boîtes à petits bonheurs. Celle-ci est particulièrement riche de poésie et de clins d'œil malicieux derrière les lunettes d'écaille.
    Merci pour ce joli conte, Annick SB

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  5. J'ai savouré ton texte ! quand j'étais petite j'adorais farfouiller dans ce genre de boites aux trésors ! :)

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    1. Moi aussi et même si je ne suis plus petite je le fais encore !!!!

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  6. très émouvante cette parabole sur la transmission

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    1. “Le passeur est celui qui sait qu’il est second, et non premier, et qu’il a reçu une mémoire énorme. Il sait également qu’il n’est pas le dernier et qu’il doit transmettre.” Armand Abecassis

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  7. Quelle belle histoire. J'ai adoré ! Je me suis vraiment imaginé dans la peau de Lune et émerveillée à chaque objet. BRAVO

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    1. hihi !! Je t'invite dans ma classe à la rentrée prochaine ; la première semaine je montre à mes élèves ( CP ) une boîte et je leur demande ce qu'elle peut contenir .... réponses extraordinaires ! Ensuite, j'ouvre la boîte et je sors des objets ( une cinquantaine ) un par un ... Leurs yeux, leurs sourires ... Puis je les invite ( car beaucoup ne le font plus ) à prendre chez eux une boîte et à eux aussi la remplir de trésors ....Ce qui est génial je trouve c'est que chaque année les enfants me font des cadeaux pour cette boîte là ! Je ressors de temps à autre la boîte et à chaque fois les yeux brillent !!! ( Bien entendu je me garde bien de leur dire mes objectifs pédagogiques de mémorisation, phonologie et autres ... ;-) )

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  8. J'ai pratiqué ça aussi avec mes élèves, la boîte à bonheurs j'appelle ça.
    Très jolie histoire Annick, avec une foule de petits détails trop mignons.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  9. Réponses
    1. Démasquée ma sœurette, j'attends impatiemment ta lune de sang ... ;-)

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  10. Très touchante, cette transmission, et délicieux l'inventaire (clin d'œil à Prévert ?...)

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  11. Que c'est beau et tendre et doux Annick !
    Enfin un chaperon rouge sans loup et une grand-mère qui égrènent joyeusement les souvenirs.

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  12. Je suis moi aussi sous le charme de cette histoire contée qui est riche de tendresse et de cette multitudes de petits bonheurs qu'il nous faut savoir collectionner.

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  13. @ Mapie et @ Marité merci beaucoup ! https://chaperonrougeannicksb.blogspot.fr

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