Mademoiselle Rannou
Pour
l’écrire, j’ai aiguisé ma meilleure plume, j’ai sorti l’encrier des superlatifs
et la feuille la plus immaculée ; j’ai ouvert en grand la fenêtre pour
laisser entrer l’air frais et prometteur de mars, mais mes frissons lui sont forcément
consacrés.
Elle
fait partie des personnages incroyables qui croisent notre vie, qui la
bousculent et qui lui donnent un sens tout autre que celui, brouillon, que l’on
avait échafaudé en pensant à l’avenir. Elle est et restera un Ange à la solde
du Bonheur et ses émoluments sont les élans de son cœur.
Mademoiselle
Rannou : elle s’était mariée avec le bon Dieu. Les rumeurs des couloirs
racontaient que, pendant sa jeunesse, elle avait eu une grande déception
amoureuse, de celle dont on ne se relève pas, de celle qui saigne sans
rémission, de celle où même le Temps n’a nulle emprise sur
la guérison ; alors, elle s’était retournée vers Lui pour en faire son seul
véritable Amant. C’est pour cela qu’elle irradiait d’Amour, cette femme :
le vrai, le grand, le fort. De sa communion avec notre Seigneur était née une
Sainte et c’était elle. Je ne m’explique pas autrement sa façon d’être. Le seul
sens à sa vie était d’aider son prochain, c’était son adage, sa ligne de
conduite, son confiteor.
Ancienne
chef du personnel dans la grande Entreprise, elle avait pris sa retraite en
même temps que les rênes du syndicat qui allait le mieux avec ses idées
chrétiennes. On l’écoutait, elle était une référence et ses propos faisaient
foi. Fine mouche, elle était de toutes les réunions syndicales ; elle
connaissait tout des faiblesses patronales, des failles juridiques, des
intervenants, des discussions enflammés, des quotas d’admission des futurs
agents, etc, etc. Elle avait une médaille de la Vierge autour du cou, une
médaille d’or, une grosse médaille qui brillait même quand elle marchait dans
la pénombre des couloirs. Parfois, je me demandais si ce n’est pas elle qui
brillait plus que sa décoration. C’était son talisman pour avancer dans le
présent sans crainte de personne ou son oriflamme qu’elle projetait au devant
d’elle avec l’ardeur du flambeau de sa religion.
Par
je ne sais quelle entremise secrète, je lui fus présenté par une vague connaissance
de cours du soir. A sa solde, il était
agent recruteur et je pouvais être un candidat potentiel à l’examen d’entrée
annuel dans cette fameuse boîte. Chacun des syndicats en lice avait le droit de
présenter son poulain à ce réputé concours. Pensez donc !... Deux mille
candidats, vingt-cinq retenus et seulement une dizaine d’admis !...
Notre
entretien fut cordial, teinté de curiosité et de courtoisie ; elle me
dicta quelques phrases pour connaître mes capacités orthographiques ; je rédigeai aussi des problèmes
simples d’électricité qui ne m’opposèrent aucune résistance ; enfin, nous
discutâmes à bâtons rompus autour de thèmes qu’elle avait soigneusement
préparés. Je dus lui plaire car je retins toute son attention…
Elle
était une main de velours dans un gant de velours, cette femme. « Aide-toi,
le Ciel t’aidera ». Elle était le Ciel. De plus dévoué personnage, je
n’ai jamais connu. Elle avait le
don de cumuler l’Amour, le courage, l’abnégation, la pudeur, la sagesse,
l’intelligence, la générosité. Je pourrais facilement écrire tous ces mots avec
des majuscules tant elle glorifiait ces qualités avec son statut de bénévole.
Cette
grande prêtresse de Dieu n’en servait pas moins les hommes ; peut-être
parce qu’elle en voyait une infime partie dans chacun de nous. Elle pratiquait
le don de soi avec une simplicité et un altruisme sans pareil. Un agent
fraîchement divorcé partant à l’astreinte ?... Elle lui gardait les
gosses !... Un vieux retraité ne pouvant plus manger ?... Elle allait
lui tenir la fourchette !... Un jeune dans l’épisode de ses examens ?...
Elle allait lui donner des cours !... Protéger un employé, dans la tourmente d’une
hiérarchie inique ?... Elle partait défendre ses intérêts !... Telle une Jeanne d’Arc moderne,
elle enfourchait sa petite voiture et elle partait nuitamment !...
Quarante, cinquante kilomètres, en hiver, en été, en vacances, dans la neige,
la canicule, le souci, elle était sur tous les remparts, sur toutes les routes,
dans tous les débats !... De son syndicat, nous étions plus que des
adhérents, nous étions tous ses enfants…
Mademoiselle
Rannou : je sais qu’elle n’aimerait pas que je la photographie avec toutes
ces phrases en couleur. Je connais toute sa pudeur d’Humilité. Si Dieu existe,
là-haut, avec sa pension de Paradis pour les seules belles âmes, c’est sûr,
elle sera à la meilleure place et nul ne pourra jamais la jalouser un seul
instant. Quand il va la recevoir, au Bureau Céleste, pour passer son examen
d’embauche, la Yolande, elle n’aura qu’à lui montrer tous ses diplômes
terrestres, sa médaille de la Vierge et ses sourires de Charité comme seul
sésame. Avec sa vision des Choses, le Grand, il va l’inviter au plus près de
lui, il ne pourra pas faire autrement. Je lui espère l’Eternité grandiose, des
ailes d’archange et des rires comme des arcs-en-ciel !...
A
cette seconde, lecteur, je suis fier de l’écrire. Mes doigts rebondissent sur
le clavier avec un plaisir sans pareil. Les phrases s’allongent comme si je lui
tissais un grand manteau de caresses heureuses. A titre costume, l’aiguille de
ma plume la coud de fils d’or et si quelques larmes brûlantes perlent à mes
paupières, c’est parce que je n’ai jamais pu la prendre dans mes bras, mais
est-ce qu’on peut prendre un Ange dans ses bras ?...
Elle
me présenta au concours d’entrée dans la grande usine d’Electricité ; je
fus reçu, lauréat. Elle m’avait mis le pied à l’étrier, j’allais caracoler pour
ses seules couleurs, faire mes preuves dans l’Entreprise et, jamais, jamais, je
ne la décevrais…
Tu as eu beaucoup de chance de connaitre cette belle personne, garde la précieusement dans ton coeur !
RépondreSupprimerJoli portrait, une femme comme on aimerait en rencontrer souvent.
RépondreSupprimerJe pense te connaître Pascal, plutôt te reconnaître... Mais chuuut ! ];-D
Quelle belle rencontre !
RépondreSupprimerTu lui rends un saisissant hommage.
RépondreSupprimerJoli coup double, car je lis ton message aujourd'hui 8 mars
Vive les femmes !
Et les hommes aussi, bien sûr... ;-)
¸¸.•*¨*• ☆
Pourquoi attendrais-je le 8 mars? De la caresse de ma plume, chère Célestine,je célèbre la femme tous les jours.
SupprimerBelle "tranche de vie" pleine d'émotion pour une personne comme il en a peu.
RépondreSupprimerUn vibrant hommage à celle qui t'a mis le pied à l'étrier Pascal.
RépondreSupprimerL'admiration et le respect que tu lui portes transparaissent de façon très forte dans ton texte.
Ce texte est magnifique, presque aussi bouleversant qu'a dû être cet Ange.
RépondreSupprimermerveilleux et sincère hommage à une femme de bien
RépondreSupprimerJoli texte qu'elle serait heureuse de lire !
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