L’Hôtel des Sirènes
Pieds
de grues enjôleuses, devant l’enseigne racoleuse, elles étaient quatre
soupirants éventails à rêver d’un peu de lumière pour raviver leurs lustres
d’écailles. Çà et là, partout dans les rues sombres, naviguait la nuiteuse canaille.
Les baisers accrocheurs des bouches d’égout racontaient la marée des
poissonneries du matin, quelques poubelles renversées dégueulaient des cageots
de marché et si les pavés brillaient, si les devantures clignotaient, si le
vent de la nuit batifolait, les sourires de ces naïades n’étaient que des
panneaux indicateurs d’hypothétiques escalades…
La
première, un peu blonde, beaucoup décolorée, passionnément délurée, usait ostensiblement
ses aiguilles en tricotant des huit accompagnateurs avec son fessier hautement
prometteur. Parfois, le long de sa cadence sacrifice, la pointe de son talon
enfantait une étincelle subreptice et c’était un autre claquement de pétard
d’artifice. Mi amusée, mi apeurée par la déflagration, elle réajustait sa
démarche jusqu’à la frontière du trottoir de perdition mais elle repartait à
l’assaut de nouvelles additions… Actionnaire zélée, devant la façade grisaillée
du lupanar, elle haranguait les confréries des fêtards en les aguichant avec
des tractations de chaud plumard…
Permissionnaires,
des troupes de marins en bataille arpentaient les ruelles en gueulant leur
saoulerie conquérante. Certains arboraient des dents de requin à leur poitrail,
preuves irréfutables de leur bravoure exubérante ; d’autres, galonnés
d’improbables médailles, claironnaient à l’embrasement des feux avec des
chansons exaspérantes…
La
deuxième, un peu ronde, beaucoup rubiconde, passionnément gironde, bronzait
avec la lumière du maigre réverbère. Sentencieuse, elle stationnait avec des
poses suggestives, en écartant ou repliant ses cuisses vermeilles, comme le
ferait un beau papillon avec ses ailes sous l’emprise d’un chaud soleil.
Chacune de ses respirations était une véritable attraction ; brodé de
dentelle nébuleuse, son corsage s’ouvrait sur sa poitrine généreuse et seule la
Vierge, enfermée dans sa communion, pouvait prétendre à sa condition
d’Immaculée Conception… Sans doute astrologue dans une autre vie, elle n’était
que promesses de septième ciel, plans de comètes, trente-six étoiles, devant un
légionnaire en tablier de sapeur…
Au
loin, armés de lames, croisaient les ténébreux barbots de ces dames.
Moustachus, griffus, obtus, les volutes de fumée de leurs clopes étaient comme
des commandements d’invertébrés, des reproches conditionnés, des attentes à
l’impudeur tarifée de leurs protégées. Parfois, au bout d’une pichenette
rageuse, on voyait s’envoler un mégot rougeoyant, zigzagant dans le noir de la
rue peureuse. Avertissement sans frais, l’éclat de voix d’un souteneur
colérique ravivait la flamme de la
faction des sirènes angéliques. Instinctivement, elles gonflaient la poitrine,
rentraient le ventre et elles s’offraient en vitrine…
La
troisième, un peu crue, beaucoup charnue, passionnément convaincue, était comme
un fruit mûr attendant les sonnets sonnants et trébuchants des chansons de ses
preux clients d’aventure. Sournoise, candide ou reliquats de demoiselle, elle
savait élégamment étirer les élastiques de son porte-jarretelles ; sa
tendre peau blanche, prisonnière dans ses bas résille, était comme des SOS de
jeune fille, lancés à toutes les escadrilles des marins en godille. Le rouge de
ses lèvres était comme un feu de détresse, le bleu de ses yeux était le miroir
insensé de l’ivresse, le noir de ses cheveux empêtrés dans une barrette pourfendeuse,
était l’ombre de ses caresses. La coquette empestait le parfum de supérette ;
l’humeur folâtre, elle dansait avec son sac à main dans l’entrain de son
théâtre…
Derrière
les nuages, la lune avait quelques lacunes d’éclairage. Au loin, dans l’arsenal,
des appels de bateau rameutaient leur équipage, tuant des bagarres
d’abordage. Des portes claquaient, des vitres tremblaient, du verre se brisait,
des enfants pleuraient, la nuit s’allongeait…
La
quatrième, un peu sauvage, beaucoup lionne en cage, passionnément coquillage,
façon épingle de nacre, avait ferré un pauvre type en plein naufrage. Elle
avait les ongles comme des porte-avions, les cils comme des ventilateurs, les
seins comme des bouées de sauvetage et les clignotements du pimpant piercing de
son ventre étaient des appels de phare sans ambages. L’allure achalandée, le
maquillage à l’étalage et la mine en prospection, elle marchandait ses charmes
avec le quidam en pleine congestion. L’or de ses bijoux factices était le
brillant de ses talents d’actrice. La mèche rebelle, l’œil aquarelle et la
cuisse sensuelle, elle récitait son œuvre de bagatelle en arrondissant ses
courbures de femelle.
En
reluquant les appâts du cher ectoplasme, l’homme relisait le dépliant turpide
de ses fantasmes ; il rinçait son œil pisseux dans les méandres de la jupe
plissée et l’on pouvait deviner le labyrinthe de sa trame libidineusement
tissée…
A
l’aurore des éboueurs, quand les poubelles claironnaient, les sirènes
disparaissaient dans des souvenirs de port, des prouesses de matador, des
mensonges de ressorts. Il ne restait dans la rue que des paillettes de strass,
des mégots embrassés de rouge à lèvres, des sombres échos de passes et des
rumeurs de fièvre…
Pourquoi ai-je l'impression que ces petits métiers sont vieux comme le monde ?
RépondreSupprimerSans doute à cause du mot sirène et du fait qu'Ulysse est attaché à son mât !
J'éprouve un sentiment mitigé à la lecture de ce texte qui enrobe, avec certaine élégance appuyée (dos au mur ?), la noirceur à peine esquissée de cette condition forcée. Bref, pour moi, c'est bien fait, mais c'est trop beau pour être complet.
RépondreSupprimerPour en savoir plus, il faut payer...
SupprimerCes sirènes là sont sans doute maître queues ?
RépondreSupprimerTon texte m'a séduit, les Dames aussi. ];-D
Je trouve que tu as décrit avec une certaine poésie et sans affectation les heures sombres de la nuit, ses rues et ses personnages hauts en couleurs.
RépondreSupprimerJ'ai bien aimé.