mercredi 28 mars 2018

Pascal - Les petits métiers


L’Hôtel des Sirènes 

Pieds de grues enjôleuses, devant l’enseigne racoleuse, elles étaient quatre soupirants éventails à rêver d’un peu de lumière pour raviver leurs lustres d’écailles. Çà et là, partout dans les rues sombres, naviguait la nuiteuse canaille. Les baisers accrocheurs des bouches d’égout racontaient la marée des poissonneries du matin, quelques poubelles renversées dégueulaient des cageots de marché et si les pavés brillaient, si les devantures clignotaient, si le vent de la nuit batifolait, les sourires de ces naïades n’étaient que des panneaux indicateurs d’hypothétiques escalades…

La première, un peu blonde, beaucoup décolorée, passionnément délurée, usait ostensiblement ses aiguilles en tricotant des huit accompagnateurs avec son fessier hautement prometteur. Parfois, le long de sa cadence sacrifice, la pointe de son talon enfantait une étincelle subreptice et c’était un autre claquement de pétard d’artifice. Mi amusée, mi apeurée par la déflagration, elle réajustait sa démarche jusqu’à la frontière du trottoir de perdition mais elle repartait à l’assaut de nouvelles additions… Actionnaire zélée, devant la façade grisaillée du lupanar, elle haranguait les confréries des fêtards en les aguichant avec des tractations de chaud plumard…

Permissionnaires, des troupes de marins en bataille arpentaient les ruelles en gueulant leur saoulerie conquérante. Certains arboraient des dents de requin à leur poitrail, preuves irréfutables de leur bravoure exubérante ; d’autres, galonnés d’improbables médailles, claironnaient à l’embrasement des feux avec des chansons exaspérantes…

La deuxième, un peu ronde, beaucoup rubiconde, passionnément gironde, bronzait avec la lumière du maigre réverbère. Sentencieuse, elle stationnait avec des poses suggestives, en écartant ou repliant ses cuisses vermeilles, comme le ferait un beau papillon avec ses ailes sous l’emprise d’un chaud soleil. Chacune de ses respirations était une véritable attraction ; brodé de dentelle nébuleuse, son corsage s’ouvrait sur sa poitrine généreuse et seule la Vierge, enfermée dans sa communion, pouvait prétendre à sa condition d’Immaculée Conception… Sans doute astrologue dans une autre vie, elle n’était que promesses de septième ciel, plans de comètes, trente-six étoiles, devant un légionnaire en tablier de sapeur…  

Au loin, armés de lames, croisaient les ténébreux barbots de ces dames. Moustachus, griffus, obtus, les volutes de fumée de leurs clopes étaient comme des commandements d’invertébrés, des reproches conditionnés, des attentes à l’impudeur tarifée de leurs protégées. Parfois, au bout d’une pichenette rageuse, on voyait s’envoler un mégot rougeoyant, zigzagant dans le noir de la rue peureuse. Avertissement sans frais, l’éclat de voix d’un souteneur colérique  ravivait la flamme de la faction des sirènes angéliques. Instinctivement, elles gonflaient la poitrine, rentraient le ventre et elles s’offraient en vitrine…

La troisième, un peu crue, beaucoup charnue, passionnément convaincue, était comme un fruit mûr attendant les sonnets sonnants et trébuchants des chansons de ses preux clients d’aventure. Sournoise, candide ou reliquats de demoiselle, elle savait élégamment étirer les élastiques de son porte-jarretelles ; sa tendre peau blanche, prisonnière dans ses bas résille, était comme des SOS de jeune fille, lancés à toutes les escadrilles des marins en godille. Le rouge de ses lèvres était comme un feu de détresse, le bleu de ses yeux était le miroir insensé de l’ivresse, le noir de ses cheveux empêtrés dans une barrette pourfendeuse, était l’ombre de ses caresses. La coquette empestait le parfum de supérette ; l’humeur folâtre, elle dansait avec son sac à main dans l’entrain de son théâtre…

Derrière les nuages, la lune avait quelques lacunes d’éclairage. Au loin, dans l’arsenal, des appels de bateau rameutaient leur équipage, tuant des bagarres d’abordage. Des portes claquaient, des vitres tremblaient, du verre se brisait, des enfants pleuraient, la nuit s’allongeait…

La quatrième, un peu sauvage, beaucoup lionne en cage, passionnément coquillage, façon épingle de nacre, avait ferré un pauvre type en plein naufrage. Elle avait les ongles comme des porte-avions, les cils comme des ventilateurs, les seins comme des bouées de sauvetage et les clignotements du pimpant piercing de son ventre étaient des appels de phare sans ambages. L’allure achalandée, le maquillage à l’étalage et la mine en prospection, elle marchandait ses charmes avec le quidam en pleine congestion. L’or de ses bijoux factices était le brillant de ses talents d’actrice. La mèche rebelle, l’œil aquarelle et la cuisse sensuelle, elle récitait son œuvre de bagatelle en arrondissant ses courbures de femelle.
En reluquant les appâts du cher ectoplasme, l’homme relisait le dépliant turpide de ses fantasmes ; il rinçait son œil pisseux dans les méandres de la jupe plissée et l’on pouvait deviner le labyrinthe de sa trame libidineusement tissée…  

A l’aurore des éboueurs, quand les poubelles claironnaient, les sirènes disparaissaient dans des souvenirs de port, des prouesses de matador, des mensonges de ressorts. Il ne restait dans la rue que des paillettes de strass, des mégots embrassés de rouge à lèvres, des sombres échos de passes et des rumeurs de fièvre…

5 commentaires:

  1. Pourquoi ai-je l'impression que ces petits métiers sont vieux comme le monde ?
    Sans doute à cause du mot sirène et du fait qu'Ulysse est attaché à son mât !

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  2. J'éprouve un sentiment mitigé à la lecture de ce texte qui enrobe, avec certaine élégance appuyée (dos au mur ?), la noirceur à peine esquissée de cette condition forcée. Bref, pour moi, c'est bien fait, mais c'est trop beau pour être complet.

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  3. Ces sirènes là sont sans doute maître queues ?
    Ton texte m'a séduit, les Dames aussi. ];-D

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  4. Je trouve que tu as décrit avec une certaine poésie et sans affectation les heures sombres de la nuit, ses rues et ses personnages hauts en couleurs.
    J'ai bien aimé.

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