Vu de l’intérieur
Albert était un escargot
solitaire et plutôt craintif. Aussi, quand il se décida enfin à sortir de sa
coquille, il était déjà passablement grand. Il fut surpris de constater à quel
point sa coquille était plus haute et plus grande que celle des autres
gastéropodes. Il faut dire que lorsqu’on vit très longtemps sans sortir et sans
voir quiconque, on en vient, pour une question de confort, à agrandir toujours
un peu plus son espace intérieur. Albert avait ainsi réservé, dans sa coquille,
une pièce pour pratiquer le violon, une autre pour les repas, une pour dormir
et une autre encore pour lire ou écouter la télévision. Il ne manquait rien à
son bonheur, enfin presque rien, si ce n'était d'un petit coin de sa coquille
qui lui semblait toujours vide et qu’il n’arrivait jamais à combler. Il en
était venu à la conclusion que si rien de l’intérieur ne pouvait combler ce
vide, forcément ce quelque chose devait se trouver à l’extérieur. C’est
essentiellement ce qui l’avait poussé à sortir pour se procurer ce quelque
chose et le ramener chez lui.
Selon Albert, la meilleure
stratégie consistait à joindre discrètement les autres escargots, marcher à
leurs côtés et les questionner de façon subtile sur ce qui comble les vides.
Malheureusement, il réalisa très vite qu’il n’y arriverait pas. Il ne pouvait
tout simplement pas tenir leur cadence. Après seulement quelques pas avec eux,
son petit cœur battait tellement la chamade, qu’il fut forcé de faire une pause
pour reprendre des forces de sorte qu’il fut rapidement distancé. Il manquait
visiblement d’entraînement, c’est certain, mais également, puisque sa coquille
était plus haute et plus grande, elle était aussi forcément plus lourde à
porter. Il devait donc trouver un autre moyen de rencontrer celui ou celle qui
répondrait à ses questions en tenant compte de ses limitations.
Bien sûr, il aurait pu
s’entraîner fort et développer ses muscles, mais ça lui aurait sans doute pris
des mois et des mois et c’était trop long. Il pensa aussi à alléger sa coquille
en sacrifiant l’une ou l’autre des pièces aménagées, mais laquelle ? Toutes
étaient d'égale importance à son bonheur et à son confort. Alors, puisqu’il n'y
avait aucun moyen d’aller au rythme des autres, la solution consistait à faire
en sorte que ce soit eux qui viennent à lui. Voilà !
Bon, mais comment s’y prend-t-on
pour attirer des escargots se questionna-t-il ? Il avait lu que le désert attire
le nomade, l’océan le matelot et l’infini le poète, mais les autres escargots,
qu’est-ce qui les attire ? Pour en avoir le cœur net, Albert s’installa dans un
buisson, en bordure du chemin et sorti ses jumelles pour les observer
discrètement et découvrir ce qui les intéressait. Visiblement, ils passaient
l’essentiel de leur temps à marcher de long en large, en parlant, en rigolant
ensemble et en faisant ici et là de petits arrêts pour manger un peu de salade.
Qu’est-ce qui pourrait alors les inciter à venir vers lui. Qu'avait-il de plus
à offrir ? Albert se senti tout à coup un peu triste et dépourvu. Il rentra à
nouveau dans sa coquille pour faire l’inventaire de ce qu’il avait à
l’intérieur. Il était assez doué pour le violon, c’est vrai, mais ça lui
semblait tellement différent de ce que faisaient les autres escargots qu'il
craignait d'être rejeté. Les gens ont cette tendance à rejeter systématiquement
la différence quand ça les rend inconfortables. Il hésita un long moment, puis
se leva et pris une longue respiration, marquant ainsi sa décision de passer
outre ses peurs et afficher avec courage ce talent qu'il avait jusque-là gardé
à l'intérieur. Il sorti donc d'un pas décidé sans regarder autour de lui,
ajusta son violon et commença à jouer la Sérénade Standched de
Schubert.
Dès les premières notes, toutes
les têtes se tournèrent avec curiosité. Cessant leurs conversations, ils
tendirent l'oreille, intéressés, puis s'approchèrent peu à peu autour d'Albert
pour l’écouter en silence. À la fin du morceau, ils l’applaudirent très fort et
parurent impressionnés, puis, s'éloignèrent
tranquillement, reprenant leur marche tout en discutant de sa performance.
Satisfait, très fier de lui et le cœur gonflé de bonheur, Albert rentra en
souriant à l’intérieur et réalisa tout à coup en se tapant la tête qu’il avait
complètement, mais complètement oublié de questionner les escargots sur le vide
à combler et puis regardant tout autour de lui, il n'en vit plus aucun.
bienvenue chez les Impromptus, Pierforest :)
RépondreSupprimerune très jolie arrivée avec ce texte-métaphore sur le sens de la vie, et le besoin de reconnaissance de tout être, qu'il soit escargot...ou humain bien entendu
Merci de votre accueil Tisseuse
RépondreSupprimerUn texte très intéressant qui démontre bien que nous avons besoin des autres pour exister quelle que soit l'espèce de l'être vivant.
RépondreSupprimerTu as fort bien fait de sortir de ta coquille pour venir nous voir Pierre. ;-)
Bienvenue chez nous.
Belle histoire, merci et bravo !
RépondreSupprimerC'est la seule façon de se faire des amis et combler les vides Marité. Merci de ton gentil commentaire et bonne journée à toi.
RépondreSupprimerBienvenue chez les Impromptus, Pierre !
RépondreSupprimerEt joli coup de maître pour ton premier texte
¸¸.•*¨*• ☆
Il est chouette cet Albert! Il mérite d'être connu... ;-) Il sera apprécié pour ce qu'il est sans avoir pour autant à trahir une partie de lui même!
RépondreSupprimerDélicieusement absurde. Merki, toi.
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