L'eau froide
Difficulté : moyenne
Budget : bon marché
Ingrédient : 1 grand seau d'eau tiède
Choisir de préférence de l'eau bien claire
A l'aide d'un couteau à dépiauter, enlever la couche superficielle, qui ne sert qu'à s'y mirer, et pour cette raison pourra toujours servir de glace au moment du dessert
Inciser délicatement l'eau tiède pour dégager l'eau chaude
Dès qu'on en tient un coin, tirer dessus et ôter toute l'eau chaude, dont il ne doit subsister aucune goutte
Réserver l'eau chaude pour faire la vaisselle
Servir l'eau froide rapidement, sans attendre qu'elle tiédisse
Attention : l'eau chaude peut être brûlante. Il est prudent, par précaution, de disposer sur le plan de travail, avant de commencer, un grand seau d'eau tiède, en choisissant de préférence de l'eau bien claire. Ainsi, en cas de brûlure, ne pas hésiter à recommencer les opérations à partir du seau de secours, afin d'extraire assez d'eau froide pour y plonger la main, ce qui calmera la douleur
Variante : On peut aujourd'hui se procurer chez les fournisseurs des métiers de bouche et des restaurateurs un cékoidon, qui permet d'obtenir de l'eau froide de qualité professionnelle, digne des chefs étoilés. Pour cela, on verse tout le contenu d'un aquarium correctement équipé dans l'orifice évasé du cékoidon. La machine sépare le filtre biologique, le dispositif d'éclairage, les plantes, le sable, les fausses roches, les restes de daphnies, toutes pièces qu'on peut récupérer et réutiliser, et projette à grande vitesse, grâce à son canon intégré qui fonctionne à l'aide d'un puissant ressort, les cyprins dorés et les ides dans un étang. L'eau froide ainsi préparée accompagne merveilleusement les mets à base de poisson. Pour les poissons de mer, ajoutez un peu de sel
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lundi 20 juillet 2015
dimanche 14 juin 2015
Blick - Avec le langage de
Françoise, François
Mon amour, dans quelques jours tu devras faire un choix crucial, qui engage les années à venir. Soit tu poursuis la vie commune avec ton mari, en dépit de ses promesses non tenues, de son bilan calamiteux qui te mène droit dans le mur, et de l'usure qui caractérise sa fin de règne. Soit, avec moi qui suis ton amant, tu vas de l'avant et tu mises sur le charme, l'attrait de la nouveauté, l'énergie, l'entrain au lit et la modernité. La crise conjugale n'est pas une fatalité !
Mes 10 propositions
1) gestion commune du budget concernant les dépenses courantes, consultation obligatoire avant tout investissement, en particulier l'achat d'une voiture
2) baiser le matin quand je pars au bureau et le soir quand j'en reviens ; excuses obligatoires et crédibles s'il m'arrive de rentrer tard
3) respect scrupuleux de ta date d'anniversaire, bouquets de fleurs
4) compliments réguliers sur ta ligne, ta robe, ta nouvelle coiffure, tes bons petits plats
5) surprises pour tuer la monotonie, petits cadeaux impromptus, même si je n'ai rien à me faire pardonner, repas aux chandelles
6) un petit resto de temps à autre, s'il n'y a pas de foot à la télé, ou bien un cinoche, comme tu veux, à condition que le film ne nous prenne pas trop la tête
7) lutte contre les ronflements et le linge sale qui traîne érigée en grande cause conjugale
8) mise en œuvre d'une politique de partage effectif des tâches ménagères, avec l' objectif ambitieux de parvenir à l'équilibre à l'horizon 2025
9) abandon de l'arsenal sécuritaire liberticide mis en place par ton mari, notamment l'espionnage de ton portable et de ta boîte mail, qui désormais ne sera plus possible qu'en cas de menace avérée ou suspectée sur notre couple ; redéfinition des missions du détective privé que ton mari a engagé
10) en matière culturelle, redynamisation de ta vie sexuelle ; appel à ta créativité, cogestion des positions, choix de lieux insolites par une politique de décentralisation dans toutes les pièces de la maison, rétablissement des siestes le dimanche, debriefing obligatoire après chaque séance, halte à la routine ; baiser plus pour jouir plus.
Ton bonheur est entre tes mains.
Dimanche, ne te trompe pas de bulletin !
Je compte sur toi.
Blick
Mon amour, dans quelques jours tu devras faire un choix crucial, qui engage les années à venir. Soit tu poursuis la vie commune avec ton mari, en dépit de ses promesses non tenues, de son bilan calamiteux qui te mène droit dans le mur, et de l'usure qui caractérise sa fin de règne. Soit, avec moi qui suis ton amant, tu vas de l'avant et tu mises sur le charme, l'attrait de la nouveauté, l'énergie, l'entrain au lit et la modernité. La crise conjugale n'est pas une fatalité !
Mes 10 propositions
1) gestion commune du budget concernant les dépenses courantes, consultation obligatoire avant tout investissement, en particulier l'achat d'une voiture
2) baiser le matin quand je pars au bureau et le soir quand j'en reviens ; excuses obligatoires et crédibles s'il m'arrive de rentrer tard
3) respect scrupuleux de ta date d'anniversaire, bouquets de fleurs
4) compliments réguliers sur ta ligne, ta robe, ta nouvelle coiffure, tes bons petits plats
5) surprises pour tuer la monotonie, petits cadeaux impromptus, même si je n'ai rien à me faire pardonner, repas aux chandelles
6) un petit resto de temps à autre, s'il n'y a pas de foot à la télé, ou bien un cinoche, comme tu veux, à condition que le film ne nous prenne pas trop la tête
7) lutte contre les ronflements et le linge sale qui traîne érigée en grande cause conjugale
8) mise en œuvre d'une politique de partage effectif des tâches ménagères, avec l' objectif ambitieux de parvenir à l'équilibre à l'horizon 2025
9) abandon de l'arsenal sécuritaire liberticide mis en place par ton mari, notamment l'espionnage de ton portable et de ta boîte mail, qui désormais ne sera plus possible qu'en cas de menace avérée ou suspectée sur notre couple ; redéfinition des missions du détective privé que ton mari a engagé
10) en matière culturelle, redynamisation de ta vie sexuelle ; appel à ta créativité, cogestion des positions, choix de lieux insolites par une politique de décentralisation dans toutes les pièces de la maison, rétablissement des siestes le dimanche, debriefing obligatoire après chaque séance, halte à la routine ; baiser plus pour jouir plus.
Ton bonheur est entre tes mains.
Dimanche, ne te trompe pas de bulletin !
Je compte sur toi.
Blick
samedi 6 juin 2015
Blick - Soleil
Pacotille
Soleil, je t'adore comme
les sauvages
A plat ventre sur le
rivage.
Batifolons mon bel amant
doré
m'invite la lune
d'argent.
Je l'aperçois là-bas
qui effleure les dunes, jetant dans le ciel pâle
des étincelles de sable, des touffes d'œillets
marins et des fragments de queues-de-lièvre. Je ne manque
jamais, d'habitude, de souscrire à ces réjouissances,
mais aujourd'hui, selon l'éphéméride, la lune vient de se lever à
21 heures 53 et moi, hélas, je me couche à 22 heures 10. La
galipette tiendrait plus d'une cavatine à l'italienne
que des symphonies pastorales dont je raffole, en plusieurs actes,
avec saluts et rappels. Sauf à manipuler sans
vergogne le calendrier cosmique, mais on risquerait alors
d'altérer la marche des astres, provoquant des
désastres incalculables par les astronomes, qui sonneraient le
tocsin dans la voie lactée et jusqu'à la constellation du
Petit Chien. Grâce aux télescopes modernes, nous savons désormais
que c'est un bichon,
mais à quoi cette
science m'avance
ce soir si,
au terme de ma course
diurne, je tombe de sommeil
dans l'océan que
la nuit bientôt noircira.
samedi 30 mai 2015
samedi 9 mai 2015
Blick - Un tiens...
Jeune fille à la licorne
J'étais à la chasse ce matin-là dans une forêt de tecks, cèdres et figuiers des pagodes. Ma petite amie, en sari de chasseresse, marchait sur mes talons, le cor en bandoulière, portant le tromblon, la poudre et les écouvillons.
Ma petite amie est vierge. Mais que je tire un jour un rhinocéros et que j'en broie la corne en poudre, elle ne le sera plus après que nous nous serons couchés sur la mousse cloutée de nigelles et d'anis étoilé, sous un ciel de girofliers.
Nous nous mîmes à l'affût, allongés dans un vallon, le nez dans l'herbe et le curcuma. Comme au tir à la carabine à la foire de Bangalore défilaient au-dessus du talus les antilopes, les oryx et les gazelles, les cerfs et les brocards, les buffles, les vaches sacrées, et même des élèves polytechniciens coiffés de bicornes, venus en autocar de Delhi.
Cependant ma pétoire, qu'astiquait ma petite amie, s'enraya, en sorte que je ratai toutes ces bêtes à deux cornes. Echappé peut-être de Bollywood, un tigre surgit d 'un bond, qui dispersa sans ménagement cette ménagerie de pacotille dans tout le sous-continent.
Ma petite amie, mussée à l'ombre de branches fleuries de laurier, fixait sur moi ses pupilles de poivre noyées dans le lait de coco, un sourire vermeil à ses lèvres de pavot, ses cheveux de jais touffus comme la cardamome étalés en corolle.
Elle était encore vierge, je l'ai dit, mais cette circonstance nous fut favorable. En effet, tandis que je délaçais d'une main les cordons du sac en patchwork où je garde mon gingembre et mon galanga, de l'autre son corsage brodé de strass, parut une licorne qui se détacha de la tapisserie des feuillages, violemment attirée par sa virginité, et je sus que je ne reviendrais pas bredouille.
Mi cheval et mi chèvre blanche, la barbiche de bouc et les sabots fendus, fleurant bon les cinq sens, elle nous consola de nos trophées manqués. Vers le soir, alors que nous reprenions notre souffle sous un dais de canneliers, les doigts mêlés, ma petite amie, qui n'était plus vierge, caressait encore de sa joue colorée de piment la blanche corne spiralée.
Ravi comme un joueur de sitar, j'écoutai le râga qu'au cœur de la forêt épicée chantait une cascade proche. Les paroles racontent que la corne de la licorne est plus merveilleuse que le légendaire qilin à deux cornes, que personne n'a jamais vu. J'ai lu dans un livre qu'une fontaine fabuleuse, à Château-Thierry, s'en inspira, disant au sujet de poissons : « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ! »
J'étais à la chasse ce matin-là dans une forêt de tecks, cèdres et figuiers des pagodes. Ma petite amie, en sari de chasseresse, marchait sur mes talons, le cor en bandoulière, portant le tromblon, la poudre et les écouvillons.
Ma petite amie est vierge. Mais que je tire un jour un rhinocéros et que j'en broie la corne en poudre, elle ne le sera plus après que nous nous serons couchés sur la mousse cloutée de nigelles et d'anis étoilé, sous un ciel de girofliers.
Nous nous mîmes à l'affût, allongés dans un vallon, le nez dans l'herbe et le curcuma. Comme au tir à la carabine à la foire de Bangalore défilaient au-dessus du talus les antilopes, les oryx et les gazelles, les cerfs et les brocards, les buffles, les vaches sacrées, et même des élèves polytechniciens coiffés de bicornes, venus en autocar de Delhi.
Cependant ma pétoire, qu'astiquait ma petite amie, s'enraya, en sorte que je ratai toutes ces bêtes à deux cornes. Echappé peut-être de Bollywood, un tigre surgit d 'un bond, qui dispersa sans ménagement cette ménagerie de pacotille dans tout le sous-continent.
Ma petite amie, mussée à l'ombre de branches fleuries de laurier, fixait sur moi ses pupilles de poivre noyées dans le lait de coco, un sourire vermeil à ses lèvres de pavot, ses cheveux de jais touffus comme la cardamome étalés en corolle.
Elle était encore vierge, je l'ai dit, mais cette circonstance nous fut favorable. En effet, tandis que je délaçais d'une main les cordons du sac en patchwork où je garde mon gingembre et mon galanga, de l'autre son corsage brodé de strass, parut une licorne qui se détacha de la tapisserie des feuillages, violemment attirée par sa virginité, et je sus que je ne reviendrais pas bredouille.
Mi cheval et mi chèvre blanche, la barbiche de bouc et les sabots fendus, fleurant bon les cinq sens, elle nous consola de nos trophées manqués. Vers le soir, alors que nous reprenions notre souffle sous un dais de canneliers, les doigts mêlés, ma petite amie, qui n'était plus vierge, caressait encore de sa joue colorée de piment la blanche corne spiralée.
Ravi comme un joueur de sitar, j'écoutai le râga qu'au cœur de la forêt épicée chantait une cascade proche. Les paroles racontent que la corne de la licorne est plus merveilleuse que le légendaire qilin à deux cornes, que personne n'a jamais vu. J'ai lu dans un livre qu'une fontaine fabuleuse, à Château-Thierry, s'en inspira, disant au sujet de poissons : « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ! »
vendredi 1 mai 2015
Blick - L'inventaire farfelu
Une belle brochette
Médaille à fleur de coin
médaille pieuse
breloque
bractéate en or de l'île de Man
reconnaissance du diocèse de Lourdes, acquise miraculeusement
croix de chapitre de Notre-Dame, accordée par bulle pontificale
médaille du travail, pour n'avoir pas bullé
médaille d'honneur des chemins de fer, vive les congés payés
médaille du tourisme, un souvenir de vacances
médaille d'honneur des postes et télécommunications
médaille d'honneur des eaux et forêts
médaillon de veau à la forestière
médaille des sociétés musicales et chorales
ordre suprême du Chrysanthème
Queen's Gallantry Medal
médaille du Zèle
étoile du courage
étoile de mer
médaillon de sole en blanquette
médaillon de foie gras au sel de Guérande
médaille en chocolat
médaille d'or au Concours Général Agricole
médaille du comice agricole de Haute Normandie, représentant les animaux de la ferme
médaille sans revers à prix canon, nous consulter
palmes académiques, pour mes travaux en phaléristique
médaille olympique en triple sot
médaille d'or des Impromptus Littéraires, 10 ans déjà
...
Non ? Et pourquoi donc ?
…
Qui ça ?
...
N'importe quoi !

Médaille à fleur de coin
médaille pieuse
breloque
bractéate en or de l'île de Man
reconnaissance du diocèse de Lourdes, acquise miraculeusement
croix de chapitre de Notre-Dame, accordée par bulle pontificale
médaille du travail, pour n'avoir pas bullé
médaille d'honneur des chemins de fer, vive les congés payés
médaille du tourisme, un souvenir de vacances
médaille d'honneur des postes et télécommunications
médaille d'honneur des eaux et forêts
médaillon de veau à la forestière
médaille des sociétés musicales et chorales
ordre suprême du Chrysanthème
Queen's Gallantry Medal
médaille du Zèle
étoile du courage
étoile de mer
médaillon de sole en blanquette
médaillon de foie gras au sel de Guérande
médaille en chocolat
médaille d'or au Concours Général Agricole
médaille du comice agricole de Haute Normandie, représentant les animaux de la ferme
médaille sans revers à prix canon, nous consulter
palmes académiques, pour mes travaux en phaléristique
médaille olympique en triple sot
médaille d'or des Impromptus Littéraires, 10 ans déjà
...
Non ? Et pourquoi donc ?
…
Qui ça ?
...
N'importe quoi !

mardi 21 avril 2015
Blick - Rose et rainette
Pâques
à Saint Arnoult
Sitôt les beaux jours
arrivés, nos psychiatres nous plantent là pour deux semaines,
prétextant d'un air gêné des raisons confuses : baisse
d'effectif, prise de congés, expérimentation de nouvelles formules
thérapeutiques toujours en cours de rodage… Mais moi je connais la
vraie raison : les beaux jours revenus, ils n'ont plus rien à
faire de nos souffrances, préférant vaquer à leurs chasses aux
œufs de Pâques, à leurs petits-enfants (ils ne sont plus tout
jeunes) et leurs bulbeuses de printemps. Ils finiront par me rendre
fou.
Ô ces dimanches à
l'hôpital. « Le ciel est par-dessus le toit, si bleu, si
calme ! », la belle affaire, quelle belle jambe cela me
fait. Où sont donc passés mes semblables. Pour ceux des
patients qui ont une famille, celle-ci, avec l'accord de l'interne de
garde, les a récupérés pour le week-end pascal, bon gré mal gré.
Dans les couloirs ne grincent plus que les roues des chariots
transportant des repas en barquettes d'aluminium, à heures fixes
comme une liturgie monastique. Les serpillières gorgées d'eau
savonneuse, après avoir glissé toute la semaine sainte sur les
carrelages de l'Assistance Publique, se sont affalées dans quelque
placard et tues. Pendant ces longs week-ends d'ennui le ménage
laisse à désirer. Or je désire.
C'est vrai qu'il fait
doux de l'autre côté de la fenêtre grillagée. J'enfile une
camisole à manches courtes et sors me promener, me sauvant par un interstice, sans savoir si c'est pour de vrai ou seulement dans la
tête. Où sont donc passés mes semblables, j'aimerais tant en
rencontrer quelques-uns. Parti de la Pitié-Salpêtrière, je marchai
si longtemps que j'arrivai à la barrière de péage de Saint Arnoult,
où j'étais sûr d'en trouver en grande quantité, ainsi que Bison
futé nous l'avait annoncé la veille dans la salle de télévision
où nous passons nos soirées, mornes et silencieux.
Toutes ces voitures !
Comme je m'en veux de ne pas avoir appris à conduire. Quand il y a
quelques années sont apparues les premières automobiles, j'ai cru à
une mode passagère, j'ai raté le coche, je n'ai pas fait diligence,
et me voici à la traîne, à la remorque, le dernier qui n'ait pas
son permis ! J'enrage, tout en scrutant les conducteurs.
Mais en vain. Un ours
passe, qui conduit une grosse berline. Puis une gazelle, une patte
accoudée à la portière, l'autre pianotant négligemment sur le
volant gainé de cuir de son cabriolet. Un couple de chameaux tire
une caravane. Un lion fait rugir son moteur. Un cerf en décapotable,
dont la ramure se détache sur le ciel, brame d'impatience, poursuivi
par une meute d'épagneuls en 4x4. Mais où sont passés mes
semblables.
De guerre lasse, je
m'éloigne du péage et me rends à l'église, que secouent des
volées de cloches. La résurrection est un grand succès, les
paroissiens qui sortent de la messe sans me voir achètent des
gâteaux et des pièces montées à la pâtisserie d'en face. Je
pénètre dans cette fraîcheur qui sent la cire, l'arum et
l'harmonium. Mais les églises ont changé. On a remplacé les
bénitiers. C'était, jadis et naguère, tantôt un coquillage
exotique, tantôt un bassin en pierre de taille nacré de marbre ou
d'albâtre. A la place, on a mis des corolles de roses écarlates,
garnies de délicates gouttes de rosée. Les grenouilles de bénitier,
qui ont coutume de s'y rafraîchir, en sont vertes de contentement.
Quand le soir tombe après
vêpres du côté des Grands Meurgers, soudain je me rappelle que je
risque de rater le JT, or j'aime à le regarder pour avoir des
nouvelles des bouchons au péage de Saint Arnoult, en compagnie de
mes semblables les plus vraisemblables, vêtus de pyjamas zébrés,
et je chemine pour rentrer, empli de lassitude, sur la bande d'arrêt
d'urgence.
mercredi 8 avril 2015
Blick - La délicatesse des liaisons
Un
livre hépatant
Les éditions
irrégulières viennent de sortir un nouveau livre. C'est un livre
brochet, que tirent sur les chemins de halage des pages en livrée
numérotés de 1 à 120. Il est pourvu de 700 dents, qui
déchiquettent les grenouilles des canaux eutrophes, brisent les
cœurs
des lectrices et broient du noir. Les pages n'étant pas
coupées, on aura pris soin, avant de commencer la lecture, d'avoir
glissé dans sa boîte à pêche en bois de pêche un couteau
écailleur, mais un couteau à filet affilé fera aussi l'affaire.
Le roman, très
documenté, retrace l'histoire du réseau de canaux et canalicules
qui assurèrent au siècle dernier les liaisons fluviales entre le
foie et le duodénum, depuis la phase de conception jusqu'à sa
tragique évanescence. On y voit fumer en volutes les cerveaux des
ingénieurs géniaux qui les premiers eurent l'idée de se livrer à
des calculs biliaires, et les cigares des généreux banquiers qui
échafaudèrent le financement de ce projet colossal. On recourut
également à un emprunt public, lequel reçut un accueil
enthousiaste, notamment de la part des personnes anxieuses, qui se
font toujours de la bile.
L'idée, qui paraît
simple mais encore fallait-il la trouver, était d'accélérer
l'acheminement de la bile jusqu'au conduit cholédoque, lequel
s'aboucherait directement dans le duodénum. Un peu sur le modèle du
canal de Wirsung par lequel circulent les sucs pancréatiques, ceci
pour les lecteurs avertis qui connaissent le coin, soit qu'ils y
pêchent à la ligne le week-end, soit qu'ils aient eu l'occasion de
visiter le site à l'occasion des journées du patrimoine.
On fit venir des chinois
payés 35 dollars par mois pour forer à travers le tissu hépatique,
à coup de nitroglycérine, les invaginations nécessaires à
l'installation de ce réseau complexe, délicat, fragile, arachnéen.
On attira des irlandais et des mormons en promettant de leur accorder
en toute propriété des lobules à défricher, voire des postes
d'éclusier sur le canal cystique.
Lorsque les officiels
vinrent inaugurer les installations, le vin d'honneur manqua de
provoquer un début de cirrhose. L'auteur dépeint le ballet
incessant des péniches chargées de barriques de bile, qu'il compare
avec lyrisme aux foudres de porto embarqués sur les barques rabelos
qui naviguaient jadis sur le Douro. Ce commerce dura une soixantaine
d'années, favorisant l'essor d'une nouvelle bourgeoisie qui donna
des bals et construisit un opéra, puis le déclin commença.
D'abord silencieux et
asymptomatiques, les crabes se répandirent peu à peu dans les
canaux et se mirent à grignoter nuit et jour les membranes, les
sinusoïdes, les hépatocytes et les capillaires. On eut beau
introduire des brochets d'élevage pour tenter d'en venir à bout,
leurs 700 dents acérées n'y suffirent pas. Dans le chapitre qui
clôt le livre, il ne subsiste rien de l'extraordinaire réseau
d'autrefois, et dans le paysage dévasté, les canaux lacrymaux
charrient des larmes jusqu'à l'océan.
Libellés :
Blick,
La délicatesse des liaisons
vendredi 3 avril 2015
Blick - Week-end de bricolage
Un
week-end d'anthologie
Lundi soir, ma femme me lâche tout à trac au cours du
dîner : « Au fait, je croyais que tu devais t'en occuper ce
week-end. » Je sais trop bien ce dont elle parle, et je me repens de
m'être imprudemment engagé la semaine passée. « Peut-être, ma mie, mais tu
as vu, il a fait si beau ce week-end que nous avons jugé préférable, toi et
moi, de nous occuper du jardin. » « Dahlia, lys, tulipe et renoncule »,
lance, sardonique, Madou, notre fille adorée, en émergeant de son assiette et
du crépuscule doré de ses cheveux. « L'anémone et l'ancolie ont poussé
dans le jardin, où dort la mélancolie entre l'amour et le dédain »,
renchérit mon épouse, qui prend toujours le parti de notre fille.
Mardi soir, comme un cheveu sur la soupe de légumes, Madou, ma
fille bien-aimée, déclare à l'improviste : « Au collège
aujourd'hui, le prof a dit que le taux d'équipement des foyers en France était
de 95 %. Tu as décidé qu'on serait les derniers, papa ? » Je
sais ce que cette remarque, exprimée à dessein sur un ton détaché, doit à
l'adolescence, cependant le fait est que nous en parlions justement à midi
entre collègues à la cantine, et l'un d'entre nous rapportait la même statistique.
« Passent les jours et passent les semaines » soupire ma moitié, qui
en remet une louche puisée dans la soupière.
Mercredi soir, alors que nous jouons aux cartes en famille,
une fois la table débarrassée, rebelote. « Un moment j'ai eu l'idée d'inviter
les voisins à passer prendre un vers, dit la reine de ma vie l'air de rien,
tout en coupant nonchalamment mon roi avec son valet. Mais de quoi aurions-nous
l'air ? » Madou, qui n'est pas du genre à défausser, monte aussitôt à
l'atout d' une moue dédaigneuse : « Que ce sont bien intrigues de
génie, cette dépense et ces désordres vains ! » « Vienne la nuit
sonne l'heure » conclut ma femme très en beauté et en verve en remportant
le pli.
Jeudi soir, j'ai un mauvais présage en voyant Madou, ma douce,
disposer un bouquet de fleurs du mal dans un vase, alors que descend le soir et
qu'une atmosphère obscure enveloppe la cuisine, aux uns portant la paix, aux
autres le souci. Rechignant à affronter ses réflexions acides, je la
supplie : « Sois sage o Madou et tiens-toi plus tranquille. » Le
trésor de ma vie s'enfuit en courant dans sa chambre, un vieux boudoir plein de
roses fanées,
où gît tout un fouillis de modes surannées, et hurle dans l'escalier « A
noir, E blanc, même en noir et blanc ce serait mieux que rien. »
Le vendredi, de guerre lasse, je passe au magasin de bricolage en sortant du bureau. Conseillé par
les muses, j'en ressors le caddie plein de ciseaux à césures, de scies à
diérèses, d'échelles d'enjambement, d'hémistiches pré-assemblés, d'élideurs de
hiatus, de boîtes de rimes et d'assonances, et de lots de vers à pieds qui sont
en promotion, si tard que déjà une aube affaiblie verse par les champs la
mélancolie des soleils couchants. Aux deux femmes de ma vie qui m'attendent dans un silence glacial, maussades,
le menton dans les mains, leurs coudes appuyés sur la toile cirée, je dis
« Demain j'installe tout, mes chéries, n'ayez les cœurs contre moi
endurcis. »
Et dimanche soir, je suis vanné, mais j'ai fini d'installer la
poésie dans la maison. Auparavant nous ne l'avions pas, maintenant nous avons
la poésie la plus moderne du quartier, de la cave au grenier des chansons
spirituelles voltigent parmi les groseilles du papier peint, les enfants
viendront le mercredi la lire et l'écouter chez nous, les voisins vont nous
saluer avec un peu plus de déférence. Je l'ai posée dans toutes les pièces, le
salon, la salle à manger, la cuisine, la salle de bains, la chambre que je
partage avec mon amour, et bien sûr celle de Madou, ma fille chérie, qui me
saute au cou : « O papa, c'est la mer allée avec le soleil. »
dimanche 29 mars 2015
Blick - Du gâteau
Les
taupes
Il y a beaucoup à faire
au jardin au début du printemps. Finir de tailler les rosiers, les
céanothes caducs et les spirées, rabattre le millepertuis et
l'hydrangea à grandes fleurs, recéper les arbustes, éliminer les
fruits momifiés du pommier, planter les crocus, diviser les touffes
d'iris. Au potager c'est le temps des semis et des repiquages. Je
consacre aussi beaucoup de soins à la pelouse, il faut éliminer les
mousses, scarifier, apporter un engrais coup de fouet riche en azote
et passer le rouleau. On peut dire que je sarcle et me casse la
binette pour avoir un beau jardin.
Les taupes ne sont pas
mes potes, ah ça non. Elles s'efforcent pourtant d'être aimables,
déposant sur ma pelouse de grosses meringues, qui me paraissent
hélas terriblement terreuses, au point que je m'en servirais bien
pour mes rempotages. Mielleuse, l'une d'entre elles, qui aime à
prendre le frais à l'entrée de sa galerie, me susurre que ce sont
des gâteaux mais je ne m'y laisse pas prendre.
Elle m'ont invité
plusieurs fois à visiter leurs galeries souterraines, réseau
complexe de galeries d'art, boutiques de mode, showrooms, genius
bars, à l'occasion de vernissages, lancements de collections et
nouveaux modèles, dégriffages et ventes privées, mais je n'aime
pas les mondanités, ni les petits fours et les limaces dont elles se
nourrissent. Et puis j'ai trop à faire au jardin. Mais quand elles
m'ont parlé, sirupeuses, de leurs projets d'agrandissement et de la
création d'un complexe hôtelier pour campagnols, de saisissement
j'en ai lâché ma serfouette.
Même le hérisson,
occupé à ce moment à laper l'eau de pluie dans une soucoupe de
terre cuite sur le seuil de la resserre à outils, ça l'a mis en
boule. Ne te mêle pas de ça, lui ai-je dit, tu n'as rien à faire
dans cette histoire, c'est une affaire entre les taupes et moi, ne va
pas risquer de te prendre un coup de fourche perdu, car désormais
c'est la guerre. Va donc plutôt faire un tour, mais fais bien
attention en traversant la route.
Puis j'ai confectionné
une tarte, que j'ai fourrée de poison, fumigènes et pétards, de
colle à papier peint et de ronces, et décorée sur le dessus de
vers de terre, de courtilières et de carabes dorés. Je l'ai tendue
avec un sourire avenant à l'une d'entre elles au moment où elle
présentait son badge à l'entrée du parking souterrain où elles se
garent, en lui disant, tenez c'est du gâteau et c'est pour vous, en
remerciement de vos délicieuses meringues.
jeudi 19 mars 2015
Blick - Un crime
Aristée pleurant ses abeilles
Quand nous arrivâmes sur les lieux, une maison basse donnant sur une cour, située dans un faubourg au pied de l'Acropole, avec un grand jardin d'herbes folles et de vieux arbres, nous trouvâmes la fille gisant sous un olivier, les doigts serrés sur un bouquet de fleurs champêtres, les yeux injectés de sève. Il n'y avait plus rien à faire. Près du cadavre, un serpent traînait dans l'herbe comme un tuyau d'arrosage. Au fond du jardin s'alignaient des ruches, et un bosquet de chênes étincelait d'yeux qui nous épiaient, comme les ocelles sur la queue d'un paon. On n'entendait que le bruissement des feuilles, la stridulation des cigales, et les reniflements du gars qui avait fait le 17 et qui pleurait doucement, prostré, livide, des poignées d'abeilles mortes dans les mains.
Nous perquisitionnâmes la maison, pauvrement meublée. Du grignon d'olives brûlait dans un trépied en dégageant une fumée âcre. Dans l'appentis à côté régnait un grand désordre. Du lait finissait de cailler dans une casserole de bronze posée sur le rebord de l'évier en marbre blanc. Sur des clayons s'égouttaient des fromages. Contre le mur étaient appuyées des gaules pneumatiques, tandis qu'au râtelier pendaient des scies d'élagage, des peignes vibreurs, des lève-cadres à bec d'argent, des brosses en crin de cheval, une vareuse blanche, des chapeaux et des voiles. De l'autre côté de la cour il y avait une étable, où quatre taureaux et quatre génisses vierges ruminaient d'un air triste, sentant leur fin prochaine.
Je joignis le proc pour lui faire part des premières constatations. « Et qu'est-ce qu'il dit de tout ça, le gars, me demanda-t-il ? » « Pas grand-chose, il dit qu'il ne connaissait pas la fille, il sait seulement que c'était une dryade qui habitait dans les chênes, ou les frênes, et qu'elle s'appelle Eurydice. D'après lui c'est un accident, elle courait en cueillant des fleurs pour sa couronne de mariée et elle est tombée. Vous trouvez pas ça bizarre, proc ? Et le plus fort c'est que depuis qu'on est là, il pleure ses abeilles, tout l'essaim vient de mourir d'un coup à ce qu'il dit. » Il m'écoutait attentivement, mais je comprenais qu'il n'était pas plus convaincu que moi. « Vous avez des témoins, inspecteur ? » « Il y a les nymphes, proc, les alentours en sont infestés. »
Finalement j'embarquai tout le monde, le gars et les nymphes, qui n'avaient cessé de nous observer entre les feuilles des arbres, ainsi que la mère du suspect, qu'il avait appelée entre deux sanglots et qui venait d'arriver en trombe, toute Cyrène hurlante.
L'interrogatoire traînait en longueur, aussi tentai-je le tout pour le tout. « Bon, on est tous fatigués. Je vais te dire comment je vois les choses. Tu coursais la petite parce que tu voulais te la faire, elle te plaît depuis longtemps, tu la vois souvent folâtrer à poil dans les graminées, et ça te travaille de savoir qu'elle va te passer sous le nez car aujourd'hui elle se marie avec un dénommé Orphée. Elle, elle est pas décidée, elle veut carrément pas, elle a peur de toi, elle s'enfuit à toutes jambes, mais elle n'aperçoit pas le serpent qui se promène dans l'oliveraie et pas de chance, elle se fait mordre au mollet. Ses copines trouvent que c'est de ta faute, ce qui ne veut pas dire, note bien, qu'un jury pensera la même chose. Pour la venger, elles zigouillent toutes tes abeilles d'un grand coup d'enfumoir. » « Maintenant, poursuivis-je, tu me dis gentiment, sans jouer au héros, c'est bien comme ça que ça s'est passé, monsieur l'inspecteur, et pour fêter ça j'envoie un agent au café d'en bas chercher du nectar et de l'ambroisie, on trinque, on discute comme deux vieux potes, on refait le monde et la mythologie, on se souhaite le bonsoir et on va se coucher. »
Rien.
« Bon, on reprend tout à zéro, soupirai-je. Nom, profession.
- Aristée (*), apiculteur. J'affine aussi des fromages et je taille mes oliviers. »
(*) Aristée : fils d'Apollon et Cyrène
dimanche 15 mars 2015
Blick - Drapeau blanc
L'ours
polaire
L'Oiseau blanc s'est
perdu,
A jamais disparu.
Le traîneau d'Amundsen
Glisse sur le lichen.
Paul-Emile Victor
Parcourt le pôle Nord.
L'avion gris de Lindbergh
Se pose sur l'iceberg.
Tiens, une sterne
arctique,
Venue de l'Antarctique,
Apporte le courrier
A des sous-mariniers,
Aurore boréale
Née dans les mers
australes.
Lettres d'amour exquises
Qu'on lit sous la
banquise,
On rit, on boit, igloo,
Igloo, on tombe saoul,
Des filles en jupon
Les pêchent au harpon.
Ou lettres de douleur,
Missives
de malheur,
Telles
des brise-glace,
Et
leur cœur se crevasse.
Ils
portent des pompons,
Comme
François Pompon,
(Sans
prétention ni triche,
Parfois
la rime est riche)
Qui
tailla dans la pierre
Un
si bel ours polaire.
Mais
la banquise fond,
Le
ciel se mue en plomb.
Sur un glaçon l'ours
blanc
Hisse le drapeau blanc.
Je finis mon husky,
Excuses, mon whisky,
Et je vais me coucher
Et lui dans son panier.
jeudi 5 mars 2015
Blick - Science fiction
Sentinelle
Je m'ennuie sur cette planète des confins, où mes larmes se pétrifient en cailloux rouges. J'en fais le tour en un jour tant elle est petite, comme cette île nommée Houat dans le roman de science-fiction que j'avais acheté à l'aérogare au moment d'embarquer pour cette mission lointaine et solitaire. D'habitude j'aime cet auteur, Office de Tourisme. Il décrit l'île comme un satellite minuscule et plat, entouré d'un métal liquide aux couleurs changeantes, tantôt bleu, argenté ou vert de colère, chargé de vaisseaux qui se déplacent à l'aide d'un système compliqué de voiles et de vents, de fumées noires que crachent des cheminées, de rames actionnées par des galériens, et agité d'une invraisemblable horlogerie de marées que commanderait la lune. Dans sa maison de granit le recteur héberge des couples d'amoureux venus fabriquer des enfants selon un rite archaïque, c'est ainsi que commence l'histoire, si stupide quant au fond que j'ai balancé le livre dans l'espace interstellaire, et ses virevoltes m'apportèrent une distraction mélancolique, fugace comme une étoile filante, jusqu'à ce que la voie lactée le gobe en ricanant.
Je suis censé faire des rondes la nuit, à l'heure où les lapins surgissent des cratères cramoisis et des livres d'enfants rouge et or. Je scrute les météores et les astéroïdes à la recherche d'envahisseurs possiblement venus de la terre ou d'ailleurs, mais seules des déesses passent en trombe à bord de bolides étincelants, vaquant à leurs amours, et leurs écharpes précieuses flottent un instant dans les trous noirs comme la queue rémanente des comètes. Quand je rentre au poste de garde, j'époussette paillettes, poudre de riz et de rubis, que des rêves insensés, plus qu'un ennui mortel, ont déposées partout telle une poussière cosmique, sur la table où j'écris mon rapport comme sur la couchette où je cherche en vain le repos. Je commande au magasin central un rêve qu'un génie ubiquitaire venu de la caserne sur la planète-mère m'apporte, et quand j'ai fini ma lecture je m'endors au petit matin, alors qu'à l'ouest le soleil se lève déjà, rubicond.
L'inutilité de cette mission sur les rivages de la galaxie, où les gradés et les grands pontes m'ont oublié, me déprime Je n'ai jamais cru que la terre soit habitée d'extramartiens à mon image, ni qu'une planète puisse être bleue drapée de forêts vertes et brodée de neiges éternelles, comme la décrit Office de Tourisme dans son best-seller. Il y raconte que sur la terre des êtres ingénieux auraient inventé le feu, les forges, l'alchimie, l'appât du gain, la passion et autres balivernes, et s'apprêteraient à entreprendre un voyage de plusieurs siècles pour s'emparer des volcans de nos ancêtres.
Et s'ils arrivent, que pourrai-je faire avec mon fusil ionique, brouilleront-ils les communications télépathiques, aurai-je juste le temps d'envoyer une alerte laser au QG avant qu'ils ne mettent le feu à ma guérite ? S'ils sont aussi intelligents que le dit le bouquin, qui en fait des êtres doués de raison, ils préfèrent sûrement passer l'été sur la plage à lire des romans d'anticipation, grillant des saucisses la nuit venue en admirant les étincelles et le feu d'artifice. Mais parfois les livres mentent, et l'angoisse m'étreint à la pensée qu'ils puissent être bêtes, au point de charger les soutes de leurs engins, en ce moment, de poudre à canon, de crucifix et de verroterie, si bêtes qu'ils finiront par machiner pour l'univers un ultime atome.
Je m'ennuie sur cette planète des confins, où mes larmes se pétrifient en cailloux rouges. J'en fais le tour en un jour tant elle est petite, comme cette île nommée Houat dans le roman de science-fiction que j'avais acheté à l'aérogare au moment d'embarquer pour cette mission lointaine et solitaire. D'habitude j'aime cet auteur, Office de Tourisme. Il décrit l'île comme un satellite minuscule et plat, entouré d'un métal liquide aux couleurs changeantes, tantôt bleu, argenté ou vert de colère, chargé de vaisseaux qui se déplacent à l'aide d'un système compliqué de voiles et de vents, de fumées noires que crachent des cheminées, de rames actionnées par des galériens, et agité d'une invraisemblable horlogerie de marées que commanderait la lune. Dans sa maison de granit le recteur héberge des couples d'amoureux venus fabriquer des enfants selon un rite archaïque, c'est ainsi que commence l'histoire, si stupide quant au fond que j'ai balancé le livre dans l'espace interstellaire, et ses virevoltes m'apportèrent une distraction mélancolique, fugace comme une étoile filante, jusqu'à ce que la voie lactée le gobe en ricanant.
Je suis censé faire des rondes la nuit, à l'heure où les lapins surgissent des cratères cramoisis et des livres d'enfants rouge et or. Je scrute les météores et les astéroïdes à la recherche d'envahisseurs possiblement venus de la terre ou d'ailleurs, mais seules des déesses passent en trombe à bord de bolides étincelants, vaquant à leurs amours, et leurs écharpes précieuses flottent un instant dans les trous noirs comme la queue rémanente des comètes. Quand je rentre au poste de garde, j'époussette paillettes, poudre de riz et de rubis, que des rêves insensés, plus qu'un ennui mortel, ont déposées partout telle une poussière cosmique, sur la table où j'écris mon rapport comme sur la couchette où je cherche en vain le repos. Je commande au magasin central un rêve qu'un génie ubiquitaire venu de la caserne sur la planète-mère m'apporte, et quand j'ai fini ma lecture je m'endors au petit matin, alors qu'à l'ouest le soleil se lève déjà, rubicond.
L'inutilité de cette mission sur les rivages de la galaxie, où les gradés et les grands pontes m'ont oublié, me déprime Je n'ai jamais cru que la terre soit habitée d'extramartiens à mon image, ni qu'une planète puisse être bleue drapée de forêts vertes et brodée de neiges éternelles, comme la décrit Office de Tourisme dans son best-seller. Il y raconte que sur la terre des êtres ingénieux auraient inventé le feu, les forges, l'alchimie, l'appât du gain, la passion et autres balivernes, et s'apprêteraient à entreprendre un voyage de plusieurs siècles pour s'emparer des volcans de nos ancêtres.
Et s'ils arrivent, que pourrai-je faire avec mon fusil ionique, brouilleront-ils les communications télépathiques, aurai-je juste le temps d'envoyer une alerte laser au QG avant qu'ils ne mettent le feu à ma guérite ? S'ils sont aussi intelligents que le dit le bouquin, qui en fait des êtres doués de raison, ils préfèrent sûrement passer l'été sur la plage à lire des romans d'anticipation, grillant des saucisses la nuit venue en admirant les étincelles et le feu d'artifice. Mais parfois les livres mentent, et l'angoisse m'étreint à la pensée qu'ils puissent être bêtes, au point de charger les soutes de leurs engins, en ce moment, de poudre à canon, de crucifix et de verroterie, si bêtes qu'ils finiront par machiner pour l'univers un ultime atome.
mercredi 18 février 2015
Blick - Au resto
Aux Nouveaux Impromptus
« Alors, me demande Vrac, qui vient d'entrer dans le café, les cheveux trempés et collés comme les pages d'un livre oublié sous la pluie, quoi de neuf chez les Impromptus, ça fait longtemps que je n'y ai pas mis les pieds
- Tu sais qu'ils ont déménagé au mois de janvier. Histoire de dépoussiérer ...
- Ils n'avaient pas fait le ménage depuis dix ans ?
- Je ne sais pas exactement, en tout cas, donner un nouvel essor, tout en gardant le même esprit. Ils ont convié leurs meilleurs clients la semaine dernière à un dîner d'inauguration
- Il faut croire que je n'en fais pas partie, je n'ai pas reçu d'invitation
- Oh arrête, Vrac, tu l'avais un peu cherché
- Et c'est comment, alors ? Tu y es allé ?
- Oui, bien sûr. C'est pas mal. Ils ont accroché aux murs des photos et des dessins, il paraît que beaucoup d'habitués se plaignaient des murs nus, maintenant c'est plus gai, plus pimpant
- Il y avait du monde ?
- Un monde fou, oui, enfin je veux dire pas forcément nombreux, mais un peu fou
- Ça dérange un peu, l'écriture, non ? Ou le contraire. Enfin je me comprends ! Tu as rencontré des gens intéressants ?
- Tu sais, il y avait beaucoup de gens que je ne connais pas, habituellement nous ne faisons que nous croiser, sans nous dire ni bonjour ni rien, jamais un commentaire. Ce qui est amusant, c'est que quelques-uns étaient venus avec leurs chats, sans doute n'avaient-ils pas trouvé de cat-sitter pour la soirée
- Et la déco, à part les murs ?
- Tout un mur est garni d'étagères chargées de bouteilles d'encre de toutes sortes, encre de seiche, encre de chine, encre sympathique, à l'huile de lin, thermochromique, de noix de galle, chacun peut commander l'encre de son choix pour accompagner son repas
- De l'ancre de marine avec le poisson, pour les récits de naufrage, ah ah. J'imagine qu'ils ont fait aussi un mur avec des plumes à tremper dans les encriers ! Et Tisseuse, elle est comment, en vrai ?
- Tu ne vas pas le croire. Evidemment, comme tu t'en doutes, je me faisais une fête de faire sa connaissance. En arrivant, je suis accueilli par une dame très distinguée, en tailleur anthracite, aux cheveux mauves, qui, l'oeil vif, semble tout régenter. Je vais vers elle pour la saluer. « Bonsoir Tisseuse », lui dis-je, mais sais-tu ce qu'elle me répond ? « Non, non, moi c'est Végas ». Interloqué, je fais « Végas ? Le grand Végas ? ». « Eh bien oui, quoi, Végas sur Sarthe ». « Celui qui ... ». « Celui qui quoi ?, me demande t'il avec une pointe d'impatience, pardonnez-moi, j'ai à faire, car le service commence. Si vous voulez voir Tisseuse, c'est le jeune homme barbu, là-bas, qui remonte de la cave, c'est lui qui s'occupe des réservations »
- Le jeune homme ? sursaute Vrac
- Comme je te le dis. Un grand jeune homme, qui pour l'heure se tient appuyé contre le chambranle de la porte qui mène aux cuisines, en pantalon de velours côtelé et pull tricoté à la main, avec une longue barbe et des lunettes à fine monture, la physionomie intelligente, l'air timide. Je m'avance vers lui et réussis à articuler « Heu, Tisseuse ? Bonjour, c'est Blick », « Enchanté » répond-il en rougissant
- Mais ils se moquent de nous depuis des années, s'indigne Vrac
- Oui, peut-être, mais si on y réfléchit, c'est ce que nous aimons dans l'écriture, ses déguisements, ses artifices, ses illusions, ses mensonges et ses pièges peut-être ..
- Quand même, quand même ! Heureusement qu'il nous reste L'Arpenteur …
- Attends. A côté de Tisseuse, du barbu donc si tu me suis bien, se tient une petite fille, avec un tablier de gâte-sauce aux poches remplies de porte-plumes, une jupe plissée et un chemisier à fleurs au col de dentelle taché d'encre, qui suce son pouce en me regardant avec effronterie, et dont je ne jurerais pas qu'elle n'a pas essayé de me faire un croc-en-jambe lorsque je voulus gagner ma table, abasourdi. Je vais pour lui tirer l'oreille mais à ce moment Tisseuse la gronde doucement « Allons, L'Arpenteur, n'embête pas les clients, va plutôt jouer à la dînette », et la gamine de me tirer la langue
- Quelle soirée surprenante ! As-tu bien mangé, au moins ?
- Ça va. Mais figure-toi que je n'avais pas prêté garde au fait que sur l'invitation, en petit, il était marqué que l'addition resterait à la charge des invités
- Ça c'est fort. Salée ?
- Salace, plutôt, tu les connais ! Enfin, salace, mais ça délasse.
mardi 10 février 2015
Blick - Si on m'avait dit
Si on m'avait dit...
Si on m'avait dit que le
jour se lève à l'est, je n'y serais pas allé par quatre chemins,
au lieu de m'ennuyer à la pointe du Raz, le bol de cidre à portée
sur un rocher, crêpe noir à la boutonnière, guettant la vague du
siècle. Remarque, à l'ouest rien de nouveau.
Si on m'avait dit que
j'étais très malade, je ne serais pas allé chez le médecin,
embêter ce brave homme avec mes problèmes de santé.
Si on m'avait dit que
j'allais mourir, pour finir en beauté je me serais baigné dans la
baie des Trépassés.
Si on m'avait dit tout
cela, j'aurais pris soin de me réveiller bien plus tôt, la main
posée sur l'île de Sein.
jeudi 15 janvier 2015
Blick - A la sortie du cours d'histoire
Modes et travaux
Quand on allait chez Marie Claire, en sortant du cours de tricot, nos jambes filaient sur les trottoirs, agiles comme des fuseaux, vite, vite, vives, car chez Elle nos patrons merveilleux nous attendaient dans un cahier spécial. C'était nos modèles. Nous les consultions chaque fois que nous voulions obtenir une augmentation, faire une diminution, ou tout bonnement monter les manches. Outre les patrons à découper en suivant les pointillés, il y avait aussi des recettes de cuisine, des adresses de shopping, des conseils de maquillage, et des astuces pour réussir sa vie de couple.
Parfois en chemin, nous faisions un crochet par Marie France pour réparer les démaillages et démêler nos nerfs en pelote. Nous déroulions en riant l'écheveau de mensonges dans lequel les hommes s'embrouillent, goûtions de gâteaux au point de riz qui ne fait pas grossir, et charmantes comme nous devons toujours paraître formions des rondes en point de chaînette, dansant sur une pastourelle jouée à la flûte par une Bergère de France.
Évidemment j'enjolive, car, à part la layette, tout n'était pas rose. Nous aimions la laine chinée et le tweed cheviot, les chaussettes chic en jacquard, les chandails ornés de motifs zigzag, et raffolions du point de chevron, qui rompt la monotonie du jersey. Bien sûr, pour pallier ma mémoire en dentelle ajourée, je brode un peu, de la guipure au point de croix. Des napperons, des abécédaires, des prénoms et des cœurs, des guirlandes de fleurs pour nos tabliers, des nappes d'autel nouées avec des brins de cannetille.
Un soir, en sortant du cours de couture à deux pas de la Bastille, nous nous rendîmes à un atelier place de la République, où l'on confectionnait à merveille, disait-on, des bonnets phrygiens qui revenaient à la mode. Sur le boulevard goguenard, le vent de la liberté guidant le peuple tissait des foulards de charpie, des écharpes incrustées de l'odeur de la poudre, et des barricades du dernier cri qui tranchaient avec les chasses à courre de nos canevas. Dès lors, nous changeâmes nos habitudes, de sorte qu'au sortir du cours de passementerie, nous allons désormais faire Causette jusque tard dans la nuit.
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Blick
mercredi 7 janvier 2015
Blick - Mon précieux
Garde
à vue un 7 janvier
Mon précieux derrière valdingua à travers le commissariat sous la poussée du 43 fillette du chef de car. Le ruban de papier tue-mouche, en forme de point d'interrogation, qui ornait la salle des enquêteurs, vibra dans le sillage de mon vol plané, les blattes coururent se cacher au bas des classeurs métalliques, les araignées replièrent leurs toiles en vitesse pour les fourrer dans leurs holsters, sur le bureau de l'inspecteur principal la photo de son épouse et de ses enfants, qui agitaient gaiement leurs menottes, vacilla.
« Seigneur, des
anneaux ! » s'écria l'agent de faction, car de mes poches
ruisselèrent des bagues, des colliers, des boucles d'oreille, des
timbales de baptême, et toute une verroterie de mots poétiques. La
nuit avait en effet bien commencé, sous la lune furtive, jusqu'à
cette ronde qui m'avait poissé.
On m'assit sur une chaise
en face de l'inspecteur, qui remettait d'aplomb l'émouvante photo de
ses êtres chers tout en finissant d'écraser sa larme de service.
« M'sieur l'agent » dis-je pour l'énerver. « Oh ça
va ». Notre connaissance mutuelle, au fil de mes gardes à vue, nous
avait permis de nouer, jusqu'à, parfois, l'attacher au radiateur,
cette amitié solide.
Mais notre entretien
tourna court, lorsque tous les vieux téléphones en bakélite se
mirent à sonner en même temps et que les effectifs s'égaillèrent
dans les rues de Paris, où la liberté d'expression, et la liberté
tout court, venaient d'en prendre un sale coup dans un attentat.
J'appelai « Y a quelqu'un ? », mais mon cri aigrelet
résonna dans le violon désert, ricochant de cellule en cellule.
C'est ainsi, le commissariat vidé, que je recouvrai mon précieux
butin de bimbeloterie et la liberté, qui, elle, n'est pas de la
pacotille.
lundi 15 décembre 2014
Blick - Indécision
Joyeux Noël !
Joyeux Noël ! je ne sais quel cadeauAu pied du sapin serait le plus beau,
Comment savoir ce qui saura lui plaire.
Il faut aussi voir l'aspect budgétaire
Sans pour autant passer pour un blaireau.
Je cours les grands magasins, quel fardeau,
Me triturant sans cesse le cerveau,
Je peste : invention de publicitaire :
Joyeux Noël !
Treize vers luisants tirent mon traîneau
Comme des rennes. Puisse ce rondeau,
Qui sut épargner mon compte bancaire,
Ô mon amour, mon cœur, te satisfaire,
Car versifier ne fut pas du gâteau :
Joyeux Noël !
mardi 9 décembre 2014
Blick - J'ai dix ans
Auto biographie
Vers huit heures ce lundi matin, je descendis au garage où dort ma vieille Chrysler et qui me sert aussi d'atelier. C'est ici que j'écris mes textes. Mais cette semaine je ne suis pas inspiré. Je contemplais l'établi en me grattant la tête, le tas de métaphores rechapées qui gît dans un coin à même le ciment, les oxymores suspendus au râtelier, par rang de taille, les casiers pleins de synecdoques, d'antonomases et de paronomases. J'ouvris et fermai machinalement les tiroirs où j'ai toutes mes hyperboles et mes anacoluthes. Que vais-je bien pouvoir écrire. Ma Chrysler, avec qui je discute souvent et qui me donne parfois un coup de main pour les finitions et le polissage à la peau de chamois, m'observait avec goguenardise. J'attrapai une synalèphe et lui dis Bjour. On a quoi comme thème cette semaine, demanda t-elle. Je le lui dis, Ah fit-elle en une ellipse magnifique. C'est pas le tout, nous avons du taf, dis-je, et je me lançai.J'étais gamin pendant la guerre de Cent Ans, qui n'en finissait pas. J'habitais Orléans, que les Anglais occupaient en attendant avec flegme qu'on les boute hors de France. Le 8 mai Jeanne d'Arc, arrivant de Chinon, enleva le châtelet des Tourelles et descendit triomphalement la rue d'Illiers, qui sentait bon le crottin, le cuir, la graisse et le suif des flambeaux. Je courais avec la foule en liesse au milieu des chevaux caparaçonnés, les armures cliquetaient et les oriflammes claquaient dans la brise caressante du soir. A l'arrière du cortège Gilles de Rais distribuait aux enfants des bonbons, des chewing-gums et des cigarettes américaines. Plus tard un feu d'artifice fut tiré aux abords du pont Royal depuis des barques sur la Loire, et je me dis, couché dans l'herbe à admirer le bouquet final tout en tirant la première bouffée de ma vie : J'ai dix ans, et je viens de vivre une sacrée journée.
Tu es complètement hors sujet, me coupa ma Chrysler, qu'est-ce qui te prend de raconter ta vie, qui crois-tu que cela intéresse. Jamais Songeuse ne laissera passer ça, et ne compte pas sur Le Géomètre ou Nevada sur Loir pour te sauver la mise. Allons faire une balade sur les bords de Loire et laisse-moi faire. Nous sortons du garage, et la voilà qui démarre, au quart de tour je dois le reconnaître, car c'est une excellente voiture comme on n'en fait plus.
Je
suis née à Detroit, état du Michigan, avant la Grande Dépression. A
cette époque, il n'y avait pas encore de robots, d'ordinateurs ni de
tables graphiques, mais des inventeurs dont le cerveau crachait de la
fumée par tous les orifices, des ingénieurs penchés sur des planches à
dessin, des nuées d'ouvriers qui sifflaient en boulonnant, des
contremaîtres qui gueulaient et des capitalistes qui fumaient le cigare
en rêvant d'édifier des gratte-ciels à leur nom. Les cheminées de brique
des usines...
Accélère, dis-je, ce n'est pas un roman que nous sommes censés écrire. En outre le feu était passé au vert et Dunois, sur son cheval, heaume levé, la lance trépidante, klaxonnait derrière nous avec impatience.
Minute, j'y arrive, embraya t-elle. Le jour de mes dix ans, on m'emmena disputer la fameuse course qui a lieu tous les ans en mai à Indianapolis. J'étais précoce, rodée depuis longtemps, et je n'avais pas froid aux phares. Une foule immense était venue admirer les bolides, l'air graillonnait de hot-dogs, de burgers et de gaz d'échappement délicieux. Nous étions dix-huit sur la ligne de départ, des Cadillac, des Studebaker, des Oldsmobile, et moi qui étais la seule Chrysler. Dans le dernier tour, une General Motors menait la course, j'étais juste derrière, mais voilà qu'elle manqua un virage et, filant tout droit, se mit à fumer sur l'herbe comme un barbecue dès qu'elle en eut fini avec ses trois tonneaux. Je passai en vrombissant sous le drapeau à damier, j'avais gagné ! Tu peux me croire, lorsque j'accomplis mon tour d'honneur avec le bouquet du vainqueur sur le capot, tout en buvant au goulot la première gorgée de champagne de ma vie, j'ai pensé très fort : J'ai dix ans, et je viens de vivre une sacrée journée.
Il y eut un temps de silence car ma Chrysler, émue d'avoir évoqué ces souvenirs, s'était garée sur les pavés herbus des quais de Loire. Près de nous bivouaquait l'armée de Jeanne, qui rôtissait des saucisses et des oiseaux au fumet délectable, en lâchant des jurons joyeux qui fleuraient bon la paix retrouvée.
Bon, repris-je, ton histoire n'est pas mal, je te le concède, nous essaierons de la fourguer un jour. En ce qui concerne la mienne pour la semaine présente, j'avais pensé à une chute épique, qui situe l'anecdote intime dans une perspective historique et héroïque, par exemple, et j'aimerais connaître ton avis : Orléans, Orléans outragé ! Orléans brisé ! Orléans martyrisé ! mais Orléans libéré !
A ces mots ma Chrysler se mit à pétarader avec énervement. Le thème de la semaine, me lança t-elle, ce n'est pas ta petite personne, ni les fêtes de Jeanne d'Arc de ton enfance, ni les grandes pages de l'histoire de France. Ce qu'on nous demande, c'est d'écrire une auto biographie. Comme la mienne. Et détachant les mots avec insistance : auto biographie !
Une chance que j'ai ma vieille Chrysler dans le garage qui me sert aussi d'atelier.
Accélère, dis-je, ce n'est pas un roman que nous sommes censés écrire. En outre le feu était passé au vert et Dunois, sur son cheval, heaume levé, la lance trépidante, klaxonnait derrière nous avec impatience.
Minute, j'y arrive, embraya t-elle. Le jour de mes dix ans, on m'emmena disputer la fameuse course qui a lieu tous les ans en mai à Indianapolis. J'étais précoce, rodée depuis longtemps, et je n'avais pas froid aux phares. Une foule immense était venue admirer les bolides, l'air graillonnait de hot-dogs, de burgers et de gaz d'échappement délicieux. Nous étions dix-huit sur la ligne de départ, des Cadillac, des Studebaker, des Oldsmobile, et moi qui étais la seule Chrysler. Dans le dernier tour, une General Motors menait la course, j'étais juste derrière, mais voilà qu'elle manqua un virage et, filant tout droit, se mit à fumer sur l'herbe comme un barbecue dès qu'elle en eut fini avec ses trois tonneaux. Je passai en vrombissant sous le drapeau à damier, j'avais gagné ! Tu peux me croire, lorsque j'accomplis mon tour d'honneur avec le bouquet du vainqueur sur le capot, tout en buvant au goulot la première gorgée de champagne de ma vie, j'ai pensé très fort : J'ai dix ans, et je viens de vivre une sacrée journée.
Il y eut un temps de silence car ma Chrysler, émue d'avoir évoqué ces souvenirs, s'était garée sur les pavés herbus des quais de Loire. Près de nous bivouaquait l'armée de Jeanne, qui rôtissait des saucisses et des oiseaux au fumet délectable, en lâchant des jurons joyeux qui fleuraient bon la paix retrouvée.
Bon, repris-je, ton histoire n'est pas mal, je te le concède, nous essaierons de la fourguer un jour. En ce qui concerne la mienne pour la semaine présente, j'avais pensé à une chute épique, qui situe l'anecdote intime dans une perspective historique et héroïque, par exemple, et j'aimerais connaître ton avis : Orléans, Orléans outragé ! Orléans brisé ! Orléans martyrisé ! mais Orléans libéré !
A ces mots ma Chrysler se mit à pétarader avec énervement. Le thème de la semaine, me lança t-elle, ce n'est pas ta petite personne, ni les fêtes de Jeanne d'Arc de ton enfance, ni les grandes pages de l'histoire de France. Ce qu'on nous demande, c'est d'écrire une auto biographie. Comme la mienne. Et détachant les mots avec insistance : auto biographie !
Une chance que j'ai ma vieille Chrysler dans le garage qui me sert aussi d'atelier.
jeudi 4 décembre 2014
Blick - C'est beau une ville la nuit
Bar
de nuit
Je glissai dans le
parking sur les feuilles mortes couleur limace. Les capots luisaient.
A l'horizon, sur le plateau argenté de la lune, les immeubles en
brique chatoyaient faiblement comme des chopes de bière et les
vitres des gratte-ciels paraissaient dans la brume s'entrechoquer
comme des glaçons dans des verres à cocktail. À
ce vacarme lointain se mêlait la rumeur des mille rayures de la
ville, traînées d'éclairage public, de phares, d'enseignes au
néon, de câbles et de rails. Le ciel était boueux, saturé de
lumières laiteuses.
Je souffre de palinopsie.
Aussi, quand je poussai la porte du bar, une voie lactée, qu'avaient
fait naître dans ma tête les étincelles gelées du tramway
grinçant sur les pavés, éclaboussa l'immense miroir derrière le
zinc, où se reflétèrent jusqu'à plus soif et jusqu'à l'aurore
les bouteilles d'alcool placées sur des étagères de verre. La
serveuse me sourit, je ne venais boire là tous les soirs que pour
son sourire, ensuite je regardai ses yeux, ses cheveux que jaspaient
de paillettes les spots multicolores pendus au plafond noirci, puis
ses mains secouant un shaker, puis son sourire ses yeux ses cheveux
ses mains actionnant la pompe à bière. Je regardai aussi ses
hanches et ses fesses quand, tout au long de la nuit, mes yeux la
suivirent qui traversait la salle par des ruelles entre les tables,
portant sur un plateau de lune argentée des chopes et des cocktails,
s'arrêtant à des placettes italiennes où des hommes causaient
bruyamment, traversant en courant presque des jardins nocturnes
plantés de magnolias et de tulipiers rêveurs bercés par le murmure
des fontaines, ombre chinoise aux jambes fines sur les murs de
vieilles rues envahies d'arroche, d'ombilic et de morelle noire.
Je souffre de palinopsie
et redoute les comètes, les étoiles filantes et les filles dont les
cheveux s'enroulent trop à mes pensées. Je quittai le bar en
titubant à l'heure de la fermeture, alors que l'aube pâle éveillait
les autobus dans leurs dépôts au sol de ciment blafard. « Je
vous ramène, je vais dans le centre ? ». Mais mes paroles
virevoltèrent dans le vent, et longtemps je l'imaginai grimpant des
rues en escalier dans la vieille ville, puis des volées de marches
couvertes d'un tapis usé de velours vert, une chambre sous les toits
d'ardoise, une lucarne par laquelle, sur la pointe de ses pieds nus,
talons rougis, elle aperçoit les lumières de la nuit qui d'un coup
s'éteignent au jour naissant.
C'est beau une fille la
nuit.
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