Affichage des articles dont le libellé est Les huit éléments. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Les huit éléments. Afficher tous les articles

dimanche 8 novembre 2015

Arpenteur d'étoiles - Les huit éléments

Il chante dans les bars le long des quais de brume et d'argent. Rhône impétueux ou Saône lascive, leurs musiques entrent dans son âme et dans son corps. Il se fond dans cette ville des lumières, puise son essentiel dans son histoire et traverse le temps. Poète ou révolté, errant d'un pont à l'autre, d'une rive à l'autre, du passé au futur.
Sa famille venue d'Italie au début du 19ième siècle, a toujours vécu là,sur les pentes. Depuis les immenses fenêtres de l'atelier de tissage de son grand père, il apprenait le monde. La ville à ses pied, le parc et, tout au fond, le Mont Blanc découpé sur l'horizon bleu. Dans l'atelier, deux métiers modernes et deux autres anciens, acquis avant la guerre de 1914. Ceux-là étaient de vrais bijoux. En bois, à main, où l'ont tissait à l'envers pour lever moins de fils et moins fatiguer la ratière. Pour Noël, il lui offrait toujours un foulard créé et fabriqué pour lui. Juste pour lui. Il se souvient surtout du petit lapin blanc et du visage de clown mélancolique qui ressemblait à son grand père. Lorsque celui-ci disparut pour rejoindre la paradis des canuts, sa grand-mère déposa dans son cercueil un petit pendentif. Le premier cadeau scellant leur éternel amour. Lui, laissa le foulard au lapin, afin que son enfance accompagne définitivement le vieil homme vers l'autre vie.
Il se murmura à lui-même « je t'avais prévenu » essuya ses larmes et noua le foulard au clown autour de son cou. Ce soir il va encore chanter. Le piano, la fumée, les odeurs d'alcool cacheront son profond chagrin. Mais il commencera par un poème qui parle à la fois de la mort, de la vie, de ses origines. Il sait que son grand père l'entendra ...

Je glisserai vers l’oubli
Doucement, sans faire de bruit,
Comme on traverse à la nuit
Les vieux palais florentins,
Aux murs griffés par le temps,
Aux peintures trop pâlies.
Je passerai de portes en portes,
A travers des pièces immenses
Éclairées étrangement
D’ocre et de ce vert usé
Que l’on ne trouve
Qu’aux fenêtres d’Italie.
Les ombres blanches et
Diaphanes de ceux que j’ai aimés
Seront là pour m’accompagner,
Glissant auprès de moi,
Sans autre visage que ceux
Que ma mémoire leur donnera.
Tout au bout du couloir,
La porte dernière laissera voir,
La terrasse et sa lumière.
Celle de l’été de Toscane,
Quand vers le soir
Elle se charge
D’une poussière
D’or et d’argent, et des senteurs
Des collines autour.
La lumière de la nuit
Où je deviendrai rien
Dans le grand tout.
Pour renaître plus tard
Bien plus tard ...

Le Rhône




La Croix Rousse
 
La Saône














Djaff123 - Les huit éléments

Dans la campagne, fuyant la guerre qui pointe, un vieillard harassé chemine à son allure tenant par la main un gamin d'une dizaine d'années complètement hébété. Le bonhomme, originaire de Moselle, a déjà vécu celle de 1870 et veut mettre entre eux et l'armée allemande le plus de distance que leurs jambes permettront. Ils s'installeront non loin de la Durance à Sisteron au pays des cigales. Après des jours de marche, une fois passé Mâcon, plus que quelques kilomètres pour rejoindre Ville-Franche. Dans cette grosse bourgade du Rhône, ils feront étape auprès de la famille. En ce début d'hiver le mordant de la brise est encore plus douloureux à cause de la pluie qui ne cesse de tomber et puis des pieds mouillés. Il faut redoubler d'efforts, l'obscurité s'accroît, la nuit qui descend vite va bientôt être là. Au détour d'un lacis, les voilà face au fleuve et au pont qui l'enjambe. L'ouvrage est très ancien, en bien mauvais état, on le sent qui brinquebale sous les coups du vent qui grossit. Nul autre passage où traverser, ils n'ont d'autre choix que de s'y engager. Mais l'enfant terrorisé ne peut plus faire un pas, il résiste, tire renâcle comme un poulain qu'on voudrait de sa mère séparer. Appels à la raison, encouragements, rien n'y fait statufié il ne peut plus bouger. Dos tourné, sortant de sa besace une petite sphère rouge, brusquement le vieillard fait volte face en s'en chaussant le nez. Ainsi, sommairement grimé en clown, il se lance dans une sarabande ponctuée de mimiques et d'onomatopée. D'abord désarçonné, voilà qu'à ce manège le visage de l'enfant d'un sourire s'éclaircit. Voyant ce pitre qui vers l'avant s'enfuit, le petit esquisse quelques pas pour s'en rapprocher. De son côté, toujours sautillant et grimaçant, le petit vieux farfouillant dans sa besace, tel un magicien, en extrait un lapin. A peine ses pattes posées, voilà l'animal qui file sans demander son reste vers la liberté. « Allez viens » hèle le vieux « c'est un cadeau pour nos hôtes, si l'on ne fait pas vite il va nous échapper ». Pris au jeu, l'enfant s'élance et sautillant, bondissant par-dessus les obstacles, le voilà promptement qui dépasse l'ancêtre. Quand ils s'arrêtent tout deux, après cette cavalcade, le pont est relégué à des dizaines de mètre d'eux. Le rongeur quant à lui n'est visible nulle part. « Tu vois il est parti et pourtant je t'avais prévenu qu'il allait s'échapper » dit le grand-père à l'enfant qui de son côté lui répond : « je préfère comme ça plutôt qu'il ne finisse dans nos estomacs et sûrement de ses pattes faire des pendentifs pour nous porter bonheur ». Un ange passe, une lueur de connivence éclaire les 4 yeux, descendant vers la Durance les voilà courageux.

Jas123 - Les huit éléments

L'enfant est debout sur le pont de pierres. Il écoute le roulis du fleuve tranquille...« et pourtant, je t'avais prévenu ! » lui murmure-t-il. L'enfant croirait entendre son grand-père parler. Sans plus de cérémonie, il fait la moue et s'en va.


Matin calme dans la vallée du Rhône, les lapins gambadent dans les grandes forêts. Le pendentif oscille comme l'eau, quand l'enfant part les poursuivre. 

« Martin ! Où es-tu donc passé ? » se désole le grand-père. Et, le voyant grimacer aux lapins : « Tu fais encore le pitre ! Ta mère va te gronder, si elle apprend que tu pars chaque jour faire le clown à travers bois au lieu de bien travailler à l'école, comme tous les enfants de ton âge ! ». Soupirant : « Les années passent, 1914, 1934 bientôt ! Mais que vas-tu donc devenir dans 20 ans, toi ! »

vendredi 6 novembre 2015

Nounedeb - Les huit éléments

Vieux clown s’en revient de la guerre
Taratatoum
A Verdun a perdu son gône,
Et puis la tête, pauvre grand père
Taratatoum
L’enfant a posé un lapin
Il n’est pas sur le pont du Rhône-
Il a perdu tous ses repères
Taratatoum
Et pourtant, se lamentait-il,
Je t’avais prévenu : aucun
Pendentif, pas la moindre icône,
Formule magique de commère
Taratatoum
Ne te sauvera des tranchées
Taratatoum
Il rit.
Avec le Rhône il est parti.

Fred Mili - Les huit éléments

Le rendez-vous était pris pour le 2ème rallye pédestre du bois de Vincennes. Dans chaque équipage il devait y avoir un grand-père et un enfant, aucun lien de parenté n'était requis. Par équipe de quatre personnes, le jeu consistait à se rendre du Parc Zoologique à l'Hippodrome à l'aide d'une feuille de route, de passer par les sept points de contrôle et de résoudre les énigmes. 
À neuf ans j'accompagnais donc mon grand-père, Lionel un de mes oncles et  Nadège  ma cousine. Nous formions l'une des dix équipes réunies pour ce deuxième challenge, seuls les  plus rapides et les plus érudits seront récompensés. 

Les lots attribués figuraient sur un trépied à côté de la table de départ. 
1ère prix : Un week-end à Disneyland avec une nuitée d'hôtel pour 4 personnes.
2ème prix : Un week-end au Parc Astérix avec une nuitée d'hôtel pour 4 personnes.
3ème prix : Une loge pour 4 personnes au Cirque Phénix et des bons cadeaux ToysRus.
Les autres participants seront chaleureusement remerciés.
Nous souhaitons à tous une excellente journée.

Les départs s'effectuaient à 6 minutes les uns des autres à partir de 13h30. Nous partîmes à 13h54 après que la feuille de route nous fût remise. Pour la 1ère étape nous devions nous rendre au Kiosque romantique sur l'île de Reuilly. Grand-père marchait avec des cannes de marche nordique et rompu à cet exercice  il filait bon train. Nadège râlait tandis que moi du haut de mes neuf ans je devais courir pour m'ajuster de temps en temps. Bien évidemment grand-père têtu prit la mauvaise direction et il fallut soit revenir en arrière soit faire le tour complet du lac, l'ambiance était légèrement crispée. 
Alors que Samuel émargeait la feuille de passage, l'indice pour trouver la réponse était « Le clown a donné son nom à un cirque ». L'oncle Samuel répondit à la question. 

Le deuxième relais était au Stade-Vélodrome Jacques Anquetil, l'oncle Samuel crut bon de sortir la carte du bois pour ne pas prendre une mauvaise direction. Grand-père fut rageur qu'on ne lui fît pas confiance et partit devant en bougonnant. Une fois la direction trouvé alors que l’aïeul s'en allait du mauvais côté nous dûmes le rappeler afin qu'il nous rejoignît. Nous espérions que lorsqu'il faisait ses randonnées seul il trouvait ses repères facilement. Quoi qu'il en soit nous connaissions tous son sens de l'orientation assez aléatoire et son caractère de cochon. Au deuxième pointage la question était « Cet homme politique assassiné le 31 juillet 1914 à fondé le quotidien l'Humanité et s'est impliqué dans la défense des mineurs de Carmaux ainsi que celle du capitaine Dreyfus ».  C'est grand-père qui donna la réponse. 

En contemplant la carte la troisième étape fixée au pied du Donjon du Château de Vincennes allait être plus longue. Le grand-père toujours aussi alerte et boudeur alignait ses bâtons avec la régularité d'un métronome et tous les trois nous étions étonnés de le voir crapahuter avec autant de vivacité. Nous l'aimions notre pépère lui et ses imperfections. Chacun entama la bouteille d'eau qu'il portait dans son sac à dos. Heureusement le temps était au beau fixe. À la sortie du bois, les remparts de la forteresse s'affichaient majestueux, dans l'enceinte du château sur la gauche le donjon de Charles V s'érigeait à 52 mètres du sol, face à lui la Sainte-Chapelle ne dépareillait pas. 
La question n'avait aucun rapport avec l'environnement elle portait sur les festivités du département du Rhône mondialement connues : « Dans la dernière décade de  novembre un cru populaire est l'occasion de festivités, quelle est cette célébration ? » Je n'avais répondu à aucune des questions jusqu'alors c'est pourquoi je lançais sans réfléchir « Coca-Cola » mais aussitôt l’oncle Lionel rectifia.

Du château au lac des Minimes grand-père n'avait pas perdu son pas. Il croqua dans une pomme et ses bâtons rouge et jaune me lançaient des éclairs. Soit, j'étais fatigué. L'oncle Samuel et Nadège ma cousine me prirent les mains pour m'entraîner dans leur sillage. L'oncle suivait le chemin sur la carte pas question de céder aux injonctions du grand-père. Après avoir regardé les canards et les cygnes nagés sur le lac nous rejoignîmes le Relais de la Porte Jaune. Après l'émargement de la feuille de passage la question me laissa pantois « Quel est le pont bâti sur trois niveaux au Ier siècle après J.-C. qui enjambe la Gardon. » Samuel donna la réponse.

Mes jambes pesaient dix tonnes. Si les choses me semblaient drôles au début ça n'était plus le cas. Je me mis à chouiner puis à faire ma mauvaise tête alors qu'il fallait atteindre l'île Fanac à Joinville sur les bords de la Marne. Depuis le pont nous descendîmes par les escaliers car l’ascenseur était en maintenance. Devant le club d'aviron les deux préposés au pointage nous délivrèrent l'avant dernière énigme, définition sortie du Larousse : « Bijou que l'on porte suspendu à une chaîne de cou ». Je donnai la réponse fier comme Artaban.   

Grand-père insista pour remonter sur le pont par l'escalier plutôt qu'attendre une demi-heure que l'ascenseur soit remis en service. A mi-hauteur il montra des signes de faiblesse. L'oncle Samuel lui dit gentiment « Je t'avais prévenu mais une fois encore tu n'en fais qu'à ta tête. »  Il le porta sur son dos, ahana comme un bûcheron pendant l'escalade puis sur le pont s'appuya sur la rambarde pour reprendre son souffle. Nous devions nous diriger vers l’Hippodrome pour effectuer le dernier pointage et répondre à la dernière énigme. « Tu crois qu'on va gagner » demandai-je à ma cousine ? Elle fit la moue en guise de réponse. 
Il y avait du monde au champ de courses et les chevaux couraient sous les encouragements des parieurs déchaînés. J'étais scotché derrière les grilles. La dernière question ne m’intéressait plus. Pourtant la définition n'était pas si difficile que ça « Rendez-vous non respecté par une personne. »

Au classement général nous étions dixième, partis en cinquième position nous sommes arrivés les derniers. Si toutes les réponses aux énigmes étaient bonnes seule la première réponse comptait et le « Coca-Cola » que j'avais bêtement lancé nous avait valu un réponse fausse. J'étais honteux et désolé mais mon grand-père me dit « T'inquiète pas je t’emmènerai à Disneyland. »


Les résultats énigmes par énigmes :
1/ Le clown a donné son nom à un cirque : Achille Zavatta 
2/ Homme politique fondateur de l'Humanité : Jean-Jaurès 
3/ Quel est le pont bâtit sur trois niveaux au Ier siècle après J.-C. qui enjambe la Gardon:Le pont du Gard.
4/ Bijou que l'on porte suspendu à une chaîne de cou : Un pendentif
5/  Rendez-vous non respecté par une personne : Un lapin. 

Gene.M - Les huit éléments

Août 1914

Dans la petite ville de M. dans le département du Rhône, Henri se promène avec son petit fils  Camille, âgé de 10 ans.

- Dis Grand-père, papa va partir à la guerre ?
- Oui mon petit.
- Et toi tu vas partir aussi ?
- Non, je suis trop vieux, je vais rester ici pour veiller sur toi, ta mère et ta petite soeur.
- Je voudrais bien y aller moi aussi  à la guerre...
- Ne dis pas ça, mon petit, la guerre c'est horrible, cruel, .. Ah si seulement notre grand Jaurès n'avait pas été assassiné...

Et Henri s'abîma dans un long silence.

Le lendemain, un dimanche, Henri emmena son petit fils voir le Viaduc de Tarare
- Regarde mon petit Camille cette belle réalisation  ! Les hommes sont capables de grands choses, pensons à Pasteur, à Hugo  et à bien d'autres.... et hélas ils sont aussi capables du pire, la guerre.

Avant de partir rejoindre son régiment, le père de Camille remit un pendentif à son épouse. Au bout de la chaîne, il y avait un médaillon qui s'ouvrait et dévoilait le visage de sa belle aîeule, morte pendant la révolution de 1789. Ce bijou, par tradition devait être remis de mère en fille à chaque génération.

- je n'ai pas eu de soeur, alors c'est à notre fille qu'il doit revenir. J'aurais dû lui remettre à sa majorité mais compte tenu des évènements, je te le confie. 

Les adieux furent pénibles.
Camille, en larmes, alla se réfugier auprès de son animal familier, un petit lapin  qu'il avait dénommé Jeannot.

Fin 1919

Le père de Camille revint après une longue hospitalisation. Défiguré, il appréhendait la réaction de sa famille.

Père, dit-il à Henri, je ne peux reprendre mon métier d'ingénieur. Je souhaite changer de vie. J'ai toujours aimé le cirque. Je veux devenir clown. Grâce au maquillage, les enfants n'auront plus peur.

Désemparé, Henri le laissa partir.
Camille pleurait, inconsolable.
Le grand-père s'approcha et lui dit doucement :
- Mon petit chéri, je t'avais pourtant prévenu : c'est moche la guerre.

Le père de Camille n'avait pas renoncé à retrouver son visage d'avant.Il subit encore de nombreuses opérations et son apparence s'améliora.
Il quitta le cirque, revint vers sa famille et la vie reprit son cours presque normal.

Camille se promit de devenir chirurgien esthéticien. 

jeudi 5 novembre 2015

Clémence - Les huit éléments

Aujourd'hui ou dans cent ans….

Une même année….

Dans un village en  Pologne :
Le petit Thomas, emmitouflé dans une écharpe de laine brute, engoncé dans son costume, chaussé de grosses bottines, tendit la main à son grand-père vêtu tout pareil. Ils empoignèrent un panier d'osier et s'en allèrent vers la forêt. Ils trouveraient toujours bien quelque chose à rapporter !
D'abords silencieux, humant les odeurs de terre et de feuilles mortes, ils avançaient d'un pas soutenu. 
Thomas se mit à réciter le dernier poème qu'il avait appris à l'école. Il parlait de fleurs et d'espoir. Son grand-père l'écouta puis il lui demanda d'écouter les arbres et les oiseaux.
Ils entendirent les cloches sonner au loin.

Dans un  village en Belgique.
Ce matin, Édouard partit à l'usine comme tous les jours. Yvonne allait s'occuper de la ferme, comme tous les jours. D'abord à la basse-cour puis à l'étable. Elle ferait un tour par le clapier. Il y aurait du lapin ce soir. Elle s'occupa aussi de la maison. Passer un coup de balai et finir le repassage.
Elle entendit les cloches sonner et se demanda qui pouvait bien être passé….

Ailleurs, dans le département du Rhône.
Un cirque venait de planter son chapiteau.. Pour marquer l'anniversaire de ses sept ans, ses parents lui avaient promis le premier spectacle de l'après-midi. Sophie était heureuse : elle verrait des ours, des lions, des acrobates et des clowns. Elle en avait tant rêvé. Au retour, ils s'arrêtèrent au café du centre. Un verre de bière et deux verres de limonades furent déposés sur la table.
Un grondement sourd. La cloche se balança, le glas éteignit leur  bonheur.

1914 :  petites histoires de la vie de tous les jours.
1914 : grandes histoires et folie meurtrière.

A Sarajevo.
Sophie venait de terminer sa toilette, François-Ferdinand l'aida à fermer la chaîne où scintillait un discret pendentif.

Non loin d'Aix-la-Chapelle. 
Ils étaient des milliers à franchir le pont sur la Meuse. Sans scrupules, ils passeraient par la Belgique, bafouant sa neutralité,  pour attaquer la France.

Un siècle plus tard

Dans une vente publique, quelque part ...
Le marteau frappa le dernier coup. Il venait d'acquérir un charmant coffret dans lequel il placerait le solitaire. Le lendemain, il  lui glissa la bague au doigt. Elle fut si étonnée que le coffret lui tomba des mains. 
Je t'avais prévenue, lui murmura-t-il au creux de l'oreille...
Au milieu des débris, une chaînette et un pendentif discret….

mercredi 4 novembre 2015

Anne de Louvain la neuve - Les huit éléments

Rossignol, quand ton chant s’élèvera

Ceci est ma mémoire vive et la vôtre à présent. À vous, mes deux fils et ma chère fille, à mes petits-enfants, je lègue ce passé inscrit dans nos gènes. Notre ADN en porte les cicatrices et leurs sillons s’ils s’atténuent,  ne disparaissent pas. Il est temps de confier mes souvenirs de ce qui fut et de ce qui nous constitue.

Mon grand-père Louis était menuisier, on s’en souvient si peu. Il habitait déjà ce quartier du 9e arrondissement avec ses parents dont il occupera la maison et que vous connaissez pour y avoir grandi vous aussi. Le Rhône rythme les humeurs de chacun et le pont du général Kœnig n’existe pas encore ni sous ce nom ni sous cette forme. À l’époque, c’est le pont Serin, son point de passage pour entrer en ville, travailler et y rencontrer l’élue de son cœur. Sont échangés par-dessus le fleuve qui roule, les serments d’amour entre Louis, vieux garçon de 26 ans, et Huguette, brodeuse et blonde de rêve aux yeux de chat, et ses 20 ans éblouissants.

Mon père Jean, puis ma tante Louise naissent peu après leur mariage et quand la guerre de 14 éclate, ma grand-mère ne fait ni une, ni deux : elle conseille à son homme de se cacher, et vite! Je t’interdis d’aller te faire tuer que ce soit au champ d’honneur ou de pâquerettes, mourir oui, mais de mort lente comme dirait Brassens des années plus tard. Nos enfants sont bien trop jeunes pour perdre leur papa. Tu pars et loin d’ici. Mais mon grand-père est un patriote convaincu et faire faux bond à la conscription, il n’y pense même pas ! Il est donc incorporé à la 3e division d’infanterie coloniale, qui n’en porte que le nom, sous les ordres d’un va-t’en guerre,  le général Raffenel.

Quand les Allemands envahissent la Belgique, Louis atteint l’Ardenne avec d’autres troupes et, son barda sur le dos, le voilà à proximité de Rossignol, un petit village oiseau, rossignol de mes amours, dès que minuit sonnera, mon chagrin s’envolera. Lorsqu’elle entend la voix de Louis Mariano, ma grand-mère lance des assiettes sur le poste de radio et se retire pour pleurer.

Car, en ce 22 août 1914,  un brouillard à couper au couteau enserre l’entité et les bois alentour. Les Allemands, deux fois plus nombreux et mieux préparés qu’eux, referment alors leur tenaille de mort sans échappatoire. Louis se sent pris au piège comme un lapin. Peut-être n’aura-t-il même pas la sensation des balles qui le traversent de part en part, lui, et tous ses camarades de combat, quel que soit son grade, simple troufion ou gradé. Une fois la curée terminée,  les habitants sont contraints d’enterrer les corps, puis fusillés. Un massacre civil et militaire, des milliers de morts.

Veuve à 28 ans avec deux petits en bas âge - Jean a 7 ans et Louise cinq - ma grand-mère s’engage alors comme femme d’ouvrage là où elle peut, continuant à broder ses points de chagrin, le soir,  après avoir mis les enfants au lit. C’est autour de cette absence-là que nous avons grandi.

Jean est un jeune homme triste et devient un papa éteint, muet, qui n’évoque guère le passé, pas plus que sa mère, ni sa sœur. Une seule fois, il me parlera de ce voyage, en famille. Il leur faudra la journée, trois changements de trains et un trajet en bus pour atteindre Rossignol, une expédition marquée du sceau d’un temps de fin du monde, une pluie continue, perçante, glaciale comme la tristesse qui s’est emparée pour toujours de leur cœur pour faire écho à leurs larmes. Au pied du petit monument aux morts, cette pierre blanche tachée du sang de son mari, Huguette dépose un simple bouquet de marguerites. Elle serre le pendentif que Louis lui a offert avant de partir et son cri résonne, emporté par le vent, Et pourtant, je t’avais prévenu ! 

Le mélancolique Jean imprimera les contours du malheur sur toute sa descendance. Cela ne vous paraitra guère étrange si j’ai créé mon théâtre de Guignol. J’étais destiné aux marionnettes, un univers parallèle au monde des vivants,  moi qui ne suis qu’un clown invisible qui n’en arbore ni le nez rouge ni la bouche peinte en sourire. Je me cache derrière des personnages que j’anime, je fais rire et je donne des coups de bâtons à la vie en souvenir de ces êtres broyés par l’histoire et saccagés par la guerre.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La bataille des frontières qui fit plus de morts que la bataille de la Marne est relatée sur plusieurs sites Internet dont je joins les liens ci-dessous. Quant à Rossignol qui vit disparaitre des milliers de jeunes Français et quasi tous ses habitants, les commémorations en font rarement mention.


La photo qui sert d’illustration est renseignée sur ce site et est prise à Rossignol par l’auteur de l’article : http://www.sambre-marne-yser.be/article=7.php3?id_article=22

Où lire Anne

Laura - Les huit éléments

Mon grand-père étant mort lorsque j’étais encore une enfant, depuis mes onze ans, j’ai gardé les instants passés avec lui dans mon cœur et dans mon âme, il y a les traces de sa vie avec ses faiblesses et son courage de réfractaire au STO ayant pris le maquis. Plus âgée, je me suis choisi des grand-père intellectuels qui brillent comme des étoiles dans mes nuits d’insomnie. Parmi les étoiles filantes, je garde un souvenir du "Grand Meaulnes" d'Alain-Fournier, mort en 1914.Dans ma galaxie, il y a aussi des poètes comme René –Guy Cadou, René Char ou Alphonse de Lamartine. Mes comètes se nomment aussi Marc Chagall - qui a si bien parlé en vers et couleurs du cirque- et Bernard Buffet qui a peint de si sublimes clowns. Dans le département du Rhône, j’ai vécu comme dans tous les paysages où j’ai vécu, étudié ou travaillé, des moments suspendus entre terre et ciel sur des ponts comme ceux battus par le vent des deux bras de Lyon (Saône et Rhône) ou le pont d’Avignon où mon futur mari me prit en photo au début de notre histoire. Si ma famille de sang prend soin d’un lapin, je préfère les livres et les pendentifs aux couleurs de ma famille d’âme. Mon grand-père, sous un aspect bourru, connaissait bien la nature humaine et m'aurait dit: « Et pourtant, je t’avais prévenue. »

Lilousoleil - Les huit éléments

Prague février 1889

Elle marche,  seule courbée  dans le froid qui lui fend les lèvres jusqu’au sang et mord ses jambes nues. La bise souffle par petites rafales glacées.  Soudain, elle se plie, une vive douleur irradie son ventre. Elle s’arrête, reprend son souffle … Elle est tout près du pont Charles à Prague ; elle s’assoit et  elle s’installe comme elle peut. Un vagissement déchire la nuit, un sanglot puis le silence retombe.
Anton est né cette nuit-là à Prague sous le pont Charles,  le premier février 1889… Sa mère accouche seule. Elle l’emmitoufle amoureusement dans une couverture déchirée et son  vieux manteau de ratine écorchée ; ce qui sauve la vie de l’enfant mais pas la sienne. Elle est retrouvée morte de froid et d’hémorragie, le petit vagissant dans ses bras.  Dans la poche du manteau un simple morceau de papier avec le prénom Anton et autour du cou un petit  pendentif en or gravé « Eva 1872. »
Le bébé est remis à une institution religieuse. En ces temps-là les orphelinats sont malheureusement bien remplis. Les recherches entreprises sommairement demeurent infructueuses.  Prague, à cette époque, est en émoi ; l’archiduc Rodolphe s’est suicidé  quelques semaines auparavant  et le peuple pleure la mort de l’héritier de l’empire et partage  la douleur de  la pauvre Sissi. Personne ne fait attention à la silhouette furtive d’une  vieille dame en  grande pelisse noire qui un jour de février 1889 s’est emparé d’un bébé.

Villefranche/Saône 28 juin 1914

Antoine jeune homme de vingt cinq ans est instituteur. Il a épousé Sophie « maîtresse d’école » elle aussi. Ils sont les parents d’un petit Emile de six mois. Pourtant aujourd’hui,  Antoine est dévasté par le chagrin… Sa mère Hélène est décédée ce matin à l’aube de ce terrible cancer qui la rongeait, sa peine est immense mais il est aussi bouleversé. Avant de mourir, sa mère lui a révélé le secret de sa naissance et lui a remis la médaille de sa mère Eva. Certes, elle aurait dû le faire quand il était tout petit mais elle n’en a pas eu le courage. Elle voulait le protéger. Depuis Antoine erre comme un zombie… Il n’ose regarde Augustin, son père, son père d’adoption mais son père comme Helena est sa mère. Il est Antoine ou Anton ?
Ce même jour, l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo sonne la fin d’un monde en ouvrant la porte à une guerre sanglante. Antoine comprenant le danger d’une guerre imminente, décide d’écrire ses souvenirs, son histoire  dans un petit cahier bleu ; les mots couchés sur le papier jauni des écoliers l’apaisent et redonnent sens à sa vie. Il se procure avec bien des difficultés, une photo du pont Charles.

Prague fin février 1889,

Helena et Eva étaient de belles jeunes filles de la haute société pragoise. Si Helena était réservée voire timide, Eva était plus exubérante. Eva tomba éperdument amoureuse d’un vaurien, beau parleur qui s’empressa de l’abandonner bien  vite quand elle fut enceinte.
Dans ce grand monde, on n’accepte pas les grossesses ; elle fut chassée à grands cris. Les « et pourtant, je t’avais prévenue » résonnèrent dans toute la maison. Seule Helena continua à voir sa sœur en cachette, l’aidant de son  mieux mais ne put la sauver. Le premier février sentant les premières douleurs, Eva partit… Helena apprenant sa mort, rechercha l’enfant et quitta définitivement l’empire autrichien et s’installa en France ; elle épousa Augustin qui éleva l’enfant comme le sien.

Août 1914, Antoine est mobilisé, le cahier bleu est confié à Sophie. Antoine mourra deux ans plus tard sans connaître sa fille la petite Ève née en décembre 1916. 

11 novembre  2011 Villefranche/Saône

 Julien, dit Jujube,  a dix ans. C’est un enfant joyeux qui vit à la campagne dans le département du Rhône proche de Lyon. Ses parents sont artistes, son père clown et sa mère violoniste. C’est donc son  grand-père paternel,  Emilien qui prend soin de lui. Emilien c’est le fils d’Emile, lui-même fils d’Antoine. Il est viticulteur et œnologue,  installé dans le Beaujolais.
En ce matin du 11 novembre, Julien a rejoint Jean, un enfant du pays devenu l’instit du village, et ses copains du CM1 pour chanter au monument aux morts.   Emilien  épluche les pommes de terre pour préparer une purée. Il a innové cette année, le papi, il a planté des pommes de terre à chair et peau violettes (des Bleues d’Artois) qui donnent à la purée une couleur sympathique. Il a étalé un vieux journal afin de récupérer les épluchures pour Saturnin, le lapin de Jujube. Il jette surtout un regard sur les petites annonces ou les jeux, il aime bien  les sept différences ou encore  reconnaître un lieu, un monument. Soudain, le couteau lui tombe des mains. Il reconnaît la photo du pont Charles de Prague, la même que celle de son aïeul, laissé dans le  cahier bleu, celui écrit à la veille de la grande guerre et transmis à chaque génération.
Son sang ne fait qu’un tour, et au moment où il écrase une larme qui coule sur sa joue, Julien arrive. Pour Emilien, il est  temps de lui  raconter l’histoire et de lui offrir le cahier bleu.

Jacou - Les huit éléments

Le poète a dit la vérité

Rédaction :Décrivez en quelques lignes un clown.

« Je l’ai rencontré à la cérémonie du 11 novembre, au monument aux morts de Vaux en Beaujolais. On y commémorait la fin de la guerre de 1914.
Ce qui m’avait attiré, était ce personnage, que l’on ne pouvait pas ne pas remarquer. Il avait un nez rouge, jouait la sonnerie aux morts, avec sa trompette.
Près de lui, au garde à vous, se tenait un enfant, élégamment vêtu de blanc.
Celui-ci de son chapeau fit sortir un lapin.
La trompette jouait un air guilleret, le lapin remuait ses oreilles en rythme, puis disparut par l’orifice de la trompette.
Sous les applaudissements, le maire décora l’enfant, lui remettant un pendentif.
L’homme et l’enfant se tenant par la main, s’éloignèrent en sautillant, suivis par la foule amusée.
Le couple s’arrêta ; l’enfant grimpa sur les épaules de son père ; le lapin grimpa sur la tête de l’enfant. Le fragile échafaudage poursuivit sa route ; les spectateurs aussi. Un air de trompette : « Le pont de la rivière Kwaï ». Nous avions changé de décor, nous avions changé de guerre. »

-       Martin, c’est quoi ce devoir ?
-       Vous avez demandé de décrire un clown.
-       Pas de manquer de respect aux morts de la Grande Guerre. Et en plus, un lapin qui remue ses oreilles en rythme ! Et moi, je suis le curé de Clochemerle, peut-être ?

-       Martin, quand tu auras fini de goûter, je  t’apprendrai un autre tour.

-       Pépé, j’ai pas le temps. Je dois refaire mon devoir sur le clown.

-       Comment ça ? Tu dois le refaire ?

-       Le maître, il était pas content. Il a dit que je manque de respect, qu’un lapin…

-       J’ai compris. Et pourtant, je t’avais prévenu.  Je savais qu’il voudrait pas  croire à mon histoire.

-       Et si je lui montrais la photo de papa, en clown blanc, monté sur tes épaules, et le lapin ? Tu crois qu’il me croirait ?

mardi 3 novembre 2015

Vegas sur sarthe - Les huit éléments

Neige en mars




Je l'avais toujours vu rire - faut croire qu'il était né avec cet indestructible sourire qui éclairait son visage - pourtant ce 25 mars j'ai vu pleurer mon papé.
C'était pas des sanglots comme un gone* qu'on a privé de dessert, les clowns ça pleure pas vraiment, ça fait semblant même pour la mort d'un grand homme.
Mon papé était clown ( on disait clovne) à mi-temps dans le quartier de la Mouche et tripier ambulant le reste du temps c'est à dire de septembre à juin.
Ah il fallait l'entendre aboyer “Des tripes, des tripes” en secouant un chapelet d'énormes Jesus en pendentif comme pour imiter la Belle Otero ou Mata Hari.
Je crois qu'il était en fait le seul amuseur-tripier-charcutier de l'agglomération lyonnaise à vendre du tablier de sapeur* avec un gros nez rouge.
Il disait que le gras-double méritait bien qu'on crie deux fois aux tripes d'autant plus qu'il mettait double dose de Mâconnais blanc dans sa préparation.

Bien avant le drame il m'avait dit “La neige en mars sur le pont du Rhône c'est le plus mauvais des présages”.
Avec l'insouciance qui caractérise les piafs de mon âge je n'y avais rien vu de bien inquiétant à part l'obligation d'aller tripler la litière de paille dans le clapier du lapin Pinpin.
Il faut dire que Pinpin c'était son outil de travail - son travail de clown, pas de tripier - la grosse boule de poils surprise qu'il sortait de son vieux chapeau sous les éclats de rire et que je préservais des pattes de mémé Anaïs qui l'aurait volontiers accommodé à la moutarde de Dijon!
Faut dire qu'on mangeait pas du lapin tous les mois et que mémé Anaïs était aussi méchante et rabat-joie que papé était jovial.
Il l'avait épousée en secondes noces en déclarant qu'on gagne rarement deux fois à la loterie, aussi ce n'était pour moi qu'une demie-mémé nonobstant un quintal certifié.
Les “Et pourtant, je t’avais prévenu” de demie-mémé ponctuaient chacun de mes tours pendables et j'ai dû courir plus d'une fois me réfugier vers papé pour éviter une rouste.
Ce jour-là j'avais été exceptionnellement sage et par conséquent mémé Anaïs trop silencieuse; tout ça était anormal d'autant que le vent s'était tu (papé aurait dit “Le vent d'autan c'est tétu” si l'heure avait été aux plaisanteries).

Il se contenta de dire gravement “Avignon sans Mistral, c'est plus Avignon” en essuyant une larme sur sa joue. Si le Rhône l'avait fait naviguer trente ans plus tôt jusqu'au coeur de Lyon il n'avait jamais oublié sa Provence natale.
Je sais parfaitement qu'on était le 25 mars 1914 puisque c'était le jour de l'arrivée à Paris du 6ème Tour de France Automobile passé quelques jours plus tôt dans notre capitale des Gaules.
J'ai bien vu que papé n'avait pas le coeur à parler des Bugatti et autres de Dion-Bouton qu'on avait pu applaudir devant la Préfecture.
Fini automaboules*, moteurs pétaradants et lapin farceur sorti du chapeau, aujourd'hui on pleurait Frédéric Mistral le poète provençal.
Pour un guignol comme moi, un poète c'était une espèce de fada moustachu avec un grand chapeau et je n'étais pas conscient que ce jour signait la fin de la Belle Epoque et que la langue d'Oc perdait son plus farouche défenseur.

Plus tard mon papé retrouva son sourire et mémé Anaïs ses saboulées* mais quelque chose s'était définitivement brisé.
Plus rien ne tournait comme avant, j'appris que faute de concurrents, les rares participants au 6ème tour de France automobile avaient été déclarés ex-aequo à Paris.
Le mauvais présage annoncé par papé allait si je peux dire faire boule de neige quelques mois plus tard du côté de Sarajevo mais ça c'est une autre histoire.

gone : enfant
tablier de sapeur : spécialité culinaire de la région lyonnaise à base de gras-double
automaboule : automobile
sabouler : réprimander

Où lire Vegas sur sarthe

Mapie - Les huit éléments

- Victor, où est ma médaille? Tu as touché à ma médaille?

Ce pendentif date de ma première blessure, ce n’est pas d’hier… tu le sais..

- A ton époque papy , les papes avaient déjà quitté la cité. Le Rhône coulait de beaux jours et creusait son lit au festival …

Pourquoi faut il toujours que tu stresses dès qu’on touche à ce petit bout de passé?

- Peut-être Victor, parce que bien que mon ère ne soit ni celle des dinosaures, ni celle des croisés.. je ne suis pas sûr d’avoir envie de te voir tourner en dérision les quelques longues et courtes années qui firent ma vie… A mon époque Victor, le seul festival connu était celui de la première guerre!!! Ce pendentif représente la jambe que j’ai perdue.. les danses que je n’ai pas pu faire, le marathon que je n’ai pas couru… les quelques sous que j’ai reçu…et les regrets … bien sûrs…

Alors, peut-être que le Rhône coulait de beaux jours, mais en 1914, j’avais à peine plus que ton âge et je crois pouvoir dire que je n’avais déjà plus le coeur à jouer les clowns , mon lapin…

Donc laisse cette décoration où elle est et va voir tes copains… les souvenirs c’est bien, mais seulement si on en prend grand soin…

- Tu sais papy moi, ta médaille je la trouve trop swag et si tu me la donnes, je suis sûr de lui coller d’autres souvenirs autrement plus cools et classes que tous ceux dont tu veux prendre soin!

- Non, Victor, merci bien, maintenant, remet ce pendentif à sa place.

Je… Je ne … attends , je l’ai peut être laissé tomber au moment où… je …

- Dérober cet objet que tu sais être le mien, le porter sans mérite alors que tu connais le sens qui est le sien, aller à l’encontre de ce que j’avais pris le temps de te dire…
Il y avait un pont entre nos deux rives Victor… avant… et toi tu as laissé tomber du pont mon médaillon … je crains que de « souvenirs » tu n'en ai laissé que de bien ternes et peu glorieux..
et pourtant je t’avais prévenu…
les souvenirs c’est bien, mais seulement si on en prend grand soin…

lundi 2 novembre 2015

Ecri'turbulence - Les huit éléments

ET POURTANT JE T'AVAIS PRÉVENU

"Tu sais, petit, les ponts, c'est une source d'inspiration sûre, pour nous, les artistes, tous les artistes."

Ainsi parlait un clown-funambule qui, ce jour-là, avait défié la pesanteur devant une foule médusée. Dans la multitude, un petit enfant grimpé sur les épaules de son grand-père, bouche-bée, avait assisté à la traversée de trois-cents mètres, à trente mètres au dessus du Rhône. Il s'appelait Charles Elleano, c'était un jour de septembre, en 1952.

"Tu sais, petit, les ponts, c'est nous, les impressionnistes, qui leur avons donné vie".

Ainsi parlait une multitude de peintres – aquarellistes, expressionnistes, surréalistes, fauvistes, pointillistes, pastellistes –. Seul, immensément seul dans un musée bien trop grand pour ses émotions, un petit enfant voletait de fresques en paysages, en quête de cette toile d'un pont enjambant un fleuve, dont on lui avait dit que son arrière-grand-père, Horace Antoine Fonville, en avait été l'interprète, avant son décès en 1914.

"Tu sais, petit, le pont sur l'Isis, c'est là que j'ai rencontré Alice pour la première fois".
Ainsi parlait un lapin blanc aux yeux roses à un petit enfant qui contemplait le portrait d'une jeune fille, incrusté dans un pendentif, que lui avait confié son grand-père.
Son grand-père, celui sur les épaules duquel il était juché, en 1952.
Son grand-père, ami de Monet, de Maurice de Vlamink, de Jongkind et de tant d'autres, dont le père posait son chevalet sur les berges du Rhône, quelque peu avant la Grande Guerre.
Son grand-père, qui jamais ne s'était consolé de la disparition d'Alice, lorsqu'elle était passée de l'autre côté du miroir.

"Et pourtant, petit, je t'avais prévenu : il suffit de passer le pont, c'est tout de suite l'aventure".

Mais le petit enfant n'a pas passé le pont : du parapet il est tombé. Aucun fil, aucun chevalet, aucune montre, aucune chanson n'ont pu retenir sa vie.

Semaine du 2 novembre au 8 novembre 2015 - Les huit éléments

Les photos souvenirs vont maintenant se rendormir ; aussi nous vous proposons de nous conter une aventure, de nous faire un récit ou d'inventer une histoire en vers ou en prose  avec impérativement les éléments suivants :  

des personnages :     un grand-père et un enfant
une profession :        clown
une période :             1914
des lieux :                   le département du  Rhône 
un bâtiment :             un pont  
un objet :                    un pendentif
un animal :                 un  lapin

et  n'oubliez pas de placer la phrase 
«  et pourtant, je t’avais prévenu(e) »


vous avez jusqu'au dimanche 8 novembre minuit pour envoyer vos textes à cette adresse : 
impromptuslitteraires(at)gmail.com.

Bonne semaine à tous