mardi 31 octobre 2017

Marité - Il serait temps que je m'affole

Vive les mariés !

Je hais les mariages. Chaque fois que j'ai pu échapper à la corvée, je l'ai fait. Sans remords. Même pour mes meilleurs copains. Je me suis toujours arrangé pour trouver une excuse. Tant pis s'ils n'y croyaient pas. Les imbéciles, se faire harponner comme ça, effarant ! Même cette grande gueule de Gérard s'est trouvé pris au piège. Pourtant quand les premiers de la bande se sont laissés passer la corde au cou, il fanfaronnait : "aucune de ces femelles ne me mettra le grappin dessus, je te le dis." Puis, un jour, tout penaud, il est venu m'annoncer la nouvelle. Lui aussi allait convoler. Je restai interdit et m'interrogeais : je serai donc le seul à ne pas me laisser baguer comme un pigeon ? S'il n'en reste qu'un je serai celui-là.

Que je vous raconte un peu le mariage de Gérard - justement - et de Simone. Une farce bien assaisonnée. Une farce pour pigeon quoi. Je n'ai pas pu me défiler cette fois. Gérard m'a piégé. D'ailleurs, je lui garde un chien de ma chienne. Il m'a demandé d'être son garçon d'honneur. J'étais le seul - il parait - à pouvoir assurer ladite fonction. Les autres ? Tous mariés. Avec un clin d'œil lubrique, il m'a dit : " Je t'ai choisi une cavalière - la demoiselle d'honneur - aux petits oignons. Ne loupe pas ça. Tu ne vas pas t'ennuyer. La Jeannine, elle est b... euh, elle est bien. Veinard ! Je t'envie, tiens. " J'ai vu que l'animal avait déjà goûté au morceau de choix - selon lui - qu'il me destinait.

J'ai dû acheter un costume et le comble, mettre une cravate. Je ne savais même pas faire le nœud. Il a fallu l'aide de maman qui en a profité pour me dire, comme d'habitude : " tu n'es qu'un sauvage, mon petit." Bien sûr, ma mère ne rêve que de me voir avec une épouse. Pas tant pour l'épouse, non. Mais pour les petits enfants. Ma mère se verrait bien en mamie-gâteau. Très peu pour moi, merci.

Revenons au mariage de Gérard et Simone. Il faisait beau. Un temps idéal pour la consécration de l'idylle. Gérard en trois pièces immaculé - ça n'allait pas durer longtemps à mon avis - et sa chérie en blanc de neige également. Comme elle est un peu enveloppée, on aurait cru un gros pot de chantilly. Ou une grosse meringue.

Le père de la mariée avait bien fait les choses. En bon céréalier, il avait fauché un de ses champs, semblait-il, pour un mariage à la déco champêtre : des épis de blé partout, de la mairie en passant par l'église et sur les tables du banquet, jusqu'au bouquet de Simone naturellement. Qui arborait naturellement aussi un chapeau de paille tout enrubanné. Gageons qu'au repas, nous aurons de la semoule pensais-je.

Gérard m'a présenté Jeannine. Légère - du bocal - et très court vêtue. Enfin, j'ai tenté d'assumer mon rôle de témoin. J'y ai mis de la bonne volonté, on ne peut pas me reprocher ça. Mais la demoiselle Jeannine - pas du tout mon genre - s'apercevant qu'elle ne me mettrait pas dans son lit parce que je demeurais indifférent à ses chatteries a soudain décidé de jouer les garces. Pendant la danse du canard, elle s'est plainte à Gérard de devoir s'occuper des invités toute seule et bla bla bla... Le marié, énervé et un peu pompette - comme moi d'ailleurs - m'a carrément engueulé en me traitant de minus. Mon sang n'a fait qu'un tour. Je savais bien que le costume blanc serait vite hors d'usage.

La potiche, noyée dans le tulle et le champagne, s'est effondrée en hurlant : " mon Gégé, on va me le tuer." La voilà, plongeant la tête la première dans la pièce montée que deux serveurs étaient en train d'apporter.

Il fallait s'y attendre : la belle-mère, rouge de colère, le chapeau de travers, les yeux fous, a saisi un balai pour me le casser sur le dos. La prochaine fois, ce sera sûrement le tour de Gérard. En attendant, j'ai pris mes cliques et mes claques et j'ai fui la noce qui tournait au pugilat.

Hein ? Quoi ? Déjà midi ? Et je ne suis pas du tout prêt. Ai-je bien mis les alliances dans ma poche de costume ? Mon nœud de cravate est-il réussi ? Marie-Chantal - ma femme dans quelques heures - et les invités m'attendent à 14 heures précises chez ma promise. Il serait temps que je m'affole. 

Joe Krapov - Il serait temps que je m'affole

FAINÉ-HANTISE

Il serait temps que je m’affole
Si j’veux séduire Martine Carol,
Faire la bombe avec Ravachol
Ou mêm’ dev’nir l’amant d’Andréa Ferréol !

Il serait temps que je m’affole
Si je veux être au pont d’Arcole
Avec Napo qui caracole
Ou bien à Waterloo où ça sera moins drôle !

Il serait temps que je m’affole
Si je veux sortir de l’école
Où on m’a mis trente ans de colle
Au prétexte que j’y faisais trop le mariole !

Il serait temps que je m’affole,
Que je chante « La petite gayole »
Si je veux dev’nir une idole,
Coqueluche des groupies sorties de rubéole !

Il serait temps que je m’affole
Si j’veux dev’nir roi des guignols :
Aucun programme branquignol
Et pas même le début d’une queue de casserole !

Il serait temps que je m’affole
Si j’veux qu’on m’coiffe d’une auréole,
Si j’veux finir sous la coupole
Ou statufié à poil dans l’rôle du discobole !

Il serait temps que je m’affole
Si j’veux être en tête de gondole :
Faut qu’j’écrive plus de fariboles
Ou que je danse la Carmagnole sous des banderoles !



Avant que Dieu n’me patafiole,
Qu’on ne me passe la camisole
Et qu’à l’asile on ne m’isole
Au prétexte que j’ai égaré ma boussole

Il serait plus que temps, oui, que je m’affolasse !
Mais, comme disent les Suissesses
- Six « s » et tout autant de grâces – :
« S’il s’agit d’se bouger les fesses
Et d’se casser le cul en tombant du hamac
Y’a vraiment pas le feu au lac ! »

Où lire Joe Krapov

lundi 30 octobre 2017

Pascal - Il serait temps que je m'affole

Il serait temps

Il serait temps que je m’affole, se disait le pêcheur breton
en constatant devant lui un mur de rochers pourfendeurs.

Il serait temps que je m’affole, se disait la vieille cuisinière
en regardant les six cents gamins piaffer devant sa cantine.

Il serait temps que je m’affole, se disait le garde-barrière
en apercevant l’Express emballé débouler sur la voie.

Il serait temps que je m’affole, se disait le photographe
en prenant ses derniers clichés d’un terrible cyclone.

Il serait temps que je m’affole, se disait le père Noël
en grimpant dans son traîneau rempli de jouets.

Il serait temps que je m’affole, se disait le plongeur
en tapotant sur son manomètre de pression d’air.

Il serait temps que je m’affole, se disait l’amant
en remarquant son temps imparti du cinq à sept.

Il serait temps que je m’affole, se disait le révérend
en salivant aux propos de son sacristain Garrigou.

Il serait temps que je m’affole, se disait le turfiste
en allant valider son ticket au guichet du tiercé.

Il serait temps que je m’affole, se disait le lion
en reconnaissant son rival sur l’autre rive.

Il serait temps que je m’affole, se disait la maman
en accélérant pour récupérer son enfant à l’école.

Il serait temps que je m’affole, se disait Phidippidès
en courant (à perdre hellène) jusqu’à Athènes.

Il serait temps que je m’affole, se disait le pompier
en entendant hurler la sirène de la caserne.

Il serait temps que je m’affole, se disait l’écrivaillon
en alignant ces quelques mots pour les Impromptus.

Vegas sur sarthe - Il serait temps que je m'affole

Fuyons

On vient juste de changer d'heure
de majorer le prix du beurre
et d'augmenter les frais bancaires
des moins nantis, des plus précaires

On va rogner mon bas de laine
mon vieux diesel empuanti
et taxer mon poste à galène
mon cher Kodak sous garantie

J'avais rêvé d'un paradis
mais les carottes sont bien cuites
et pour cultiver mes radis
la solution est dans la fuite

A celui qui me voit là-haut
qui nous créa et qui rigole
je dis "Merci pour ce chaos"
Il serait temps que je m'affole

Où lire Vegas sur sarthe

Andiamo - Il serait le temps que je m'affole

1959 j’ai vingt ans, j’ai vendu ma Vespa, et l’ai remplacée par une moto ! Une 1215 culbutée, magnifique, beige et chromée, quatre vitesses, sélecteur au pied, point de démarreur dans ces années là, un kick of course !

Il serait temps que je m’affole, les vacances commencent demain, charger la guitoune, remplir les sacoches…

Demain à l’heure ou blanchit la campagne je taille la route, la route, point d’autoroute en 59, direction la côte d’azur, deux jours de voyage…Il serait temps que je m’affole.

Sens, Avallon, il faudrait qu’il s’affole un peu devant Pèpère dans sa 4 chevaux, putain, la pluie, je double, poignée des gaz à fond… RÔÔÔÔarrrr. Le flash.

Neuf heures quarante cinq, Il serait temps que je m’affole, dans un quart d’heure départ de la course de fauteuils roulants sur le parking de l’hôpital de Garches.

Où lire Andiamo

Laura Vanel-Coytte - Il serait temps que je m'affole

Il serait  temps que je m'affole
Se disait Cendrillon, reine
Des princesses qui attendent
Un prince charmant sans charme.

Il serait  temps que je m'affole
Que je fasse quelque chose
Qui m'affole, m'affriole
Que je perde un peu la boussole

Il  serait  temps que je m'affole
Pour enlever ma camisole
Retourner à Toulouse, rose
Ville avec son Capitole

Il  serait  temps que je m'affole
Que je jouisse et rigole
Sans attendre une idole
Homme parfait qui console

Il  serait  temps que je m'affole
Que je retourne à l'école
Des femmes qui raffolent
De curiosité qui isole.

Tisseuse - Il serait temps que je m'affole

Il serait temps que je m'affole
Que je ramasse mes eaux vives
Transcendées en vertes paroles
En belles pensées subjectives

Il serait temps que je décolle
Les lambeaux de mélancolie
Ceux qu’on cultive en hyperbole
Quand le vertige est infini

Il serait temps que je cajole
Mes tendresses et mes souvenirs
Les signifiantes paraboles
De mes lourdes malles aux soupirs

Il serait temps que je rigole
En relisant les vieux papiers
A la lumière des lucioles
Pour les regarder scintiller

Il serait temps que je rissole
Comme on cuisine avec amour
Ou qu’on répare des bricoles
Précieuses comme au premier jour

Il serait temps que je m’affole
Que j’écrive ma mélodie
La plus belle des barcarolles
Que je jouerai toute une vie

Tiniak - il serait temps que je m'affole



Le fleuve y va, tranquille, avec la mer au bout
silencieux, par la ville, et doux
et ne disant pas tout ce qu'il vit en amont
ni de ce qu'il avale, au fond

Encore une minute et ce jour m'intéresse...
J'attends qu'il me paraisse
ainsi que la caresse attendue d'un sourire
en coin de rut, pour un soupir

Frileux vent de saison, viens mettre pied à terre
sur ce vieux paillasson, pas fier...
Qu'y pouvons-nous, Misère ? Ignoré sous les toits
le vieux saule a pleuré... ces doigts !

Organique berceuse où l'âme erre et s'enivre
étonne-moi, au creux du livre
ordonne-moi de vivre avec mes yeux marrons
chargés de brûlantes questions

Uranie, fatiguée, baisse le front à l'ouest
car Linos doit mourir, du reste
sous les coups d’Héraclès - trop piètre musicien !
Je bois la mélodie que me siffle mon Chien

Y a-t-il un Autre Jour en réserve, en ce monde ?

Voici que luit la pierre à son heure caennaise
d'or espagnol, aux frêles braises
Je forme une hypothèse et la garde sous l' coude
en bouche une marine soude

Âpre - et ce qui s'ensuit... désolé (par Ailleurs)
cherchant à qui jeter mes fleurs
je suis là, comme hier, avec l'amer au col
Il serait temps que je m'affole


Où regarder, autrement, au ponant...

Semaine du 30 octobre au 5 novembre 2017 - Il serait temps que je m'affole

La semaine dernière, vous vous êtes intéressés à vos mystérieux voisins mais le temps passe et vous vous dites soudain : "Il serait temps que je m'affole".
Reprenez cette phrase en incipit ou en excipit de votre texte qui devra nous parvenir avant dimanche 5 novembre à minuit à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com

dimanche 29 octobre 2017

Stouf - Mystérieux voisins

Mon ange.

Papa et Maman étaient des saltimbanques, des charlatans payés dans les meilleurs salles de Paris par des badauds ravis. En fait … des paladins de la poésie imaginaire ,des histrions acteurs de l'impossible vérité.
Papa était le maître de la disparition et Maman sa séide éternellement amoureuse et complice de ses tours de passe-passe qui enchantaient les enthousiastes spectateurs.
Chploc … Papa disparut un jour pour de vrai.
Mort.
Mais il avait semé une graine dans le ventre de Maman et je naquis en criant toute ma réprobation de ce fait inéluctable.
Je me souviens de ces gens en blanc de l’hôpital qui parlaient d'une grossesse nerveuse … pas d'enfant … personne !
Et puis les mains de maman,son odeur et surtout sa voix qui m’appelait MON ANGE.
Maman commença à dépérir car … je ne sais pas.
Dans la pension à la campagne où nous vivions et où maman dormait la plus-part du temps je m'ennuyais et regardais souvent par la fenêtre.
Ben ?
En face y avait une petite voisine de mon âge qui semblait aveugle, parce qu'elle tombait souvent dans son jardin et que y avait pas forcément quelqu'un pour la relever et par la suite ...

Film très étrange mais merveilleusement magnifique à propos d'un gamin né invisible et de sa petite voisine aveugle,un film romantico-philosophique, d'amour quoi.

Plume Vive - Mystérieux voisins


Ses envolées me serrent le cœur et le ventre. A chaque fois.

Je ne le connais pas, et pourtant, je le ressens au plus profond de mes tripes dès que je l'entends. Les premières touches effleurées, je perçois la douceur de ses doigts sur ma nuque, y hérissant le fin duvet qui aime s'électriser à cette simple écoute. Le son mat de la mélodie qui parvient à mes oreilles les engourdit, laissant couler les notes chaudes et sensuelles jusqu'au tréfond de mon corps. Elles y font tinter des envies de sable brûlant et de soleil qui cuit la peau. Une odeur d'iode s'invite, avec le bruit des vagues qui viennent chatouiller nos jambes enlacées.

Mais déjà l'image s'efface pour offrir à mes paupières closes un feuilleton bucolique, grâce à la nouvelle mesure qui résonne à travers le mur sur lequel j'ai posé ma tête. Une brise qui fait voleter les mèches de ses cheveux non collés par la sueur de la balade à vélo que nous avons partagée, presque guidon contre guidon.

Je ne connais de lui que les yeux verts qui ne lâchent pas les miens lorsque nous nous croisons dans l'escalier, à nous frôler grâce à l'exigüité du chemin de marches en bois qui date du siècle dernier. Son parfum qui danse sous mes narines comme la musique qu'il me donne à écouter chaque soir, quand chacun de nous s'est posé dans ses pénates.

Je ne connais rien de lui. J'ai pourtant la sensation de savoir.

Le choix des pièces musicales qu'il décide de partager avec son voisinage en dit long. Puis l'ordonnancement de ces différents morceaux, du plus léger au plus intense, avec des invitations sur chaque pause. Une invitation à franchir le seuil de ma porte pour aller frapper à la sienne. Mais alors, que deviendrait cette relation vibratoire qui est la nôtre si nous nous offrions d'autres mots que les formules de politesse échangées jusqu'ici ? Que deviendrait ce mystère qui nourrit nos échanges silencieux aujourd'hui ? La magie peut-elle perdurer ?

Je laisse aller mes envies de découverte charnelle avec les dernières mesures posées sur le clavier. Il est déjà vingt heures, le concert va bientôt prendre fin. Je savoure les phrases musicales, la main posée devant mon visage encore appuyé sur le mur, qui finit de se détendre à l'écoute des ultimes notes égrainées. Je reste un temps dans cette position, pour m'imprégner de ce que je viens de vivre, comme chaque fois.

Mentalement allongée dans une herbe verte au milieu de papillons blancs qui entourent nos têtes tournées l'une vers l'autre, je converse avec mon invité temporaire, brodant des paroles grâce au souvenir de la voix entendue à plusieurs reprises dans le hall de l'immeuble.


J'entends son tabouret glisser sur le parquet de son appartement. Puis un bruit de porte, des pas dans le couloir. Je ne peux m'empêcher de sursauter lorsque j'entends frapper, sortant de mon rêve avec une sensation de léger malaise. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Ce pourrait-il que…

Où lire Plume Vive

Tisseuse - Mystérieux voisins

Un beau jour on s’aperçoit
Qu’il n’y a pas que soi
Qui joue de la plume d’oie
Pour tisser des vers de soie

Un jour on réalise
Qu’une âme, parfois grise
Mais sans langue de bois
Cherche aussi sa voie

Mystérieux et si voisins
Mutins et si câlins
De réponds en réponds
Nous mènent vers d’autres sons

Et c’est un tourbillon
Qui nous emmène en rond
Danser la valse folle
Ça sautille, ça caracole

Les mots roulent dans la tête
Les mots sont à la fête
Les mots sont en quête
De jeux, pas si bêtes

Peut-être que leurs anges
Taquins et fort beau
Ont tenté des mélanges
Qui rassemblent leurs maux

Afin que leurs âmes s’en mêlent
Que leurs cœurs s’ensorcellent
Avant qu’il y ait matière
Avant qu’il y ait poussière

Célestine - Mystérieux voisins

Mes voisins sont des gens discrets. Jamais un mot plus haut que l’autre. Leur silence est à peine troublé par les oiseaux. Car leurs jardins aux allées bien ratissées abritent des corbeaux et des merles, qui, dans leurs chamailleries, font tomber les feuilles jaunies sur un rare gazon.
Je ne connais que leurs prénoms.
C’est vrai qu’ils cultivent le mystère, mes voisins. Ils ne s’animent qu’à la nuit. Qui est vraiment cet Hector qui se met parfois au piano, sous la pleine lune, accompagné de Frédéric et de Michel ?
Que peuvent bien se chuchoter, sur les ailes du vent aigre de novembre, Paul et Guillaume ?
Quelles sont ces ombres drapées dans de longues robes diaphanes, Maria et Sarah, devant lesquelles Oscar et Marcel ôtent leurs melons respectueusement ?
Est-ce qu’ils s’embrassent vraiment, Simone et Yves, ou bien est-ce qu’ils s’engueulent, sur ce banc à l’écart, pendant que les deux Pierre jouent au tric-trac ?
Et pourquoi n’y en a-t-il que pour un certain Jim, un bellâtre qu’Edith aurait peut-être appelé Milord…
Seulement voilà, mes voisins ne répondent jamais à mes questions.
Et pour cause. J’habite au 30 rue des Rondeaux.
Et je jouis, de la fenêtre de ma chambrette sous les toits, d’une vue imprenable sur les tombes du Père-Lachaise.
Alors, les avez-vous reconnus, mes chers voisins ?

samedi 28 octobre 2017

Stouf - Mystérieux voisins

La famille pas net

Franchement et à vrai-dire, les gens qui habitent prés de chez moi semblent plutôt bizarres … ils communiquent entre eux seulement grâce à des machines où ils tapent une pauvre chose qu'on peut nommer un clavier et qui comporte des lettres et à la fin ça fait des phrases.

Bien évidemment ils n'habitent pas dans la même maison exactement mais sur à peu-prés le même chemin qui s'appelle le blog des impromptus.
Pour être impromptus, différent de chez pas comme les autres,ça c'est dur !

Il faut montrer doigts blancs et être accepté par la famille Duclavier (cousins cousines,comme une secte millénaire,mais on sait pas qui est la-le gourou-cheftaine) qui parait-il surfe à travers tous les mondes que ça existe sur la terre.

Je me souviens … dans le temps où je tentais une thèse afin de progresser vers un Doctorat de sociologie à Paris-huit, avant de devenir jardinier pour la ville de Paris et ramasser les crottes de chiens des sans domicile fixe puisque je n'avais pas de piston pour une bourse ou une allocation de thèse,j'eus une illumination à la gare du nord de Paris.

Un jour dans pas longtemps nos verbes et nos pensées électriques fuserons à travers le monde comme les milliards de neurones de nos cerveaux !

Bah … c'était il y a un certain temps et maintenant je me repose.

Mais je suis resté fidèle à la cause et nous nous contactons par nos pensées éclectiques une fois par semaine, entre proches voisins.

Remarque … j'en ai d'autres, des voisins, avec qui je cause de vive voix en sortant les poubelles le dimanche soir où en s'invitant les uns les autres entre couples et gosses le week-end

Pourtant … je regrette le temps où les impromptus me laissaient commenter leurs paroles en tant qu'anonyme … mais je semble banni … avec ma vielle bécane et Vista qu'est plus au top.

Bah … vous savez que la sonde Voyager 1 (Lancée il y 40 ans) envoie encore des informations fantastiques à propos des confins de l'univers, calculées avec un ordinateur de 400 MO ?

Ceci-dit,elle circule à 56000 kms grâce à la rotation des planètes et c'est pas mon cas !;o)

Vegas sur sarthe - Mystérieux voisins

Les rastaquouères

Quand on a frappé à l'huis, Germaine a fait un bond dans sa souillarde où elle récurait ses casseroles.
J'ai aussitôt éteint mon poste.
Germaine a juste murmuré "C'est les nouveaux, pour sûr" et elle ajouta en essuyant ses mains sur sa blouse "tu devrais quand même y aller voir"
Alors j'y suis t'été, sans précipitation pour ne pas déranger l'ordonnancement du gravier de mon allée.
Depuis quelque temps des rumeurs sortaient de ma TSF, des gens traversaient les mers sur des nefs de caoutchouc; certains parvenaient sur nos côtes et s'égayaient sans vergogne sur notre territoire pour y jouir de ce qu'ils n'avaient pas chez eux et qu'on trouvait parait-il chez nous.
Ces deux-là paraissaient jeunes mais déjà fatigués... ou fatigués d'être jeunes, bref.
La fille – celle qui avait l'anneau dans le nez comme le taureau de mon oncle Onésime – voulait du biau à léger à moitié écrémé pour son marmot; je traduisis dans notre langue qu'elle cherchait du lait bien qu'elle n'ait pas eu l'intelligence d'apporter un récipient.
Lui – celui à l'allure de fille mais sans anneau – ne disait rien mais il lorgnait par dessus mon épaule à la manière de ces types sournois qu'on croise dans les romans-feuilletons d'Arsène Lupin.
Je les ai sommés d'attendre un moment et j'ai refermé la porte à double tour avant d'aller sans précipitation jusqu'au garde-manger.
Un garde-manger c'est comme un coin à champignons, on ne doit jamais dévoiler où il se trouve.
"Y z'ont d'la chance que la chèvre a bien donné ce matin" aboyai-je à l'attention de Germaine qui avait fini de sécher ses mains sur sa blouse pour me préparer ma collation de dix heures.
J'avais remisé au dessus de l'armoire un bidon de fer blanc de l'ancien monde que je remplis à demi du lait de ma Blanchette; ça fuyait un peu par le fond mais allez demander à un vieux bidon de ne pas fuir.

Je suis revenu à la porte sans précipitation mais ils étaient toujours là, celle avec son anneau et l'Arsène Lupin qui lorgnait toujours.
La fille à l'anneau dans le nez tenait dans les plis de son accoutrement quelque chose comme un paquet qu'elle semblait tendre vers moi.
On avait eu autrefois des voisins qui usaient de cette pratique qui consiste à échanger des services comme on échange des cadeaux à Noël, des cadeaux qu'on compare, qu'on estime, qu'on critique avant d'échanger des mots puis des grimaces, du fiel et des coups!
Le paquet vagissait et bougeait si bien qu'une petite tête frisée apparut, une tête de rastaquouère avec deux grands yeux étonnés, un peu comme ceux de ma Blanchette.
La fille a juste dit "Kevin" comme on lance à un voisin la marque de sa toute nouvelle berline.
"Entre voisins faut s'entraider" a dit le garçon en prenant mon bidon de fer blanc de l'ancien monde comme si c'était une pieuse relique.
On aurait dit que la Sainte famille s'invitait chez moi alors que tant de curés venus quémander le Denier du culte s'étaient cassé le nez sur mon seuil.
J'ai marmonné "C'est pour lui le lait biau à moitié écrémé?"
Evidemment que c'était pour lui, ces deux-là n'avaient pas une tête à boire du lait.
La fille a remballé son moutard car il faisait un brin frisquet ce matin-là; on entrait dans novembre et Germaine allait devoir ressortir mes gilets de flanelle.
L'Arsène Lupin eut un geste par dessus mon épaule et je reculai vivement.
"Bonjour, M'dame" lança t-il à Germaine qui paraissait sur le seuil de la maison "et merci pour le lait!"

J'ai rallumé ma TSF au beau milieu du bulletin d'informations.
Ces deux-là m'avaient fait perdre le fil et en tant qu'ancien sous-chef de gare de la Compagnie PLM, j'avais horreur de perdre le fil en toute circonstance...
Le journaliste de presse parlée évoquait un afflux de migrants qui se pressaient aux frontières de nos voisins et frapperaient bientôt à nos propres portes, puis il enchaîna sur le réchauffement climatique.
"Foutaises! Tu penseras à sortir mes gilets de flanelle, Germaine!" ai-je lancé en fermant mon poste.
J'ai toujours eu une sainte horreur des fictions.

jeudi 26 octobre 2017

Pascal - Mystérieux voisins

La rampe

J’habite au quatrième étage, tout en haut, et je ne prends jamais l’ascenseur, je suis un sportif… sauf quand je remonte toutes ces lourdes commissions ou quand je descends ma modeste poubelle, en vases communicants. Enfin, si, je prends l’ascenseur, comme tout le monde au quatrième…au troisième aussi, je pense, voire au deuxième…

Des années que je vis dans cet immeuble. Je ne parle jamais à personne par habitude ; ici, en hauteur, c’est presque agréable et pas trop bruyant. Les mouettes se posent sur le toit juste au-dessus de mon appartement en criant des histoires de mer. Je crois toujours que ce sont des cerfs-volants égarés qui viennent s’échouer sur la vieille corniche avec ses tuiles en génoise et ses gouttières pleureuses.

Je vis au milieu des livres et cela me va bien. Etre solitaire, ce n’est pas forcément de la solitude pesante. C’est un arrangement avec soi-même, un commun accord intérieur, une entente presque cordiale. Pas d’emploi du temps, pas de rigueur dans mes activités, pas de menus à l’avance ni de plans de comète. La bohème me va bien, elle n’a pas de frontière. Quand la porte « sonne », je sais toujours que c’est une erreur ; je ne réponds même plus, mon judas les ignore...

Je connais sans le vouloir mes voisins et leur smala de gosses. Ils sont bruyants pour ma tranquillité et courent dans les escaliers ; les parents ont l’air toujours en colère, toujours débordés avec des horaires d’école, de repas, de courses aux grands magasins pour faire manger tout ce monde. Ce n’est pas pour moi, tout ça. Parfois ils s’engueulent et je les entends à travers le mur, ça pleure fort, souvent… Les gifles volent bas au Pays de l’éducation…

Je suis bien dans mon pigeonnier. Ceux-là viennent aussi, d’ailleurs, se percher sur les barreaux du balcon. Ils se disputent, avec quelques tourterelles roucoulantes à collier noir, cet emplacement d’envol et toutes les miettes que je leur lance.

Récemment au premier étage, est venue s’installer une dame, une jolie femme à la quarantaine épanouie, toujours sur son trente et un, avec un grand chapeau d’une autre mode et des lunettes noires, même quand il n’y a pas de soleil. On lui a fait son déménagement de fond en comble et, elle, elle ne faisait rien. Cette princesse en costume commandait tout simplement !

Je suis un jeune retraité et, au hasard organisé de ma descente journalière aux poubelles, je l’ai observée, ce jour-là, sans voyeurisme aucun. Il ne se passe jamais rien dans ma vie, alors je visionne celle des autres et j’ai pris l’escalier en douceur, pour aller enquêter…

Elle ne m’a même pas regardé, comme si je n’existais pas et pourtant, j’ai fait du bruit en toussant de la poussière invisible sur son palier en chantier. C’est à peine si elle a tourné la tête de mon côté, en faisant semblant de ne pas me voir. Pourtant, je m’étais rasé, je sentais bon, je m’étais fait beau, pour cette rencontre sur ce palier, dans cette tentative curieuse de faire connaissance. Moi qui ne parle jamais à personne...

A l’emporte-pièce, elle a lancé un petit « Bonjour » fleuri à mon ombre déçue et vexée qui reprenait déjà sa descente rapide. Elle commandait son personnel de déménageurs en location comme une gouvernante ses soubrettes et ils marchaient tous à la baguette ! Et vous savez quoi ? Ils ont même apporté un piano tout en douceur…

Il y a quelques jours, le syndic de l’immeuble a fait installer une rampe, juste pour cette dame, juste pour ses déplacements dans mon immeuble ! Il y en a qui ont du pouvoir quand même ! Et puis, elle se prend notre ascenseur, sans se gêner, du premier ! Elle use du courant ! Pourtant, elle n’allume pas la lumière quand elle se déplace dans les couloirs…

Je la surveille, j’enquête et je n’en parle à personne. De mon balcon observatoire, je vois une voiture qui vient la chercher tous les matins ; un chauffeur bien mis l’accompagne et lui tient la portière. Oui, c’est une princesse pour carrosse, cette femme-là...

Parfois, quand je monte mes escaliers, pour respirer les repas des autres, pour entendre des cris et des pleurs auxquels je ne participerai pas, ou des télés dont je me moque bien de tous les programmes communs, j’écoute son piano sans queue qui délivre ses arpèges harmonieux. Elle joue bien. Je pourrais rester des heures derrière sa porte et me laisser emporter par sa musique visionnaire…

De temps en temps, cette belle dame lointaine se promène au bras d’une amie dans les allées de notre petit parc ombragé. Ses grandes lunettes noires la protègent du soleil aussi, quand il se cache dans les nuages. Je crois que c’est une artiste, une vraie vedette, pour mon petit film intérieur. Elle vient se reposer à l’écart des flashs et des journaux à sensations, c’est sûr. Un jour de courage, je lui demanderai un autographe, au hasard d’une rencontre convenue dans les couloirs, sous les feux de la rampe…

Un matin, je l’ai vue prendre son courrier et sa main tremblait sur la petite clé de la boite, elle s’énervait sur la serrure ; elle a dû penser que je l’avais reconnue et elle ne m’a même pas adressé la parole quand elle a entendu mes pas dans l’entrée. Madame me snobe… Alors, je n’ai pu m’empêcher de la sermonner gentiment, mais avec fermeté, sur les quelques mots de politesse qu’on adresse à autrui, quand on est adulte, dans des circonstances matinales. La belle actrice, sous son grand chapeau, a alors quitté ses lunettes noires pour me regarder dans les yeux et… ses prunelles étaient blanches, absolument blanches, dans la nuit profonde. Elle était aveugle ; j’aurais dû le savoir, mais je ne parle jamais à personne…

mercredi 25 octobre 2017

Tiniak - Mystérieux voisins

Chair ? Paliers !

Leur pas dans l'escalier évoque un bruit de bottes...
Ils sont si familiers des parades obscures
que peut leur chaut d'aller se cogner dans les murs
Ils baillent leurs versets à des corneilles sottes

Elle a le cheveu souple (et ça lui coûte un bras !)
la daronne du poulpe, aux yeux jeunes encore
pour preuve, l'iris vert dont la prunelle implore
une passion sans coulpe avec le gars d'en bas

Venu, d'On-Ne-Sait-Z'où, la cravate défaite
le genre sans le sou, mais le port fier et glabre
suivant l'aléatoire veinure des marbres
d'un doigt, il s'en va relever sa boîte aux lettres

Il semble m'éviter, ce regard, en approche...
Cherche l'autre côté, n'y trouve rien, s'égare
au moment de croiser, prétend un pur hasard
te sonde et s'interroge et rentre dans sa poche

Ah, voici le crapaud, qui parle, parle tant
(plus fort que la phtisie qui lui ronge le pot)
d 'icelle, d'icelui, qu'il oublie son mégot
et crache, au marigot, sa colère sans dent

Tout lui semble incongru, violent, inaccessible
(elle n'a rien connu des bégueules ivresses)
elle est bientôt rendue à ses seules paresses
mais elle hésite un peu car je la prends pour cible

Holistique fourmi des songes parcellaires
tu viens jouer aux échecs à l'heure où tout est dit
et des prises de becs, et des salmigondis
partie pour mendier, partie pour battre fer

Arg, üsh ! Dans l'ascenseur, ça ne sent pas la rose...
Que fait Jack L’Éventreur ? (la police est trop tendre !)
Je ne vais pas grimper ces marches sans m'étendre
- allez ! en quelque vers...- sur de suaves nécroses ?

Nan ! Vraiment pas, ma chair...! Ah, plutôt tout détruire
que brosser un portrait, une marche, un miroir
sans pondre une clameur par ces sombres couloirs
pour y foutre bordel et me rentrer sans bruire

mardi 24 octobre 2017

Marité - Mystérieux voisins

La maison de la demoiselle

La Demoiselle, notre plus proche voisine, avait quitté sa maison quelques années plus tôt pour aller vivre chez des neveux à Paris, son grand âge ne lui permettant pas de rester seule. Depuis, la bâtisse que tout le monde au village appelait le château affichait un air d'abandon, ses portes et volets définitivement clos.

J'aimais me glisser dans le parc par une brèche dans le mur qui entourait la propriété. J'avais découvert ce passage un jour alors que je suivais un chat sauvage qui venait rôder près de chez nous. Moi seule connaissait la fissure et je prenais soin de bien refermer en remettant en place les branches et broussailles qui en masquaient la vue.

Je m'installai sous la basse ramure d'un oranger des Osages et j'y apportais mes trésors. Mais la plupart du temps, je venais là pour m'évader, rêver. La maison ne me faisait pas peur contrairement à mes petits camarades. Elle me fascinait. A moi, elle me parlait, me racontait. Je trouvais qu'elle - comment dire - avait une respiration. J'interrogeais souvent ma mère qui avait travaillé au château pendant la guerre. Je voulais tout savoir sur le père de la Demoiselle, fou de botanique qui avait rapporté de ses voyages toutes les espèces d'arbres exotiques qui poussaient en majesté dans le parc. J'étais chez moi puisque personne n'y venait jamais. Et je m'y sentais bien.

Un jour de juin, alors que je m'apprêtais à entrer par effraction comme d'habitude, j'eus la surprise de voir les grilles du haut portail poussées. J'ouvris de grands yeux : la lourde porte de chêne de l'entrée était entrebâillée et les volets ouverts. Une entreprise de nettoyage était à pied d'œuvre je me demandais bien pourquoi.

Une semaine plus tard, une voiture aux vitres teintées s'engagea dans la propriété. A partir de ce moment, je ne pus en détacher mon regard. Je m'aventurai sans cesse aux abords de l'enclos. Il y avait là un mystère : la voiture allait et venait mais on ne voyait jamais ses occupants. Il se murmurait que des cousins de la Demoiselle résidant à l'étranger passaient leurs vacances au château et qu'ils étaient un peu bizarres.

Qui étaient-ils et pourquoi ne se montraient-ils pas au village ? Je me postais chaque après midi derrière un des piliers du portail et j'observais sans me lasser. J'attendais. Il fallait bien qu'il se passe quelque chose. Je n'eus pas longtemps à patienter. Enfin, je la vis. Une petite fille très brune, en robe rouge faisait les cent pas sur la terrasse, les mains nouées derrière le dos. Elle semblait avoir à peu près mon âge, une dizaine d'années. Elle ne jouait pas et paraissait se morfondre.

Elle finit par percevoir ma présence et lançait fréquemment des coups d'œil vers le portail. Le manège dura 3 ou 4 jours. Puis elle s'avança résolument vers moi. Je ne bougeai pas, soudain intimidée. Nous restâmes un moment figées, à nous dévisager. Je tendis la main mais elle ne la prit pas. Je donnai mon prénom mais elle ne comprenait pas. Je réalisai qu'elle ne parlait pas français.

J'allai partir, déçue quand elle prononça, en pointant son index vers elle : moi, Marisabel. Toi ?

A ma grande surprise, elle sortit du parc. Comme nous ne pouvions pas communiquer par des paroles, nous résolûmes d'une commune entente d'accorder nos pas. Et commença alors une amitié éphémère dont je garde un souvenir merveilleux.

Je revins chaque jour de cet été là. Chaque jour, Marisabel m'attendait. Nous entreprenions de longues marches qui nous emmenaient fréquemment au ruisseau. Quel bonheur de s'éclabousser en riant aux éclats ! Souvent ses belles robes ne résistaient pas à nos courses vagabondes mais elle s'en moquait. Rien n'aurait pu l'arrêter dans sa frénésie de liberté et je l'aimais pour ça. Escalader les talus, courir après les papillons, cueillir des brassées de fleurs des champs, s'étendre dans les herbes fraîches, harassées. Nous vivions des heures hors du temps, ce temps si précieux de l'enfance.

Puis la voiture noire partit un matin emportant tous ses mystères. Je ne sus jamais de quel pays venait ma belle amie et je ne vis jamais ses parents. J'avais le cœur lourd, n'ayant pu lui dire adieu. Elle me manquait tellement. Je repris alors mes errances dans le parc de la Demoiselle, cherchant partout Marisabel.

Je pensais parfois que j'avais rêvé cette aventure mais en fermant les yeux, je voyais une fillette en robe rouge qui me souriait depuis le perron. J'entendais son rire en cascade et je pleurais.

Joe Krapov - Mystérieux voisins

DANS UN PAYS PAS TRÈS LOIN D’ICI

Mystérieux voisins
Qui nous parlez trois langues
Et, disant même plus,
Inventez à foison des insultes !

Mystérieux voisins
Qui pissez comme je pleure sur les femmes infidèles
Et rêvez cependant qu’elles ne vous quittent pas !

Mystérieux voisins
Qu’allons-nous faire chez vous
Où tout finit très mal ?
Waterloo, morne plaine,
Waterzooï, morne plat
Avec lequel Verlaine,
Un jour d’ivrognerie,
Empoisonna Rimbaud
Son horrible âme sœur,
Y adjoignant, farceur
D’un coup, un pistolet
Qu’il avait acheté
A la boulangerie
De la rue des Brasseurs !

Mystérieux voisins
Qui nous donnez l’exemple
Et personne ne suit !
Vous qui avez su, plus d’un an,
Vous passer de gouvernement !
Et c’est pourtant chez vous
Que naissent les directives,
Que naissent les directions
Des canaux qui se pendent
Entre les tours de Bruges et Gand.

Mystérieux voisin
Dont l’emblème si fier
Dans les yeux de sa mère
N’est qu’un gamin cul nul
Qui pisse dans la rue
Tout le fleuve de bière
Que des trappistes ronds
Avaient versé en son
Tout premier biberon !

Mystérieux voisins
Qui vous prenez parfois,
Avec un Martini,
Pour un Mussolini
Que, pourtant, sans rien dire,
Blondes comme le houblon
Des Flamandes font danser
Une courte saison
Puis laissent ronronner,
Lézarder au salon.

Mystérieux voisins
Ceci n’est pas une pipe
Ni même un casse-pipe !
Fume quand même, c’est du Belge !
Je serai le dernier qui vous prendra en grippe :
Il n’y a ni tirage
Ni grattage
A ce Rigoloto
Entre les Hauts de France
Et les Bas de Belgique,
Juste un peu de surréalisme,
D’écriture autoTCmatique.
Putain putain c’est vachement bien
Nous sommes quand même tous des Européens !

Je ne vous raconterai pas d’histoires :
Nous sommes ici comme à Ostende,
Les filles sont chouettes aux bords de mer,
Il suffit de savoir y faire
Et de leur plaire
En les faisant sourire
Et rire.

Est-ce qu’on franquin le Rubicond
Quand Lagaffe se fait teindre en blond ?
Est-ce que Mademoiselle Jeanne
S’appelle désormais Beulemans ?

Une seule chose est certaine
Au moment de tourner l’Apache :
J’ai oublié Sttellla, Simenon, Verheggen,
Julos dans sa gayole et son pull arc-en-ciel
Et madame Chapeau et des tas d’autres fous,
Mystérieux voisins !

Mais un truc est certain :
Dans les fiches des R.G.
J’ai retrouvé Tintin :
Il a fondé famille
Et travaille dans la pub !


Laura Vanel-Coytte - Mystérieux voisins

Ce matin, de mystérieux voisins

Ce matin, de mystérieux voisins
Se sont installés au dessus du magasin.
C'étaient de bizarres voisins
Qui avaient un chat abyssin
Avec des yeux de lapin.
Le père avait l'air d'un assassin
Qui aurait tué un argousin
La mère avait un bustier en basin.
Ils ont mis des carassins
Dans le joli petit bassin
Au beau milieu du jardin
Le couple avait avec lui un cousin
Qui se baladait avec un coussin.
Il était habillé en fantassin
Et faisait sans cesse des dessins
En mangeant des gressins.
Tout au bout d'un lusin
La femme baladait un marcassin
Chaussés de petits mocassins.
Autour de leur bassin
Tournait des gros poussins
Le père était vêtu d'une grappe de raisins
Et d'un chapeau de spadassin.
Au loin sonnait le tocsin.
Ce matin, de mystérieux voisins
Se sont installés au dessus du magasin.


Où lire Laura

lundi 23 octobre 2017

Andiamo - Mystérieux voisins

Douleur.

Ernest Chapoutier était un petit bonhomme sans histoire, célibataire, on aurait pu dire vieux garçon, un Monsieur "tout le monde", modeste employé de bureau. Il avait eu un mal de chien à passer à l’informatique quand, dans les années soixante-dix, la compagnie d’assurances qui l’employait, "Le Gagne Petit", s’était informatisée.
Il avait bien fallu s’y mettre sous peine d’un licenciement au motif de manque de compétences !
Pourtant, quelques années plus tard, cette même compagnie avait fait faillite, laminée, broyée, mise en pièces par sa concurrente et rivale : "La Musaraigne".
Chapoutier s’était retrouvé demandeur d’emploi, terme moins affligeant que celui de chômeur, mais c'était la même affaire !

Un soir, alors qu’il rentrait d’un entretien avec un employé de l’A.N.P.E., il croisa dans le couloir, son voisin, Séraphin Calanchard, veuf de son état et sans enfants.
- Bonsoir, cher voisin ! Je sais que vous êtes en recherche d’emploi ?
- Euh oui… avait balbutié Chapoutier.
- Ecoutez, si cela vous intéresse, un poste vient de se libérer à "La Musaraigne", la compagnie d’assurances dans laquelle j’assume une certaine responsabilité en tant que chef de bureau, avait-il prononcé avec un ton suffisant, et je peux vous recommander, si cela vous convient, bien évidemment.
- Merci, Monsieur Calanchard, ce sera avec grand plaisir, et je saurai me monter digne de votre confiance.

Pourquoi avait-il ajouté cela ? Rentré chez lui, il en eût honte. Faire partie de la compagnie qui avait été la cause de tous ses malheurs… Quelle humiliation !
On ne pouvait pas dire que Calanchard harcelait Chapoutier, non, c’était beaucoup plus insidieux et pervers, chaque jour et plusieurs fois dans la même journée, ce chefaillon relevait les fautes de frappes ou les erreurs bien minimes commises par son subordonné.
- Allons Chapoutier, ça n’est pas BIEN grave, mais tout de même il vous faudra faire plus attention la prochaine fois, n’est-ce-pas ?
- Oui, bien sûr, Monsieur Calanchard, s’entendait balbutier Ernest Chapoutier, encore un peu plus mortifié, à chacune des remarques de ce trou du cul imbu de sa petite personne.

Un jour, Calanchard proposa à Chapoutier de l’accompagner au stand de tir dont il était membre.
- Je suis inscrit dans un club dans lequel nous pratiquons le tir à l’arbalète, vous devriez m’accompagner un samedi matin, vous verrez, c’est très intéressant.

Afin de ne pas déplaire à son chef plus que par goût, Chapoutier s’inscrivit, prit une licence et s’acheta une arbalète. Bien sûr, pas du haut de gamme, ses modestes moyens ne le lui permettaient pas,
Tous les samedis, Séraphin et lui se retrouvaient au stand de tir. Calanchard l’emmenait dans son automobile, une golf VW. Tout au long du trajet, pas très long fort heureusement, Calanchard lui vantait les mérites et la supériorité des voitures allemandes. Chapoutier n’avait jamais passé le permis donc… pas de voiture.
Ça agaçait fortement Ernest, mais l’humiliation était à son comble lorsque, au stand, Calanchard, d’un carreau (nom donné aux traits de petites dimensions) aussi précis que bien ajusté, frappait la cible dans le "MILLE".
Douleur ! hurlait le maître d’armes, c’est l’expression consacrée, lorsqu’un trait, un carreau ou une flèche atteint le cœur de la cible.
Jamais encore Ernest Chapoutier n’avait entendu crier "douleur" lorsqu’il tirait, s’appliquant, ajustant, transpirant, retenant son souffle, immanquablement, le trait allait se ficher loin du centre.
Jamais il n’avait fait mouche, atteint le mille tant espéré !

Et l’autre salaud, condescendant, le gratifiait d’un "ça viendra mon vieux Chapoutier, ça viendra !"
Un soir, alors qu’il était à sa fenêtre, il vit pour la énième fois sa voisine d’en face de l’autre coté de la cour qui se déshabillait. Elle prenait son temps, sachant que l’autre voyeur, ce Chapoutier, la matait !
Une fois, elle l’avait humilié : la croisant dans la rue, il avait osé l’aborder. Ses longues séances d’observations lui donnaient toutes les audaces, pouvoir serrer ce corps, caresser cette opulente poitrine que pratiquement chaque soir elle offrait à sa vue…
- J’aimerais Mademoiselle vous offrir un café, nous sommes voisins et…
- Ah oui ! C’est vous qui me matez chaque soir, je vous reconnais, vieux pervers !

Sous l’insulte, Ernest était resté sans voix, puis avait rougi. La plantureuse l’avait regardé droit dans les yeux, puis avait tourné les talons, accompagnant cette volte d’un grand éclat de rire. Chapoutier en avait gardé une rancune tenace.
Légèrement en retrait, il l'observait, elle prenait des poses, langoureuse femelle, balançant les hanches au rythme de "Summertime" divinement chanté par Ella Fitzgérald. L’aguicheuse transpirait un peu sous les aisselles, Ernest avait horreur de ça, alors il lui vînt une idée.
Faire d’une pierre deux coups, ou plutôt d’un trait deux vengeances.

Les portes des appartements se verrouillaient à l’aide d’antiques serrures actionnées par des clés en ferraille, énormes. Se procurer tout un trousseau au marché aux puces de Saint-Ouen fut un jeu d’enfant.
Un soir, Ernest alla frapper à la porte de son voisin :
- Monsieur Calanchard, vous êtes là ? C’est votre voisin, Chapoutier !
La porte s’ouvre, Calanchard est là, sans cravate, des pantoufles du "Docteur Jéva" aux pieds, il lève les sourcils en signe d’interrogation.
- Monsieur Calanchard, c’est mon anniversaire, aussi j’ai pensé que nous pourrions arroser ça, j’ai justement une vieille bouteille de calva, qui m’a été offerte, il y a un certain temps, par un cousin qui habite près de Caen.

L’œil interrogateur de l’interpellé fait place à un œil brillant et enjoué. Chapoutier avait observé à l’occasion des rares "pots" donnés, un départ à la retraite ou les veilles de Noël, que le père Calanchard ne crachait pas sur le goulot !
- Mais ce sera avec plaisir !
Les voilà tous les deux dans l’appartement de Chapoutier, deux verres, une bouteille presque pleine d’un joli liquide ambré, signe d’un long séjour en fût de chêne avant la mise en bouteille.

A la tienne, à la mienne, les verres se vident et se remplissent… Enfin surtout celui de Calanchard, car Ernest boit très peu, c’est toujours le même verre qu’il tient et qu’il vide de temps en temps, discrètement, dans le vase vide posé sur la table. Au bout de deux heures, la bouteille est quasiment éclusée.
Alors Calanchard se lève en s’agrippant à la table, il titube et, d’un pas plus qu’hésitant, se dirige vers la porte.
- Eh bien, mon vieux Ernest, tu permets que j’t’appelle Ernest ?

Le voilà qui se met à l’appeler par son prénom et à le tutoyer !
- Bien sûr, Monsieur Calanchard.
- Il me semble que j’en tienne une bonne !

Il sort sur le palier, se dirige d’un pas mal assuré vers sa porte, avec beaucoup de peine, trouve le trou de la serrure, ouvre et entre chez lui, à nouveau le grincement de la clef, Calanchard a refermé sa porte.
Chapoutier ne s’est pas couché, il attend. Une heure s’est écoulée depuis le départ de son voisin, il se lève calmement, enfile une paire de gants en latex, qu’il a pris la précaution d’acheter dans une pharmacie éloignée de son quartier.
En face, la mère j’t’allume commence à onduler de la croupe, les fenêtres de son appartement sont grandes ouvertes, en cette fin de juin torride. La musique lui parvient…

Summertime and the living is easy.
Fish are jumping and the cotton is high

Il se faufile dans le couloir, muni du trousseau de clés acheté aux puces : "je les collectionne" avait-il menti au vendeur. Après quelques essais infructueux, il déniche enfin la bonne clé et, lentement, déverrouille la serrure.
Le cœur battant, il pousse la porte de l’appartement de Calanchard, ce dernier ronfle comme une locomotive, il est affalé en travers du lit, ses "Jévas" pas même retirées. Il cuve, songe Ernest.
Il se rend à la fenêtre, l’ouvre : l’aguicheuse commence son effeuillage, il fait très chaud malgré l'heure tardive, les fenêtres de la plantureuse sont grandes ouvertes.

Oh your dad is rich and your mam’ good looking.
So hush little baby don’t you cry.

Sur le sommet de l’armoire, Ernest repère l’arbalète, il se hisse sur la pointe des pieds, saisit l’arme, une arbalète "TWO-POINT LX", un engin haut de gamme, deux mille euros au bas mot songe Ernest. Il n’a aucun mal à trouver les « carreaux », bien rangés dans un carton.
Alors, posément, calmement, Ernest arme l’arbalète de son voisin, se rend à la fenêtre, la voisine a dégrafé son corsage, elle ne porte rien dessous, ses énormes seins ballottent un peu.
Ernest peut voir les auréoles dues à la transpiration qui ont marqué le corsage sous les aisselles, il a une moue de dégoût. Il ajuste calmement la femme, retient son souffle...

One of these mornings.
Your going to rise up singing.

Il presse la détente, le trait part, et touche la strip-teaseuse en plein cœur... DOULEUR ! crie Chapoutier tandis qu’elle s’écroule sur le plancher !

Then you’ll spread your wings…

Le lendemain, quand les policiers débarquent chez Monsieur Séraphin Calanchard, irréprochable chef de bureau dans la vénérable compagnie d’assurances "La Musaraigne", ils trouvent un homme pas rasé, vaseux, une tasse de café à la main, sur la table, bien en évidence… Une arbalète.

Où lire Andiamo

Semaine du 23 au 29 octobre 2017 - Mystérieux voisins

Nous avons passé toute la semaine écoulée en compagnie de souvenirs de voitures.
A présent il est temps de s'intéresser aux "Mystérieux voisins" :)
Quelle que soit votre inspiration sur le sujet, nous attendrons vos textes en prose ou en vers d'ici dimanche 29 octobre 2017 minuit à l'adresse habituelle impromptus[at]gmail.com

Bonne semaine à tous !