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dimanche 10 décembre 2017

Pascal - Une page qui se tourne

Johnny

En première page, et en immenses caractères noirs, l’annonce du décès de son idole lui saute aux yeux ; tout à coup, il fait nuit ; tout à coup, plus rien n’a d’importance ; tout à coup, c’est la fin du monde. La catastrophe l’assomme ; une partie de lui reste paralysée comme si elle ne voulait plus avancer. Terrible tsunami, la vague intempérante du désespoir vient de le submerger ; lui, le grand gaillard aux bras tatoués, aux biceps proéminents, à la barbe grisonnante, au bandana en travers du front, frissonne avec des intenses tremblements qu’il ne peut contenir. Tous ses gestes sont dans le désordre ; il a fait tomber le sucre à côté de sa tasse et il touille dans le vide…

Le cinquantenaire pleure au bord de sa table, les larmes débordent par-dessus ses lunettes noires ; au diable, son ego. Mais il le savait qu’il était malade ! Il le savait qu’il se battait ! Les dernières nouvelles étaient même optimistes ! Il était confiant ! Son idole a toujours relevé les défis jusqu’à les porter à la victoire ! Il peut bien relire les articles, les apprendre, les arranger dans un ordre plus optimiste, ils ne changent pas une virgule ; comme un film au dénouement triste, ils finissent toujours par cette tragique annonce.
Irrésistiblement, ses larmes agrandissent encore les caractères du journal, rendant la nouvelle encore plus terrible… 

Ce matin, comme tous les autres, il avait enfilé son blouson, son casque et ses gants ; il avait donné un coup de kick à sa machine et il avait avalé du bitume, comme ça, juste pour le bonheur de la liberté en deux roues. Il avait garé sa machine devant son bar habituel, commandé son café, et ce p… de journal traînait sur la table d’à côté…

Des milliers d’images en couleur, et autant de musique en stéréo, défilent derrière ses yeux et troublent son entendement chamboulé. « l’Olympia », « Pour moi la vie va commencer », « Sylvie », « Le Stade de France », « Que je t’aime », son premier quarante-cinq tours, son premier « Salut les Copains », son premier poster, les interviews, les émissions de variété, tout se mélange sans qu’il ne puisse arrêter la roue emballée de ses souvenirs…

Et son premier autographe ! Celui qu’il n’a jamais eu ! Il y a des années, après la fureur du spectacle, les décibels des « L’Envie, Marie, Laura, » et toutes les autres, il était resté des heures à attendre son idole, à la sortie d’un concert ! Bravant les intempéries, il n’y avait plus que lui dans la rue redevenue sombre. Il s’était rechanté inlassablement « Le Pénitencier, Ma Gueule, Noir c’est Noir » et toutes les autres, comme des ritournelles qu’on ne peut pas s’enlever de la tête. Bien sûr, c’était prévu, il s’achèterait le dernier trente-trois tours, celui de cette tournée avec les « Mirador, Sarah, Je T’attends » et toutes les autres, comme des prières qu’on écoute en boucle…

Tout à coup, un type un peu grand, un peu blondinet, était sorti par une petite porte dérobée ; une boucle d’or brillait sur un coin de son oreille. Une cannette de bière dans une main et une clope dans l’autre, le nez en l’air, il regardait les étoiles comme s’il les connaissait. Un garde du corps, avait-il pensé, tout en se planquant un peu mieux derrière sa bécane de l’époque. Son idole allait sortir… Et si c’était Lui ? ne put-il s’empêcher de penser, tant ses espoirs rallumés l’avait appelé et rappelé pendant ces interminables heures d’attente…

Enfin, il se décida… La star tirait tranquillement sur sa clope quand il arriva à sa hauteur. Imaginez la tête du plus fervent de ses supporters ! Il touchait le Graal ! Devant ses yeux, il voyait tous les numéros gagnants de la Loterie Nationale ! Il pouvait toucher son héros, son mentor, son Dieu ! Pour un peu, il se serait mis à genoux devant son idole !...

Le chanteur souriait avec un de ses sourires qui met naturellement dans sa poche un public chauffé à blanc de quatre-vingt mille personnes ; magnanime, il lui tendit sa bière. « Prends et bois, c’est ma bibine… » pensa notre inconditionnel disciple, en attrapant machinalement la bouteille. Il avait tant de questions à poser, et l’artiste tant de silence à opposer en échange, qu’il en oublia ses demandes. Pourtant, il aurait bien aimé lui raconter qu’il connaissait toutes ses chansons par cœur, qu’il avait tous ses disques, ses affiches, qu’il l’avait suivi pendant toutes ses tournées, qu’il avait souvent oublié de manger pour pouvoir se payer un billet d’entrée ; il voulait lui confesser qu’il pensait, qu’il respirait, qu’il dormait, qu’il vivait Johnny, en un mot ; il se dit que l’artiste savait tout cela…

Ils partagèrent l’instant en communiant avec cette même clope ; la fumée blanche qu’ils soufflaient avait la même haleine. Comme deux potes qui s’apprécient ils discutèrent ; ils discutèrent des étoiles, de la fraîcheur de l’aube et de la tiédeur de la bière. Affable malgré la fatigue, Johnny lui donnait une représentation grandiose ; l’éclat de ses yeux bleus en était les spots les plus brillants. N’est-ce pas le devoir d’une véritable légende que de l’entretenir ?

La bouteille de bière était vide, la clope était consumée jusqu’à brûler leurs doigts. Un autographe ! Un autographe ! Rien qu’un seul pour justifier cette extraordinaire rencontre ! Autrement, jamais on ne le croira ! Ni l’un ni l’autre n’avait un stylo ! Johnny lui serra chaleureusement la main comme s’ils étaient deux potes, comme s’ils allaient se revoir ; tel un extraterrestre regagnant sa planète, il lui fit un dernier signe amical et il disparut derrière la petite porte dérobée…

Tout s’effondre et tout s’illusionne en ruines, le ciel n’est plus bleu, le vent n’est plus tiède, l’horizon n’est plus irréel, ni rempli d’intentions futuristes. Concasseuse, la brutale solitude est effroyable ; il vient de croiser la Mort, son baiser a un goût de sang dans sa bouche.

Ce matin, il voudrait ne s’être pas levé, il voudrait reculer l’échéance de ce jour funeste, il voudrait ouvrir les yeux pour sortir de cet effroyable cauchemar.

Le long du trottoir, son Harley rutilante lui fait des appels de phare, quand un rayon de soleil s’attarde sur le chrome des échappements ; il l’a rejointe, a ouvert une des deux sacoches, en a extirpé un objet précieusement protégé dans des chiffons propres. Puis il a déballé son trésor-fétiche ; en regardant le ciel, et comme s’il embrassait un vrai ami, dans un cérémonial d’autel, il a porté à ses lèvres le goulot d’une bouteille de bière vide depuis si longtemps. Puis il a rangé ses reliques sacrées dans la sacoche. Enfin, il a enfourché sa machine, enfilé son casque, emballé son moteur et il est parti en pétaradant dans l’Aventure du Néant. Il ne reste dans l’ambiance qu’un peu de brouillard d’échappement bleue et les pages du journal qui tournent à l’envi des courants d’air…  

Stouf - Une page qui se tourne

Avis à la population

Mesdames et messieurs, vous n'êtes bien sûr pas sans savoir que parfois une page se tourne dans toute vie d'être humain. Johnny est mort !
Que dis-je, il ne s'agit pas là d'un être humain mais d'un dieu.
Sa vie sur terre est terminée et celle d'ailleurs l'attend elle a déjà commencé.

Ainsi je vous propose de vous recueillir à genoux devant votre télé TF1 afin d'honorer le début de putréfaction de son corps lors de son dernier voyage sur terre.
De lever bien haut vos bras vers le ciel et puis de plier votre corps afin que votre front touche le sol. Les handicapés physique assis dans un fauteuil roulant ou allongés dans un lit en sont bien sûr dispensés.
Bientôt monsieur le curé Macron fera son discours afin de discourir et vous pourrez zapper et continuer votre vie dénudée de tout intérêt mais emplie de crétineries accablantes.
Vous pourrez même l'écrire sur un blog impromptu.

Elle n'est pas belle la vie ?
Cependant, la société Borniole and co que je représente vous propose, à moindre frais, un dernier voyage collectif merveilleux, une nouba d'enfer, un suicide salvateur dont vous vous souviendrez durant toute votre mort.

Vive Johnny... d'ailleurs, une amie émigrée d'un territoire français entouré par la mer et qui se nomme Saint-Barthélemy et qui vit chez nous puisqu'elle n’a plus rien depuis que passa une certaine Irma m'a dit tout à l'heure.

- Bah … votre Johnny va être enterré chez nous ?
Qu'importe, nous n'en sommes plus à une catastrophe prés.

You tube (Hubert Félix Thiéfaine)

samedi 9 décembre 2017

Mamée - Une page qui se tourne

« Tourner une page » …

La vie est un livre !
De jour en jour il s’écrit !
D’année en année, il grandit !
Une page en ouvre une nouvelle
Dont une autre dépendra à son tour.

Tourner les pages du livre de la vie
Est un geste sage…
En prenant bien le temps
De savourer au passage
L’éventuelle douceur d’un moment.

Tourner une page du livre de la vie
C’est en ouvrir une autre
Sans oublier la précédente
Dont elle dépend évidemment.

Tourner une page de notre vie !
Parfois pour oublier un dur moment…
Parfois pour pardonner …
Parfois pour mieux aimer…

Tourner les pages sans regret
Sans rancune ou culpabilité
Simplement avancer dans le livre
Continuer l’histoire jamais terminée …

Après un éventuel conflit,
Tourner cette page de notre vie
Surtout sans la déchirer !
Ce qu’elle dit nous a appris…
Elle devait être écrite
Nous a fait avancer !

Tournent, tournent, les pages du livre de la vie …
Qu’elles aient été douces ou amères,
Qu’elles aient apporté joie ou tristesse
J’aimerais pouvoir encore en écrire quelques lignes,
En tourner quelques pages …

Lilousoleil - Tourner la page

Elle avait attendu quelques minutes dans le hall de l’immeuble tout en jetant un œil sur les boites aux lettres. Elle ne reconnut aucun nom… A quoi s’attendait-elle au juste ? Que le monde s’arrête de vivre, que le temps arrête de s’écouler ? Arrivée au quatrième étage la porte de l’appartement était restée la même ; elle le sut en voyant la petite écaille de vernis, celle-là même qu’elle avait faite un jour avec sa clef. Derrière elle la concierge attendait. Nouvelle elle aussi !  Qu’attendait-elle ? Ah oui un pourboire certainement ; pauvre Mélanie, elle avait perdu les bons usages, les bonnes habitudes ! Elle n’avait pas demandé à ce qu’on lui  porte ses valises, elle avait juste demandé les clefs que la secrétaire de l’avocat avait déposées chez le gardien. La femme avait fait le ménage…. Vite fait car à l’intérieur rien … l’appartement était vide. Tout avait été enlevé, les jolis meubles de la chambre, la bibliothèque dont sa mère était si fière…Il n’y avait que les meubles de cuisine sûrement qu’on n’avait pas pu les desceller et dans la salle de bain un rideau en plastique, détail trivial trempait dans un bac à douche sommaire et méconnaissable.  Pourtant l’appartement avait été aéré aucune odeur de renfermé ne flottait. D’une voix blanche, elle remercia la concierge qui glissa dans sa poche le billet de 20 euros que Mélanie lui tendit. Elle avait du mal avec les euros ; quand elle avait été incarcérée on avait encore les francs et la conversion lui était difficile. Elle ferma la porte, le verrou avait été changé remarqua-t-elle. Elle se dirigea vers la cuisine, ouvrit un placard, vide, pas un verre…. Elle avait soif, elle but dans ses mains au robinet dans l’évier, se dirigea vers la porte-fenêtre dont elle tira le store ; il grinça un peu puis finit par accepter de se relever. Un pas, elle fut sur le balcon, large, recouvert de tommettes grises, il donnait dans la cour intérieure, elle reconnut la fontaine qui à cette époque ne coulait pas, les pavés usés, les arcades qui donnaient accès aux entrées d’immeubles, les arbres qui faisaient le bonheur des chiens. En face d’elle une trouée entre les constructions ouvrait sur la petite place dite de la République, au loin le parc… C’est alors qu’elle entendit au dessus d’elle un bruit, un bruit familier, le bruit jamais oublié. D’un bond, un chat roux atterrit sur le balcon… Il s’approcha d’elle d’abord méfiant, il la flaira puis se frotta contre ses jambes.  Les larmes aux yeux, elle se baissa, et murmura : « Brave Perlette, tu es toujours là, tu as vieilli mais tu n’as pas changé… Tu dois avoir quinze ans au moins ». Elle frissonna tout à coup malgré l’air tiède et allégé du printemps ; il lui fallait ouvrir ses valises. L’une contenait sa maigre garde-robe, l’autre quelques papiers importants et quelques livres… Il lui fallait tourner la page !

TomTom - Une page qui se tourne

Idole des jeunes des années soixante
Devenue symbole des vieux d'aujourd'hui
Ces baby-boomers à la vie arrogante
Observant leur descendance peu épanouie

Dans une France terne et conservatrice
Le rock and roll il a su populariser
Et la jeunesse il a soudain électrisée
Lui, disciple francophone du King Elvis

Infidèle, exilé fiscal et flambeur
La sincérité de l'homme l'a emporté
Et des nombreux excès aux histoires de cœurs,
Tout un pays le guette : une star est née.

Un jour, le ventre du Roi fît de l'ombre au rock
Mais son beau double hexagonal reste debout
Et face aux modes, s'entoure de jeunes loups
Prêts à lui offrir de nouveaux tubes chocs

Des sosies fanatiques aux snobs parfois cruels
Tous se passionnent pour la santé du mythe
De chutes en rémissions on le croit immortel
Tandis qu'il prépare un concert insolite

Le gros crabe n'atteint ni voix ni charisme
Mais éteint le corps de l'étoile dans la nuit
Pleurent des millions d'amours, des millions d'amis
Ainsi disparut Johnny, héraut de Memphis.

Où lire TomTom

vendredi 8 décembre 2017

Jacques - Une page qui se tourne

Une page qui se tourne

Une année. Assez conventionnellement, et avec une incertitude liée à la longitude à laquelle je me trouve à cet instant, advient la remise à zéro des statistiques, et la cohorte des résolutions qui deviennent applicables. Vite, oublier l’année écoulée, et repartir d’un bon pied.
Encore une page qui se tourne.

Un mois. Une période plus floue, le premier jour travaillé, le virement de l’employeur et la trésorerie domestique qui redevient sans histoire, la perspective des anniversaires, des commémorations, des vacances : tous ces jalons, récurrents, qui font que ce mois n’est pas le même que le précédent.
Encore une qui se tourne.

Une semaine. C’est lundi, écrire le numéro de la semaine au feutre fluorescent jaune, et repasser le tour des lettres au stylo noir pour en accroître la lisibilité, en haut d’une nouvelle page du cahier. Au propre comme au figuré, encore une page qui se tourne.

Un jour. Blême, pas encore levé d’ailleurs. La routine du matin et sortir dans la nuit de l’hiver.
Encore une page qui se tourne.

Une heure. Longtemps, j’ai guetté la remise à zéro synchrone des minutes et des secondes, virginité fugitive de la datation, et dans le compte à rebours de la journée qui s’étire, fastidieuse.
Encore une page qui se tourne.

Une seconde. Diastole, systole. Chaque seconde, la contraction du ventricule gauche propulse dans les artères environ cent millilitres de sang fraîchement oxygéné, apportant une seconde d’espérance de vie supplémentaire. Chaque seconde, la contraction du ventricule droit expédie le même volume pour nettoyage dans les poumons, qui le débarrassent du gaz carbonique, et tant pis pour l’effet de serre.
Toujours, une page qui se tourne.

Dans l’indifférence ordinaire, soupir noyé dans une histoire pleine de fureur et de bruit.

Où lire Jacques

Gene M - Une page qui se tourne

Johnny est mort, une page se tourne. Andiamo en a si bien parlé que je n'ajouterai pas grand chose.
Il avait surgi dans ces années 60 si corsetées, si pleines de préjugés et nombre d'ados avaient été séduits. Avec lui, c'était l'Amérique, aussi bien James Dean que  Presley !
Johnny, une tornade qui avait balayé la torpeur des années 60.

Une page qui se tourne, cette expression pour moi rime avec Jamais Plus !
Et cela m'emplit de mélancolie.

Célestine - Une page qui se tourne

L’amer de l’amour

Ah mon doux Arpenteur quel regret que la vie !
On passe et on se lasse et un jour on s’éveille
Et l’on trouve, au matin une amère merveille :
On aimait. Et malgré cet amour, on partit…

Quelle erreur de quitter un homme tel que toi !
Un gourmand de l’amour, un esthète des sens…
Tu savais me donner, me frôlant de tes doigts,
Un plaisir qui menait jusqu’à l’incandescence.

Ce que nous aimions tant, mon amour, souviens t’en,
C’était, main dans la main, d’arpenter cette plage,
Et sur le sable fin, nous remontions le temps,
En jouant à nos jeux d’enfants pas vraiment sages.

C’est dans le clapotis de la vague naissante
Que tu déshabillais mon corps brûlant de toi.
Et que tu m’emmenais sur des hauteurs troublantes,
Où l’écume des jours trahissait mon émoi…

Ah ! Que n’ai-je gardé cet amant émérite
Qui savait les caresses et retenait le vent ?
Pourquoi ai-je tourné cette page maudite
Te laissant à jamais comme un soldat errant ?

Que n’ai-je retenu tes mains sur mes rondeurs,
Ta bouche sur mes seins et ton corps dans le mien ?
Et que n’ai-je souri à tes élans de cœur
Plutôt que de partir comme l’ombre d’un chien ?

Pourquoi ai-je donc fui le bonheur de tes bras
De peur qu’il ne se sauve au bout de la jetée ?
Et voilà, aujourd’hui la vie me jette à bas
Comme l’ancre rouillé de ma stupidité.

Où lire Célestine

jeudi 7 décembre 2017

Assoula - Une page qui se tourne

La page se tourne

La page se tourne
Le couple a éclaté
Elle lui dit sans détour
Qu’elle va le quitter


Ç’aurait pu être une belle histoire
Mais la page se tourne
Un couple mixte, un enfant, de l’amour
Mais elle a tout tenté, Il est trop tard

Elle part avec valises et souvenirs
Prise de vertiges, tout tourne autour d’elle
Ainsi la page se tourne
Elle ne veut plus souffrir

Elle ne laisse rien derrière elle

Les murs retiendront ses pleurs sourds
Elle part libre comme l’air
C’est ici que la page se tourne


Où lire Assoula

Arpenteur d'Etoiles - Une page qui se tourne

L’amour à la mer

L’amour s’est couché nu sous ta source féconde
Et longtemps le soleil a caressé tes reins ;
Plus vaste que la mer, une houle profonde
Emprisonna ton ventre pour le nouer au mien.

Longtemps j’ai voyagé aux plages de ton corps,
Ancré aux rochers blancs de tes hanches mouvantes,
Mes yeux dans ton regard, comme au cheval son mors,
Dompté par la douceur d’une cruelle amante.

Dans ce temps suspendu mes lèvres t’embrassaient :
De toutes tes senteurs, je devais m’enivrer,
Et le monde en entier alors se réduisait
Au baiser doux-amer de ton souffle salé.

Longtemps j’ai vu danser, comme les soleils se couchent,
Les orbes somptueux de tes seins métissés,
Dont les pointes tendues n’échappaient à ma bouche,
Que pour y mieux venir et se laisser aimer.

Puis enfin tu cambras ton arc de satin
Pour goûter en tremblant l’au-delà du désir,
Laissant, les yeux mi-clos, les vagues de tes reins
Inonder doucement mon semblable plaisir.

Et je compris alors, à l’étrange sourire,
Aux ombres bleues venues dessous ton regard lourd,
Au voile de ta voix, que cet ardent soupir
Tournait une autre page à ton livre au long cours.

Désormais vieux soldat d’une guerre non faite
Je traîne mes regrets sur les quais de l’ennui,
Recherchant sans espoir, de défaite en défaite,
Une écume d’amour dans des larmes de pluie.

Cacoune - Une page qui se tourne

C'est une page qui se tourne.
Il le faut. Elle le doit.
Elle me file depuis trop longtemps entre les doigts.

J'ai tenté de la suivre ligne à ligne.
Lentement. En me laissant le temps.
En oubliant mon sentiment d'urgence qui trépigne.

Mais ma tête reste lourde et vide
d'espoirs mais pas de lendemains morbides...

J'en perds le fil. Encore et encore, jusqu'à ne plus la distinguer.
Rien qu'un tourbillon noir et blanc,
en fous mouvements,
accélérés, projetés...

Un paysage flou, à travers une vitre de pluie, brouillé
Qui ne laisserait entrevoir que des lambeaux délavés.

Voici venu mon avenir, floué,
La page et le livre, floutés.
Les mots dans ma gorge, coincés.
Mes émotions sur mes joues, pleurées...

NON !
Je ne pleure pas...

Non...
Je ne pleure pas, je m'essore l'âme.

Non.
Je ne pleure pas, je nourris mon psychodrame...
Trop lourd, mon bras cède sous le poids de l'arme.
Et le livre tombe...

...

Plus tard, vient le soleil. Il se lève.
Sa main tendre me tire d'un rêve.

Près de moi, il l'éclaire.
Le livre est ouvert.
La page est toujours là...
Elle ne se tourne pas.
Elle me défie de son regard qui n'est que lumière.
Elle est en fait plus blanche qu'un matin froid d'hiver...

Mais où est Cacoune ?

mercredi 6 décembre 2017

Tiniak - Une page qui se tourne

Paginaction

Une ombre s'effare au tableau
de mes genoux, crus, sur la règle
Je tourne à la classe le dos
avec, en bouche, un goût de seigle...

Ne suis pourtant pas si bête - aïe !
Juste indécis, main droite ou gauche ?
Mais, du bureau qu'elle chevauche
maîtresse nous tient pour bétail !

Eh, je t'en fous des républiques !
Tu verras, quand j'aurai grandi...
Je te donnerai la réplique
sur le théâtre de ma vie !

Prenons, pour exemple, l'Histoire...
Mon ancêtre est donc un gaulois
Bon... Suceur de mangues ? de poires ?
ou de quelques choubidous, ha !?!

Allons z'enfants nous sacrifier
près de l'autel de Calliorne
pour satisfaire un Boulanger
ridicule sous son bicorne

Goo goo g' joob ou tralala ?
Pas à moi, on ne la fait pas...
J'entends faire de Différence
un patronyme au pays France

Et voici qu'une page tourne
et rameute son Epinal...
(il me reste un bout de Cantal
qui n'ira jamais à Melbourne !)

Sans déconner, les gars, les filles...
Petit œil... Grand œil... C'est nos billes
qui nous ont ouvert un espace
où mourait l’affreux mot de "race" !

Eh, polémique chiffonnade…
quel pouvoir veux-tu exercer ?
Celui d'aimer ou d'amasser ?
Relis mieux ton Marquis de Sade !

Ta parole inique se vautre
sur une galette d'épeautre
un brin de lin - pas de colza !
dont se consolent tes forçats !

Oublie-moi, ou mets-moi z’au four…
J'ai cet amour que tu ignores
pour un Jodel* contre l’âme-hors
qui te façonne un bel atour

Un habit fait de tromperies
couvrant tes épaules flétries
d'avoir courbé souvent l'échine
pour mieux fomenter tes rapines

Renonce vite à tes espoirs
moins noirs que le sont mes ancêtres
Un sang fraternel veut renaître
et s'échange par le regard

Nan, c'est trop tard ? Tout est En Marche… ?
et se bâtit - sans voie ? une arche
anticipant tous les déluges
qu'ont causés tant de subterfuges ?

Eh, va mourir dans le sous-bois
de ces îlots sans foi ni loi
où tu ne sais que promener
ton dédain de l'humanité !

Une page tourne et je crains
que l’Ombre y trouve son festin

*(voir à "Jodel" et "Boris Vian")

Où s'indigner, avec amour et force, de temps en temps

Joe Krapov - Une page qui se tourne


Qui se mêle de pluie et de vent ?

C’est l’automne. Le vent s’engouffre dans la rue du Quai. Dans le caniveau il y a un cahier bleu avec des feuilles à petits carreaux. Au passage du vent une page se tourne. On peut y lire, posés par une main qu’on devine enfiévrée, les mots suivants :

Toi qu’il a ravie au lit, livide Livia, quel talent à l’Italien, tel Lulli, que nous n’avons pas ? Est-ce que son Mickey mousse ? Sa tagliatelle est-elle magique ? Elle glose et glisse sur la glaise pour que tu glousses comme l’Anglaise qui se glace en son église ?

Arrivé sur le port le vent change de direction. Une autre page se tourne.

Avec elle j’aurais parcouru le monde en tous sens. Les quatre points cardinaux n’auraient pas eu plus de secrets pour nous que les quatre filles du Docteur Marsch ou crève. J’aurais escaladé en sa compagnie les sept collines de Rome : l’Aventin, le Palatin, le Trissotin, le Picotin, le Quirinal, le Capitole et le Pactole. Bref j’étais tombé éperdument amoureux d’Isaure Chassériau dont le portrait peint par Amaury-Duval est conservé au Musée des beaux-Arts de Rennes.

Le vent décide alors de tourbillonner au-dessus de ce cahier. Une page se tourne encore

Bon, c’est l’histoire d’un gars qui va acheter son pain à la boulangerie tous les matins. Mais comme il est un peu myope et qu’il est séduisant cependant, il ne s’aperçoit pas que la jolie boulangère est prête à lui donner son 06 et plus si affinités. Alors, comme la situation perdue et que le 45 tours ne peut pas dépasser 2 mn 45 elle lui prend un rendez-vous chez un ophtalmo qui lui prescrit d’acheter des lunettes. Et donc, le lendemain de cet achat il retourne à la boulangerie et en un éclair il la trouve très chou, il l’épouse et ils font fortune en lançant une chaîne de pâtisseries pour bobos sans gluten.

Maintenant la fureur du vent est apaisée. Sa lecture le met en joie. Une dernière page se tourne.

Le cri de Tarzan commence la journée : «Aouaouaaaaah !». Celui de Jane hurlant «A table ! Le puma aux betteraves est servi !» la termine.
La vie des baobabs est une succession de palabres mystiques auxquelles leur feuillage n’entrave que couic.
L’éléphant rêve d’un régime amaigrissant, la girafe d’un restaurant gastronomique.
Qui ne consulte pas l’horaire avant de sauter risque de rater la liane de 8 h 47.
Qui a été saisi par une oreille et entraîné dans un maquis ne doit pas s’attendre à ce que le gorille lui fasse écouter ses vinyles de Brassens. Ce serait trop facile !

Maintenant le vent est tombé sous le charme de cette écriture drolatique. Il note l’adresse, « 15, rue du Quai », puis s’en repart dans les hauteurs. Il s’insinue par le dessous de porte dans la chambre où dort Eole sous les draps.



Dans la rue du Quai il s’est mis à pleuvoir. Et pas qu’un peu : la pluie est diluvienne. Elle trempe et détrempe tout, elle cochonne et détruit tout, elle lave et délave l’écriture, l’encre déteint, les feuilles du cahier bleu se collent et se décollent à jamais. Tout ce qui ruisselle des toits et des gouttières aboutit dans le caniveau et le cahier, tel un bateau ivre, est emporté par ce torrent jusqu’à la bouche d’égout la plus proche.

***

- Vous imaginez ? Là, ce n’est que mon cahier d’écriture nomade mais si le vent et la pluie ont fait pareil avec les manuscrits africains de Rimbaud ?
- Arrête de nous bassiner avec ça, Joe Krapov ! Le Harrar, c’est comme la Bretagne, il n’y pleut jamais. Et puis tiens-le toi pour dit : Rimbaud n’a plus pondu de poésie après 1875. Il a arrêté d’écrire. Et si toi tu pouvais faire pareil, tes cahiers paniqueraient moins en songeant à leur devenir !

Andiamo - Une page qui se tourne

Une page s'est tournée, il n'avait que quatre ans de moins que moi, il m'a accompagné durant cinquante huit ans !

Je n'aimais pas trop le Johnny des débuts, mais comme les bons crus il se bonifiait avec les années.

Bon au-delà de la peine je pense sérieusement que Satan, le Diable, Iblis Pazuzu, le Malin, et toute sa clique vont avoir l'air con avec leur feu de camp, quand Monsieur Halliday va allumer le sien !

  
(Ch'tiot crobard Andiamo)

Marité - Une page qui se tourne

Lettre à mon amie d'enfance.

Il faut que je te dise tout ce qu'il restait à dire entre nous. Tu n'aimais pas les débordements. Quels qu'ils soient. Et encore moins les démonstrations d'amitié. Tu ne peux imaginer ma peine quand, tout à coup, à l'adolescence, tu t'es mise à me tendre la main quand nous nous rencontrions. Tout comme tu la tendais à toutes les personnes de notre entourage. Je n'ai pas compris alors cette habitude que tu avais prise et je t'en voulais un peu. Mais nous ne connaissions pas les effusions : nos familles ne nous avaient pas appris les gestes d'amour et d'amitié. Je trouvais quand même ce revirement un peu bizarre puisque nous nous embrassions avant.

Simplement, je pense que tu ne voulais pas que l'on te touche. Même tes plus proches. Ce n'était pas de la répulsion puisque ton sourire éclairait toujours ton visage ouvert et rieur. Je n'ai jamais osé te demander les raisons de ce changement. Mais je crois aujourd'hui deviner des choses pas très saines. Tu me parlais parfois du mari de l'institutrice qui rôdait dans les parages quand tu conduisais ton troupeau au pré. Est-ce cela ? Comment aurais-je pu imaginer ? Nous étions aussi innocentes l'une que l'autre. Si tu as souffert à ce moment là, tu as supporté ce traumatisme seule. J'étais ta meilleure amie. J'avais remplacé la sœur que tu avais perdue quelques années plus tôt. Tu as sans doute pensé que je ne te croirais pas ou que je ne pouvais pas comprendre. Je ne sais pas comment j'aurais réagi, c'est vrai mais j'aurais sans doute dû parler, t'interroger malgré tout. Nous aurions partagé ton désarroi et ce secret entre nous aurait davantage scellé notre amitié.

Tu es partie à l'université pendant que j'entrais dans le monde du travail. La vie nous a séparées pendant de longues années. Nous n'avons pas réussi vraiment à renouer le contact, nos univers étant totalement différents. Mais je sentais, lors de nos rencontres, remonter les souvenirs et je voyais sur ton visage qu'il en était de même pour toi. Je ne t'ai jamais oubliée et tu es indissociable de mes années d'enfance et d'adolescence.

Tu es partie il y a peu sans me dire au revoir. La maladie t'avait rendue sauvage. Tu ne voulais pas que l'on voit ta déchéance. Je n'ai pas pu t'accompagner le jour où l'on t'a conduite au cimetière de notre village. Et à vrai dire, je n'en n'avais pas envie. C'était rendre définitive ta disparition et avec toi enterrer des morceaux de notre jeunesse commune. Je pensais ainsi pouvoir occulter ta mort, la braver, afin qu'elle ne fasse pas obstacle à la mémoire.

Mais je me trompais. Un défi. Un déni stupide. Et étrangement égoïste. Aujourd'hui, quand j'évoque mon enfance, il me vient tout de suite à l'esprit cette cassure, ce manque de toi. Je le sais, je dois faire mon deuil et tourner la page afin que cette entrave disparaisse et que je pense à toi sereinement.

Te souviens-tu de ce poème de Hugo que nous récitions ensemble "Demain, dès l'aube" ? Alors, oui, j'irai demain sur ta tombe déposer un bouquet de houx. Je te raconterai nos collines noyées dans le brouillard. Nous les aimions toutes deux d'un amour inconditionnel. Je te raconterai notre village désolé par ce temps hivernal. J'essaierai, moi, de ne pas être triste. J'évoquerai pour toi d'autres jours où nos petites montagnes flamboyaient sous le soleil des vacances, nos courses à travers bois, nos baignades dans le ruisseau, nos fous rires et nos premiers émois d'adolescentes. Je te parlerai de nos fermes voisines et des soirées de juin embaumant l'herbe fraîche et le foin sec. Tu vas sourire si je te parle des cerisiers où tu aimais grimper comme un garçon pour cueillir les fruits que tu lançais à mes pieds en te moquant de ma couardise. Sais-tu que j'ai maintes fois souhaité que tu tombes ?

Je raviverai pour toi nos souvenirs communs, les premiers et sans doute les plus importants : nos familles, nos mères surtout qui nous gâtaient quand elles le pouvaient, l'école où nous aimions apprendre parce que tout était nouveau pour nous, nos camarades, nos jeux avec trois fois rien. Mais qu'importe ! Nous n'avions pas besoin de jouets : galoper dans la campagne nous suffisait. Je suis sûre que tu sentiras ce parfum d'enfance où baignaient nos vies mêlées. J'ai besoin de renouer le lien par delà ta mort. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

mardi 5 décembre 2017

Chri - Une page qui se tourne

Clap de fin.

C’était une jolie fin d’après midi d’automne. Le ciel pluvieux qui ne nous avait pas épargnés ces derniers jours avait fait place à un ciel de traine, un ciel habité qui répandait sur le monde et le jardin une lumière douce aux pupilles et tendre aux branches des arbres maintenant presque nus. J’avais balayé une fois encore la terrasse des derniers rouges, ratissé quelques feuilles esseulées dans le vert de la pelouse gorgée d’eau, nettoyé les pots des grappes mortes de la vierge vigne, sorti, pour la faire sécher, la bâche qui allait servir à protéger du froid les lauriers et autres plantes qui passeraient l’hiver dehors, sous elle. Dès que le soleil avait commencé à s’approcher de l’horizon, le frais avait très vite remplacé la tiédeur de l’air et, bien que les cimes des arbres soient maintenant baignées dans une lumière enveloppante, tout intimait l’ordre de se mettre à l’abri. Surtout ce froid sur les épaules en sueur. On allait protéger nos cœurs des rigueurs de l’hiver à venir. Un ou deux derniers coups de balai, un ou deux allers retours vers le fond du jardin, vers le tas de compost, viendra vite l’heure du rangement des outils et de l’allumage du feu sous une casserole pour un thé attendu. Il faudra, juste avant, enfourner quelques bûches sèches dans la cheminée, trouver un briquet dans cette maison de non fumeur, ce ne sera pas le plus facile, et la faire ronfler, la cheminée. Le ciel commencera à s’assombrir quand un nuage posé sur l’horizon cachera le soleil généreux de cette fin de journée. Le bain chaud aura fini de couler que l’eau du thé, en frissonnant à gros bouillons, fera trembler la casserole et toute la cuisine avec. J'en aurais profité pour mettre à réchauffer du petit salé aux lentilles pour le soir, en cette saison c'est le mieux qui puisse se pointer sur une table. J'ai mis au frais une bouteille de Côtes du Rhône blanc, les Arbousiers du domaine de la Réméjeanne à Cadignac. (Oui, oui avec le petit salé...on est chez soi, on boit ce qu'on veut!). Une fois sec, propre et ne sentant plus si mauvais, on pourra glisser dans le lecteur un CD de Nathalie Dessay et dans le même temps allumer un poste de télé puisqu’on y diffuse un match de rugby entre l’Afrique du sud et le Pays de Galle. Deux endroits où soit dit en passant il doit faire bon d'y promener son passeport à condition de l'avoir sur soi... Il suffira de couper le son des commentaires pour que la perfection ne me flotte pas trop loin des deux oreilles.

J’ai posé la théière sur la table basse, les gallois menaient de trois points, une bûche de chêne me chauffait les pieds. J’étais allongé au long du canapé, en travers, la tête au fin fond d’un bon kilo de plumes. Le chat des voisins miaulait à la porte fenêtre, malgré son insistance éhontée, je ne l'ai pas laissé rentrer: Tous ces poils ambulants qui ne demandent qu'à se séparer de leur Maître! Merci bien!

Sur un des airs de Bellini, les gallois ont marqué un essai merveilleux, d'un mouvement en première main, au large, en contre, avec un redoublement de passes d'école et, pour finir d'un cadrage débordement d'une toute efficace beauté. Quand il était pratiqué ainsi ce jeu atteignait des sommets. Il était capable de vous inoculer des lumbagos foudroyants en vous faisant bondir comme un geyser d'enthousiasme du plus profond d'un canapé... profond. J’avais sur les jambes une couverture en fourrure polaire blanche mais c’était surtout une question de confort, le thé était, maintenant infusé comme il fallait qu'il le soit. Je ne pensais ni à la noirceur du monde ni aux éclats de lumière qui pouvaient en surgir parfois, comme ceux venus d'outre atlantique, la semaine écoulée. Cette fin de samedi était une fin d'un samedi en paix. Au moins pour notre région et un peu au-delà. Le ciel avait rosi de derrière le grand nuage, une pie a traversé le jardin en roumégant. Dans la pièce, la voix de Nathalie se disputait avec l’odeur du thé mais elle avait fini par vaincre. En prenant toute la place, elle rendait l'air incroyablement sensible. J’ai fermé les yeux quelques secondes pour mieux attraper toutes les notes. Et, c'est à cet instant précis que ça s'est passé. Dans le simple éclat d'un incandescent brin d'écorce de chêne qui a failli foutre le feu au canapé…

La page s’est tournée.
D’un coup, sans grand fracas, la nuit est tombée. Ce jour là n'existerait plus.
Jamais.

lundi 4 décembre 2017

Turquoise - Une page qui se tourne


Toux

Les deux amies savourent leur moment de complicité en sirotant un café. Depuis le début du repas, Henriette toussote.
— Es-tu malade ? demande Sophie.
— Pas vraiment mais, comme tu l’as deviné, je suis sous pression ; depuis que je suis toute petite, chaque période de stress s’accompagne de cette toux sèche, qui se prolonge parfois pendant plusieurs semaines.
— C’est bizarre, on se connait depuis près de vingt ans, et je ne l’avais jamais remarqué.

Alors, Henriette raconte
— Quand j’avais environ trois ans, ma maman a dû subir une très lourde intervention chirurgicale, elle a été hospitalisée pendant plusieurs mois ; rien à voir avec les opérations à cœur ouvert d’aujourd’hui, où le patient est renvoyé chez lui après quelques jours seulement.
— Tu es restée chez tes grands-parents pendant tout ce temps ?
— Non, ce n’était pas possible ; mes parents ne disposaient pas encore d’une voiture, ma grand-mère habitait trop loin ; leur médecin traitant leur a donc conseillé une pouponnière, ce qui allait permettre à ma maman de se rétablir sereinement, en sachant que sa petite fille était en sécurité.
— Tu l’as bien vécu ?
— Je n’ai pas le moindre souvenir émotionnel de cette période, seules quelques images sont restées ancrées dans ma mémoire : un grand dortoir, un réfectoire, un parloir pour les visites, des rangs et des bonnes sœurs pour aller à l’école. Ah oui, j’allais oublier cette infirmerie toute blanche, qui dégageait une odeur d'ammoniaque et d'alcool mélangés, où j’ai été mise longtemps en quarantaine, parce qu’on ne trouvait pas l’origine de ma toux. Mes parents m’ont raconté que j’avais passé des examens pour la scarlatine, la coqueluche, la tuberculose, et que tous les résultats étaient négatifs.

Elle boit une petite gorgée de café avant de poursuivre.
— Plusieurs mois après le retour à la maison, cette toux ne s’est pas arrêtée. Comme les examens médicaux ne permettaient d’aboutir à aucun diagnostic, le toubib a pensé à une collègue de faculté qui avait ouvert un « centre de rééducation psychologique », et il a conseillé à mes parents de la consulter pour faire un bilan global. Je n’oublierai jamais ce jour où il est arrivé à la maison en brandissant une lettre, et en fanfaronnant : « votre fille n’a rien, elle fait uniquement des caprices pour attirer votre attention, comme si elle en manquait ! Une bonne fessée chaque fois qu’elle tousse lui remettra les idées en place ».
— M’enfin, c’est insensé ! s’écrie Sophie.
— Pas tant que ça, n’oublie pas qu’on était au tout début des années soixante.
— Qu’ont fait tes parents ?
— Tu penses bien qu’à cette époque, il n’était pas question de discuter les ordres du médecin. Ils ont donc exécuté la prescription à la lettre : chaque fois que je toussais, le jour ou la nuit, à la maison ou ailleurs, mon père se levait, baissait ma culotte, et me donnait bien consciencieusement la fessée.
— Comment réagissais-tu ?
— J’ai vécu toutes ces années en étant terrorisée chaque fois que je commençais un rhume ; je savais que la toux persisterait longtemps, et que je ne compterais pas le nombre de fessées. J’avais beau me débattre, pleurer, hurler même, mon père s’exécutait en pensant au médecin. Tu imagines ? Il réveillait toute la maisonnée au milieu de la nuit, uniquement parce que je n’arrivais pas à étouffer la toux sous mon oreiller !
— Tu n’en as pas voulu à tes parents ?
— Bien sûr que si ! Jusqu’au jour où, en vidant la maison familiale après le décès de mes parents, j’ai mis la main sur ce fameux rapport psychologique ; oh, il n’était pas bien caché, je présume que ma mère voulait que je le trouve. Je connais par cœur l’extrait sur lequel s’est basé notre bon médecin de famille pour décider du traitement :

« Henriette est une petite fille de 4 ans et 8 mois. Son teint est pâle. Elle s’exprime bien, avec quelques réserves quand on l’interroge sur sa vie familiale ; elle semble vivre un sentiment d’abandon par sa mère (ce qui n’est visiblement pas le cas), et elle tousse pour attirer son attention. La fillette montre des capacités intellectuelles comme si elle avait six ans et trois mois. Certains exercices de sept ans sont réussis ».

Tout à coup, le regard d'Henriette s'égare ; Sophie se demande si elle ne va pas pleurer.
— Je me suis souvent demandé quelle aurait été mon enfance si, au lieu de prescrire la fessée, le toubib avait dit à mes parents : "votre fille a des dispositions particulières, elle est déjà fort avancée pour son âge ; alors, stimulez-la, intéressez-la à tout ce qui est possible, ne lui laissez pas le temps de s’ennuyer ; vous verrez, elle en oubliera de tousser.”
— En réalité, c’est ce que tu as toujours fait, et encore maintenant, non ?
— C’est vrai ! La nuit, mon père me donnait la fessée mais, plusieurs fois par semaine, il me conduisait à l’école de musique et attendait pendant des heures que les cours se terminent. Je joue du piano et de la guitare, mes études m’ont ouvert l’esprit à la beauté, la psychologie, la littérature et tant d’autres domaines. En fait, j’ai l’impression que mon envie d’apprendre ne s’arrêtera jamais ; de plus, j’ai la chance d’avoir croisé le chemin de l’un ou l’autre thérapeute qui, lors de certains épisodes plus difficiles, m’a aidée à avancer envers et contre tout.
— C’est incroyable !
— Relativisons quand même ; je ne suis pas prête à aller écrire « merci docteur » sur la tombe du toubib, non plus ! Il a brillé par son anti-remède contre la toux !

Les deux amies éclatent de rire, et appellent le serveur pour lui demander l’addition.

En rentrant à la maison, Henriette allume un feu dans l'âtre, et regarde brûler l’évaluation psychologique : elle en a toujours voulu au médecin de ne pas avoir utilisé le rapport à bon escient ; elle comprend aujourd’hui que ses parents ont déjoué le traitement prescrit, d’une manière très subtile, et probablement inconsciente.

Tout à coup, elle se sent plus légère d’avoir tourné définitivement cette page.

Pascal - Une page qui se tourne

Les passants de notre livre

Mon bel écrivain, je te remercie pour toutes les caresses que tu m’as prodiguées tout au long de notre histoire si connivente. Tu m’as donné plus de plaisir en m’enroulant dans tes valses de papier que n’importe quelle vie à l’ombre d’un puissant soleil de réalité.
Si tu savais comme je suis contente d’avoir dansé au bout de ta plume : tu m’as laissée regarder des paysages extraordinaires, j’ai fait des rencontres incroyables, j’ai visité les méandres de tes fantasmes les plus colorés. Je cours de mot en mot, de phrase en phrase, de chapitre en chapitre, pour toujours te retrouver quand on ouvre notre cahier.

J’ai tant aimé tes décors si décalés, cette infinie dimension, où nous nous sommes retrouvés sans la crainte d’une punition. Fantôme de joie, héroïne ou émergence de tes pensées les plus folles, je vaquais heureuse à tes occupations sensationnelles, avec un engouement de princesse, longtemps après minuit.

Mon Amour de poète, jamais tu ne m’as affublée d’une maladie, d’une disgrâce, d’un verbiage grossier, déplaisant ou méchant. Jamais tu ne m’as réduite à l’état de la vile servitude pour ton seul plaisir. Tu m’as enfantée comme la mie du bon pain au milieu de tes histoires croustillantes. Tu m’as écrite si belle, si désirable, si jeune, si entreprenante, si consentante, si experte, si coquine, que tous les jeunes héros de tous tes livres se pressent pour écarter les pages de nos aventures de bureau. Nous n’avons jamais eu d’enfant, peut-être parce qu’il est écrit au bout de notre livre : reproduction interdite.

Romantique, jusqu’au bout des yeux, déchiré jusqu’au bout de tes souffrances, un jour d’offrande ou d’échafaud, d’orage ou de félicité, de honte ou d’espoir, tu as arraché ton cœur et tu l’as déposé à mes pieds en me disant qu’il n’y avait que moi qui pouvais lui faire battre sa chamade exaltée, puis tu m’as murmuré doucement : « allez, prends-le ou piétine-le mais ne le laisse pas vivre la torture de l’Indifférence… » Je l’ai pris, mon Amour, je l’ai pris pour moi. Je t’en prie, laisse-moi croire ce sentiment astronomique pour moi toute seule. Laisse-moi le garder au plus près de mon cœur et laissons-les battre l’Unisson Sidéral, à la mesure de nos vœux les plus fous dans les étoiles filantes.

Avec toi, jamais je n’ai fumé, jamais je n’ai bu, jamais je n’ai dit ou pensé un mot déplacé, mais j’ai les yeux qui pétillent de notre champagne intime. Ensemble, nous consommons le souvenir et, si tu es vivant encore, tu peux entendre mes soupirs.
Ne m’en veux pas si, pendant un jour lointain de relecture amoureuse, tu trouves quelques feuilles de notre aventure collées ensemble, j’ai encore quelques taquineries rougissantes, au bout de mes doigts, pour te faire sourire et rallumer tes émois…

Je te sais assez misogyne pour aimer toutes les femmes en secret, en racontant leurs défauts mais en écrivant leurs qualités. Alors, s’il te revient des envies de moi, pour souffler dans mes cheveux, caresser mes lèvres ou poser des baisers brûlants sur mes paupières, dessine-nous au grand soleil d’une plage immaculée. Après la vague mourante, nous irons courir sur le sable et nous laisserons nos empreintes d’amants comme si elles étaient les premières du monde. Laisse mon corps nu se bronzer avec le hâle de ta plume fureteuse, laisse le baiser du vent soulever mes cheveux, laisse les ombres de tes caresses courir sur ma peau amoureuse.

Mais non, je sais les tonnes de sentiments qui pleuvent sur ta feuille comme des cascades intarissables ; je sais tes atermoiements inguérissables, tes patiences astrales pour des viles chimères imprenables…
Mais, quand tu tournes une page de notre livre de confidences, ne sens-tu pas le parfum enivrant de nos corps enlacés ?... N’entends-tu pas la chanson de mes soupirs rallumés ?... N’imprimes-tu pas, sur ta salive débordante, le goût de mes envies bouillonnantes ?... Ne ressens-tu pas cette aura de bonheur palpable qui plane entre nos chapitres enflammés ?...
Mon Amour, la texture du papier est celle de ma peau quand ta plume inventait mes tourments énamourés. Aujourd’hui, je suis tatouée de tous tes meilleurs mots d’encrier et ils me caressent l’âme d’aventures jouissantes à chaque nouvelle majuscule.

Si tu m’as aventurée, toujours aussi nue, à la proue de tes histoires savamment croquantes, jamais je ne me suis sentie « passée à la casserole », pénétrée de force, violentée, bousculée, avec ce sentiment terrible d’être salie, souillée, maltraitée, martyrisée ou punie pendant toutes nos acrobaties divinement délictueuses. Nous étions ni pédophiles, ni zoophiles, ni scatophiles et tous les « philes » avilissants du dictionnaire, le temps magique de nos tribulations amoureuses ; nous n’étions pas malades de vices punissables, de cachotteries dégoûtantes, ni de perversions sadiques.
Avec tes seules caresses passionnées, celles que j’ai toujours préférées, celles que je te suggérais à l’oreille, je n’ai vécu que des heures de volupté intense et de tendresse infinie entre tes bras savants. La page se tourne ; si nous avons commis des fautes, elles ne sont que d’orthographe à cette heure de finition. Nos jeux de stupre étaient bien innocents et, si aujourd’hui, nous les laissons aux regards des passants de notre livre, ils auront pour nous les gentilles appréciations des voyeurs émus.

Maintenant qu’il est l’heure du point final, je vais me reposer entre ces deux couvertures. J’ai tellement de souvenirs, tellement de frissons encore chauds, tellement de palpitations profondes que les nuits ressembleront aux jours pour l’éternité sur cette étagère sans repos. Et même, sans nos masques de carnaval, si la poussière s’installe, elle ne sera qu’une interminable pluie d’étoiles… 


Manoudanslaforet - Une page qui se tourne

Elle l’a rencontré
Elle a su sa maladie
Elle a choisi cet amour
Elle l’a aimé
Ils ont profité de ces moments
Ils ont affronté la maladie
Il est mort

Elle est seule
Elle affronte sa douleur
Elle est dévastée par le chagrin
Elle ne peut refermer le livre de leur histoire

Comme une page qui se tourne…

Andiamo - Une page qui se tourne

Castelniquon, féodal château qui se dresse fièrement sur son piton rocheux, dominant la campagne Périgourdine.

Le seigneur Acelin de Castelniquon preux chevalier, qui eût l'honneur de participer à la quatrième croisade, en l'an de grâce 1202, et ne revînt que deux années plus tard.
Le Pape Innocent III avait ordonné cette croisade afin de reprendre le Saint sépulcre tombé aux mains des impies ... Des Musulmans ! Elle fut placée sous le commandement de Boniface de Montserrat, Baudoin de Flandre, sans oublier Geoffroy de Villehardouin. (merci wiki... etc)

Une fois Acelin avait aperçu le noble visage de Boniface de Montserrat, son âme en avait été transfigurée, d'autant que la rencontre s'était faite alors que le Seigneur Boniface besognait allègrement une robuste gardeuse d'oies, Acelin n'avait eu à ce jour nulle pensée lubrique d'aucune sorte, cela avait été une révélation, ni plus ni moins.
Rentré en son domaine, le jeune Acelin de Castelniquon se mit en devoir de quérir noble et légitime épouse, il rentra aux vendanges, aux moissons ce fut chose faite.

Le chapelain unit le seigneur de Castelniquon et la douce Mahaut , fille du Seigneur de la Troussette son lointain cousin. ( ouais ben ça s'faisait beaucoup à l'époque... Hein ? )

Dès la nuit des épousailles le Seigneur se rendit compte que la douce Mahaut n'était plus encombrée par sa capsule de garantie, une luronne cette Mahaut, qui en moins de temps qu'il en faut à un tire-laine pour te goupiller la bourse, lui avait appris en une seule nuit, le joyeux laboureur et son araire diabolique, le curage des douves, les mâchicoulis magiques, et le pont levis Teuton !
Flapi, retourné comme une vieille poulaine, le pourpoint en loques, Castelniquon n'avait point fière allure dès matines.

Des ces assauts sauvages naquirent deux beaux marmots... Des jumeaux, une Damoiselle, un Damoiseau, La Damoiselle fut prénommée Gersinde (vous marrez pas) et le Damoiseau Hildebran (repos vous pouvez fumer).
Ils grandirent, le chapelain s'occupait de les instruire, leur apprenant l'écriture, le latin et le grec, quelques saints cantiques, et autres prières.
Puis vînt l'adolescence, hormones, testostérone, et poussée d'acné commencèrent à les tourmenter.

- Messire, Messire, le chapelain tout estranciné fit irruption dans la grande salle dans laquelle Messire Acelin, et sa juste épouse Mahaut se reposaient.
- Parle chapelain, ordonna le Seigneur.
- Ah Messire je suis en grande confusion, je viens de surprendre le jeune Hildebran votre fils, louchant sous la jupaille retroussée de sa sœur Gersinde !
- Ne te trouble point chapelain, ordonne à mes enfants de venir céans ! Il est temps qu'on les instruise des choses de la vie.
- Certes sire .

Gersinde et Hildebran se tiennent droit, la tête légèrement inclinée en signe de respect devant leurs parents.

- Ma descendance oyez moi attentivement et prestement, nous avons à notre dépendance des pages qui sont là afin de satisfaire nos besoins coutumiers. Vous ma fille pour parfaire votre instruction vous irez de page en page, et vous mon fils, vous tournerez les pages !