A ma tendre amie
Eglantine de Boisfleury.
Très chère,
Je viens par la présente
m'entretenir avec vous et surtout m'enquérir de votre santé que
j'espère toujours bonne.
Pour moi, le soleil de
mon riant portail du midi sied à mes pauvres articulations
arthritiques. Depuis que je séjourne dans ma thébaïde, ma
fermette en Limousin, je me sens rajeunir. Les bons œufs de mes
poules, les légumes de mon jardin et le miel de mes avettes font que
mes entrailles s'assagissent. Un peu d'exercice dans le parc me donne
des couleurs. Pour le reste, salons , conversations où l'on
rabutine et même les amours ne sont plus pour moi que de la ripotée.
Voyez ma douce que Paris ne me manque point.
Votre dernière lettre,
ma mie, m'apporta bien du plaisir. Je vous plaignais de tout cœur du
chagrin que vous occasionna ce paltoquet de Tibourse de
Brandouilliers. Il ne vous méritait pas. Aussi suis-je ravie de
constater que vous finîtes par ouvrir les yeux. Pourquoi diable vous
intéressâtes-vous à ce malotru ridicule, au point de vous
enganter de sa vilaine personne ? Vous souvenez-vous du
matin où il apparut, sa bigotelle encore fixée au visage ?
Vous n'aimâtes pas que je me fusses moquée mais le personnage
persifleur et arrogant ne m'inspirait que gausserie. Aussi suis-je
bien aise qu'il eût disparu de votre vie et que vous vous en
portâtes mieux.
Vous connaissez mon peu
de goût pour le potinage. Mais, je vais cependant vous conter ma
dernière sortie afin de vous faire rire un peu. Figurez-vous que ma
frétillante voisine, Liselotte de Papillonne, se mit en tête la
semaine dernière de me présenter sa dernière conquête, le marquis
Hardy du Bracquemart. Je vous assure ma chère que ce marquis là
honore son nom. Ne pouffez pas ! Ma bonne Liselotte ne se rend
pas compte de la hauteur de ses cornes. Le coquin court après tout
ce qui porte jupon. Cependant il est d'un naturel fort agréable et
très amusant.
Le marquis, pour nous
divertir nous conduisit chez une de ses amies, la comtesse Colombe
des Ormes de Cambras. Oh, vous ne pouvez imaginer ma chère !
Cette vieille dame ressemble plus à une guinette qu'à
l'oiseau élégant dont elle porte le nom et ceci jusque dans ses
gloussements incessants et criards. L'on ragote beaucoup dans ses
appartements mais sans trop de méchanceté. Et la comtesse donne le
ton, je vous prie de me croire.
Mais le plus étonnant
dans cette rucherie, car c'en est une et des plus
extravagantes, ce sont les personnages qui gravitent autour de la
comtesse. Je la crois sourde et aveugle pour ne point remarquer la
roublardise de ces jocrisses qui la flattent et vivent à ses
crochets. Ou bien, elle s'amuse de leur jobardise. Ce que je pense
plus volontiers.
Or donc, me fut présenté
le sieur Arthur De Cucumont du Sot. Je ne saurais vous décrire ce
plumitif autrement que par
ces termes : arguant de son prénom, il m'annonça tout de go
qu'il descendait d'un autre Arthur illustre– le roi lui-même ne
vous en déplaise et il eût voulu que je le crusse – Il se jeta à
mes pieds avec une emphase comique pour rhapsoder des
vers insipides auxquels, avec la meilleure volonté du monde je ne
compris goutte. Je fus heureuse de pouvoir cacher mon fou rire
derrière le magnifique éventail que vous m'offrîtes pour la Noël.
Je ne sais comment il s'y prit mais, curieusement, ce mirliflore fit
se pâmer plus d'une précieuse et quelques gourgandines ici
présentes.
Mais
voilà que pour accompagner du Sot dans ses divagations s'approcha un
traîne savate, nommé Saphir de Micro-Sillon. Quel joli prénom
n'est ce pas mais ce croque note phlegmoneux n'avait de
raffiné que son petit nom. Je ne vous parlerai pas de sa musique. A
peine pouvait-il tenir l'archer de son violon ayant abusé sans doute
d'une boisson que lui servait généreusement le confesseur de la
comtesse, l'abbé Burette de Tonsure.
Me
promenant dans un des salons du château, j'aperçus tout à coup,
près d'une fenêtre une jeune femme un peu bohème qui se tenait
devant un chevalet. Elle peignait – me croirez-vous ? - une
tartouillade si vulgaire que mes yeux me piquèrent
affreusement. Elle crut bon de se présenter en faisant une légère
révérence : Opportune de Gribouillère pour vous servir
Madame. Elle se mit en devoir de m'expliquer son tableau et je
mourrais d'ennui. Heureusement, une petite bonne trotte-menue arriva
bien à propos pour nous proposer une bergerette bien fraîche. J'en
profitai pour quitter la barbouilleuse.
Je
ne pus tenir plus longtemps dans ce cénacle qui ressemblait
davantage à la cour des miracles.
Je
fis mes adieux à Madame des Ormes de Combras qui était écroulée
dans son fauteuil, ivre-morte. Bracquemart, fier de sa bonne surprise
et du tour qu'il nous avait joué, à Liselotte et à moi, nous
reconduisit en riant aux éclats jusqu'à la maison.
Voyez,
ma chère Eglantine à quoi ressemblent ici les divertissements. Je
vous devine peinée pour moi. Ne le soyez pas. L'observation de nos
semblables m'occupa beaucoup cet après midi là et je pense qu'à
défaut de conversations sérieuses et bien souvent ennuyeuses qui se
tiennent à Paris, ici, l'on s'amuse à la bonne franquette comme dit
souvent ma servante Philomène.
Non,
vraiment je ne me languis point de Paris mais de vous et vous me
feriez grand plaisir de venir me visiter.
Je
vous embrasse, très chère comme je vous aime.
Adélaïde de Sansoucy.