Le
jour n'était pas encore levé qu'il faisait déjà chaud.
Nous
avions passé une bonne partie de la nuit la bouche ouverte sous le
robinet d’eau froide et pour certains sous le tuyau d’arrosage,
nus, dans le jardin. Ces températures, par ici, ne surprenaient
personne. Ce pays savait être gelé en hiver et brûlant comme un
four de braises lors de quelques nuits de juillet. Ici, dans les
rivières, à la fin du printemps, les truites avaient appris à
nager sur le sable. Ici, dès juin, on donnait aux vaches des noms de
dromadaires. Ici, vers le quinze de juillet, même les pierres
avaient soif et transpiraient comme des coupables.
La
veille, nous étions allés en douce acheter un nécessaire à feu
d’artifice. C’était la surprise. Personne n’était au courant,
sauf ceux qui venaient depuis quelques années déjà. La tradition
s’était assez facilement installée, le douze au soir, à la nuit
tombée, on tirait un feu. On avait choisi le douze pour éviter la
concurrence avec ceux des villages alentour qui faisaient ça ou le
treize ou le quatorze avant les bals des pompiers volontaires. On
avait misé sur le douze pour qu’il soit tiré avant les autres, le
nôtre étant évidemment moins prestigieux. Nous n’avions pas les
moyens d’une mairie. Le nôtre était vu de nous, de nos voisins
les plus proches et de certains habitants du hameau. Il faut ajouter
à cette liste les deux ou trois familles qui vivaient dans les gîtes
pour cette période. Ce qui finalement faisait un joli petit public.
Nous
avions rapporté de la supérette de la ville la plus proche un kit
de feu domestique qui comprenait une dizaine de fusées, cinq ou six
feux de Bengale, deux fumigènes comme ceux qu’on voit lors des
arrivées de transat, quelques abeilles stridentes et vrombissantes,
un paquet de pétards en rafale et cinq ou six autres trucs qui
sentaient la poudre et la Chine à plein nez.
Le
repas, nous l’avions pris comme d’habitude à l’abri du vent
qui soufflait légèrement ce soir-là, entre les deux maisons. Nous
avions dévoré des salades et des grillades, arrosées d’un Morgon
un peu frais. Les bouteilles s’étaient descendues gentiment toutes
seules et, ma foi, en nombre pour les participants. Sur le liquide,
nous n’avions pas été raisonnables. Mais on s’en foutait, on
n’avait plus à conduire. Juste à aller, dans le noir, s’installer
avec nos chaises au bout du terrain, sous le massif de lilas vers la
grande prairie. Et ceux qui n’avaient plus l’envie ou la force de
porter leurs chaises pouvaient y aller avec un coussin. Dès le
fromage, un petit groupe avait filé installer les fusées dans les
restes des bouteilles d’eau minérales en plastique alourdies de
sable pour que le tout ait quand même un peu d’allure. On avait
aussi acheté des briquets tempête pour ne pas tomber en panne de
flamme. Bref, malgré la modestie des moyens, on essayait d’en
faire un spectacle qui marque. On n’allait pas être déçus.
Un
peu ivre, c’est une troupe vacillante et joyeuse qui est sortie de
table ce soir-là et s’est dirigée vers la Prairie. Patou avait
embarqué la dernière bouteille dans laquelle il restait de quoi
écluser quelques verres. C’est Marie qui s’est mise à chanter
la première. Cathy a embrayé assez vite. Bernard, quant à lui,
était passé dans la maison pour attraper une flasque de génépi de
l’Encombrette qui restait de l'hiver dernier. Enfin, chacun à sa
manière s’est préparé au feu.
Le
ciel dans ce coin-là était noir comme dans une chanson de Miossec
que Marthe s’était mise à brailler à tue-tête et personne ne
lui disait: « Moins fort ! » vu que, maintenant,
tous les autres s’égosillaient avec elle. Au-dessus de leurs têtes
qu'ils commençaient tous à perdre, des milliards d’étoiles
s’étaient pointées au concert et certaines se détachaient pour
venir, en pluies de lumière, dégringoler sur les crânes de cette
bande d’hurluberlus vaguement soûls, mais encore présentables.
Ils
se sont assis où ils ont pu, certains à même le frais de l’herbe.
Au loin, on devinait les lueurs du village, celles qui restaient
allumées toutes les nuits « à cause que les malfrats y
commettent des méfaits » comme le susurrait d’un air entendu
cet imbécile de conseiller municipal, fraîchement élu…
La
première fusée a fait flop juste après le décollage. Ce qui les a
tous pliés de rire. La deuxième est montée droit au noir, puis a
éclaté. Elle est retombée en corolle rouge sous des exclamations
béates et un peu forcées. C’est dès la troisième que ça a
commencé à merder. En retombant, elle a foutu le feu à l'herbe
sèche comme un Apache en colère. L’incendie poussé par une brise
légère a remonté vers la compagnie qui s’en est bien amusée, au
départ…
Quand
les flammèches ont léché les premières tongs, ils ont levé le
camp en catastrophe et ils sont remontés vers la maison en courant.
Mais le feu les a poursuivis dévorant tout ce qui se présentait.
Les lilas avaient fini de fleurir… C’est Paul qui a eu l’idée
de génie : il a enclenché l’arrosage automatique et a ordonné à
tout le monde de plonger dans la piscine…
Quand
les pompiers du coin se sont pointés, sortis du lit, le feu était
éteint depuis longtemps… mais, à cette heure de la nuit… ils
ronchonnaient dans leurs moustaches: « Savent plus quoi
inventer pour se désennuyer, ces vacanciers... »
Ils
n’ont pas tardé à sourire en apercevant tout le beau monde, à
demi débraillé, trempé, tenant à peine debout dans la minuscule
piscine gonflable et flapie de plastique bleu…