dimanche 24 juillet 2016

Les Impromptus en vacances ...

Voilà, il est temps pour le site des Impromptus, pour toute son équipe, et pour vous, auteurs fidèles, de laisser reposer plumes et claviers d'ordinateur durant tout un mois.
C'est une période propice aux découvertes, rencontres, rêvasseries, lectures...alors nous vous souhaitons de bien en profiter :)

Qu'on se le dise, nous reprendrons nos jeux d'écriture à partir du lundi 29 août 2016 !
Faites-le savoir autour de vous, parlez de votre plaisir à participer à ce site d'écriture à vos amis et connaissances, et diffusez largement l'information dans vos réseaux sociaux.

Vous pouvez aussi nous envoyer des idées de thèmes pour les prochaines semaines, car nous manquons parfois d'imagination de ce côté là.

Enfin, si vous souhaitez nous faire découvrir des textes que vous avez écrits et que vous souhaiteriez publier sur notre site, n'hésitez pas. Merci !

A très bientôt à tous !

vendredi 22 juillet 2016

Gene M - Les ombres et la lumière de l'été

C'était l'été : un bel été bleu et chaud qui promettait des jours heureux et insouciants.
La ville s'étalait, paresseuse, le long de la baie dans cette ville méditerranéenne. La lumière éclatante de juillet baignait la cité alanguie.
Jamais on n'avait pensé aussi peu à la mort.

La nuit, la lumière artificielle prenait le relais : les enseignes incandescentes des bars et des discothèques jetaient leurs feux sur une population jeune et joyeuse.
Parmi cette belle jeunesse se détachait une jeune fille éclatante de vie, au charme insolent. Chacun de ses pas faisait virevolter, avec grâce, sa jupe de gitane. Dans son sillage, sa petite sœur à la silhouette enfantine aux formes peu marquées la suivait. Elle avait tellement envie de vivre la vie de sa sœur !

L'homme, tapi dans l'ombre d'un buisson regardait fixement devant lui :
un prédateur, concentré sur sa petite proie.

Le lendemain matin, on retrouva la petite sur la plage, morte, ressemblant à une poupée désarticulée.

Pascal - Les ombres et la lumière de l'été

Pêcheur d’Islande 

Notre Romans-sur-Isère n’a rien d’une station balnéaire ; celui-là, comment a t-il fait son compte pour se retrouver à l’amarrage d’une table, sous les bâches tendues de mon cher bistrot du dimanche ? En été, je croyais que ce genre de personnage ne fréquentait assidûment que la plage du Coco Beach, les bars mutins d’Ibiza et les boîtes de nuit appropriées, un peu partout dans Paris. Mais c’est sans doute moi qui ne sors plus assez pour le réaliser ici et là. Il n’empêche ; il a peut-être son voilier à quai le long de l’Isère, le bonhomme…

Indéniablement, ce dimanche matin, c’est la vedette de la terrasse ; on dirait un moniteur d’éducation physique, un monsieur univers du milieu du vingtième siècle, propulsé à la terrasse de ce café d’aujourd’hui. Vêtu d’une marinière flambante, d’un pantalon en toile délavée et de petites chaussures marines en cuir bleu-souple, il semble tout droit sorti d’un roman de Somerset Maugham. Tellement cliché, tellement stéréotypé, tellement bien propre sur lui, il pourrait être la vedette d’une pub de Jean Paul Gaultier.
Son polo le serre aux entournures ; sentant mieux ses muscles, il gonfle les biceps, fait rouler ses pectoraux, rentre le ventre, comme des gestes habituels, des poses à l’adresse de photographes invisibles.
Ce quarantenaire passé a une belle gueule carrée de gentil méchant, avec des rides savamment calculées à chacun de ses sourires enjôleurs ; il est beau, il est preux, il est ténébreux, il sent le sable chaud ; il doit avoir un succès fou auprès des femmes. Il a le sourire blanc-salin du loup de mer ; chaque fois qu’il ouvre la bouche, ce doit être pour raconter des aventures de déferlantes. On sent le courage à chacun de ses gestes, surtout quand il touille son café, le petit doigt en l’air…
Les poils blonds de ses bras frisent en presque désordre ; ils sont comme un champ d’avoine qui attend la caresse du soleil matinal. Sur sa peau bronzée, on peut voir un beau tatouage aux nuances multicolores, un arc-en-ciel peut-être, mais dont la haute teneur philosophique ne trouve pas ma traduction.
Il porte des Gay, non, des Ray Ban d’une autre mode sur les yeux et quand il les ôte, on dirait la Mer des Caraïbes dans ses pupilles. Il éblouit, il irradie, il étincelle ; à chacun de ses regards circulaires, on dirait un phare altruiste au chevet des âmes en perdition de la terrasse. Façon pirate, il porte aussi un petit foulard rouge autour du cou et une boucle d’oreille en or qu’il tripote souvent comme pour s’assurer qu’elle est toujours là. Il a des colliers aussi ; des fines nacres arc-en-ciel aux reflets d’îles paradisiaques, portées comme des trophées, qui s’agitent aux mouvements de leur beau capitaine. Sa montre ? Une épaisse Rolex en or véritable, mille carats ! Butin de ses derniers pillages, des bagues et des bracelets figurent aussi dans son arsenal de grand séducteur…

Un instant, j’aimerais lui ressembler pour avoir la chance de harponner, moi aussi, quelques belles femelles attirées par tous ces falbalas de miroir à alouettes. Aussi, je me languis de voir la sirène que ce pêcheur d’Islande, forcément bien loti, a naturellement dû prendre dans ses filets…

Cette femme extraordinaire, cette Aziyadé, je l’imagine tellement fabuleuse, tellement exceptionnelle, tellement radieuse. Vous savez, c’est ce genre de personnage qu’on ne croise que dans ses rêves les plus fous, si bien qu’on ne sait plus s’ils sont des enchantements ou des cauchemars, tant leur attraction furieuse est aussi merveilleuse qu’inaccessible.
C’est peut-être une gravure de mode, la couverture d’un magazine parisien, un mannequin à la mode, à la solde des plus grands couturiers ! Elle a le visage aux mimiques parfaites, les cheveux courant jusqu’à ses reins, la silhouette digne d’une statue de Rodin, une magnifique paire de seins ; quand elle sourit, tous les jeunes rayons du soleil apprennent à briller et quand elle rit, les petits oiseaux du quartier revisitent leurs gammes aux sons de la gaieté !

C’est sûr ! Elle va s’asseoir à sa table, lui donner un petit coup de genou connivent, poser sa main dans la sienne comme un signe de reconnaissance amoureux ! En échange, il va lui murmurer des secrets, des chemins d’îles aux trésors, ceux qu’elle cache si peu sous son petit chemisier ! Pris dans la tourmente de l’Amour, ils vont peut-être s’embrasser et, par-delà, faire gicler dans le ciel plein d’étoiles filantes ! Les ondulations des feuilles de platane ont déjà des soubresauts d’éclats de lumière sur la place !
Et puis, bras dessus, bras dessous, je les regarderai disparaître dans la chaleur de la matinée ; ils vont traverser l’esplanade comme on marche sur la mer, et je me retrouverai seul, tel un Robinson sur son île, à l’ombre de mes illusions. Les nuages de l’Ouest vont cacher le soleil, tuer le clinquant des couleurs, taire les petits oiseaux et je me réveillerai dans la torpeur de mes draps affalés…

Il cocote, le flibustier ; il a dû tomber dans son flacon de Drakkar ; la chevelure à peine grisonnante, la barbe de trois jours, le teint hâlé, c’est aussi dans sa panoplie de Cupidon des plages. Il croise et décroise les jambes comme pour ne pas laisser le temps aux fourmis laborieuses de l’ankyloser. Il tire sur sa longue cigarette blonde mais il n’avale jamais la fumée ; il la recrache aussitôt comme des intenses signaux d’indiens, sur le sentier de l’Amour, qu’il lance innocemment à l’entourage…

Soudain, son visage s’éclaire ! Il se lève, le charmant naufrageur ! C’est la belle de son cœur qui vient rassurer son preux pêcheur ! Il piaffe, il geint, il bout, il s’empresse, le bel harponneur ! Caché dans le fond du bar, mon angle de vision ne me permet pas encore d’admirer sa conquête. A voir toutes ses simagrées, je devine la belle amazone toute proche… J’aimerais tant avoir cet emballement… Enfin, elle apparaît. Elle porte une marinière assortie à la sienne ; sans doute, un membre de son équipage, me suis-je dit. Elle porte aussi une belle barbe, un petit chien dans les bras, des muscles saillants, un jean moulant et ses éclats de rire caverneux font peur à tous les petits oiseaux des platanes ! Ils vont s’embrasser ! C’est sûr ! Maintenant, les nuages vont rappliquer de l’Ouest en courant ! Les éclats de lumière se cachent déjà ! Regardez les ombres contrites ! Elles fondent sur le bitume ! Lové contre une bite d’amarrage, c’est un bateau à voile et à vapeur qui doit faire relâche dans le port de Romans…

L'Arpenteur d'étoiles - Les ombres et la lumière de l'été


Un souvenir inoubliable

L’été 1977 hésitait entre ombres et lumière, entre fraicheur et soleil de plomb. Isabelle avait quatorze ans. Grande, mince, des cheveux châtains et des yeux bleu outremer, elle jouait funambule sur le fil de l’adolescence. Les vacances étiraient doucement des journées d’ennui, dérivant de promenades en lectures, de rock en disco, de silence en infinis bavardages. Et pourtant, elle allait vivre une étonnante aventure. Sa grand-mère l’avait invitée à la rejoindre pendant une quinzaine de jours au cœur du mois d’août, en Sicile. C’était son premier grand voyage.

Arrivée à Palerme, la grand-mère, hautaine, élégante, autoritaire mais débordante d’amour pour sa petite-fille l’emmena vers une cité proche de la capitale, berceau de la famille.
Elle lui résuma l’histoire de sa vie : l’arrière-grand-père possédait des terres immenses et d’importants domaines agricoles et viticoles. Gouvernante pour les enfants, domestiques, train de vie noble et bourgeois. Mais cet homme brillant était passionné par le jeu, en particulier par le poker. Joueur invétéré, il perdit peu à peu sa fortune. La famille d’Isabelle rentra dans le rang des gens "normaux", tout en conservant une aura, un infini prestige et un respect incommensurable de la population.

Quelques jours plus tard, la fête de l’assomption allait occuper toute la ville. Une procession considérable parcourait les rues jusqu’à la mer. La très belle statue de la Vierge sortait de la grande église sur une sorte de brancard porté aux épaules des hommes. Un voile blanc, ample et long accroché à la couronne de la Vierge recueillait des billets que les fidèles épinglaient tout au long du parcours.
La veille de la fête, les organisateurs vinrent voir la grand-mère d’Isabelle. Une sorte de conciliabule auquel elle ne comprit pas grand-chose. A la fin de la discussion, sa grand-mère lui expliqua qu’elle devrait accompagner la Vierge sur le brancard, en robe blanche et la tête ornée d’une couronne de fleurs. C’était un honneur pour la famille et également pour son arrière grand-oncle qui fut cardinal. Elle n’eut pas le choix de refuser.

Le 15 août, Isabelle traversa la ville sous les bravos de la foule, accompagnée par les cantiques chantés à pleine voix. Sous un soleil somptueux, elle était l’incarnation de sa famille et de la Vierge, dans l’ombre brûlante du voile qui se couvrait de billets, dons généreux voués aux œuvres.

Ce récit est une histoire véridique vécue par une amie proche.

Où lire l'Arpenteur

jeudi 21 juillet 2016

Lilousoleil - Les ombres et la lumière de l'été

Elle a perdu sa lumière. Ce matin encore, elle regardait son nounours bleu avec son sourire enfantin, les fossettes au creux des joues. Elle avait dans les yeux tous les ballons rouges de l’aube d’une vie. Le soleil avait dardé ses rayons toute la journée.  Elle avait contemplé entre ombre et lumière, les reflets de la lune dans le lac. Elle avait imaginé un avenir, elle serait mannequin ;  elle serait maîtresse d’école ;  elle serait infirmière ou aventurière comme ces filles, parties en bateau et dont elle lit les aventures  qui voguent au milieu des vagues vers Corfou, Rhodes…Enfin loin…
Ce soir, elle serre son ours, son livre est tombé,les pages sont froissées. L’ombre est tombée ; noire ; une aile de corbeau l’a enveloppée, l’a envahie… Les larmes salées inondent ses joues forment des petites rigoles dans ses fossettes, des perles de lumière  explosée. Les ballons rouges ont éclaté.
Demain sera un autre jour,  la lumière reviendra, elle prendra une  autre couleur mais jamais plus, elle n'aura cet éclat d'innocence.


mercredi 20 juillet 2016

Célestine - Les ombres et la lumière de l'été

Juillet. Ils sont assis sur le long balcon surplombant la vieille ville,  devant le crépuscule naissant. Les murs semblent d’or.
Elle ferme les yeux à demi devant l’aveuglante clarté du couchant. Lui fixe crânement le soleil qui descend face à eux, dans un plongeon silencieux de lumière poudrée, comme une grosse orange éclatée. Le ciel s’ocre. Puis blanchit.
L’ombre envahit peu à peu les ruelles, pressant le pas des passants.
C’est beau, une ville qui éclaire une à une ses lampes comme autant d’étoiles. Tu sais, chacune semble raconter un morceau d’histoire. Comme celles du ciel.
En bas la rue bourdonne d’une rumeur sourde.
Le vent se lève. Tiède. Presque chaud. Le balcon se moire d’ombres violettes allongeant la silhouette des cyprès en pot de grès.
Le vent glisse sur sa peau, sur ses seins qui frissonnent. Son chemisier de soie blanche claque comme une voile sur la mer. Ses cheveux volent dans ses yeux.
La nuit recouvre chaque façade de son drap de velours sombre.
Ça sent la tubéreuse, et le lys. Ah, et le jasmin aussi, par moment.
La lune semble une rognure d’ongle luisant au-dessus des arbres. Ils rient de cette image. Leurs mains se serrent.
Ils sont bien. Seuls, dans cet instant d’éternité splendide et quotidienne.


Où lire Célestine

mardi 19 juillet 2016

Lorraine - Les ombres et la lumière de l'été

Les ombres de la nuit se faufilent en silence
Dans le soir diapré qu’embaume le jasmin
L’été a pris d’assaut la belle effervescence
Des rosiers épanouis à l’entrée du jardin

Je sais que dès demain s’éveillera un monde
De lumière jouant sur l’étang endormi
Allumant le chemin qui va à la rotonde
Et le cygne posé sur le gazon fleuri

Mais quelquefois l’été se joue de la lumière
Et sous les sapins drus dessine leur grande ombre
Engouffrant sa fraîcheur jusque dans les chaumières
Et tapissant les murs de silhouettes sombres

Le soleil et la nuit joueront la grande scène
Des saisons opposées aux contrastes jumeaux
Les ombres et la lumière comme un fruit qu’on égrène
Chanteront tout l’été leur délicat duo

Vegas sur sarthe - Les ombres et la lumière de l'été

Mes siestes

A l'heure où - ventres pleins et esprits empégués
les adultes opéraient leur sieste crapuleuse
nous étions condamnés à la pause ennuyeuse
séquestrés au dortoir sans espoir de fuguer.

Trépignant sur le lit je restais éveillé
recomptant les moutons et bâillant aux corneilles
je grimpais aux échelles embrasées de soleil
que lançaient les volets disjoints sur l'oreiller.

J'étais un baroudeur , un Joffrey de Peyrac
et Angélique avait les yeux de ma cousine
rien ne me résistait, pont-levis, sarrasines.

Un jour je dirais tout, je viderais mon sac
je leur dirais mon bois, ma hutte, mon marais
mais pour l'heure, exalté, je gardais mes secrets

Kakushi Ken - Les ombres de l'été

   Il y a un monde à la fois près et loin de ton monde... Laisse-moi te décrire celui-ci…

   Lorsque tu arrives par l'espace, tu as une vue extérieure admirable. Tu peux voir une planète bleue qui se lie à l'or des terres lointaines dans une palette claire et foncée. Tu pénètres alors dans l'atmosphère et, tel un vaisseau spatial, plus tu t'approches du sol plus l'air devient accueillant : frais et chaud à la fois.
   Au contact du sol, tu réalises qu'on est en été, sur un bord de mer.
   Le soleil ne force pas trop, histoire de ne pas brûler ta peau ni aveugler la pupille de tes yeux. Laisse tomber ton scaphandre de sécurité et enfile plutôt des vêtements légers... La brise marine caresse ton corps et t'invite à plonger dans l'eau vivante... La côte est ombragée jusqu'au pied de la mer, ou océan, vas savoir…
   Ce monde semble parfait. Tout est équilibre et paix. Pourtant, sous cette apparente plénitude couve l’ouragan le plus gigantesque que tu puisses imaginer… Si tu croises un autochtone, il te dira que « Oni » vient de l’ombre, de l’obscurité. Un maelström effroyable qui arrache l’âme et évide les corps…
   Puérile croyance de gens qui ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez !

   La vérité est que lorsque tu nages dans cette eau immense, la joie au cœur, des monstres peuplant tes cauchemars nagent dans les profondeurs… Là où tu foules de tes pieds ravis le sable chaud et parfumé ; il foisonne des serpents dont la seule morsure t’ôterai la vie dans des souffrances innommables… Lorsque tu te régales de fruits cueillis aux arbres, de méprisables vermines ont pondu leurs larves qui basculent dans ton organisme via ton œsophage et ton estomac. Lesdites vermines parfois mangent leur hôte de l’intérieur…
   La nuit, qui aveugle la plupart de tes sens et met en alerte tes peurs, est opaque, silencieuse, comme si elle était à l’affût. Les lucioles s’éteignent lorsque tu n’es pas en symbiose avec la nature, le vent porte ton odeur à la faune sauvage qui s’éclipse en un mouvement silencieux sous la lune… Les oiseaux de nuit te regardent étonnés de te voir tendu… Le moindre bruit te fait sursauter, le vent qui forcit te fait froncer les sourcils : « est-ce l’ouragan promis qui s’approche ? »

   Ainsi ce monde n’est pas ton monde. Il ne s’agit pas de s’imposer et de le changer selon ton envie ; mais bien d’être à l’écoute de ce dernier et de s’imprégner de lui.
   Le concept du « Oni » est une « opposition » qui est en toi, et seulement en toi. Ta vérité n’est point la vérité ; tout comme la mienne ne l’est pas non plus…
   La lumière, l’ombre ? Ces deux là font un monde. Elles sont agoniste et antagoniste ; parfaites facettes d’une même pièce. Les deux se mélangent comme le jour et la nuit, lorsque vient l’aube ou le crépuscule…
   Qui saurait alors prétendre démêler ces deux là lors de cette fusion ?
   Mensonges et vérités, secrets et révélations ne sont que ce que nous interprétons : notre monde… Il n’est sans doute pas LE monde dans lequel nous sommes...

lundi 18 juillet 2016

Fred Mili - Les ombres et la lumière de l'été

J'étais en embuscade, face au soleil couchant, sur les bords de Seine. L'appareil réglé, prêt à appuyer sur le déclencheur, en rafale.
Je voulais un contrejour. Une fille qui me ferait appuyer sur le bouton comme un malade, pour immortaliser l'instant.
J'avais une idée précise de celle que je voulais même si cela n'avait que peu d'importance, face au soleil.
Je souhaitais qu'elle ait les cheveux longs, les yeux en amande, qu'elle soit grande et mince, qu'elle vienne de gauche pour aller vers la droite et non l'inverse, qu'elle tourne la tête vers moi et qu'elle me fasse un grand sourire, illuminant son visage.
J'étais impatient, voire fébrile. J'avais une idée très précise de ce que je voulais obtenir avec la collaboration de cette inconnue. 
L’œil dans le viseur, j'étais ébloui par le soleil. Il ne passait que des hommes ou que des filles trop petites, ou trop enrobées.
En fait je captais malgré tout les images de chaque passant, ce qui me permettait d'affiner mes réglages, mais ma princesse ne se présentait pas.
Pourtant en face de moi le soleil déclinait, il semblait vouloir partir ailleurs, de l'autre côté de la terre et tirer sa révérence.
Parfois ébloui, je pris pourtant l'homme en vélo, la femme enceinte promenant son bébé dans la poussette, l'homme en djellaba avec sa barbe plutôt longue, une petite fille en bicyclette, le jongleur qui avançait en lançant ses quilles, le jeune footballeur dribblant un adversaire imaginaire, la vieille femme élégante avec son chapeau sur la tête enfin tout ce qui se présentait entre moi et le soleil.
En place depuis une heure, je m'impatientais. Je pensais au naturaliste, caché au bord d'une étendue d'eau, attendant de saisir l'envol d'un canard.
Je n'étais pas capable d'attendre aussi longtemps sans m'énerver.
Cependant sur ma carte memoire les photos s'entassaient. J'enrageais. La patience n'est pas ma vertu principale. De plus j'avais des paillettes de toutes les couleurs dans les yeux à force de fixer la lumière au travers de l'objectif.
Je laissais l'appareil bien à plat sur la rambarde puis allumais une cigarette pour faire passer le temps et réhabituer mes yeux à la lumière du jour.
Soudain une fille passa, presque celle que j’espérais. J'attrapais trop rapidement mon appareil et déclenchais dans l'urgence face à l'astre éblouissant. Hélas, les photos n'étaient pas nettes.
Je pestai. Rageur je jetai mon paquet de cigarettes par terre et l'écrasai d'un talon furieux. Je m'en voulais de m'être laissé distraire par un vice incontrôlable. Le paquet malmené laissa apparaître les filtres orangés d'un côté et les cigarettes éventrées d'où s'échappaient le tabac à peine blond.
Je me résonnai.
Je voulais une silhouette dans l'ombre face à la lumière du dieu Ra. Je savais que ce n'était pas évident surtout lorsque la photo était déjà composée dans la tête.
Il ne restait qu'à la prendre, qu'à saisir l'instant.
Je ne faisais que de la photo de rue et de ce fait je savais qu'il fallait mitrailler pour avoir une ou deux belles photos réussies.
J'attrapais la bouteille d'eau dans mon sac sans décoller l’œil du viseur et bus comme un ivrogne en mal de sa potion. Je me massais les reins, la position que je m'infligeais faisait souffrir ma vieille carcasse.
Je me relevai me massant le bas du dos comme je pouvais. Je jetai machinalement un coup d’œil à gauche et je la reconnus aussitôt.
La voilà. C'était elle.
Mes reins plièrent avec difficulté lorsque je me collai derrière le viseur, mon doigt tremblait sur le déclencheur.
J'étais prêt malgré tout. 
L'exaltation me fit sourire nerveusement. Je laissais approcher, affinant la mise au point. Elle tourna la tête vers moi. Exactement l'image que je souhaitais.
Je souriais en appuyant.
Pas de réponse.
Je réessayai.
Toujours rien.
J'éteignis l'appareil, le rallumai.
La batterie était suffisamment chargée.
La carte Sd était déjà pleine.
La jeune fille me fit un coucou du bout des doigts, accompagné d'un sourire éblouissant. Avait-elle compris que je n'avais pas pris une seule photo d'elle ?

dimanche 17 juillet 2016

Semaine du 18 au 24 juillet 2016 - Les ombres et la lumière de l'été

8 mots qui vous ont donné du fil à retordre et qui nous ont offert de vrais plaisirs de lecture.

Pour ce dernier thème avant la rentrée nous vous proposons ceci : les ombres et la lumière de l'été

L'été est une saison où ombres tamisées et riches lumières cachent ou révèlent tant de choses. A vous de nous conter une histoire (vers ou prose) où les secrets se dérobent dans les ombres et se dévoilent en pleine lumière sous le soleil brûlant.

jeudi 14 juillet 2016

Tiniak - Des pieds et des mots

PISSE AND LOVE

Sur un tapis de chrysanthèmes
bordant la stèle au noir mica
puisque je n'étais plus abstème
à force de rhum et vodka
au cœur, une chanson bohème
au bras, une matriochka
(appétissante, quoique blême)
merguez en pogne, le froc bas
je déchargeais mes tréponèmes
en manière de vendetta

L'heure était sombre et automnale
L'endroit s'y prêtait en tout point
C'est qu'on venait pour la Toussaint
rendre hommage au vice-amiral

Il est mort cocu, le saint homme
pas de ça ! mais du ridicule
de s'être fourré le bidule
- allez savoir...? dans un vid'-pomme !

Gaillarde, sa matriochka
(une santé ! une acrobate !)
chaque année m'offre ses cravates
sous le couvert des aucubas
au cimetière
où il nous plaît de faire l'amour, pas la guerre

/Où enterrer ses velléités belliqueuses

Jérôme - Des pieds et des mots

Le jour où je me suis dit

Le jour où assis dans l’herbe, le nez dans les nuages et à mes pieds les collines ronronnant d’abeilles et de cigales, je me suis demandé ce qu’est au juste un vice-amiral (mais comment font les autres pour ne penser à rien ?), j’ai songé que si j’avais seulement sous la main, sinon wifi et wiki – ici les cimes en chapelet filtrent rigoureusement les petites ondes du réseau, si fragile bidule – le dictionnaire qui dort dans le bureau j’aurais pu illico assouvir ma soif de savoir, mais pas sans courir le risque d’une glissade incongrue de vice-amiral à vide-pomme ; que là, le besoin subit de vérifier une information neuve m’emmène cheminer jusqu’au Caucase –  d’où la pomme serait originaire… –  qu’alors, mon œil se serait peut-être posé sur un chrysanthème – tiens, ya un nigrec ? – à moins qu’une brève note sur l’épisode des fruits d’or des Hespérides ne m’ait conduit, curieux que tout étonne, à la muse Melpomène, à trois colonnes des merguez – étymologie controversée – et à petite distance des moines – mais depuis quand portent-ils un froc ? – et ainsi de suite de fil en aiguille et de matriochka en poupées russes… et puis, cigales et collines aidant, je me suis dit que ce vagabondage à rebrousse-page attendrait bien ce soir, à moins que d’ici là l’intrigant vice-amiral n’ait fait tout simplement naufrage dans la ronde apaisante des nuages qui glissent là-haut.


mercredi 13 juillet 2016

Lilousoleil - Des pieds et des mots

On l’appelait « Vice Amiral »,  personne ne savait pourquoi car son petit nom c’était François seigneur de la Dombes.  Dans toute cette belle région de l’Ain, paradis des chasseurs, des animaux et des mangeurs de grenouilles, il était connu. Il sévissait sur tous les marchés, les foires et autres festivités où il pouvait exercer sa profession : bonimenteur. 
Toujours tiré à quatre épingles, le costume gris souris en colère, il arborait fièrement, à la boutonnière  un chrysanthème jaune d’or que son épouse adorée lui avait confectionné en utilisant des bouts chiffons et sur son crâne trônait un chapeau feutre enroulé d’un ruban bleu blanc rouge…
Il portait, afin de tenir son pantalon, des bretelles ajustées qu’il étirait régulièrement en répétant à qui mieux mieux :

« Les bretelles Frac, soutiennent le froc, économise le fric »… Regardez mes belles paires ! Y en a pour tous les goûts ! »

Son éventaire invariablement installé le plus près du bistrot ;  baratiner toute la journée donne soif alors dès qu’il pouvait, un petit coup de blanc bien frais, une Meursault de préférence,  lui rinçait le corniaulon.  Il vendait avec la même énergie et un large sourire de matriochka en goguette,  un balai qui lavait les sols sans laisser de traces humides, un pot de chambre spécial pour les mamies et les papys, le super robot qui cuisine tout seul qui ne fonctionne plus dès que vous êtes rentrer chez vous.

« Aucu mesdames Aucu messieurs, aucune hésitation ! 
- Ce vide- pomme est magique, non seulement il vous découpe  le trognon de n’importe quelle pomme mais tenez-vous bien ; il épépine même les poires ! 
Exceptionnel,  non ! Et regardez bien !  Oui,  oui mesdames, le trou central est calibré spécialement pour les merguez. Plus de problème pour une  cuisson uniforme au barbecue
- Comment vous dites ma p’etite madame ? Combien qu’que ça coûte ? 
- Trois francs six sous, madame trois francs six sous… heu heu dix euros ! Dix euros ! 
- Comment c’est cher ! mais ma p’tite chérie , avec ce bidule-là, vous gagnerez un temps fou pour faire vos tartes, vos compotes vos pommes au four… et le temps ça n’a pas de prix… 
Et puis tiens, avec le  vide-pomme magique, je vous offre deux torchons nid d’abeille ! Tâtez la qualité, c’est pas de la gnognotte… Comment non ? Alors je vous propose un chausse-pied manche en corne de taureau… 
….

Kakushi Ken - Des pieds et des mots

Iwo-Jima, février 1945 ...

- "Bien, bien, bien les p'tits gars ; voilà le programme du jour : notre bien-aimé vice-amiral a décidé ce matin de faire une grillade de merguez en haut du mont Suribachi que vous voyez à tribord. Votre job sera donc d'aller trainer vos pieds là-haut et de préparer la grillade pour 44.000 fétards...

Il y a quand même un pet de travers, les gars ; et croyez-moi : il y a de quoi faire dans son froc. Cette île sera pour vous comme un vide-pomme, sauf que vous serez les pommes : parce que le renseignement nous signale que l'ennemi a aussi choisi cet emplacement pour faire aussi sa grillade de merguez ! De plus, ce caillou est sa propriété...
 
Ce bidule qu'on appelle Iwo-Jima est une vraie matriochka : c'est une succession de cavernes, tunnels, trous d'homme les uns imbriqués dans les autres qui ne se vident pratiquement jamais...
 
Alors, mes "boys", essayez de ne pas devenir une vallée de chrysanthèmes semés au vent japonais !
Good luck, and kill them all !"

Emma - Des pieds et des mots

Barbecue chez Marcel.

Jojo et Nénette sont occupés dans la cuisine à préparer la salade de fruits, creuser des boules dans le melon (avec la cuiller à boules), des cylindres dans les pommes et les poires (à l'aide du vide-pommes), et des cubes d’ananas (avec le bidule ad hoc).
- Mémé, dit Léa, je peux jouer sur la terrasse avec les babouchkas de pépé Albert ?
- Des matrioschkas, on dit, ma chérie, tu y fais bien attention, c'est un souvenir de la fête de l'huma 1950 !

Dans le jardin, ti shirt PSG et froc délavé, Marcel officie avec emphase au barbecue avec les piques et les broches.
- Mets le paravent, Marcel, dit Jeannine, dès fois que l'odeur des merguez incommoderait le marquis de Machin Truc.
- C'est qui, le marquis de Machin Truc ? demande Jojo
- Tu connais pas notre voisin, le Vice-amiral de Machin Truc ?

Et elle désigne d’un mouvement d’épaule le parasol à frange chamarré, orné de chrysanthèmes et lotus, qui dépasse de la haie.

Du parasol lui-même, ainsi que Jojo le vérifie par un trou dans les troènes, émergent des mollets de coq et des pieds osseux nus dans des mocassins classieux, posés sur une chaise métallique.

Hier encore il portait beau dans les réceptions de l’ambassadeur, le Vice-amiral, avant que des revers de fortune, et des pensions alimentaires faramineuses le contraignent à jeter l’ancre près de Marcel, et subir l’odeur des merguez tous les dimanches d’été.

Marité - Des pieds et des mots

Les vices du vice amiral.

Monsieur Jules, vice amiral de son état a bourlingué sur toutes les mers du globe. Il a ramené de ses divers périples beaucoup de souvenirs. En particulier des femmes.

Il a navigué sur la mer Baltique et pendant son escale à Saint Petersbourg, il a rencontré une poupée russe, la plantureuse Matriona qu'il s'obstine à nommer Matriochka. Il l'adore et son péché mignon est de lui lécher les pieds. Il n'aime rien tant que de l'entendre glousser sous les chatouilles.

En goguette à Osaka, alors que son navire voguait dans l'océan pacifique, il a aimé les gâteries d'une jolie petite fleur prénommée Chrysanthème. Rien n'a été plus facile que de l'enlever à sa famille qui en fut très honorée.

Mais la pauvre Chrysanthème, sans défense, est devenue le souffre-douleur du bonhomme et de sa mégère russe. Leur grand plaisir est d'humilier la pauvre fille qui, habituellement, reste imperturbable. Mais ce jour là, ils dépassèrent les bornes.

En effet, ils demandèrent à l'innocente jeune fille de leur servir un repas un peu particulier. Et alors que Chrysanthème se précipitait vers son tortionnaire de marin, des pommes et un vide-pomme à la main, celui-ci s'exclama :
- Mais qu'est ce que c'est que ce bidule ? Et puis, je ne t'ai pas demandé des pommes, imbécile !
Je veux manger des merguez. Tu ne sais pas ce qu'est une merguez naturellement.

La malheureuse enfant, n'en pouvant plus, laissa tomber le vide-pomme et s'oublia dans sa culotte.
- C'est le bouquet hurla le vice amiral : voilà maintenant qu'elle fait dans son froc.

JCP - Des pieds et des mots

Senteurs de musée

Comme chaque soir, le grand musée refermait ses portes et les vastes salles, abandonnées pour la nuit, retrouvaient leur silence intime. On n'entendait plus que le pas lointain du gardien de nuit, qui arpentait le dédale infini d'escaliers, de couloirs et de pièces de toutes tailles et proportions, en métronome las.
Insomniaque de profession, l'homme répétait toutes ses nuits de labeur ce scénario bien rodé, en ces lieux qu'éclairaient de faibles veilleuses au ras du sol, juste suffisantes pour qu'il puisse voir le bout de ses pieds sur les carrelages ou les planchers portant la trace de tant de semelles de visiteurs, caresse rude au fil des jours, au fil des ans.

Outre les senteurs de vieux bois verni, de la poussière recouvrant les grands squelettes fossilisés, des panoplies, des tissus, vêtements et frocs des statues de cire craquelées, l'odorat le moins affûté perçoit dans tout musée l'odeur, imperceptible et pourtant bien présente, de la mort : cela sent le chrysanthème dans ces espaces, ces vitrines à pointes de flèches, à pierre taillée, à vide-pommes comme à matriochkas, ces alignements sans fin de bidules au nom barbare - et d'animaux de toute espèce que l'homme sacrifia, sans scrupule, à l'autel du soi-disant savoir universel qu'il veut indispensable.
Savoir dérisoire où l'homme se voit omniscient, et se pose en maître.
Il n'est pourtant là qu'un prédateur prompt à tuer, vider, empailler, naturaliser, ranger étiqueter qui, tel le vice-amiral au combat ne montre de compassion pour le poisson torpillé, demeure ignorant du véritable psychisme du monde animal, de ses joies, de ses souffrances, et de sa connaissance innée de la Vie, trop souvent inaccessible à l'homme en sa substance profonde, en son essence vraie.

Et c'est au beau milieu du calme silencieux de la nuit, au sein de cet univers où toute vie - autre qu'humaine - est bannie, que s'élèvent sans vergogne d'autres senteurs : l'homme de chair, d'os et de sang, l'homme vivant parmi les animaux morts, le geste lent, le souffle à peine impatient, cesse un moment sa ronde et prend, tiré de son sac, son repas devant des milliers d'yeux de verre au regard figé, devant des babines retroussées au croc aigu, et devant des museaux aux narines depuis si longtemps éteintes qu'elles ne sauront rien des senteurs du bœuf mariné, du camembert ou de la merguez, dont l'homme fait son délice solitaire.
Où lire JCP

L'Arpenteur d'étoiles - Des pieds et les mots

Jeanine, la Catherinette ... Texte un peu long ...

Quelques mots.
De ceux qu’on entend dans les rues au hasard d'un angle où gémit le vent d'hiver, ou sous une porte cochère, murmurés par deux ombres enlacées. Elle est morte il y a deux ou trois jours, au bout d'un âge sans âge.

- Elle n'a pas souffert, à ce qui paraît.
Qui peut le dire ça « elle n'a pas souffert » ? L'épicier d'en bas où elle allait chercher ses œufs pour le gâteau du dimanche, le quatre-quarts qu'elle partageait avec une amie, ou avec elle-même, et qu'elle gardait pour le café du lendemain matin, et puis celui du surlendemain. Il est un peu sec, qu'elle disait, mais trempé dans le café ça va bien, elle disait. Qu'est-ce qu'il en sait l'épicier avec son froc froissé et pas très clean ? Lui, il comptait sou par sou pour rendre la monnaie alors qu'il voyait bien qu'elle n'en avait pas beaucoup des sous, avec sa botte de poireaux qui dépassait de son cabas sans forme et son manteau en ratine beige, sale de trop porter. Mais l'épicier il a sa mentalité d'épicier. Il sait pas faire autrement, l'épicier. Sinon comment voulez-vous qu'on s'en sorte, hein ?
Alors elle lui en voulait pas au fond. Ni aux autres qui la regardaient pas, ou alors par le judas de leur porte palière quand elle montait un truc trop lourd et qu'elle s'arrêtait à chaque étage pour souffler. Ils lorgnaient pour voir qui c'était qui soufflait dans l'escalier. Et puis quand ils avaient vu que c'était elle, alors ils retournaient à leur télé en haussant les épaules, ou à leurs haricots à effiler, ou à utiliser le vide pomme pour la tatin du dimanche. "C'est la catherinette", qu'ils disaient à leur femme ou à leur mari en regagnant leur cuisine. Et ils échangeaient un regard torve et un mauvais sourire. Ils sont comme ça les gens. Pas méchants, mais pas bons non plus. Ordinaires. Humains comme la vie, pleins de ressentiments, de jalousie, de petites mesquineries et de temps en temps d’un peu de lumière comme le rire d’un enfant qui n’a pas encore découvert les malveillances et les rancunes de la franche camaraderie.

Quelques mots qu’on ne lui a pas dits à elle, la catherinette, qui s’appelait Jeanine.

Mais personne ne savait son prénom, dans cet immeuble de rapport qui donnait sur la voie ferrée, par l’arrière-cour. Jeanine aimait bien regarder passer les trains depuis ses deux fenêtres. Il y avait deux voies. Une allant vers l’est, elle disait vers l’Allemagne, l’autre vers l’ouest, vers la Bretagne. La première lui avait pris son père à cause du STO. La seconde lui avait pris sa vie, à cause de rien, à cause de la vie.

Quarante ans auparavant, elle était partie avec Monique, sa sœur, pour ses premières vacances d'après la guerre. Dans une petite ville du bord de l’océan d’où l’on pouvait voir la statue de la liberté en se penchant un peu et par temps clair. C’était ce que leur avait dit le fils du patron de l’hôtel qui les avait accueillies derrière son comptoir, avec son beau sourire et ses cheveux bruns. Le soir il les avait accompagnées sur la plage, les pieds nus sur le sable. Il avait pris sa guitare et avait chanté pour elles, avec le pinceau du phare qui venait régulièrement lécher leur visage et les flonflons que la brise de terre apportait par à-coups depuis le bar ouvert sur le quai derrière. C’était l’année de ses vingt-cinq ans. Sa sœur en comptait trois de moins. Elle l’aimait bien Yves, le fils du patron de l’hôtel. Il était gentil et doux et pas trop bête. A la vérité elle l’aimait tout court. Lui regardait plus sa sœur, plus délurée avec ses yeux verts et son fichu qu’elle laissait glisser sur ses épaules rondes. Il rêvait d’être amiral ou vice-amiral dans la marine nationale, ou de partir aux Etats Unis. Avec un vieux bidon, Yves avait fait un brasero et grillé quelques saucisses et merguez, qu’elles n’avaient jamais goûtées auparavant

Durant leur séjour, le comité des fêtes avait organisé le concours des « catherinettes de l’été » pour animer un peu la station. Il fallait juste avoir vingt-cinq ans dans l’année et oser monter sur une scène de fortune pour dire qui on est et comment on imagine son futur mari. Yves et sa sœur l’avait poussée à se présenter. Elle avait cédé, comme d’habitude. Elle avait confectionné un chapeau vert et jaune avec des fleurs en papier et des cerises bien rouges, avait écrit un poème qui parlait d’amour, de fleurs et aussi de chrysanthème, ses fleurs préférées. Elle avait mis sa jolie robe vichy rose serrée à la taille.
C’est elle qui avait été élue. Elle avait gagné le tour des îles en bateau, et des matriochkas entrant les unes dans les autres. Elle y était allée avec Yves, parce que sa sœur est malade sur l’eau. Il lui avait dit que son vrai rêve était de partir en Amérique pour faire fortune. Il lui avait dit encore qu’il était amoureux de Monique et qu'elle était aussi amoureuse de lui.
Il lui avait dit qu’elle était si jolie et qu’elle allait trouver chaussure à son pied. Jeanine avait dit oui en regardant l’horizon et en laissant le vent sécher ses larmes. A la fin du séjour, elle était rentrée seule, sans les mots qu’elle attendait.

Quand elle emménagea dans l’immeuble de la voie ferrée, elle avait plein de cartons, de valises et de bidules entassés sur le trottoir. Le jeune homme qui habitait tout en haut dans une chambre de bonne et qui était professeur de piano avait été le seul à l’aider. Les autres regardaient par leurs fenêtres. Le chapeau de catherinette était tombé d’un sac et était resté un peu sur le bord de la rue. Ça les avait amusés de voir agiter ses rubans jaunes quand une voiture passait un peu trop près. C'est ainsi qu'elle était devenue "la catherinette". Un jour le jeune homme l’avait invitée à un petit concert et lui avait présenté son ami, un beau garçon un peu plus âgé que lui.

Depuis, elle regardait passer les trains et écoutait les arpèges qui s’envolaient dans la cage d’escalier ou par le vasistas ouvert des soirs d’été. Elle rêvait encore d’amour et de prince charmant. Mais dans le bureau de poste où elle travaillait, il n’y avait ni amour ni prince. Il y avait la vie qui se traîne, les vacheries quotidiennes, les clients râleurs et les pots de départ.
Pour le sien, elle avait eu un gros bouquet de fleurs, un bon d’achat à la Samaritaine, un cadre avec la photo de ses collègues et une espèce de diplôme de bonne employée, encadré lui aussi. Avec le bon, elle avait acheté un robot ménager qui lui faisait penser à son bureau à chaque fois qu’elle l’utilisait. Du coup elle s’en servait de moins en moins. Les cadres avaient fini dans la cave et les fleurs avaient séché sur le coin de l’armoire de sa chambre.

Au début Yves et Monique venaient de temps en temps avec leurs mioches qui courraient en criant dans les escaliers, ou dans la cour. Ils lui racontaient l’hôtel, les clients bizarres, et leurs problèmes de personnel si difficile à trouver. Puis ils ont espacé leurs visites. "Tu comprends, on a fait une extension, il y a plus de chambres et puis on a fait un restaurant, alors tu comprends, c’est du boulot tout ça. Toi t’es fonctionnaire, mais pas nous, tu comprends. On peut pas laisser l’établissement seul trop longtemps" … Et puis ils sont plus venus.

Un matin on a sonné en bas, à l’interphone tout neuf, même qu’elle savait plus comment ça marchait et qu’il a fallu qu’elle descende ouvrir. C’était Monique. Seule. Yves avait tout plaqué pour partir en Amérique. Mais ça allait quand même. De toute façon ils s’aimaient plus. "Tu connais pas les hommes, toi. T’as bien de la chance" ... Leur ainé avait fini ses études en commerce et avait des projets avec un espace thalasso. "Tu sais, thalasso ?" Elle avait fait oui bien sûr, et quand Monique était partie elle était allée chercher dans les magazines de voyages auxquels elle était abonnée, ce que c’était que thalasso, parce qu’elle se souvenait avoir vu ce mot là quelque part.

Elle est morte il y a deux ou trois jours sans doute, a dit le policier. La porte de son appartement était restée entrouverte. Un voisin a finalement été voir, intrigué. Il l’a trouvée, couchée dans son lit, en habit du dimanche, avec le chapeau de catherinette à ses pieds et une croix en bois entre les doigts. La main devant le nez, il a ouvert la fenêtre juste quand le train de Brest passait, et puis il a appelé les pompiers. Posée sur son cœur il y avait une lettre venue des Etats Unis.
Quelques mots. "Chère Jeanine. J’ai quitté ta sœur. Je n’en pouvais plus. Je vais essayer de réaliser un peu de mon rêve d’Amérique. Tu sais, je te l’ai jamais dit, mais quand vous êtes arrivées dans l’hôtel de mon père, il y a bien longtemps, c’est toi que j’ai vue la première. Mais Monique a bien su s’y prendre et moi, je l’ai laissée faire. Jeanine, en réalité je crois bien que c’est toi que j’aimais vraiment et que j'aime encore. Yves" ...

Jeanine a lu la lettre. Puis elle s’est habillée le mieux possible, a avalé un tube entier de barbiturique et s’est allongée sur son lit.

Je t’aime. Quelques mots. Ceux qu’elle avait attendus toute sa vie.

Elle avait laissé des instructions pour ses funérailles. Elle voulait être enterrée avec la lettre. C’est sa sœur qui s’est chargée de tout. Quand elle l’a lue, elle l’a déchirée et jetée à la poubelle.



mardi 12 juillet 2016

Célestine - Des pieds et des mots

Paulo

On s’est retrouvés tous les quatre au Bar du Pont. Paulo chougnait comme un gosse, on n’a pas tout de suite pigé ce qu’il barguignait à travers ses larmes.
Au fond du rade, ça sentait la merguez et le café bouillu, des bidules louches à l’odeur pas nette pendaient au-dessus du comptoir, on aurait dit des cadavres de merlan.

Le patron, une espèce de gras du bide au marcel douteux, puant des pieds et de la gueule, éructait à la bière en fourrant sa grosse pogne dans un froc tout aussi crados, chaque fois qu’il avait besoin du tire-bouchon. On l’appelait le vice-amiral, rapport à ce qu’il avait fait ses armes à Toulon, dans la Navale. Paulo venait de se faire plaquer par sa poupée russe, une matriochka aux joues rouges et aux yeux de lin qu’il avait dégotée dans le port en train de racoler le micheton pour une bouchée de pain. Paulo jérémiait. On l’entendait bieurler jusqu’à la capitainerie.

Je vous en ficherais, moi… On les sort du bobinard, on leur donne du respectable, on en fait des "madames" et puis voilà. Elles mettent les bouts avec un freluquet gominé, costard trois-pièces, grosse bagnole, qui leur fait renifler ses talbins. Rien qu’des vénales, j’vous dis ! Saloooope !

Fallait pas se leurrer, son histoire sentait un peu le chrysanthème, et beaucoup la vinasse, rapport aux litrons qu’il venait de s’enfiler derrière les amygdales. Y’ a pas, il avait l’ivresse séculière et le chagrin vengeur. Nous ses poteaux, on devait surtout le consoler et l’empêcher de faire une connerie. Dans cet état, le Paulo était capable de foutre la môme à la baille après l’avoir énucléée à la cuillère à glace ou au vide-pomme.

Lorraine - Des pieds et des mots

Le vice-amiral était beau et l’avait toujours été, bien avant de faire carrière dans la marine française. Pour tout vous dire, alors jeune universitaire il était entré dans les ordres, par goût du recueillement et de la musique d’église. Il était pieux et sincère, nul n’en doutait, et pourtant … il jeta le froc aux orties !

« Le coeur a ses raisons que la raison ignore » Et ce cœur s’éveilla un soir que, par hasard, il passait distraitement à pied devant la porte d’une taverne voisine. Une artiste russe chantait et jouait de la balalaïka. La nostalgie qui s’échappait de la musique le retint malgré lui, étonné, attentif, puis séduit. Oui, je dis bien « séduit », comme peut l’être un homme. Il entra donc dans la taverne.

Il se disait confusément que Satan rôdait dans les parages, mais une force inconsidérée l’assit juste devant l’estrade et leurs regards se rencontrèrent.
Ils n’eurent pas besoin de mots. A minuit, il accompagna sa matriochka, lui offrit une merguez sur le coin d’un comptoir, et son cœur pour la vie.

Une vie qui changea du tout au tout lorsqu’il devint sous-amiral, vous pensez bien. Un bateau n’est pas un bidule ; il y consacra donc toutes ses forces, tout son temps, compensant son absence par des fleurs qu’il envoyait à chaque escale à sa poupée russe : des roses, des œillets, des bouquets garnis parfois d’un chrysanthème. Un soir qu’il épépinait mélancoliquement une pomme (à l’aide de son vide-pomme), il reçut un télégramme « Suis partie. Adieu ». Il n’en fut pas particulièrement étonné. Ni malheureux. Il entra dans sa cabine, écouta la  "Messe en si mineur" de Jean Sébastien Bach et s’endormit en paix. Comme tous les soirs.

Vegas sur sarthe - Des pieds et des mots

Des pieds et des mots

J'avais fait des mains et des pieds
il ne restait que quelques jours
c'est pas marrant d'être à la bourre
j'étais dans un sacré guêpier

Pondre un sujet c'est pas facile
j'ai jamais été fort en thème
alors j'ai écrit chrysanthème
j'aurais pu mettre gypsophile

J'ai contacté des érudits
des têtes d'Igor et Grichka
ils m'ont trouvé matriochka
mais on était déja jeudi !

Dans la vie faut pas s'embêter
ne pas en chier une pendule
j'ai mis des machins, des bidules
y'a pas plus mou qu'un retraité

Il me fallait de l'olfactif
les voisins faisaient des merguez
car l'ambiance était portugaise
les footeux s'arrachaient les tifs

L'Euro dévorait la téloche
ne vit-on pas une drôle d'époque
Ronaldo remontait son froc
moi je cherchais des mots fastoches

Etaient là, ministres fantoches
tous ceux du quartier-général
on a vu le vice-amiral
scander C'est dur mais on s'accroche !

Désolé de vous ennuyer
creusez-vous la tête au vide-pomme
là c'est mystère et boule de gomme
mais j'aime bien vous titiller



Pascal - Des pieds et des mots

Réveillon 


Tu parles d’une soirée déguisée ! On aurait costumé tous les psys d’un hôpital spécialisé, le trente et un décembre au soir, on n’aurait pas fait mieux ! Pourquoi je dis ça ? Attends, tu vas voir !...  

Du vice-amiral super médaillé à la merguez brûlante, on était une vraie bande de fous !
La saucisse ? Et bien, c’était Mauricette, notre pied-noir attitrée ! Je ne sais pas comment  elle avait bricolé son costume mais son chapeau ressemblait à un pot de moutarde et ses chaussettes étaient rouges comme si elle les avait trempées dans du ketchup ! Son parfum ? Une véritable odeur de graisse !... Quant au « cinq étoiles », c’était Paul ; jadis, il était matelot dans la Royale et chaque fois qu’il peut prendre du grade, il ne se gêne pas !
Les Duranski ? Les quatre générations étaient là ! Toutes en costume folklorique, de l’arrière-grand-mère à la petite-fille, on aurait dit un ensemble de matriochkas à la fête !
Lucien avait enfilé un froc bouffant d’une autre génération ; il se la jouait poulbot, tandis que sa Monique, tout en fleurs avec son chignon en forme de chrysanthème, s’était mise en mode Peace and Love !...  

La plus petite des poupées gigognes, oui, la gamine des Duranski, s’était coupée avec un vide-pomme ! Elle avait trouvé le bidule dans le tiroir des couverts de la cuisine en cherchant les petites cuillères du dessert !...

Il était une heure du matin. L’amiral était à la barre et c’est la merguez, enfin, Mauricette, qui indiquait la route. Ils en profitaient pour ramener les deux bibelots soixante-huitards. Ils ont passé la soirée à chercher la pharmacie de garde ! Pire, ils sont tombés sur un barrage de la police ! Paul avait deux grammes d’alcool dans le sang et Monique, deux grammes de haschich dans la poche ! Ça puait la friture et quand ils ont raconté que la plus petite des matriochkas s’était coupée avec un vide-pomme, illico, ils les ont embarqués au poste !

Attends ! Une nuit comme celle-là, les pandores n’avaient plus de place dans leur cellule de dégrisement ! Ils les ont embarqués jusqu’à l’hôpital spécialisé ; ils ont passé le reste de la nuit chez les psys ! Ha, ha ! Ils faisaient des pieds et des mains pour sortir ! Ils ont passé le Réveillon chez les fous ! Oui, ce soir-là, si on avait costumé tous les malades du Service, nos Paul, Mauricette, Lucien et Monique, ils n’auraient pas dépareillé à la fête…


lundi 11 juillet 2016

Mel - Des pieds et des mots

- Et bien c'est pas de la tarte, tu crois qu'ils arriveraient à me casser les pieds les impromptus ?
- Ben ça ne va pas être commode pour toi cette semaine, vu ta culture, tous ces mots exotiques  !
- Exotique le bidule ?
- De quel bidule parles tu ? Des bidules, t'en as plein la cuisine.
- Tiens le vide-pomme par exemple, c'est pas du tout exotique mais c'est pratique. Je cherche toujours le mien, en croquant ma pomme, et quand j'ai fini, je le trouve planqué au fond du tiroir. Trop tard. Et ça fait mon histoire.
- Et le chrysanthème, qu'est ce que tu vas en faire, on est en juillet.
- Le chrysanthème ?ça me fait penser que je ne suis pas retourné chercher celui déposé l'année dernière sur la tombe de mes parents. C'est comme ça tous les ans. Et vlan !
- J'aime pas trop parler des cimetières. J'adore ta matriochka là sur ton buffet, d'où tu l'as ramenée celle là ?
- C'était un cadeau. Cà date. Cà tombe bien que tu l'aies vu, sinon j'étais dans le caca.
- Vu que tu t'en sors bien, je vais partir, il est déjà tard.
- Des merguez ça te dit ? J'avais prévu ça pour le dîner. J'aurai pu mettre des saucisses. Mais là, c'était mal joué.
- Ah oui, je n'en mange pas souvent, pour ça je veux bien prolonger la soirée.
- Attends, avant je vais au fil à linge, y a mon froc qui doit être sec. Et toc ! Demain je reçois le vice-amiral, faut que je m'habille propre et beau, je l'ai invité exprès, sinon j'invitais le boulanger mais là j'aurais été dans le pétrin.
- Au fait tes pieds, ça va ?

Fred Mili - Des pieds et des mots

C'était un sale abordage, le vice-amiral qui sortait de l'école militaire avait sa merguez qui flottait dans son froc.
Il battait des pieds sur le pont.
Le vide-pomme à la main il taillait le fruit défendu quand les premiers boulets firent des trous dans la coque.
L'école  militaire ne l'avait pas préparé à cela.  
L’assaut fut rude et impromptu.
Bidule, sa fière goélette prit l'eau.
Les matriochkas et les chrysanthèmes dont il faisait le marché noir flottaient autour de lui.
Trop tard pour lui de faire son acte de contrition.   


dimanche 10 juillet 2016

Semaine du 11 au 17 juillet 2016 - Des pieds et des mots

La semaine dernière vous avez trouvé des pierres sous vos pieds.

Cette semaine vous y trouverez aussi un bidule, un vide-pomme, un chrysanthème, une matriochka, une merguez, un froc et un vice-amiral.

Avec les
pieds ce sont 8 mots qu'il vous faudra placer dans le texte que vous nous ferez parvenir avant dimanche soir minuit à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com.

Mia Racine - Le temps de vivre

Gouine

Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
Je venais de lui dire que j'étais gouine
J'ai ramassé son cœur à la serpillière

J'aurais pu encore faire semblant
Ouvrir les jambes avec des mots fuyants
Mais mon propre désert
Aurait bien fini par me trahir

Ma vie se doit d'être plus qu'une série de haut-le-cœur
Je veux dans mon lit des filles de toutes les couleurs
Je l'ai laissé partir le sexe à l'air
Alors que le pauvre espérait se satisfaire

samedi 9 juillet 2016

Célestine - Le temps de vivre



 Il a dévalé la colline. Ses pieds faisaient rouler les pierres. Boudi ! Il en a jamais vu autant !
Sur le Garlaban, comme sur toute la Provence, les pierres sont reines, elles constituent le paysage, elles en sont l’essence même, elles poussent pendant la nuit et vous font au matin de méchants crocs-en-jambe, quand elles ne vous démantibulent pas les souliers en vous ouvrant de grosses brèches dans la semelle pour mieux blesser vos pieds. Pécaïre, elles sont douées de la volonté de nuire, c’est certain !

Sa tête est en feu, comme le soleil qui brûle déjà ce matin l’âpre pays, mais Gaspard n’en a cure. Il a laissé Marie, là-haut, sur le plateau désolé et rebroussé par le mistral, parmi les maigres herbes et les chardons si acérés que même les ânes hésitent à les manger. Marie, le corps déchiré, la jupe trempée, le front étoilé de perles salées. Sa Marie qui pleure immobile et sans bruit, et puis qui râle comme une biche aux abois.
Il l’a laissée seule avec les mouches bleues et les chèvres à la robe cuivrée, et des espigaous plein ses cheveux dorés.
Sur la colline, le temps est figé dans l’air brûlant et ancestral de la garrigue, qui vibre de cigales, d’arbouses et de pins. Mais lui, il en a déjà perdu trop,  du temps. Il pense à Marie, il gémit de douleur essoufflée, il entre en trombe dans la première maison du village, et crie avec une voix de tarasque : «  Docteur ! Venez vite ! Bonne mère du ciel ! Ma petite …Vite vite !
- Gaspard ! fan des pieds ! Tu m’as fait peur, bournefigue ! Mais qu’est-ce y se passe ? Tu vois pas que c’est l’heure du pastis ?
- Mais docteur, vite…vite… ô fatche de…
- Mais quoi, tu accouches à la fin !
- Justement, c’est Marie…elle a fait… les eaux…
- Ô teste d’aï ! Tu pouvais pas le dire plus tôt ! Allez, faï tira, sinon ta galine, elle va nous le faire sans nous, ce petit !