samedi 29 novembre 2014

CristelD - 18h45

Elle prenait comme moi le 18h45.
Et ce fut avec joie que je la revis.

Il y eut d’abord venant de sa part un regard qui cherche, et qui semble dire : nous nous connaissons. Oui, je connais ses yeux.
Et de mon côté, j’éprouvai cette sensation de déjà vu. Alors, elle fit ce geste qui interpella ma mémoire : elle passa derrière son oreille une mèche de cheveux en inclinant la tête sur le côté. Et je pus enfin mettre un nom sur cette attitude si familière.
Et je me déplaçais rapidement à côté d’elle.
Trente ans ! Cela faisait trente ans !

Nous nous étions perdues de vue après les résultats du bac, alors que nous avions effectué toutes une partie de notre scolarité ensemble : même collège, même lycée de la ville. Et rapidement une discussion s’établit : la famille, les enfants, le travail, les anciens amis.
Elle était partie en fac de Médecine, et moi en Lettres. J’étais devenue enseignante et elle chirurgienne. Je devais me rendre à Paris pour raison professionnelle, et elle y rentrait car elle y vivait.
Elle était revenue dans cette ville pour voir ses parents, et le hasard avait fait le reste…
Et le trajet s’écoula trop rapidement : des souvenirs tristes et gais, des échanges d’adresse e mail et de téléphones. Elle avait divorcé, moi, cela faisait vingt-cinq ans que je vivais avec mon époux. Elle avait eu une fille unique assez tard, et j’avais quatre enfants et deux petites filles. Sa carrière l’avait mené à travers le monde, alors que j’avais préféré rester dans le même collège depuis maintenant vingt ans.

Un même train, deux voies différentes. Et aujourd’hui, toutes deux à ce carrefour de nos vies, à l’approche de la cinquantaine.
Un heureux hasard…

vendredi 28 novembre 2014

Mamily - 18h45

18H45

Elle prenait, comme moi, le 18h45.
Je m'installais au numéro B 23,comme tous les soirs,sans même avoir besoin de repérer l'emplacement.
Depuis trois mois nous nous retrouvions dans cette même voiture du train 5745 sans nous connaître,
pour un trajet d'une heure.
Même point de départ, même point d'arrivée.
Je la trouvais assise face à moi.
Elle portait élégamment une fourrure d'un ton gris ponctué de noir qui faisait ressortir ses immenses yeux d'un bleu profond étonnant. Ses pupilles cerclées de noir m'ont subjugué,étonné. Son regard fut suspendu au mien dès le premier instant.
Intimidé par cette présence sublime,je n'osais lui parler.
Tous les soirs nous communiquions par:
des regards interrogateurs,
des regards flatteurs,
des regards complices,
des regards amusés,
des regards inquiets.
Par moment,elle bougeait un peu,redressant la tête,sans quitter mon regard,croisant et décroisant ses jambes fines. Puis elle prenait une pause confortable,faisait mine de s'assoupir. Mais,les yeux baissés,à travers un battement de cils,elle filtrait son regard vers moi,en biais, en soulevant un sourcil. Elle sortait un petit bout de langue rose,se léchait les lèvres d'un mouvement appliqué.
Moi,je ne bougeais pas,comme paralysé. Je ne souhaitais surtout pas rompre l'envoûtement qui m'enveloppait.
Quand le son du haut-parleur annonçait l'arrivée en gare,elle se redressait fièrement sur son fauteuil et s'étirait,comme pour émerger d'un songe.
Nous nous dirigions vers la sortie.
Elle marchait devant moi en se dandinant.
A l'arrêt du train,nous descendions sur le quai.
Nous partions chacun de notre côté.
Moi,j'espérais la retrouver le lendemain.
Ce rituel se répétait tous les soirs jusqu'à la fois où je la vis arriver,accompagnée d' un homme âgé s'appuyant sur une canne,le teint pâle,les traits tirés.
Il s'assit sur le fauteuil qu'elle occupait auparavant.
Pour la première fois,elle m'ignora,garda les yeux baissés.

Pour la première fois,elle remua la queue,s'installa aux pieds de son maître,poussa un gros soupir puis s'endormit jusqu'à l'arrivée.

jeudi 27 novembre 2014

Clise - 18h45

Elle prenait comme moi le 18h45
Tous les soirs
Non par nécessité
Mais par toc
Le tic-tac de l’horloge
La délogeait de chez elle
Elle se précipitait à petits pas
De dératée
Pour ne pas rater
L’inutile voyage
Dans un bus bondé
D’inconnus dénués d’intérêt
Dans sa ronde infernale
Machinale viscérale
Elle évacuait à l’arrêt suivant
Rentrait dare-dare
Chez elle pour regarder
De sa fenêtre passer
Le 19h05 ...

Le blog de Clise

Jacou - 18h45

Complainte

Elle prenait comme moi le 18h45.
C’était, vous l’avez deviné, le même train.
Tous les soirs, je lui disais, mademoiselle à demain.
Mais elle ne me répondait toujours rien.

Retenez bien ce refrain

Mais elle ne me répondait toujours rien.
Tous les soirs, je vivais le même train-train.
Elle arrivait, c’était le même sourire divin.
Moi, je la contemplais, rongeant mon frein.

Revenez au refrain

Tous les soirs, je lui disais, mademoiselle à demain.
Elle, elle descendait avec le même air serein.
Je l’accompagnais un bout de chemin.
Puis m’en retournais seul avec mon chagrin.

Relisez le refrain

C’était, vous l’avez deviné, le même train.
Un soir, l’apercevant, je crus enfin,
Qu’elle voulait me parler, c’était certain.
De grands gestes me faisait, j’étais bien.

Souvenez vous du refrain

Elle prenait comme moi le 18h45
Je la vis, gesticulant de ses deux mains,
Avec un autre partager, des muets, le destin.
Voilà pourquoi elle ne me répondait jamais rien.

Oubliez le refrain.

Où lire Jacou

Daniel Hô - 18h45

Elle prenait comme moi le 18h45.

Il faut que je vous fasse un aveu. Jamais je ne l’ai remarquée. Elle, perdue dans la foule des anonymes, n’a pas su ou n’a pas pu retenir mon attention. Non,  il n’y a pas eu ces yeux magnifiques à la couleur d’une minéralité rare, de regard mystérieux amorce de début d’un voyage fantastique, de chevelure ondulante jumelle de Cassiopée dans la nuit d’un été torride, de parfum délicat à la rareté d’une rose de Samarkand, de voix mélodieuse à la douceur d’une mésange, de démarche altière d’une reine de Saba damnant le pauvre Salomon que je serais devenu, rien de tout cela ou rien d’autre encore.

Mais alors comment ai-je pu connaître son existence ? Simplement parce que c’est elle qui me l’a dit ou plutôt écrit. Je me suis reconnu en lisant fortuitement, dans la rubrique du cœur du journal de ma région, un article qui titrait :

Il prenait comme moi le 18h45.

Blick - 18h45


Édition spéciale


Elle prenait comme moi le 18h45.

J'arrivai du kiosque comme chaque soir et m'affalai comme un millefeuille sur la banquette. Le monde dégoulinait de mauvaises nouvelles.

Le ciel était de la couleur du plomb des typographes, la pluie dessinait sur les vitres des calligrammes en elzévir, quand une bourrasque soudaine changea la fonte j'eus peur que l'orage ne la retarde et ne la fasse rater l'interligne.

Elle courut sur le quai, les pigeons s'envolèrent comme une poignée de gros sel vers la verrière sur laquelle voguaient à toute allure des cumulus qu'on voyait lâcher à la volée des flaques entières, comme des paquets de journaux.

Elle s'abattit près de moi en secouant sa chevelure, ce qui jeta en l'air une myriade de gouttes d'eau étincelantes comme du mica qui dessinèrent en l'air la roue d'un paon avant de crépiter sur moi en averse tropicale, alors mon cœur, coprin noir d'encre, manqua se liquéfier.

On entendait le conducteur choisir avec soin sa banlieue dans la casse des aiguillages tandis que le train s'ébranlait, puis tout s'huila et ronronna comme une presse rotative au soleil couchant accroché aux caténaires.

Ses yeux d'abord, sa respiration essoufflée comme une émotion d'avoir couru, enfin ses doigts tournant mes pages. Elle n'est pas de celles qui se moquent du monde, ses conflits, ses scandales, ses colloques, les inondations et les catastrophes environnementales à venir, les mariages princiers, les courses cyclistes et les matches de foot, aussi me parcourut-elle sans distraction et me lut d'un trait jusqu'à mon extase.

Plus tard, dans cette intimité tendre d'après l'amour, elle lut l'horoscope imprimé à sa dévotion, puis me chatouilla délicieusement en remplissant la grille de mots croisés, tapotant ses lèvres chéries du crayon qui me griffait comme m'auraient égratigné ses ongles.

Elle disparut à la nuit tombée pour aller, j'imagine, récupérer ses enfants à la garderie, sans ardeur embrasser son mari, préparer le repas. L'équipe de nettoyage fit peu de cas de moi, me froissant et me jetant entre les rails. A l'heure où les trains dorment comme des vagabonds sous les ponts des autoroutes, le vent finit de disperser mes pages trempées de pluie et de larmes. Dans les barres et les tours alentour s'allumaient déjà, une à une, les fenêtres des ouvriers du livre qui partaient au labeur.

L'Arpenteur d'étoiles - 18h45

Elle prenait le 18h45. Pour elle aussi c’était la première fois. Deux solitudes fracassées recherchant l’oubli dans un voyage au long cours. Du bercement régulier des bogies dans la nuit tiède naissait la rêverie. Les senteurs d’acajou et de vieux cuir de la cabine se mêlaient aux arômes acidulés des grandes plaines, qui glissaient par la fenêtre à peine baissée.
J’avais entr’aperçu sa silhouette sur le quai, environnée de valises et des voix des porteurs. Maintenant c’était les effluves légers de son parfum qui dansaient dans le couloir.

Nous avons croisés nos regards au wagon-restaurant et nous nous sommes frôlés dans les passages vers le grand salon. Et puis il y eut cette halte sur les bords ombreux du Danube. Depuis une ruelle, un violon tzigane solitaire avait lancé sa plainte … Elle m’a regardé : « vous savez, la seule chose importante à présent, ce sont les tendres prémices de l’été » ... Pouvions-nous faire autrement ?
Nous nous sommes endormis, calés contre l’autre, bercés par le roulement apaisant du train filant vers les premières lueurs de l’aube, exquise promesse d’éternité.

Belgrade, Sofia, Istanbul. Couleurs éclatantes, parfums d’épices, reflets mauves de la mer. En contrebas, le murmure de la ville montait par bouffées dans l’air du soir ... « je t’aime » au creux de mon épaule, dans nos mains qui s’accrochent, au bord de nos lèvres, dans l’eau de tes yeux clairs ...

mercredi 26 novembre 2014

Petite Plume - 18h45

Elle prenait comme moi le 18h45
Chaque jour je l’observais d’un œil discret, elle m’observait aussi.
Elle semblait perdue dans ses pensées…comme moi.
Elle avait les traits tirés, des rides précoces, difficile de lui donner un âge…comme moi.

Nous avions les mêmes yeux d’un bleu azur mais un regard éteint.
Nous arborions la même coiffure, une coiffure…des mèches de cheveux ternes et désordonnées. Ses vêtements ne la mettaient pas en valeur, comme les miens.

Avait-elle comme moi vécue une journée sans intérêt ? Allait-elle comme moi passer une nième soirée avec la solitude ?
Elle était pourtant jolie, avait de belles formes, il ne manquait à ce visage qu’un sourire. On m’a souvent dit que je devrais sourire…
Autour de nous des voyageurs parlaient, riaient. Nous, nous restions muettes, regardant défiler le paysage en attendant l’annonce de notre gare d’arrivée.
Trois mois que nous prenons le 18h45
Trois mois que je l’observe, qu’elle m’observe.

Ce soir, je ne supporte plus de voir cette femme plongée dans cette tristesse, j’ai envie de lui parler, j’ai envie de lui sourire, j’ai envie de rire avec elle, j’ai envie de mettre de la couleur dans nos vies. Ce soir je ne supporte plus de voir cette femme … Ce soir je ne supporte plus de voir mon reflet dans la vitre de ce train de 18h45…

Pascal - 18h45

Elle prenait comme moi le 18h45. C’était le seul emploi du temps qui nous rapprochait tous les soirs. Elle partait vers la capitale, j’en revenais. Pendant cet interlude curieux, de mon quai, je la reluquais et je la trouvais moche comme peut l’être un épouvantail quelconque. Pas moche, dans le sens « la Nature ne l’a pas gâtée » parce que, là, personne n’est vraiment responsable mais moche, vulgaire, par une suite de négligences fatales, au-delà d’une normalité de correction urbaine…

Pour qu’on ne vous remarque pas, il faut être transparent et pour être transparent, il faut être comme les autres, issu du même moule, uniforme ; faire semblant de lire un journal intéressant, s’apitoyer niaisement sur le toutou peureux étouffé dans les bras d’une mémère dominante, regarder les lumières finissantes dans les vérandas de la gare sans bien réaliser les kaléidoscopes éphémères, s’endormir sans sommeil, rêver sans lendemain et se tenir sur un pied comme une grue épuisée de sa journée d’étang, fumer sans inhaler, mâchouiller un chewing-gum à la chlorophylle évaporée, bidouiller son portable avec ses jeux imbéciles ou s’envoyer des textos pour faire croire aux autres, à ceux du même quai, qu’on ne nous oublie pas…
Vous avez remarqué ? La pantomime des gens sur un quai est une suite de signaux d’alarme sans secours. C’est amusant comme on peut traduire cette solitude ambiante. Quel paradoxe moderne, cette survivance au quotidien. Nous nous sommes éloignés de nous-mêmes pour paraître un personnage que nous ne sommes pas ; plus on est au milieu des gens et plus on se sent seuls…

Elle ne dérogeait pas à la règle. Elle était un peu tout cela, moche et insignifiante. Ses talons aiguilles, sa jupe si courte, son maquillage fané et ses yeux en veilleuse, n’arrivaient pas à l’élever au-dessus de cette morosité de quai froid. Elle était anonyme, fantôme, zombie, au milieu des autres ombres s’agglutinant sur le quai comme des mouches sur un cadavre…

Elle, c’était mon entracte. Entre les lignes de mon insipide journal du soir, j’aimais bien l’admirer avec ses turpitudes languissantes de voyageuse sur le retour. Les cliquetis de ses talons, ses moues sans avenir, son sac en skaï éblouissant, étaient comme des invites de : Regardez-moi ! Regardez-moi ! J’existe ! Que faut-il rajouter à ma panoplie de séduction pour que je vous plaise ?!... Des bijoux ?... J’en ai partout, sur les doigts, sur les mains, sur le nez, sur les joues !... Je porte les derniers nés des Galeries Lafayette !... Du parfum ?... Je baigne dedans ! Je teste tous les flacons d’Yves Rocher !... Et mon maquillage !... Il ne vous plaît pas, mon maquillage ?!... Je suis amie avec une esthéticienne de talent, elle me fait des prix !... Au secours, regardez-moi !... Ma jupe est trop longue ?... J’en ai commandé une autre chez Ralatouffe !... Et mes seins ?!... Mais regardez mes seins !... Du 95d, pleine fleur !... Des tatouages ?... J’en ai partout, des plus timorés jusqu’aux plus explicites !... Allez ! Un petit effort !...
Elle était de toutes les modes du moment et c’est ce qui la rendait si moche. Elle était comme une monstrueuse pub, bien plus racoleuse que tous les panneaux d’affichage des alentours des quais…  

Non, décidément, je n’arrivais pas à me voir avec elle à un rendez-vous, autour d’une table de restaurant, assis dans des fauteuils de ciné ou visitant un musée de peintres impressionnistes. C’est sûr, un jour, elle me demanderait de visiter l’Egypte, je serais son porteur d’eau, son porteur de bagages ; j’aurais droit au chameau, à la gastro et devant les pyramides, je prendrais sa photo. Elle me ferait connaître sa mère et ses sœurs ; tous les soirs, j’aurais son compte-rendu de bureau avec toutes les injustices ordinaires s’y affairant. J’aurais droit à son chef du personnel, son harcèlement moral et ses mains baladeuses, ses augmentations ne venant jamais et ses lubies, et ses menstruations, et ses cours de danse de salon, et son régime basse calorie, et sa voiture encore en révision, etc. Pire, si cela se trouve, elle me demanderait de lui faire un gosse, un bien pleureur, un qui pue, un qui réclame ses biberons seulement en pleine nuit, etc. C’est pour cela qu’elle était moche…

Sur le quai d’en face, elle attendait son métro. Elle était toujours en avance sur la prochaine rame ou en retard sur la précédente. Les lumières des néons, en file indienne jusque dans les tunnels, lui offraient des pouvoirs chimériques accompagnant son ombre baladeuse. Dans les horloges, les aiguilles se disputaient le temps qui passe et les haut-parleurs blasés racontaient les correspondances imminentes…  

Et puis, comme tous les soirs, à l’heure fatidique, arrivait son loulou banlieusard. Le matou, venu d’une gouttière, de nulle part ou d’une autre rame, l’enlaçait comme s’il avait capturé une petite oiselle égarée. Il respirait dans son cou, il matait son décolleté, il serrait sa taille. Je n’aimais pas sa façon si crue de se laisser emporter par ces baisers de voyou. Sous l’audace impertinente de ses assauts de soudard, elle résistait en l’emprisonnant par le cou ; impudique, sa jupe se fendait, ses cheveux se décoiffaient, ses dents brillaient, ses sourires éblouissaient…  
Enfin, leur 18h45 s’allongeait sur leur quai en crissant un freinage railleur ; enchevêtrés, ils grimpaient ensemble dans le métro en ignorant le monde ; elle avait tellement d’étoiles dans les yeux, tellement de frissons autour de ses boucles d’oreilles et c’est ce qui la rendait encore plus moche…

Adrienne - 18h45

D comme déclaration

Il prenait comme moi le 18h45 mais je ne le savais pas. Jusqu’à cette chaude journée d’avril où le hasard m'a fait monter dans le même wagon. Je venais juste de hisser à grand-peine mon sac de voyage dans le filet quand je l’ai vu qui me regardait en souriant. La première idée qui m’est venue, c’est que je devais être rouge et échevelée et que peut-être j’avais des auréoles de transpiration sous les bras.
- Tu peux venir t’asseoir ici, si tu veux, m’a-t-il dit en me désignant la banquette en face de lui.
 

J’ai jeté un coup d’œil désespéré à mon gros sac plein de livres et de linge sale.
- Tu peux le laisser là, a-t-il ajouté, tu le prendras quand on descend, ça ne gêne personne.
 

Depuis ce jour-là, nous avons fait route ensemble chaque samedi. J’apprenais à mieux le connaître même si c’était surtout lui qui posait les questions. Quatre ans de plus que moi, ça compte quand on n’en a que dix-huit : il était déjà en premier doctorat alors que moi je n’avais encore rien prouvé. Il me paraissait toujours aussi inaccessible qu'à mes quatorze ans. J’aimais son humour, ses yeux bleus, son nez busqué, son surpoids, sa canine un peu de travers, j’aimais tout.
Toute la semaine je dessinais son profil sur mes notes de cours et le samedi je l’admirais dans le wagon de train.
Il n’en a jamais rien su.

Où lire Adrienne
 

Oncle Dan - 18h45

La belle inconnue

Elle prenait comme moi le 18H45. Personnellement, j'aurais pu prendre également celui de 17H12 ou, lorsque j'étais retenu au bureau pour une raison quelconque, celui de 19H24. Cela m'était déjà arrivé. Mais depuis le jour où je l'avais aperçue pour la première fois, aucune catastrophe ne m'aurait empêché de prendre le 18H45.Elle était d’une beauté surhumaine et je suis effrayé de mon insuffisance à vous en décrire la sublimité.

Le torrent sombre de ses cheveux magnifiait un visage à arrêter les pendules et jamais les vibrations d’une rame de train ne firent trembler ses luminaires au fond de prunelles plus pures. Elle était fine, svelte, avec des rondeurs d’une volupté presque immorale qu'elle cherchait à dissimuler par pudeur sous une robe longue. Elle était discrète et silencieuse. Délicate et secrète. Un jour sombre et funeste. Ah, que je maudis ce jour-là ! Alors que J’essayais vainement de m’extraire de l’abîme de son décolleté, un individu extraordinairement quelconque assis en face d’elle, entama un cortège de banalités propre à assommer d’un coup un essaim d’éléphanteaux. La jeune fille à l’indicible beauté l’interrompit par un péremptoire : Ne perdez pas votre temps, monsieur, je suis sourde et muette.L’individu formidablement quelconque se mit alors à ouvrir et fermer la bouche en silence, comme un poisson rouge tombé du bocal.

Quant à moi, je battis le record du saut en hauteur, départ assis. Il me paraissait impossible d’avoir entendu ce que j’avais entendu.

La jeune fille, plus angélique qu’un ange et plus gracieuse qu’une déesse, se tourna vers moi et me confia : Je lis sur les lèvres et je suis ventriloque.

Pourtant, remarqua l’individu horriblement quelconque et vulgaire, vos lèvres bougent !

Pure coquetterie, précisa-t-elle en se levant car le train arrivait en gare. Elle saisit son énorme sac à main et quitta notre wagon.

Je ne l'ai jamais revue.

Chri - 18h45

Elle, elle prenait comme moi la 18h45.
Je l’avais repérée à plusieurs reprises quand elle montait avant tout le monde sur la passerelle de son allure conquérante et dédaigneuse.

La navette du soir pour Moranion, un des deux milles cinq cent vingt sept satellites mis en orbite autour de la terre à partir des années 2033 tant l’air y était devenu irrespirable et le climat perturbé. Chaque nation avait donné comme noms à ces entités de survies des noms de célébrités vaines qui avaient sévis dans les dernières décennies où la terre avait été vivable. Pour la France, on trouvait Nabilon, Estrosion, Sarkozion et pour d’autres c’était Kardashion, Hiltion, Ronaldion, Poutinion etc

Seuls quelques escadrons de soldats gardant des condamnés par la justice restaient à demeure sur terre. Les autres remontaient tous les soirs grâce à des navettes supersoniques… Les autres, enfin ce qu’il en restait entre les inondations, les passages fréquents des cyclones, les pluies diluviennes, la montée des eaux, les tempêtes de sable, de neige, les maladies pulmonaires, l’expansion des virus, les dégradations génétiques dûes à tout ce qui avait créé ce merdier et qu’on avait laissé faire. Cela allait de l’utilisation des pesticides et à la généralisation des OGM en passant par le CO2 et autre couche d’ozone. Désormais nous étions dans une merde noire et il n’y avait aucune perspective d’éclaircissement. Malgré ses défauts et ses inconvénients, l’air artificiel des satellites était préférable à celui qu’on ne pouvait plus respirer « en bas ».

Ainsi, nous étions une petite centaine à embarquer tous les soirs sur la 18h45, il y en avait toutes les dix minutes, pour passer la nuit dans nos unités collectives, viables, respiratoires (les CVR) et nous redescendions le matin pour nos professions respectives.

Je l’avais repérée à plusieurs reprises quand elle montait avant tout le monde sur la passerelle de son allure conquérante. Elle était magnifiquement belle. Si droite, si majestueuse que ce devait en être une. Las, je n’aurais aucune chance de quoi que ce soit avec elle, nous ne faisions pas partie de la même caste. Oui, on avait réintroduit ce principe pour que ce soit moins le bazar. Chacun sa caste et plus de mélanges, on y voyait plus clair…

Elle, elle avait un passe pour TOUTES les navettes et elle embarquait en premier dans la 18h45, c’est dire…


Où lire Chri
Où voir ses photos

mardi 25 novembre 2014

Ours Bourru - 18h45

Ça tourne pas rond… Vraiment pas…!


Ils prenaient comme moi le 18h45. Tous.
C'est ce qu'on nous avait dit à l'agence Havas-Nouvelles Frontières. "Ce qu'il vous faut, c'est le 18h45. Il est particulièrement bien adapté à votre cas. Avec lui, plus de problème, la régénération est optimale. Vous vous rendez compte? 18h45 de sommeil tout en voyageant dans le continuum hyper espace. Vous vous endormirez au spatioport et vous réveillerez chez vous dans votre lit. En plus, votre cueillette est épluchée et préparée par notre robot chef Maïté suivant une recette landaise qui lui vient de son arrière grand-mère. Les bocaux seront rangés dans vos placards, vos affaires lavées et repassées. Oui, ce qu'il vous faut c'est le 18h45, vraiment!"

Et voilà, on était tous dans la file du quai sur la "Terre Jumelle" à attendre l'appel pour le retour. Il faut dire qu'ici c'était la pleine saison pour les champignons et, bien sûr, cela commençait à se savoir. Chaque année il y avait de plus en plus de monde et maintenant, on n'avait plus droit qu'à cinq pauvres Tupperware d'un litre pour la collecte. La spatiodouane équipée de chiens et de cochons renifleurs y veillait sévèrement.

La "Terre Jumelle", quel merveilleux endroit! Et dire qu'on avait d'abord ri au nez de son "inventeur", le génial astronome képlérien Pûrrat-Endr. Pourtant, cet homme, après de savants calculs, avait su expliquer les "non-failles gravitationnelles" du système solaire, "non-failles" qui s'expliquaient simplement par la présence de "doubles" des planètes diamétralement opposées à celles-ci par rapport au Soleil. Les mauvaises langues disaient qu'il avait eu cette idée saugrenue en retournant son tableau pour écrire un soir de beuverie où il voyait double, n'empêche, la sonde Rosetta XIII dépêchée à la poursuite de la comète Chourave avait trouvé et photographié la Terre Jumelle! Allo, Houston, on a un problème… Houston? Allo! Mais allo, quoi…

Pûrrat-Endr avait raison! Les doubles planétaires existaient bel et bien et faisait du système solaire un système très coriace et d'une solidité à toute épreuve. Le problème résidait dans l'observation, on ne voyait que d'un coté du monde, l'autre, celui des éléphants roses comme disaient encore certains esprits chagrins, était masqué par notre étoile. Il fallait envoyer une mission d'observation vers la "Terre Jumelle". Celle-ci fut dirigée par le propre fils du kléperien Pûrrat-Endr, San Pluzat-Endr associé à la barbare Ella. Ce premier voyage prit évidemment un semestre. Les ingénieurs avaient choisi d'envoyer dans l'espace l'astronef d'observation et de le laisser à l'arrêt en attendant que la terre jumelle passe par là ce qui, comme chacun s'en doute, prend bien ses 6 mois. Ella et San passèrent ce temps à faire leur déclaration d'impôt, à se faire sévèrement contrôler et à fournir des tas de justificatifs. Quand enfin la Terre Jumelle apparu, ils étaient donc très, très motivés pour découvrir un nouveau paradis fiscal et leur mission fut couronnée de succès. La "Terre Jumelle" était en tout point semblable à la Terre mais en plus "nature". Ils décidèrent de s'y installer après avoir dit adieu aux noms du père et du fisc, et l'esprit saint. Ce fut le début de la colonie.

Quel rapport me direz-vous avec le 18h45? Pas grand-chose effectivement, sauf que cette "Terre Jumelle", après bien des aventures (mais celles-ci sont d'autres histoires), cette "Terre Jumelle" a depuis été sanctuarisée, sur les demandes pressantes des descendants de la famille de l'Inventeur, en particulier, le célèbre Yann Amar d'At-Endr. Transformée maintenant en parc mondial sidéral, elle permet aux Terriens de souche de toucher, un peu, aux origines, aux saveurs oubliées d'un monde pur et non pollué, surtout maintenant que le voyage dans l'espace s'est démocratisé.

Et tout ça grâce aux 18h45. On a du mal à s'imaginer. Rappelons- nous les six mois du premier voyage.

Donc, on était là sur le quai à attendre l'appel et l'inspection, avec nos truffes dans les tupperwares… Et c'est là où je me suis laissé aller. Je n'aurais pas du faire confiance à ce petit vendeur à la sauvette local, un "fraudeur", comme on les appelle, digne vanupied descendant de San, d'Ella. Il a vu que j'étais Suisse et m'a demandé l'heure. "Peuh! Zarbi qu'elle est ta toque! Wouaouh, qu'on dirait la pomme de Guillaume Tell r'lookée par du Jobs Art! Même pas tech! P'tain, mec, j'te kiffe! Tiens v'la de quoi pas speeder pendant le vol. Pour toi, c'est trois crédos". Oui, ici, sur la "Terre Jumelle" les crédits, s'appellent des crédos, rapport aux origines sûrement. J'avais justement quelques pièces en trop qui me seraient inutiles au retour alors j'ai acheté sa pilule. On m'appela et je me préparai pour le transfert. Tupperwares et vêtements d'un coté, moi et les pilules de l'autre. Reniflements… Rien de suspect. Vous pouvez passer. Avalez. Gloups. Et voilà…

Et voilà… Voilà comment je me suis retrouvé dans une auberge du Valais à table avec un gros type frisotant de Villers-Cotterêts qui me convie à partager son tendre bifteck d'ours…

Considérant sa mise, je ne pus m'empêcher de lui demander la date du jour. A quoi Alexandre me répondit en sortant son oignon du gousset, nous sommes le 18 avril 1845 et il est 18h45…

Mafaxel - 18h45

Il prenait comme moi le 18 h 45. C'était le dernier bac de la journée qui faisait la liaison entre le continent et l'île. Nous étions peu nombreux et j'ai facilement repéré ce voyageur avec son étui à violon sur le dos.

Il faisait encore chaud quand nous sommes arrivés sur l'île et j'ai décidé de passer la première soirée à errer sans but aux alentours de la chambre d'hôtes où je logeais. J'avais emporté des fruits qui me serviraient de dîner, j'avais besoin d'être seule. J'ai vagabondé une bonne heure et quand mon estomac s'est rappelé à mon souvenir, je me suis installée dans une anfractuosité de rocher. Assise à l'abri face à la mer, à marée montante mais encore assez loin, je jouissais du bonheur de ma tranquillité. J'étais en train de ranger les pelures de mes fruits dans un sac quand il me sembla entendre de la musique.

Mais oui, je ne me trompais pas, c'était un air de violon.

Je me suis approchée de la mer et j'ai vu alors, mon voyageur du 18 h 45, les pieds dans l'eau qui jouait une mélodie mélancolique le plus souvent, mais avec des envolées très gaies. Mes rares connaissances musicales ne me permettaient pas de reconnaître le morceau. Peut-être était-ce une composition personnelle, d'ailleurs, comme un étrange dialogue. C'était magnifique.


Quand il a jugé que la mer était suffisamment haute, il a sorti de la poche de sa chemise une fleur, cueillie sur l'île probablement, et il l'a posée doucement sur une vague. Puis, à reculons, il a regagné la plage, rangé son violon et est parti, disparaissant à mes yeux .


Je me suis aperçue alors que des larmes coulaient sur mes joues.


Mon hôtesse m'attendait pour me proposer une infusion que j'acceptai volontiers. Nous avons parlé de la beauté de l'île et elle m'a indiqué les meilleurs endroits à visiter. Encouragée par sa gentillesse, je lui ai parlé du violoniste.


« Ah ! me dit-elle, vous l'avez vu ! Cela fait cinq ans qu'il revient à la même date.»

Cinq années auparavant donc, une petite fille de 2 ans environ avait trompé la vigilance de ses parents et avait été attirée par l'eau.

« Personne ne sait bien ce qui s'est passé. Avec les enfants, il suffit de quelques secondes pour qu'ils s'échappent, vous savez. C'est ce jeune homme qui s'est précipité dans l'eau et a réussi à ramener la fillette, mais trop tard, malheureusement.


Depuis , à chaque anniversaire de l'accident, il revient jouer du violon exactement à l'endroit où la petite s'est noyée. »

Anna - 18h35

Ils prenaient comme moi le 18h45.
Je dis 18h45 parce que c'est ce qu'on lisait sur l'horaire de bus, morceau de papier tant de fois plié et déplié qu'il ressemblait à de la dentelle. Il passait rarement pile à 18h45, cela dit ; plutôt vers 18h50, 19h00 même si le temps était mauvais.


Tous les soirs d'hiver, nous guettions la lueur jaune des phares du bus, quasi invisibles les uns aux autres dans l'obscurité et le brouillard. Tous les soirs, le premier qui apercevait cette lueur quittait l'abri très relatif de la haie de troènes pour s'avancer au bord du trottoir, là où le bus allait s'arrêter. Tous les soirs, nous nous joignions à lui un par un pour former la masse humaine qui attendait l'ouverture des portes en accordéon, j'attendais mon tour, j'avançais jusqu'au fond du bus où je m'asseyais, toujours à la même place. Tous les soirs, je les regardais.


J'imagine que pour les autres, c'était une fille et un garçon. De mon point de vue, du fond du bus, c'était deux genoux. Un genou droit dépassant à gauche de l'allée, le genou en jean. Un genou gauche dépassant à droite de l'allée, le genou en treillis.Le chauffeur du bus écoutait la radio, Europe 2 en général, et je regardais les genoux réagir à la musique.


Le genou en treillis manifestait son enthousiasme sur le rap, et le bon gros hip hop qui tâche.
Le genou en jean aimait la chanson française.

Tous les deux se déchaînaient sur le rock.

Fatigué par ma journée de boulot, je me laissais hypnotiser par le balancement du bus et le mouvement des genoux, jusqu'à les envisager comme deux entités autonomes, en rien reliés à un corps entier. Ça a duré quelques années comme ça, ce manège.

Et puis je ne sais pas, ils étaient au collège, au lycée peut-être, en tout cas ils ont grandi. Les genoux ont pris de l'ampleur. Puis ils ont quitté le bus un soir de printemps et je ne les ai plus jamais revus.


Où lire Anna

Vegas sur sarthe - 18h45



La jolie cul-terreuse

Elle prenait comme moi le 18h45 avec tous ceux qui comme nous - s'étant fait piéger par la douceur bucolique du canal et l'odeur enivrante des collines surchauffées - n'avaient comme planche de salut que les trois wagons brinquebalant du tortillard pour regagner la capitale bourguignonne.

Notre sauveur avait gardé le nom de Train des Pêcheurs, de l'époque où les dijonnais endimanchés ou chargés de leurs équipements débarquaient dans les gares de la vallée de l'Ouche jusqu'au terminus de Gissey-sur-Ouche pour venir taquiner le goujon ou la perche sur les bords du canal.

Aujourd'hui le petit train de la Côte d'Or vivait ses derniers instants...

Je ne sais pas pourquoi je m'étais laissé aller à lui raconter tout ça mais elle avait l'air si captivée dans sa jolie robe Vichy bleue assortie à deux grands yeux étonnés.

Elle avait abandonné sa Saône-et-Loire natale pour la première fois pour visiter une cousine le temps du week-end et s'inquiétait déjà de sa correspondance à Dijon pour Mâcon.

Ici elle était une cul-terreuse et cette expression bien de chez nous la fit éclater d'un rire cristallin!

Joliment garni son décolleté Vichy tressautait aux moindres cahots du wagon au point que je réalisai qu'on avait déjà passé la halte de Sainte-Marie et même la gare de Pont-de-Pany, soit la respectable distance de six kilomètres!

Mais on allait bientôt arriver au pont métallique qui franchit en biais le canal vers Fleurey, et il y avait de quoi raconter...

Autour de nous les voyageurs - repus d'un solide pique-nique et autant saoulés d'air vivifiant que d'aligoté - beucalaient et ronflaient à qui mieux mieux.

Je dirai que nous étions seuls au monde dans les remugles de fumée et de bourriches poissonneuses.

Un vacarme assourdissant de ferraille torturée annonçait la traversée du canal par le vieux pont métallique et elle dût incliner la tête vers moi pour m'entendre raconter. Cette intimité soudaine et l'ourlé délicat de son oreille achevèrent de me donner le virot.

Adieu poutrelles et rivets, péniches surchargées, fonderie de cloches et usine de moutarde... délaissant notre patrimoine, je plongeais effrontément dans le balcon d'une étrangère!

Une fois passé le pont, un silence tout relatif s'installa et sa main dans la mienne également.

Déjà le village de Velars et le viaduc de la Combe Bouchard se profilaient et le souvenir encore récent de la catastrophe ferroviaire de 62 ressurgissait à chaque fois que j'approchais du lieu.

Pourquoi gâcher un si bel instant en évoquant la terrible chute des treize voitures de l'express 53 et ses quarante morts?
 
Je me contentai de décrire le grand viaduc de pierre et la majesté de ses onze travées cramponnées à la roche à plus de quarante mètres de haut.

Elle buvait mes paroles, et moi ses grands yeux bleus.

Chaque secousse nous tarbeulait et nous rapprochait un peu plus sur l'étroite banquette de bois ciré.

Vindieu! Pourquoi ce tortillard allait-il si vite pour une fois? J'en venais à regretter une de ces pannes qui stoppait l'antique locomotive sur l'unique voie et nous laissait des heures sur le bas-côté en plein cagnard!

Une pression plus forte de ses doigts me sort de ma réflexion; elle s'extasie à la vue des tuiles vernissées d'un clocher annonçant l'arrivée toute proche dans la capitale des ducs de Bourgogne.

L'église Saint-Baudèle de Plombières-les-Dijon rutile aux rayons du grand sulot de Juillet.

Non, je n'ai rien à dire sur saint-Baudèle dont le nom la fait encore rire, de ce rire cristallin qui m'a envouté depuis notre départ.

Je ne lui parlerai pas des tuiles polychromes dont les dessins losangés décorent nombre de nos toits, ni d'oncle André et tante Henriette qui vécurent heureux dans l'ombre de cette église et chez qui j'allais si souvent.

Je veux juste profiter de ce voyage d'un autre temps avec ces doigts mêlés aux miens et cet océan bleu...

Terminus Dijon-Ville: A propos d'océan, nous n'avons rien vu des trente sept hectares du lac Kir.

Les voyageurs s'étirent. Comment peux t on dormir et se priver du spectacle de tels paysages champêtres?
 
Un berlodiau au pantalon déniapé déplie ses jambes en nous adressant un clin d'oeil goguenard:”Faut jarter les amoureux!”

Ma bouche a trouvé la sienne.

Ma jolie cul-terreuse plaque ma main fermement sur ses genoux découverts.

J'ai bougrement envie d'aller visiter Mâcon...

Où voir rêver Vegas sur sarthe

lundi 24 novembre 2014

Littér’auteurs - 18h45

Il prenait comme moi le 18 h45,
Coïncidence.

Ce sont nos trains qui se croisaient,
Indifférence.

Un soir, les rames se sont télescopées,
Épouvante.

Dans l’amas de ferraille,
Carnage.

Des corps blessés, aussi.
Violence.

Côte à côte sur le ballast,
Souffrance.

Les sirènes hurlaient,
Affolement.

Ses bras battaient l’air,
Dislocation.

Ma face sanguinolente,
Hébétude.

Dans la même ambulance,
Communion.

Dans le même hôpital,
Assistance.

Je suis toujours en vie,
Absence.

Où lire Littér'auteurs

Tiniak - 18h45

LADITE, Passagère

L à, elle prenait comme moi,
le 18h45

Si elle n'y paraissait pas,
je m'en consolais sur le zinc


A son passage près de moi
pour prendre sa place habituelle
je m'enivrais du gardenia
pris dans ses tissus coccinelle


D u regard, je comptais les pois
de sa poitrine à son bas-ventre
alors, j'inventais quelque loi
dont nous étions toujours le centre


I ci les champs, là-bas les bois
qui m'évoquaient des océans
priant que le charme opérât
au-delà, je figeais le temps


T aire le sens de mon émoi
m’infligeait une sourde peine
et me rongeait d'anonymat
depuis le cœur jusqu'à la couenne


E t le voyage finira
une heure après quelques poussières
L'Au-Quotidien l'emportera
quoi que m'en songe, Passagère !


Où lire Tiniak 

Semaine du 24 au 30 novembre 2014

Maintenant libérés de vos tracas, il est temps pour vous d'emprunter le 18h45. La suite et la forme vous appartiennent si ce n'est que votre texte devra débuter par "il/elle prenait comme moi le 18h45".

Pour ce thème proposé par Emma, vous avez jusqu'à dimanche 30 novembre pour nous raconter ce qu'il se passa ensuite à l'adresse habituelle impromptuslitteraires(at)gmail.com.