Sur le chemin de l’école.
Ce matin, le chemin de l’école a un
goût amer.
Nous sommes le 21 novembre 2018.
Hier, c’était la journée Internationale des Droits de l’Enfant. Je le sais
parce qu’on en a parlé à l’école. Ça fait soixante quatre ans que la Convention
relative aux Droits de l’Enfant a été signée. Puis sont arrivées la Déclaration
Internationale des Droits de l’Enfant. Puis la Convention de Genève il y a
vingt neuf ans… J’ai appris que la plupart des pays du monde avaient signé cet
accord garantissant un minimum de droits aux enfants. Ça m’a bien fait rire
moi, parce que chez moi, en France, chacun de mes droits est respecté. Je ne
voyais pas l’intérêt de faire tous ces textes.
Et puis j’ai compris.
Le soir, à la télévision, ils ont
parlé aussi de cette journée des droits de l’enfant. Mais ils ne disaient pas
la même chose que ce que le maître nous avait dit. Enfin, c’était pas vraiment
pareil. Ils ont montré des vidéos d’enfants des quatre coins du monde. Ils
avaient le même âge que moi. Ou presque. Mais ils n’étaient pas comme moi. Pas
les mêmes vêtements, pas les mêmes maisons, pas les mêmes vies… J’étais si
différent d’eux. Eux, ils vont pour certains dans des écoles qui coûtent si
cher que leurs parents doivent faire des prêts à la banque pour les scolariser.
Moi, mon école est gratuite. Et puis il y en a d’autres qui doivent faire des
dizaines de kilomètres pour aller à l’école. A pieds. Pieds nus parfois. Alors
que moi je râle tous les matins pour faire les 900 mètres qui séparent ma maison
de mon école. Et puis il y a des classes où il n’y a que des garçons,… Et
d’autres où il y a plus de quarante élèves. D’autres où il n’y a même pas de
classe, juste un rassemblement d’enfants sur un bateau, ou sous un arbre… Mais
ça me rassurait quand même ! Tous les enfants du monde entier avaient accès à
l’école ! Comme ce qui était écrit dans les Droits de l’Enfant !
Enfin, ça, c’était avant que je ne
regarde les informations après.
Il paraît qu’il y a 265 millions
d’enfants dans le monde qui ne peuvent pas aller à l’école. Et 250 millions qui
subissent directement les conséquences de conflits ou de guerre. Je ne sais
même pas combien de zéros il faut mettre pour écrire millions en chiffres… Ça
fait beaucoup, c’est sûr…
Après ce petit reportage, on a vu un
monsieur en costume se féliciter d’avoir vendu « de l’armement à
l’export »… J’ai regardé ma mère, j’avais pas compris de quoi il parlait.
Maman m’a dit que c’était un ministre français, et qu’il avait vendu des armes
à d’autres pays. Ça m’a fait pensé à mon correspondant égyptien, Mohad. Avec
Maman, on lui écrit tous les mois, ou presque. On lui envoie des stylos et mes
cahiers qui ne sont pas finis pour qu’il les utilise dans son école. C’est une
association qui nous a proposé ça, un jour, dans la rue. Moi j’étais d’accord:
avoir un copain à l’autre bout du monde, c’était le rêve pour moi… C’est après
que j’ai appris qu’il était orphelin, parce qu’il y avait des
« conflits » dans son pays.
D’un coup, j’ai eu mal au ventre… Je
ne sais pas si Mohad est au courant que pendant que je l’aide à aller à
l’école, les chefs de mon pays aident à continuer le conflit dans son pays,
donc à faire perdre leurs parents à d’autres enfants peut être…
Pourtant la France a signé les droits
des enfants… Et ça dit que les enfants doivent être protégés des conflits… Je
ne comprends plus rien.
Et puis il y a eu ces images: des
enfants si maigres, des enfants à qui il manquait des morceaux de main ou de
jambe, d’autres avec des armes entre les mains. Des vraies, pour la vraie
guerre, pas pour jouer… J’ai la tête qui tourne, pleine de questions. Pourquoi
les chefs de la France vendent des armes à ces pays où il y a la guerre ?
Pourquoi ils signent des papiers, des promesses, qu’ils ne tiennent pas ? J’ai
posé la question à ma mère. Elle m’a répondu en souriant de toujours garder mon
regard d’enfant sur le monde et de ne jamais me résigner…. J’ai pas compris le
rapport avec ma question…
Alors ce matin, sur le chemin de
l’école, j’ai une idée. Je vais proposer un truc au Président de la République:
moi maintenant, je connais des chansons, des films, des émissions qui dénoncent
toutes ces différences, ces injustices entre les enfants du monde. J’ai vu que
les promesses faites il y a des années ne sont toujours pas tenues partout dans
le monde. Alors je vais envoyer tout ça au Président, lui demander de tout
regarder, de tout écouter. Après tout, il n’est peut être pas au courant de ce
qu’il se passe pour les enfants. Lui, il est Président des adultes…
En attendant, je serre les lanières
de mon cartable, je souffle un nuage de fumée à cause du froid, et je me hâte,
fier de moi. J’avance d’un pas décidé vers la porte en bois massif au dessus de
laquelle brillent les mots « liberté, égalité, fraternité » alors que
résonne la sonnerie de début de la classe.