mercredi 28 février 2018

Maryline18 - La rumeur

La rumeur avait fait le tour du camping : il avait un truc en plus, un jouet extra ou un savoir faire, qui faisait toute la différence. Il déclenchait sur son passage des chuchotements, des gloussements...Sa démarche pourtant si naturelle, laissait deviner un homme simple et ordinaire. Grand et mince, il semblait ne faire aucun effort de coquetterie particulier. Chaussé de sandales de cuir, ses jambes velues arboraient des bermudas en grosse toile beige ou kaki, sur lesquels tombaient, des polos de toutes couleurs et sans crocodiles. Sa chevelure épaisse, châtain clair, encadrait un visage doux, que de grands yeux rêveurs rendaient encore plus juvénile. Il avait été vu en compagnie de plusieurs filles depuis son arrivée et les langues allaient bon train...Les femmes du camping, intriguées épiaient ses déplacements pour ne rien manquer des détails croustillants susceptibles d'être racontés ensuite. Elles s'émoustillaient en essayant de deviner son eau de toilette, respirée furtivement en faisant la queue au dépôt de pain de l'accueil et se mordaient les doigts de ne pouvoir le suivre en ballade sans se faire repérer. Après les repas, les femmes insistaient pour assumer la corvée de vaisselle, excellente, pour se rassembler et livrer avec des petits silences amusés, dignes de roulements de tambours, des détails aussitôt enjolivés et colportés joyeusement.
Dans une journée, il lui arrivait d'accueillir deux ou trois femmes dans son bungalow. A chaque fois le même rituel : Il baissait les stores et des instruments moyenâgeux, romantiques à souhaits, diffusaient des accords troublants et évocateurs... Les oreilles à proximité se tendaient au delà du raisonnable mais n'entendaient rien de plus que de la belle musique classique. Peut-être du clavecin..., mais peu importe...Il n'en avait pas l'air mais il était tout de même bien un homme à femmes ! Il fallait protéger les adolescentes du camping et bientôt en informer la patronne du camping en personne ! Question de moralité ! Son petit manège n'avait que trop duré, aux yeux de tous, chacun devinait ce qu'il se passait entre lui et toutes les femmes qu'il recevait, stores baissés !
Après ses journées de débauche, il s'affichait au terrain de pétanque, comme de rien était, parlant de tout et de rien alors qu'il ne pensait qu'à une chose, s'accaparer la femme de chacun des vacanciers. Il en devenait abject. Au bout de quinze jours de surveillance rapprochée, Agnès ne pouvant plus contenir son dégoût pour un prédateur dangereux pour l'intégrité des jeunes vacancières, s'élance d'un pas décidé, pour en avertir la patronne. Après tout elle paye sa location comme les autres se dit-elle, elle est en droit d'exiger un minimum de bienséance.
"- Bonjour Maryse, vous allez bien ?"
"- Très bien Agnès, et vous, vous avez l'air préoccupée ?"
"- Préoccupée, le mot est faible ! Figurez vous que j'ai bien remarqué ce qu'il se passe au bungalow numéro 20 !"
Silence...Maryse ouvre de grands yeux étonnés. Agnès continue, sans se rendre compte que l'homme en question se dirige vers eux.
"- Eh bien ce dégoûtant fait ses petites affaires en pleine journée, au yeux de tous, je ne comprends pas que vous tolériez un tel comportement ici, depuis que je viens, c'est la première fois que j'assiste à une telle débauche !"
"Mais enfin Agnès, je vous trouve bien dure, ah ben justement, le voilà, Agnès je vous présente Frédéric, le désormais kiné attitré du camping !"
Agnès bafouille un bonjour à peine audible et reste figée, dévisageant Frédéric qui lui tend une main franche et amicale.
Elle n'avait pas lu à l'accueil, les détails concernant le nouveau service offert aux vacanciers, aux honoraires ici précisés, par un homme...vraiment pas comme les autres ! Elle eut elle aussi son petit moment "de débauche" autorisé ; Il avait les mains très douces et massait les omoplates admirablement...Et en musique, s'il vous plait !

Loht - La rumeur

« Moi, je vis la vie à côté,
Pleurant alors que c’est la fête.
Les gens disent : « Comme il est bête ! »
En somme, je suis mal coté. »

Charles Cros

Je ne prête pas attention
Au bruit qui monte de la foule
Tant il est vrai que le rimeur
Soulève de fielleux murmures
Sous la moindre de ses foulées.

Pas jamais très bien accordé
A ceux prescrits par la coutume,
Pas jamais de bonne cadence
Ou dans l’attendue direction.

Marcher au pas n’est nullement
Dans mes cordes qui sont de lyres
Et n’ont vocation qu’à chanter
Toutes clartés de l’univers.

Ceci étant dit, le poète
Là fit un dernier entrechat
Un sourire gai puis un triste
Et regagna son coin de Lune.

Mamée - La rumeur

La Rumeur a plusieurs facettes …


Mme X à une amie :
- Allo ! Je viens te prévenir que Mr untel est décédé !
- Non ?
- Mais si, il était hospitalisé depuis quelques jours, tu ne le savais pas ?
- Non ! Quel malheur ! Il faut que je prévienne ses anciens voisins…

L’amie à un voisin :
- Je viens vous annoncer le décès de Mr untel !
- Décédé ! Ah, mon Dieu ! Il faut que j’appelle Mme Y. Ils étaient très liés et il lui rendait souvent visite. Elle va être bien choquée !

Le voisin à Mme Y :
- Je viens vous vous faire part d’une mauvaise nouvelle. Vous vous souvenez de Mr untel ? Je suis désolé de venir vous annoncer qu’il est décédé !

Mme Y : - Quel malheur ! Que s’est-il passé ? C’est arrivé quand ? Où est-il maintenant ?
Mme X : - Il était hospitalisé depuis quelques jours, vous ne le saviez pas ? Il est certainement encore à l’hôpital !
Mme Y : -Non je ne savais pas ! Mais je l’avais rencontré il y a quelques temps. Je lui avais trouvé mauvaise mine et le sentais fatigué.

Sitôt le téléphone raccroché, Mme Y se rend à la boulangerie voisine pour annoncer la nouvelle à plusieurs clients à la fois tout en ajoutant qu’elle n’est pas étonnée … Mr Y avait mauvaise mine …. Elle s’endort le soir non sans avoir passé plusieurs coups de fil à d’autres habitants du quartier et se promettant de demander tôt le lendemain où et quand Mr Y sera enterré, afin de s’organiser.

Et elle court, elle court, l’annonce du décès de Mr X … la rumeur … tandis que, en réalité, Mr X a bien été hospitalisé pour un malaise, mais a quitté l’hôpital très rapidement pour aller se reposer dans sa famille à quelques dizaines de kms de son domicile …

En général, la rumeur est une annonce fausse ou déformée… Mais elle court, grossit, s’étale, s’amplifie avec ardeur…

Et bientôt … on se calme… c’était une fausse nouvelle.
- Mais non, Mr Y n’est pas mort. Il été hospitalisé après un simple malaise. Il rentre chez lui demain !!!
Et à propos d’autres sujets :
- Mais non mes voisins n’ont pas déménagé ! Leurs volets sont fermés. Normal, c’est les vacances …
- Mais non, Mme X n’est pas enceinte. Elle a simplement pris un peu de poids.

Rumeur, curieusement, rime plus souvent avec malheur qu’avec bonheur …
Comme si le premier offrait davantage de saveur …
Comme si le dernier exigeait un brin de pudeur
Le malheur on le raconte, on l’étale, le bonheur trop souvent on le voile.
Alors, si rumeur toujours existera, autant choisir de faire courir du bon, du beau, de la joie, du bonheur. Au passage, pour qui que ce soit, elle deviendra une caresse … et rumeur pourrait alors rimer avec bonheur …

JCP - La rumeur

La quête du brochet


Tant de fois entendus - rumeur à son oreille -,
Les mérites de l'Eau, « merveille sans pareille »,
Poussèrent un brochet à consacrer sa vie
A rechercher partout le liquide de vie.

S’éreintant nuit et jour à son rêve ambitieux,
Il remonta des fleuves, aborda les mers bleues ;
Et parvenant au bout de sa passion maniaque,
Rampant sur les cailloux, il explora les flaques.

Ayant passé le monde au fil de son tamis,
Il retourna bredouille auprès de ses amis :
- Je n’ai pas trouvé l’Eau et dépose les armes,
Fit-il tout secoué par le flot de ses larmes.

Pourtant ses pleurs séchés, il décrit les splendeurs
Que tant de fonds dispensent en ces lointains ailleurs ;
Et tout à ces beautés, d’humeur plus satisfaite,
Il se rit à l’échec de l’improbable quête.

Un brochet des plus sages, autrefois voyageur,
Empli des nostalgies de son ancien bonheur,
Lui dit : - Ainsi tu vis le monde magnifique :
Fausse rumeur suivie est parfois bénéfique.

Où lire JCP

mardi 27 février 2018

Tiniak - La rumeur

LE SANG, L'EPINE ET LE FILET



Alas, poor Yorick!...
La soupe de poisson, épaisse dans mes veines
emporte mon combat - cette vieille chanson !
pour une oreille amie, face à combien de cons ?...
quels que furent les temps que mes larmes soutiennent
avec l'obstination, épineuse aux débords
de la prise au filet, certaine de sa mort
mais vive et s'agitant et plaidant sa rengaine
A la caresse amie comme aux pesantes chaînes...
Sans déconner, qui meurt ? Ma peine ou ta maison ?
***
Nu soleil au plus haut, je pique cette olive...
L'ombre pour seule rive et le vin pétillant
je m'offre ce régal quand d'autres sont aux champs
honorant leur trépas de sueurs en salives
A l'approche du soir et sa fraîcheur au cou
j'ai l'aiguillon vaudou à bout de cure-dent
une dernière olive et j'aurai mon content...
De chair inamovible et d'aveugles pensées
qui m'auront rassasié la rage et le courroux
A l'aube reparue, j'irai sous le pêcher...
***
Reprenons (z'à la source) où l'On m'a égaré...
car, hier, le pêcher m'a soufflé la rumeur
qui m'a laissé pantois et gâche mon humeur
"C'est le Diable..." dit On, aux feuilles ensablées !!
Une bien triste nasse est à l'œuvre et m'entoure
avec de vilains mots privés de toute essence
- étrange rigodon, sans fête en référence...
ruinant mon paillasson et meuglant dans ma cour
Mais quoi répondre à ça ? J'en appelle à Diogène...
Que ces pleutres bourgeois me lâchent la fenêtre !
Je suis poLête, allons... Je n'invoque que d'être
et me creuse le fion pour une rime en "haine"
Eh ! J'ai dit quoi de trop sur nos chemins de croix ?
Hommes de peu de foie, venez me dire en face
que vous prenez mes maux pour d'insignes menaces
quand j'écris qu'il se peut que le cœur se dévoie
"Un billet, s'il vous plait. Merci. Bonjour, Ailleurs..."
Je respire des fleurs sur un autre balcon
(ai dû fuir mon pays sans quitter ma raison
- trois Jules pour bagage, un carnet vierge au cœur)
Rigole, ma semaine...! On m'aura pris pour quoi ?
Je ne suis qu'un bourgeois (habitant de la ville)
contraint par la fureur, mais heureux en exil
de chercher qui je suis en me donnant à toi

Où loge encore Diogène ? Bonne question (indice : Desproges est mort)...

Joe Krapov - La rumeur

DES RUMEURS DANS LA RAMURE

Il est des jours où la ramure
Bruisse de maint murmure,
De piaillements atrabilaires,
De mouvements d’humeur…
Des jours où la gent oisillonne
A la plume un peu tatillonne,
Lâche son flot de bile amère
Et laisse échapper la Rumeur.



« La bergeronnette ne le serait pas !
La fauvette irait danser le tango !
La gélinotte perdrait la tête !
Le ramier n’en foutrait pas une !
Le corbeau mangerait du fromage
Et c’est pour ça que ça renarde !

La mésange serait démoniaque !
Le héron boirait jusqu’à ce qu’il le soit (rond) !
Le canard chanterait super faux !
La cane serait tombée sur un bec
Devant la porte du Printemps
Et serait restée sans sonner pendant longtemps !

L’étourneau aurait le tournis
A force de boire au tonneau
- Pas que de l’eau : du Martini ! –
Chez un pic vert pis qu’écolo :
Ils picolent avec Piccoli
Jusqu’à ce qu’ils soient complètement grives !
La corneille se soûle au cidr’ !
L’alouette la plume au poker !

L’engoulevent battrait la semelle
Sous les fenêtres d’une femelle
De Charmeville –lès –Hier :
Il monte faire coucou dans son nid,
Elle lui donne du martinet,
Elle lui défonce l’hirondelle
Et pie encore ! Tout fout l’toucan,
Madame Merlette !
#Balancetachouette !

La poule d’eau pondrait des œufs durs !
La cigogne ferait du trafic
De bébés vivants chez l’humain !
La grue cendrée serait casse-pieds
Et elle attendrait dans la rue
Des hommes de mauvaises mœurs,
Des oiseaux de mauvais augure
En chantant du Piaf à tue-tête !

Les échassiers feraient du cirque
Et du trafic d’acrobaties à grande échelle

Le martin pêcheur pécherait
Plus que ne permet l’abbé Kaas
Pourtant si bonnement patricien… »

Etcetera, etcetera, etcetera
Etceteragots, etceteramages,
Etceteramassis d’outrages,
Etceteradeau-radotages…

- Merles, cessez d’être moqueurs !
Mouettes, veuillez fermer vos gueules !
Arrêtez toutes vos rumeurs !

Laissez-moi écouter le chant
Du rossignol cambrioleur
Qui cherche à crocheter le coeur
De son aimée ! Qu’il est touchant !
Quel enchanteur phénoménal !
Comme il suffit à mon bonheur,
Son air de jaseur boréal !

Merles, cessez d’être moqueurs !
Mouettes, veuillez fermer vos gueules !
La outarde me monte au nez !
Arrêtez toutes vos rumeurs !

Ce faisan, vous m’obligerez !


Tisseuse - La rumeur

Je ne suis pas d’humeur
De prendre part aux rumeurs
Si seulement tu savais
En as-tu la moindre idée
Ce qu’on a déjà colporté
Sur moi tant de fois
Combien j’ai été raillée
Avec animosité

Je ne suis pas de bois
Des peines j’en ai tu vois
Bafouée maltraitée
Ma parole déformée
Mais jamais ça ne m’a arrêtée
D’affirmer mes pensées
Jusque-là mes valeurs
Sont plus fortes que ma peur

Mais si je vivais ailleurs
Dans un pays de terreur
Aurais-je cet aplomb
Ou courberais-je le front
Raserais-je les murs
En déconfiture
Ravalant mes mots
Pour plaider le faux

Marité - La rumeur

Loup, es-tu là ? 

Ils arrivent, échevelés, suant et criant à tue-tête : " On a vu un loup. On a vu un loup ! "
Les enfants s'arrêtent, essoufflés devant la porte de l'église. Ils abandonnent sacs de mousse, pommes de pin, branches de houx et de sapin. Sylvie, alertée par les cris, sort de la chapelle en courant. Mais que se passe-t-il ?
Elle a envoyé cet après midi les grands du catéchisme, qu'elle enseigne elle-même, dans les bois voisins afin qu'ils ramènent de quoi orner l'église pour la fête de Noël.

Les gamins l'entourent, tout excités :
- On l'a vu Sylvie. Il est très gros, ce loup. Et il n'avait même pas peur. Il buvait au bord du ruisseau.
Il nous a regardés puis il s'est caché derrière les arbres. On a couru.
- Calmez-vous. Racontez-moi.
Sylvie n'ignore pas que la presse, la radio, la télévision régionale et tout le monde ici parle du retour du loup dans le département. On ne parle même que de ça. Certains disent l'avoir aperçu. D'autres ont trouvé des carcasses de chevreuil ou de sanglier qui, c'est sûr, avaient été dépouillées par le prédateur. On a relevé des traces et trouvé des poils gris. D'autres enfin affirment que les chiens, eux, savent et ne se trompent pas. Depuis quelques nuits, ils aboient à la mort et c'est significatif de la présence de l'animal dans les parages. Et puis, il y a l'odeur. Une odeur de fauve que l'on sent, paraît-il, de très loin.

Sylvie sait que les enfants ont une imagination féconde et qu'il suffit d'un rien pour qu'elle s'enflamme.  Mais comment éviter cela alors qu'il n'est question que du loup dans le village depuis un ou deux mois. Elle affiche un certain scepticisme cependant et se dit :  voilà la vieille peur qui se réveille. Comment accorder foi à tout ce qui se colporte ? Mais au fond d'elle, elle ressent un certain malaise. Elle se rappelle ce que lui racontait sa grand-mère quand elle était enfant. Elle ne parlait pas du petit Chaperon Rouge qui est un conte inventé pour les gens de la ville disait-elle. Elle lui confiait d'une voix sourde où affleurait encore l'effroi une toute autre histoire, bien réelle celle-là.  Elle expliquait comment elle avait fait fuir la Bête en tapant ses sabots l'un contre l'autre comme on le lui avait appris. Un loup efflanqué menaçait de s'en prendre à ses moutons un jour où elle gardait le troupeau, là-haut, au Suquet de Bonnefond. Et c'est justement à cet endroit que se trouvaient les enfants aujourd'hui.

Il faut quand même faire quelque chose. Et si les gamins avaient vraiment vu le loup ? Ce n'est pas parce que des histoires non contrôlées se promènent qu'il faut faire comme si elles n'existaient pas. Il y a un réel danger se dit Sylvie qui prend la résolution d'aller voir le maire, accompagnée par les enfants. Quoi ? Ce n'est pas possible. Il y a foule devant la maison communale. La nouvelle s'est déjà répandue au grand galop.

Le maire fait de grands gestes et élève la voix pour être entendu. Quelques hommes, le fusil à l'épaule s'agitent et rêvent d'en découdre avec la Bête.
- Cette fois, on l'aura dit le menuisier du village, président de la société de chasse qui n'écoute plus le premier magistrat de la commune. Rassemblez-vous et filons au Suquet.
- Stop crie le maire. Il ne faut pas le tuer. Vous savez que nous n'en avons pas le droit.
- Et alors ? vocifère le grand Chaussade. C'est toi qui viendras me nourrir quand il aura pris toutes mes brebis ? Me restera plus qu'à fréquenter les restaus du cœur. Je ne me laisserai pas berner cette fois. Allons-y les gars.
- Ne partez pas si vite s'égosille la vieille Marguerite en se tordant les mains. Il faut aller faire bénir les balles par Monsieur le Curé. Sinon vous ne l'atteindrez pas. C'est le Malin. Il va tous vous ensorceler. Regardez ce soleil : il est rouge comme le sang. C'est un signe.
- Oh, tais-toi Marguerite s'énerve le Maire. Rentre chez toi et récite tes prières.

Les enfants échauffés et n'éprouvant aucune crainte repartent vers l'église avec Sylvie. Les temps ont bien changés se dit-elle. Les gamins n'ont plus peur du loup. Qu'est-ce qui les effraie aujourd'hui   se demande-t-elle ? Elle se souvient : quand sa grand-mère racontait, de délicieux frissons la parcouraient et elle se blottissait dans les bras chaleureux de son aïeule. C'était le bonheur. C'est quoi aujourd'hui le bonheur pour ces enfants ? Où est le merveilleux ? Il semblerait que rien ne peut les atteindre. Elle espère se tromper.

Les chasseurs ont arpenté tout le grand bois du Suquet, visité taillis, broussailles et landes de bruyère, dévalé les ravins. Ils n'ont rien trouvé. Certains pensent que les gamins ont fabulé. Qu'ils ont inventé cette histoire de toute pièce pour se rendre intéressants. D'autres, au contraire, n'en démordent  pas : la Bête rôde. Les enfants l'ont bien vue et d'ailleurs, il y a des preuves de sa présence ici. Il faudra revenir et surtout être prudents.

Info ou intox ? Rumeur avec ou sans fondement ? Le préfet vient toutefois de créer une cellule de veille dans le département le jeudi 22 février 2018. Il souhaite mobiliser tous les secteurs concernés - associations de protection de la nature, sociétés de chasse et de louveterie, professions agricoles et forestières... afin d'établir un suivi de l'éventuelle existence du loup en Corrèze.

Gene M - La rumeur

La rumeur est un serpent venimeux  qui s'enroule et se déroule autour de nous.
Elle s'insinue partout, l'immonde rumeur, des foyers les plus modestes aux plus huppés.
Son passage n'est jamais anodin : elle meurtrit et tue parfois car on peut tuer avec des mots.
Certains dictons comme "il n' y a pas de fumée sans feu" lui ouvrent un boulevard. Attention à nos paroles. La rumeur, il faut la tuer dans l’œuf.

lundi 26 février 2018

Mapie - La rumeur

C'est N'IMPORTE QUOI !

C'est incroyable qu'un truc comme ça, puisse lui arriver ! Les gens sont dingues ! Et méchants, en plus...Un type aussi gentil et correct que Gilou... trainé les menottes aux poignets, devant tout le quartier, du jour au lendemain....Et la présomption d'innocence ???....Attends..... Après ça, on s'étonne que les jeunes détestent la police !
N'empêche c'est terrible.... Tout s'enchaine à une vitesse....
Tu sais que j'l'ai su par la mère du copain de ton fils... Oui !...Une nouvelle copine, elle a des entrées aux soldes du personnel Louis Vuitton...
Non... Bien sûr qu'il n'a sûrement rien fait....
C'est très certainement des histoires de jalousie...Tu me diras...Le type  des  « infos » là... Tu sais...celui qui a zigouillé toute sa famille, ses voisins et même le chien qu'il gardait pour un copain.....Ben, il paraît qu'il avait une vie tout à fait normale avant... et tu vois..... Enfin bon...Lui, c'était pathologique.... ...

En même temps....Il a bien dû faire quelque chose, Gilou, pour  en arriver là... De toute façon.... le truc de « la fumée et du feu »...Ce n'est pas tout à fait faux...
Et puis, qu'est ce qu'on peut y faire nous ? Là.... On ne peut pas l'aider... On n'est pas non plus..."super proche" ...hein ???

Il parait que les « machins » ne lui adressent plus la parole ? Ce n'est pas sympa.... On dit toujours que c'est dans les moments difficiles qu'on voit ses vrais amis..... Le pauvre...
Remarque....On peut se croire vrai ami...Il n'empêche que, si ton « ami » fait ce genre de chose..... C'est qu'il n'était pas celui que tu aurais choisi comme ami !... Non ?Donc, dans un tel cas... T'as le droit de ne plus te considérer vraiment comme son ami.... (Enfin, j'veux dire...si tu crois qu'il a fait ce dont d'autres l'accusent mais que lui dément formellement.....)
MAIS NON...je n'ai pas dit ça....C'est ton ami, et il le reste.... On discute... C'est tout !

Ca doit être dur tout de même....
Drrrrrrring..... Driiiiing....
Réponds-pas....C'est surement Lui !!!!!
Drrrrrring......
Attends.... C'est moi qui vais prendre.....
« Allo !.... Ahhhhh...Gilou...c'est toi.......ouiii ....Nooon.....
Non, là en ce moment, on n'est pas en forme...... un virus ... rien de grave..... Ne t'en fais pas pour nous..... Tu as suffisamment à faire avec tes soucis...  mon pauvre !On a juste besoin d'un peu de temps, de calme, de tranquillité.....
C'est ça.....on s'rappelle.... le temps de se remettre....
Ouiiii....
A bientôt »

Pffff..... Tu te rends compte....
C'est dur ce qui nous arrive tout de même..... On  n'a pas mérité ça.... Pour peu que les autres apprennent notre « amitié avec Gilou »....Il n'y a qu'un pas pour qu'ils ne fassent l'amalgame !!!
Je veux dire avec ce truc sur « la fumée et le feu ».... 

Laura Vanel-Coytte - La rumeur

Regarde la rumeur est là rapide et frivole

Laisse-là aux têtes folles
De bruits et d'idoles
Mets vite un bémol
A cette cacophonie de paroles
N'écoute pas les faux rossignols
Préfère leur même l'alcool
Bois du vrai thé dans ton bol
Envoie des lettres sur du bristol
Observe vraiment les campagnols
De la région cévenole
Mets ton cache-col
Fuis le cholestérol
Prends du paracétamol
Si tu as mal aux guibolles
Oublie le grand-guignol
De la rumeur frivole
Concentre-toi sur les tournesols

Où lire Laura

Andiamo - La rumeur

HANAMI. 

Malgré le couvercle de plomb qui coiffait le "Manhattan project", il y avait eu ça et là quelques fuites, ô certes des petites fuites, un minuscule filet tout au plus.  Rumeur, quand tu nous fais douter... Les Yankees possédaient LA bombe, l'utiliseraient ils ? La rumeur couvait insidieuse, dérangeante...

Shirô Nakamura marchait d’un bon pas, il s’agissait de ne pas arriver en retard. Monsieur Tanaka, le professeur d’histoire, ne supportait pas le moindre retard, ni le moindre manquement aux règles élémentaires de la bienséance.

L’air était doux en ce matin d’Avril, les sakuras (cerisiers) commençaient à fleurir. Dans deux jours, ce serait la fête. Kasumi irait avec sa famille pique-niquer, sous les arbres en fleurs.

Parfois et par chance, une brise printanière se levait, faisant voltiger les pétales, ajoutant un nuage virevoltant au bonheur de la journée.

Deux mois plus tôt, Shirô avait osé aborder Kasumi. La douce et timide jeune fille l’avait impressionné par la perfection de son visage aux traits si fins. Ses cheveux coupés courts, avec une frange bien délimitée, juste au-dessus de ses yeux à peine bridés, en soulignaient la beauté.

Un soir après les cours, il lui avait proposé de la raccompagner chez elle, afin de lui porter ses livres !

Futile prétexte, arguant que les professeurs perdaient la raison : obliger de frêles jeunes filles à trimballer pareil fardeau !

Kasumi avait souri, elle n’était pas dupe, Shirô lui plaisait bien, il était gai et enjoué, alors elle accepta.

Tout au long du trajet, Shirô se moquait gentiment en voyant les « Teru-Teru Bouzu », ces petites poupées de papier pendues aux fenêtres et censées éloigner la pluie ! Mais le Dieu Suijin, le maître de la pluie, n’en avait cure et agissait à sa guise. Kasumi souriait à chacune de ses moqueries, fort discrètement, pratiquant à merveille l’enryo (la retenue) comme il sied à une jeune fille bien élevée.

Pas question non plus de se tenir par la main, ce serait inconvenant. Il leur arrivait d’aller se promener au bord du fleuve Ota, restant de longues minutes à contempler les vaguelettes, échangeant un regard, un sourire. A ses cotés, il était bien loin le Shirô un peu fanfaron, voulant épater ses copains !

Dimanche serait la fête appelée ici : « Hanami » (regarder les fleurs). Kasumi et Shirô avait mis au point un stratagème afin que leurs familles respectives se rencontrent.

Chacun de leur côté, ils tenteraient de convaincre leurs parents d’aller pique-niquer dans le joli parc, situé près du siège du commerce et de l’industrie : Genbaku dôme.

Le Mercredi, ils s’étaient retrouvés près du fleuve complice de leurs moments de plénitude.

- Ils sont d’accord, Kasumi, tu entends : d’accord !

- Les miens aussi, avait ajouté Kasumi en même temps que ses joues prenaient une jolie teinte rosée.

Alors dans un élan, Shirô avait déposé un baiser sur la joue de la jeune fille. Surprise, sa bouche s’était arrondie, puis la stupeur avait laissée place à un large sourire.

Maintenant Shirô en était sûr : elle l’aimait !

Le lendemain, Kasumi avait préparé les « bentô » (le repas du midi, une collation) pour eux deux, les Kappamaki, ces petits rouleaux de riz remplis de concombres, avec une feuille de Noki autour. Lui signifiant ainsi qu’elle saurait le moment venu bien s’occuper de lui, élever les enfants, et tenir une maison : tels étaient les devoirs de l’épouse Japonaise en ces temps.

Bien sûr, le jeune homme l’avait vivement complimenté, en rajoutant même, roulant les yeux de plaisir à chacune des bouchées avalées. Kasumi le gratifiait d’un sourire à chacune de ses facéties.

Le dimanche, Madame et Monsieur Kimura, les parents de Kasumi, s’étaient installés pour le traditionnel pique-nique de Hanami, sous un très joli cerisier en fleurs. Le ciel était radieux et l’ombre qu’il dispensait était la bienvenue.

A peine installés, Shirô arriva, suivit de ses parents ainsi que de son jeune frère. En passant devant Kasumi, il feignit la surprise, s’inclina pour un salut très respectueux.

- C’est un camarade de classe, balbutia Kasumi…

Si vous voulez vous joindre à nous, proposa Monsieur Kimura en s’inclinant également devant Monsieur Nakamura et en désignant la place vacante près de la leur, car je crois qu’il y a beaucoup de monde ici, et que les places sont rares.

- Avec grand plaisir, et ce sera un honneur, répondit Monsieur Nakamura, en se pliant littéralement en deux. Nous partagerons les « dango » (boulettes de riz que l’on partage lors de la fête des cerisiers).

Ainsi, la ruse grossière dont personne n’était dupe fonctionna à merveille.

Les deux jeunes gens se virent de plus en plus fréquemment. Les présentations avaient été faites, les parents de Shirô s’étaient rendus chez ceux de Kasumi.

En guise de présent, quelques oranges soigneusement emballées. Au pays du soleil levant, ces quelques fruits étaient hors de prix et représentaient une marque d’attention exceptionnelle.

Près de quatre mois s’étaient écoulés depuis que Shirô avait raccompagné la douce Kasumi pour la première fois. Le mois d’Août commençait. La chaleur n’était pas trop accablante sur l’île de Honshû, baignée par la mer intérieure. Leurs longues promenades le long du grand fleuve Ota, leur apportait fraîcheur et détente à l’ombre des vieux saules.

Loin des regards, ils s’étaient embrassés, prenant garde à ce que personne ne les voient !

Ce lundi d’août, Shiro avait donné rendez-vous à Kasumi, ainsi qu’à une bande d’amis. C’étaient les vacances, le soleil radieux commençait à chauffer malgré l’heure matinale, ils devaient se retrouver dans le parc dans lequel ils avaient pique-niqués quelques temps auparavant.

Shirô arriva le premier, il était huit heures. Quelques minutes plus tard, ce fut Kasumi. Il la vit de loin avec son corsage blanc et sa jupe plissée bleu marine, de fines sandales aux pieds, elle courait en agitant les bras, insouciante des regards qu’on aurait pu lui porter, elle ne voyait à cet instant que son amour, elle entendit à peine le vrombissement de l’avion très haut dans le ciel radieux.

Tous deux ne levèrent pas les yeux, habitués de voir passer depuis quelques années, de nombreux bombardiers Mitsubishi.

Celui-ci était pourtant différent , c'était un Boeing B-29, il s’appelait Enola Gay, il portait dans ses flancs un « little boy » couvert d’injures à leur encontre, et lui-même portait dans son ventre les mille soleils d’Hiroshima.

Rumeur ? Vous avez dit rumeur ?

Cavalier - La rumeur

Homophobie, au boomerang des rumeurs 

« Gibier oublie, piège n'oublie pas »
Proverbe créole
« Les hommes s’occupent à suivre une balle et un lièvre : c’est le plaisir même des rois. »
Pascal Pensées

Mon Cœur, faisons fi des envolées sanguinaires du Grand Veneur.
Restons sourdes aux appeaux grinçants et aux grands tambours des rabatteurs.
Quand apeurée, tu finis dans un élan devant des chevaux sans issue et des dogues chevrotants.
Frappée en plein vol, tu t’enfonces dans le sable brûlant.

Et tu te surprends à envier nos couples d’amis.
Un homme, une femme et des enfants, ne pourrions-nous en faire autant ?

Colombe abattue, blessée, dans le boomerang des rumeurs,
Ensemble sous mon aile, construisons nous-même notre nid.
Dans l’abri douillet des buissons d’aubépines,
Sous la fanfare hurlante des cors de guerre, sur de la paille, du Trèfle,
Et bien au chaud, nous couverons des œufs aussi.

Tes joues ruissellent de sang tiédi.
Tu clames : qu’aux autres ces tueurs sourient,
Mais que sur nous la troupe médit.
Que de leurs arbalètes cinglent des Carreaux d’épines comme confettis de Mi-Carême.
Et que de Piques nous sommes passibles.

Sur la blancheur immaculée de mon âme, lis bien nos cartes,
Ma Douce. À fond, vis notre vie.

Et barbelés sur gazons maudits, jamais ne réduiront notre possible… 

Où lire Cavalier 

Semaine du 26 février au 4 mars 2018 - La rumeur

"La rumeur est sans doute le plus vieux média du monde."  (Jean-Noël Kapferer)

Comment nait-elle ? Pourquoi et comment se propage-t-elle ? 
Selon vos envies, faites-la mourir avec une chute stupéfiante, dramatique ou au contraire se terminer en gag.


Voilà la proposition de thème lancée par Marité lors de la dernière "Foire aux thèmes" de décembre.
Vous pouvez nous envoyer vos textes avant dimanche 4 mars minuit à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com

dimanche 25 février 2018

Cavalier - Lune de sang

De petits pas pour l’homme
J’ai observé la lune de sang broncher

- où étais-je ? Elle a dardé ses rayons à travers mon visage dans l’équerre des mots.

Les taches rubis de ses cratères bouillonnants étaient au-delà des nuées, insolentes de fureur – elles étaient comme ces grands tourbillons qui se lamentent et qui tournoient sans fin à l’angle des Bermudes.
Quand elle avait trop bronché, elle piaffait : c’est se plaindre, alors j’ai marché de front contre mes faiblesses, j’ai accroché des parapluies d’étoiles à ses nuages noirs sous mes touches tendues, sous mes défenses d’y croire, sous mes détours trop vains de verres en demi-lunes…
J’ai observé la lune de sang broncher - où étais-je ? Et puis soudain, puisque le verbe tu ne peut retenir encore toujours la paroi d’équilibre, elle a tourné la face et mit les yeux ailleurs, le sol marbré de verve sous nos pas effacés…



Stouf - Lune de sang

 Madame Josette regarde la lune rouge depuis son lit et par la fenêtre, elle est dans un hôpital où y a que des fans d'Al Zheimer qui crient sans cesse maman. C'est une histoire du Québec … plus exactement dans le centre de Montréal  et Josette est vieille avec toute sa tête.
Heureusement, elle se dit que son Stouf va venir avec les mots fléchés du journal et qu'ils cogiteront tranquillement après s'être fait les bisous de toujours …
Wouaii … voilà Stouf !

-  Bon, équerre à dessin ?
-  Trop facile maman … Té !
-  Attention là c'est plus dure … il est jeté pour jouer.
-  Pffff … Dé. Maman … qu'est ce tu fais là ?
- J'vais mourir mon fils.

Comment ça, maintenant là tout de suite ? Je te l'interdis c'te plais !

Madame Josette serre tout à coup son fils très fort contre son cœur et lui dit :

- Eh,c'est une blague balourde, le cancer je l'emmerde !

Moi aussi ! dis Stouf et ils vont faire un tour dans le parc où il y a plein d'écureuils.

A peine quelques jours après ?

Pfff … mort d'une humaine ?

DCD.

Où voir la vidéo                                                                                                            

TomTom - Lune de sang

Depuis que j’habite à Santa Monica, j’ai pris l’habitude de me rendre seule au moins un soir par semaine à Zuma Beach pour un bain de minuit. Je n’y suis jamais tout à fait tranquille puisque des sans-abris y dorment, des junkies y délirent et des jeunes amoureux y copulent. Peu importe. La folie californienne des journées et des weekends sans sommeil me pousse à prendre ma voiture aussi régulièrement pour un tête-à-tête – au milieu de tous ces fous que je n’observe même plus - avec l’océan, le coucher de soleil, parfois, et la lune, toujours.
Je me souviens de celle du 31 janvier 2018 : une intrigante « lune de sang » dont l’annonce avait été tellement rabâchée par les chaînes locales que mon petit coin de recueillement se remplissait de monde dès 16 heures. J’eus du mal à trouver un petit emplacement à l’écart des autres groupes, mais une fois assise, la nuit ne tarda pas à tomber et j’imaginai la Terre passer effrontément entre le soleil et la lune lorsque celle-ci prit la couleur du sang. Avec mon pessimisme à toute épreuve, je m’attendais à voir un astre tout au plus orangé, mais il était encore plus incroyablement sanguin qu’à la télévision. Je perçus à peine les acclamations et autres marques d’ébahissement et d’enthousiasme de mes nombreux voisins de plage car cette lune de sang m’avait, quelques minutes après son apparition, ramenée trente ans en arrière.
Je venais de fêter mes seize ans dans un bar sur le port militaire de Brest, ma ville d’origine. Tous mes camarades de classe étaient là : mes amis, mes copains, mes ennemis et ceux que j’indifférais. Bien évidemment, nous étions tous rapidement soûls puisque nous buvions comme des adolescents, comme des adolescents du Finistère. Mais puisque c’était MA soirée, MON anniversaire, je me sentais bien obligée d’en faire plus que les autres. J’ingurgitai donc dès le début de la soirée toutes sortes d’alcools forts et ces mélanges furent fatals. C’est au bord de la perte de connaissance - ce moment où l’on rêve de dégurgiter tous ces liquides sans toutefois y parvenir – que Maël m’emmena habilement avec lui dans les toilettes pour femmes. La suite s’est depuis bloquée dans ma mémoire, aux portes du traumatisme, pendant ces trente décennies. À partir du moment où il commença à me déshabiller, plus rien. Je me rappelais uniquement m’être laissé faire après avoir émis quelques « Non ! Non ! » éthérés par mon taux d’alcoolémie.
Mais en ce soir de sublime sulfureux à Zuma Beach, la vision du sang de la lune appuya une sorte de bouton neuronal de déclenchement d’une machine à remonter le temps. Tout me revint à l’esprit dans un ordre chronologique inversé grâce au souvenir du sang sur ma robe en sortant des toilettes. Maël était déjà parti avec ma virginité tandis qu’il me restait ces quelques taches de sang pour unique trace de son abus. Juste avant, il prit soin de jeter le préservatif dans les toilettes et de tirer la chasse d’eau. Et puis il y eut l’acte en lui-même. Non pas que les images me revinrent avec une netteté clinique, mais l’utilisation de la force, le visage odieux et bestial de mon camarade, ses gémissements de plaisir et sa jouissance de domination passèrent devant mes yeux d’adulte épanouie avec autant d’arrogance et de violence que notre planète bleue devant cet astre d’ordinaire si fier et si paisible au milieu du ciel étoilé.
J’avais toujours su que mon expatriation relevait autant de la fuite que de l’accomplissement professionnel. Certes, nous ne sommes plus au XVIIIe siècle et la virginité d’une jeune fille n’est plus ce trésor qu’elle conserve jusqu’à la nuit de noce, mais ce soir-là, je compris qu’une première expérience sexuelle à la fois sans douleur et sans envie ne pouvait être considérée comme un non-événement. J’avais toujours su que mes travers provenaient de ce péché originel : ma consommation festive d’alcool, mon comportement de « fille facile » peu regardante vis-à-vis des règles de dating américaines, ma volonté d’être mentalement ailleurs lorsqu’un homme me pénétrait physiquement. Aucune psychanalyse ne m’aurait été utile puisque tout était clair. J’avais simplement tout rangé dans un coin sombre avec la ferme intention de ne jamais l’éclairer. Il aura fallu qu’avec sa couleur sang, une éclipse lunaire vienne faire briller dans ma mémoire le soleil aveuglant de l’horreur du viol.