Les pérégrinations d'une petite graine.
Une petite graine s'ennuyait à mourir. Grandir parmi ses sœurs ne l'amusait pas du tout. Elle voulait voir du pays, faire des rencontres et surtout, elle voulait être unique. Les autres petites graines la traitaient de folle et de prétentieuse mais elle ne les écoutait pas. Elle décida un jour de quitter son berceau. Elle ne savait pas trop comment s'y prendre. A force de réfléchir, une idée lui vint. Elle attendit patiemment que le vent passe par là et lui demanda poliment :
- Dis, le vent, toi qui te promènes partout, veux-tu m'emmener ?
- Mais où donc veux-tu aller ma mignonne ? Tu es trop petite et fragile. Je vais te semer en route.
- Tant pis. Emporte-moi quand même. Je me languis ici.
- Tu cours de graves dangers sais-tu ? Je ne peux pas te prendre avec moi, je ne suis pas assez délicat pour cela. Mais puisque tu es déterminée, je propose de te déposer dans les plumes de ce merle noir que tu vois là-haut sur la branche du châtaignier.
- Merci le vent ! Ce sera parfait.
Le vent souleva la petite graine toute excitée et tellement joyeuse qu'elle en oublia de saluer la compagnie. Il la posa sur le plumage de l'oiseau qui s'envola à tire d'ailes vers le parc de la ville voisine où il avait ses quartiers.
Le petite graine regardait autour d'elle, très étonnée. Elle découvrait un monde nouveau, où tout allait très vite. Elle se cramponnait pourtant sur le dos du merle mais un moment d'inattention et elle tomba au beau milieu du boulevard. Affolée, elle commençait à regretter son petit bois au bord de la rivière. Elle se morigéna en se disant qu'il était trop tard. Il fallait maintenant trouver une solution pour échapper à ces drôles de choses qui passaient rapidement autour d'elle et presque sur sa modeste personne. Elle se cacha derrière un tube de rouge à lèvres tombé du sac d'une coquette et roula avec lui jusqu'au bord du caniveau où coulait un filet d'eau. Ça tombait bien : elle mourait de soif.
Après s'être désaltérée, elle grimpa sur le trottoir et décida : c'est ici que je veux vivre. Il faut que je trouve un beau jardin où je vais pouvoir m'épanouir et épater les autres fleurs. Ah ça mais. Je suis aussi belle qu'une rose pensa-t-elle en se rengorgeant. Ses congénères avaient mille fois raison : cette petite graine là était très orgueilleuse.
En se promenant dans la rue, elle ne tarda pas à découvrir, bien à l'abri derrière une haie d'arbustes et de vivaces, un jardinet où poussaient allègrement légumes et fleurs joliment mélangés. La petite graine applaudit à ce joyeux pêle-mêle et s'apprêtait à se faufiler parmi toutes ces plantes quand elle s'arrêta soudain :
- Tout doux ! Attendons un peu. Il faut s'assurer du jardinier. Pas envie qu'il me prenne pour une mauvaise herbe et m'arrache sans pitié. Tiens, le linge qui séchait dehors a disparu ! Bizarre. Voilà pourtant un moment que je patiente et je n'ai vu personne.
C'est alors que l'effrontée aperçut un jeune homme à l'allure bohème, les bras chargés de vêtements, qui longeait les allées, s'arrêtait souvent pour parler affectueusement à ses petits comme il les appelait :
- Oh, mes pauvres salades, vous avez soif on dirait. Je vais vous apporter de l'eau tout de suite. Oui, mes princesses, je le sais bien que vous redoublez d'éclat et de parfum quand je passe près de vous, mes magnifiques pivoines. Tu es splendide mon rosier jaune, le soleil et l'or de mon jardin.
Et de caresser, humer et chantonner tout en semant son linge un peu partout.
Voilà un jardinier un peu fou se dit la petite graine. C'est sûrement un jardinier amoureux de la vie et ça me plait beaucoup. Sans plus hésiter, elle entra dans le jardin, se pelotonna sans le savoir dans un carré de carottes et soupirant d'aise, se mit en devoir de grandir tranquillement.
Un peu plus tard, le jardinier-poète vit surgir au milieu de son semis de carottes, une plante étonnante, aux feuilles étroites, à la tige nue parée d' une hampe florale où éclataient de délicates fleurs blanches et plus haut, des boutons prêts à éclore. Il appela sa femme pour lui montrer l'intruse qui se pavanait sous ses yeux.
- Voyons chéri, tu te souviens sûrement. Nous trouvions cette fleur il y a peu dans le petit bois où nous allions nous promener avant la naissance de Gilles. On lui donne le joli nom d'asphodèle.
- Elle est très belle comme son nom tu as raison ma chérie. Elle est arrivée chez nous en même temps que notre fils. C'est un signe et contrairement aux croyances anciennes je pense moi qu'elle est un porte bonheur. Nous allons la garder précieusement.
La petite graine, devenue grande marqua son contentement en se penchant avec grâce vers ses admirateurs. Sa famille lui manquait un peu mais elle pensa avec satisfaction qu'elle allait à son tour donner des petites graines qui feraient leur chemin. Comme elle.