mardi 30 avril 2019

Mister K - La dernière séance


J’y repense
Dernière séance
Triste échéance
Béance
Dans l’enfance
Si j’avais une doléance
J’aurais bien accepté une créance
Sans la moindre préséance

Ça m’aurait changé en toute bienséance
De mornes suppléances
Que je ne nommerai pas déchéance

Et je …

… me souviens j’avais dix ans
Le Vox cinéma de quartier
Dix minutes à pied
J’entamais la collège
J’allais au ciné-club
Une carte qu’on poinçonnait
Dix films dans l’année
Je me recale dans les fauteuils
Je revois les distributeurs de bonbons
Je me souviens d’une panne
Une bobine ça ne tourne pas toujours rond
Et les films c’étaient des classiques
Et c’était magique
Jody et le faon juste le titre
Je sais plus l’histoire
Fantôme à vendre de René Clair
Que je revois un peu
Et puis le plus frappant
Inoubliable et inoublié
Les disparus de Saint-Agil
Michel Simon
Les Chiche Capon…

J’ai su bien des années après
Que le Vox avait été racheté
Puis avait fermé
J’y repense
Dernière séance
Béance
Dans l’enfance

Mapie - La dernière séance

Le cinéma...

Certains disent qu'il est plus dans la salle qu'à l'écran..  Quel euphémisme... Et dire que l'on se félicite d'avoir inventer le 3D et même le 4D....
Les pop-corns sur le sol et sur les sièges...  et les bruits de mastication des quelques derniers grains qui éclatent  sous la dent du voisin; 
La paille  qui grince dans le gobelet et ce glop .... oui ce  bruit incongru de la gorgée ... pas la première, là encore je peux comprendre, non l'autre et aussi celles qui suivent...
Les odeurs  de sucré, de salé , de ... beurk... oublions ...
Et pire... les bruits de ceux que l'on sait en devenir d'être... Je m'explique... Ce type qui vient d'entrer avec un plein paquet de mm's ou de bonbons kréma..
Les papiers déballés lentement, au rythme de l'envie ... une véritable torture !
Non mais sérieusement,  il en a combien des mm's dans son paquet ?

Et le bruit des baisers... beurk... beurk et rebeurk.. ben si ... beurk quoi ... 
Intolérante ? Moi?
 Non ... pas du tout... simplement je me disais que je venais voir un petit film bien sympa...  calée dans un fauteuil avec le grand écran et la musique trop forte... et je me retrouve  en plein tournage  du film :
"Chéri!  j'aime les popcorns et les câlins mais j'ai pas le droit à la maison !"
Et puis,  avant il n'y avait que les ouvreuses qui avaient une lampe de poche pour installer les retardataires... maintenant tu as l'impression qu'il y a des ouvreuses à chaque rang... Les portables sont comme la pollution urbaine:  Tu ne vois plus d'étoiles à l'écran, la lumière de la salle altère tout attrait. 
Alors désolé, mais sans vouloir faire mon cinéma... 
Je crois bien que cette fois,  c'est bel et bien ma dernière séance !

lundi 29 avril 2019

Pascal - La dernière séance

L’Alhambra


À l’école primaire, on avait notre carte d’abonnement pour aller au cinéma ; chaque année, elle changeait de couleur ou alors, c’était les vignettes, je ne sais plus. Pour la future projection, on devait acheter le timbre et le coller sur la fameuse carte ; c’était le sésame de cette évasion sur grand écran. Et quand il fallait collecter les sous pour acheter le timbre, c’était au bon vouloir de mes parents et des notes sur mes cahiers. Mais oui, je savais tout de mes récitations, des dernières additions, des dictées et des tables de multiplications !... Au jour fatidique, après toutes mes prières d’écolier, maman ouvrait son porte-monnaie ; avec une grande solennité et mille recommandations, elle me donnait son autorisation sous forme sonnante et trébuchante : quelques dizaines de centimes…

Le samedi après-midi, tous les gamins de Romans convergeaient vers le cinéma. Je me souviens des grands trottoirs, des quelques feux rouges, de nos lèche-vitrines devant les bonbons et de nos courses endiablées pour n’être pas en retard. On se pressait devant l’entrée, on se rangeait par affinité de classe et d’école, on se gardait la place et c’était des longues colonnes de gamins trépignant sur les marches devant les immenses affiches. Enfin, à quatorze heures, les grilles de l’Alhambra étaient tirées. Des grands compostaient notre carte ; alors, on fonçait à l’intérieur en criant, en se bousculant, en riant.
Si la salle était immense, c’est qu’on était petits. On se retrouvait, ensemble, pour ne pas être trop dépaysés pendant cette aventure de projection et pour comparer notre émerveillement pendant les grandes actions ; « l’Alhambra », rien que ce nom prononcé, c’était le abracadabra de notre imagination…

À cette époque d’enfance, la vie était peut-être moins insipide. L’innocence est forcément heureuse puisqu’elle est honnête. Nos sens en éveil réceptionnaient tout ce que notre jeunesse découvrait. On entassait tout cela dans notre porte-monnaie sensoriel comme des trésors inestimables. Un rien nous amusait ; pendant la récré, un coup de vent à travers les platanes et c’était des éclats de lumière dans la cour de l’école ; un orage d’été et c’était les odeurs tièdes du goudron réveillé ; une pépite de flocon sur la langue et c’était toute la joie des futures boules de neige. Nous étions les vedettes de notre vie, les peintres de ses décors, les metteurs en scène de son défilement, les héros conquérants de nos dénouements en devenir…
C’est drôle, ces tendres souvenirs qui ne se détachent jamais ; on dirait nos habits d’enfant, alignés sur le fil du Temps et flottant aux soupirs de nos souvenances. Ils sont notre ombre bienfaitrice quand on manque de soleil. Ils sont notre manteau de gloire au défi des années passantes, celles rugueuses, celles froides, celles austères, où rien ne se passe de palpitant, où nos je t’aime s’enlisent comme des ricochets sans partance.
Nos souvenirs sont les douces caresses inépuisables d’un fier passé et, sans vergogne, nous piochons dedans. Ils sont notre auréole protectrice, notre référence, nos remèdes, quand rien ne va plus. On les garde jalousement mais on les ressort prestement quand il faut les comparer, quand il faut se soigner, quand plus rien ne ressemble à rien…
On cohabite avec eux dans l’ordinaire mais ils ressurgissent à l’improviste, ces placebos de bonheur, au hasard d’un parfum capiteux ou timide, d’une couleur aveuglante ou confuse, d’un goût enivrant ou fortuit, d’un son mélodieux ou imperceptible, d’une caresse qui frissonne jusqu’au tréfonds de notre âme. Parfois, ils nous submergent, ils nous avisent, ils nous retiennent, ils nous empêchent de mordre dans le présent comme on devrait le faire avec une grande satiété d’affamé.
Ils sont aujourd’hui les points de repères obligatoires sur lesquels on a fondé notre bonheur. Chacun a son caractère imprégné au plus profond de nous. Il traverse les années sans une ride, sans une altération, sans une déformation. Brillant, neuf, intact, il est le bibelot sublime, le lien d’un passé enchanteur qui aide à vivre au présent et nos évocations insatiables l’agitent d’une belle ardeur de trophée. Pourtant, les souvenirs deviennent ce que les vieux en font. Quand ils se transforment en confidences, un jour de trépas, ils sont stèles, statues, légendes, rumeurs et oubli ; on devient nostalgiques du passé quand on n’attend plus rien du présent. M’en fous, moi, j’ai encore dans la bouche le goût de la colle du timbre quand je l’apposais cérémonieusement au dos de ma carte de l’Alhambra…

Je ne me souviens plus des couleurs des fauteuils et des imposantes tentures disposées le long des murs. Je ne me souviens plus des jeunes visages enthousiastes, autour de moi, lorgnant obstinément le rideau comme s’ils avaient peur de rater un centimètre de pellicule. Je ne me souviens plus des confortables fauteuils où on aurait pu facilement tenir à deux ou trois et de leurs larges accoudoirs où l’on se disputait l’emplacement en étirant les bras. Je ne me souviens plus du grand balcon et des regards condescendants qui nous observaient de haut… Ce dont je me souviens, ce sont les éclairages qui s’éteignaient un à un, toute la rumeur grondante de la salle qui se taisait soudain, le grand rideau de la scène qui s’ouvrait lentement, le « ha » général poussé d’une seule et même voix et des ombres furtives qui couraient encore à la recherche des derniers strapontins. Là, aux premières images, découverte, la poussière se « vertébrait » dans le faisceau de lumière ; volutes extraordinaires, c’était des pépites d’or et d’argent, de pourpre et de pastel, de fauve et d’émeraude, soufflées dans notre ambiance au savant imaginaire. Libérées du noir, elles dansaient un instant puis elles s’en retournaient se poser dans le néant comme si elles connaissaient déjà tout du scénario…

Chut… le film commence… 

Marité - La dernière séance

Dernière séance, vraiment ?


Il y en a pour qui ce n'est jamais la dernière séance.
Après une galère, une autre galère.
Jusqu'à la fin.
Il y en a qui font indéfiniment leur cinéma.
Après une entourloupe, une autre entourloupe
Aux crève la faim.

Il y en a pour qui c'est sans cesse le même film qui passe.
Ils sont toujours d'éternels figurants.
Jusqu'à la fin.
Il y en a qui jouent sans relâche le même scenario
Accompagné d'effets spéciaux pour mieux leurrer
Les crève la faim.

En vert, rouge ou jaune mais en accéléré
Il est urgent de visionner d'autres séquences
De changer la bande son et le générique
Pour ne plus entendre la même musique
Et pouvoir aussi applaudir au clap de fin.

jeudi 25 avril 2019

Tiniak - La dernière séance

NOIR CINOCHE ?

C’est un de ces endroits d’où fusent des lumières
(peu après avoir été plongé dans le noir)
pour que nos yeux en embrassent mieux les chimères
et daignent s’en laisser raconter, des histoires

Il vient, son pas de géant, vers nos yeux d’enfant
jamais si beau que dans la lutte ou la caresse
c’est le héros (l’affiche nous l’a dit, avant)
comme un brillant écho à nos sourdes détresses

Nous rions, nous vibrons, et – voici la surprise !
pas aux mêmes moments, pas pour les mêmes mots…
« Tarzan », tant d’ans après… Non, mais quelle bêtise !!
Avec ça, sans entracte où tendre un Michoko

Oubliés la « placeuse » et son digne balcon
avec sa lampe-torche indiquant quelle place ?
Ce siège, large au point d’accumuler deux fions
est-ce pour un voisin nommé Gros dégueulasse ?

C’est de la nostalgie ? Ben, oui ! Ben oui, quand même !
avec l’orchestration appuyant le final
avec l’obstination d’un rire sépulcral
entourant le baiser qui vient dire « je t’aime »

Hérisse-toi, mon cinéma d’Art & d’Essai
de « plus jamais » contre les effets spécieux
d’absurdes voix contre les voies toutes tracées
pour que j’espère encore en Celle du Milieu

Et voilà ! Je te vois quand, tombé le rideau
rentré à mon cachot, rejoue ton tralala
burlesque et promenant l’ombre de Jean Vigo
sur quelque « …Rouille et d’Os » assaillant l’écran plat


Où se refaire une toile...

Vegas sur sarthe - La dernière séance


Un demi-franc

Quand on était gamins le cinéma était un événement car quel que soit le film l'entracte était l'occasion de découvrir des numéros de music-hall, des acrobates ou des magiciens.
Les profonds fauteuils de velours rouge de l'Alhambra avaient le même velouté que le canapé de tatie Jeanne, une banquette qu'on n'avait le droit de toucher que du bout des doigts après avoir fini notre goûter et nous être lavé les mains à l'office.
Alors vous pensez bien qu'avoir un tel trône rien que pour soi, c'était fabuleux!
Ce jour-là on projetait “Les feux de la rampe” de Monsieur Chaplin.

“Ne soyez pas surpris” nous avertit l'ouvreuse “à chaque représentation l'artiste s'est dissous”
“Dis M'man, dix sous ça fait combien de francs?” demanda mon petit frère.
“Un demi-franc” répondit ma mère du tac au tac.
Je trouvai que c'était cher payé pour un entracte où le boniment de la vendeuse de glaces et le va-et-vient des clients gâchaient le spectacle.
Je me demande encore aujourd'hui ce qu'une ouvreuse de cinéma pouvait bien trouver à ouvrir à part le porte-monnaie du quidam en mal de septième art...
J'admirais ma mère pour son habileté à calculer et sa dextérité à “tenir les cordons de la bourse” comme elle disait, aussi ne fus-je pas surpris qu'elle ne donne pas ces trente sous puisque nous étions trois avec mon petit frère.
Je me souviens avoir été réveillé par lui à l'entracte :”Regarde, l'artiste entre en scène!”

C'était un petit bonhomme rougeaud pour ne pas dire cramoisi tout habillé de rouge et qui gonflait des ballons rouges... toujours est-il que s'étant envolé vers les cintres au moyen d'un énorme ballon rouge via une rampe de spots surchauffés il explosa bruyamment!
Les Feux de la rampe venaient de faire une victime.
Fondu, liquéfié, volatilisé... les mots manquent dans de telles circonstances.
Derrière nous l'ouvreuse sortie de nulle part semblait ricaner. “Je vous avais prévenus” souffla t-elle.
C'est fou comme il suffit à une ouvreuse d'avoir été sevrée de trente sous pour devenir acariâtre.
J'avais vu fondre des poissons-pierre dans Le monde du Silence et disparaître des phasmes au jardin botanique mais jamais un petit bonhomme qui sent le roussi accroché à un gros ballon rouge.
Mon petit frère ne cessant de s'agiter sur son fauteuil comme si le diable en personne lui pinçait les fesses, on sortit précipitamment de la salle des trônes pour l'emmener faire pipi.
De retour à la maison notre mère nous fit copier la conjugaison du verbe dissoudre jusqu'au futur antérieur...
“J'aurai dissous... Tu auras dissous”... mon petit frère soupirait « Tu auras dix sous, Tu auras dix sous, toujours des promesses”


mercredi 24 avril 2019

Landrynne - La dernière séance

Face à la petite fontaine sur la place pavée, ses murs délavés, sa porte de verre abîmée... Vraiment, il ne payait pas de mine.
C'était une petite bâtisse à l'angle d'une courte ruelle et d'une petite place, perdue au milieu du centre ville. Sans les trois grandes affiches collées au mur, personne ne se serait douté que c'était un cinéma de quartier.

J'étais passée par hasard devant lors d'une promenade. Le tout nouveau gérant distribuait des tracts, sans grand succès apparemment, mais gardait un sourire avenant. Il avait l'air jeune et sympathique, un brin rêveur. J'ai tout de suite senti que je lui souhaitais bonne chance. Alors j'ai fait ce que je ne faisais jamais. Quand il s'est approché pour me parler, j'ai pris le papier tendu, et j'ai même "discuté" un peu avec lui. J'ai promis de répandre la nouvelle, d'y revenir, et même d'y amener des amis. Naturellement, je l'ai fait - je tiens toujours parole.
À compter de ce jour, ce petit cinéma s'intégra dans mon adolescence. Et celle de bien d'autres d'ailleurs, l'opiniâtreté du jeune homme avait payé. Bien que personne n'ait misé sur son rêve, le petit cinéma se fit une place indéniable dans le coeur des citadins, et devint rapidement un point de rendez-vous incontournable.
Il a vu naître mes premières "sorties entre filles", m'a vue dévorer mon premier "pop-corn", dégoter mon premier "poster". Il a été témoin de larmes, de fous-rires, parfois mal placés par rapport au film, et d'évènements en tous genres.
Comme un traquenard mémorable, orchestré par une amie qui m'avait prise comme chaperon lors d'un rendez-vous avec un garçon, et n'est jamais venue nous rejoindre. Un garçon incroyablement imbu de lui. Un film de deux heures et demi. La séance la plus longue de toute ma vie.
Un cinéma qui m'a en quelque sorte vu grandir, à chaque visite, de plus en plus espacée.

Des années que je n'y étais plus allée.
Il était resté dans sa ville, ville que j'avais quittée. Cela avait un peu le goût d'inachevé.
Alors en passant dans le coin, un jour, j'y suis retournée.

La main de mon homme dans la mienne, nous marchions en rythme, sur les pavés luisant de gouttes de ciel éploré. J'avais tellement changé.. mais le bâtiment, lui, n'avait pas bougé.
Quel film étais-je venue voir ? Je ne m'en souviens pas, mais c'était mon "au revoir". Mon adieu au cinéma de mon adolescence. Notre dernière séance.

Laura Vanel-Coytte - La dernière séance

Du France au St François

Lorsque je suis arrivée à St Etienne vers l'an 2000, j'ai été séduite entre autres par l'accueil des gens et l'importance du choix dans la vie culturelle notamment au niveau du cinéma : deux cinémas grand public avec une vingtaine de salles où nous allions et deux art et essai; le Méliès que je fréquentais régulièrement et le France. Le Méliès était en travaux pour installation et agrandissement sur un nouveau site. 
Quand nous sommes rentrés du Maroc et que j'ai pu choisir où je voulais vivre, j'ai choisi St Etienne. Le Méliès était plus grand et plus moderne et je le redécouvrais avec plaisir. Je découvrais en même temps qu'en bas de ma rue, il y avait le deuxième cinéma art et essai de St Etienne, le France que je n'avais jamais fréquenté. Sa programmation était encore plus pointue que celle du Méliès et j'appris peu de temps après que ce cinéma était en difficulté et que ce joyau de l'art déco avec son immense balcon à l'ancienne risquait de disparaître. Je tentais d'y aller plus souvent mais ça ne suffisait pas bien-sûr. Alors le Méliès a décidé de prendre le France sous son aile en lui adjoignant son nom à celui de notre quartier. 
Mon cinéma de quartier revit un peu. J'espère que ça va durer et qu'il va prospérer.

mardi 23 avril 2019

Andiamo - La dernière séance

Le Moulin Rouge.

J’ai entendu hier Patrick Bosso qui parlait du cinéma de quartier de son enfance "le Moulin rouge" dans ma tête ça a fait tilt !
C’est à Drancy de triste mémoire que j’ai passé mon enfance, et là, dans mon quartier, il y avait un cinéma "le Moulin rouge" ! La façade vermillon et un moulin en trompe-l’œil aguichaient le chaland.
Le jeudi, on s’y rendait avec quelques copains, le patron : un p’tit bonhomme tout gentil, aussi large que haut, pas très haut, 1m52 environ, mais belle largeur !
L’entrée coûtait 12 balles, mais attention des anciens francs ! Soit 2 centimes d’euros ! Et encore, souvent on ne les avait pas, alors le gentil bonhomme nous laissait entrer à l’œil !
En pénétrant dans la salle, ce qui me saisissait, c’était l’ôdeur d’ammoniac, agressive, piquante, collante, innommable. Soyons clairs : en d’autres mots, ça puait la pisse ! Faut dire que les cagouinsses étaient situés au fond à gauche de la salle, la porte fermait mal et puis il n’y avait pas l’eau courante !
Mais bon, au bout d’un moment, on s’habituait, puis on oubliait…
Nous étions là dans l’antre où tout est possible. Un vieux 78 tours (vous connaissez ?) nous distillait toujours la même chanson : "Jumbalaya". - Puis les pauvres ampoules s’éteignaient, l’ouvreuse tirait le rideau, un vieux machin tout poussiéreux, et l’écran apparaissait, carré blanc-jaune bordé de noir, un vrai faire-part de décès !
Nous avions d’abord droit aux actualités, un bien grand mot parce que celles-ci dataient fastoche d’un mois ! C’étaient les actus de la "Fox-Movietone" : on voyait un avion "Constellation", un paquebot genre le Normandie, un train vapeur nous fonçait dessus, et enfin toute une floppée de nanas en maillot une pièce qui sautaient d’une jambe sur l’autre. Alors on sifflait comme les voyous, langue repliée sur les incisives du haut, d’autres avec deux doigts dans la bouche, c’était strident, ça te crevait les tympans, mais ça nous faisait marrer, et puis il n’y avait que des mômes à la séance du jeudi après-midi.
Après les actus, on nous passait un dessin animé en noir et blanc, bien sûr, genre Popeye. Alors là, faut que j’raconte : dans la chanson en V.O, il est question de : "Popeye a sailor man", mais nous on jactait pas une broque d’angliche, alors on disait "Popeye et phénomène", ça ne vaut pas mais ça remplaçait, et puis fallait bien meubler.
Après ce chef-d’œuvre, nous avions droit à un petit film genre polar. Je me souviens d’une série en particulier, avec pour acteurs Claude Dauphin et Louis Jourdan. C’était du genre "le crime ne paie pas". A l’époque, c’était très moral et les malfrats étaient toujours punis, na !

L’entracte arrivait, l’ouvreuse proposait ses friandises et esquimaux. Nous, tu penses, pas le rond pour acheter tout ça même pas grave. Son fils "Popol" (ça ne s’invente pas), un pote, s’égosillait dans l’allée en criant "la poignée". Il s’agissait d’une poignée d’illustrés, des bouillons, des invendus, achetés je ne sais où ,et vendus 10 ou 20 balles. On trouvait, en vrac, un Tarzan imprimé sur papier pelure format plus petit qu’un journal à l’ancienne - Tarzan, les beaux dessins de Hoggarth, le regard d’acier de l’homme singe, ses cheveux noirs, et surtout les muscles saillants, rehaussés de traits de plume, moi qui étais gaulé comme une arbalète, ça me laissait rêveur, je m’voyais anéantir une tribu entière de vilains sauvages venus bouffer Jane ! Ah la la, j’avais le surin sanglant, l’eustache dévastateur, l’opinel vengeur ! Fallait pas faire chier Tarzan ! Mais je divague, il y avait aussi, dans cette fameuse "poignée", Hurrah, l’Intrépide, Coq Hardi. Ne cherchez pas : Mandrake, Lautard, le fantôme du Bengale, Tarou, Placid et Muzo sont morts depuis longtemps !
Et le film commençait, enfin…. C’était Zorro, contre Don del Oro. C’était aussi des Laurel et Hardi, je crois que je les ai tous vus. J’en ai racheté un ou deux, mais la magie n’opère plus, c’est comme les albums de Tintin, je les aime encore, mais je crois bien que ça n’est plus pareil ! On voyait aussi les deux nigauds Abott et Costello, un ersatz de Stan et Oliver ! Sans oublier bien sûr des films de cape et d ‘épée.
La séance achevée, on rentrait avec les fesses tannées, parce que je ne vous l’ai pas dit, mais pour 12 balles, nous n’avions droit qu’aux banquettes des trois premiers rangs. En bois les banquettes.! Pour les fauteuils rembourrés, c’était plus cher.
A peine rentrés, on refaisait le far-west ou les trois mousquetaires sans Milady, à cet âge-là rien à foutre des filles, surtout pas dans nos jeux ! On jouait jusque cinq ou six heures et puis nous rentrions, un peu tristounets : le lendemain, y’avait école, BEURK !!!!

lundi 22 avril 2019

Maryline18 - La dernière séance

La fin sera belle… 

Dans les centres villes désertés, de nombreux cinémas ont fermé leur rideau de fer. Nous avons le droit maintenant au "grandiose", aux salles si grandes qu'à peine nous y pénétrons, nous sombrons dans l'anonymat le plus absolu.
Pourtant, partout autour de nous, au delà de nos regards absents, détournés ou gênés, les histoires continuent. Oh, les mises en scènes ont perdu de leur merveilleux mais si vous tendez l'oreille, les dialogues ont gagné en sincérité. J'aime ces ambiances feutrées, riches d'essentiel.
Derrière des rideaux entrebâillés qui laissent entrer une lumière amie, au milieu de décors personnalisés, des acteurs fatigués d'avoir trop tourné se racontent, soutenus par des coussins brodés. Les effets spéciaux ne sont pas nécessaires pour captiver mon intérêt. Ce qu'ils ont à me raconter est si beau, si émouvant, si vrai.
- A quel style appartiennent ces films ?
Mais, à tous les styles réunis : les intrigues, si bien tissées me surprennent, les passages tendres, si imagés trônent sur des bahuts en chêne...Le jeu des acteurs n'en est plus un, ils sont merveilleux d'authenticité. Le paraître n'a plus la cote, le temps est compté alors il ne faut plus le perdre en futilité. Oui, le temps qu'il reste devient si précieux... , autant que les confidences et que la confiance que m'offrent ces acteurs délaissés, passés de mode.
Oh, bien sûr que je connais la fin de chacune de ces histoires, hélas, et vous aussi, mais leur ajouterons-nous la musique réconfortante de notre voix ou alors l'odeur suave d'un muguet fraîchement cueilli, ou juste la chaleur d'une main serrée ? Quel vision de notre monde auront les jeunes générations si nous négligeons les décors et les scripts de ses "fin d'histoires"...
La vie ne peut-elle être belle jusqu'à la fin ? Une utopie, vous empresserez-vous peut-être d'ajouter...Et bien, certes, laissez moi travailler à rendre cette illusion envisageable ou je perdrai la motivation qui me fait me lever chaque jour.
Tant que les trois lettres du mot fin ne s'afficheront pas sur l'écran de ma vie j'en écrirai l'histoire. Vous qui avez déjà quitté la salle, par ennui peut-être, et bien vous allez manquer la fin et c'est tellement dommage...
La vie est ainsi faite, alors qu'on la voyait, ( plus résigné que satisfait, on peut se l'avouer, on est entre nous...), coulant paisiblement sous le pont des années, un vent nouveau peut venir tout changer.
Le ciel alors se teinte de bleu, d'un bleu si troublant que mon coeur s'émeut. La fin sera belle...

Semaine du 22 avril au 5 mai 2019 - La dernière séance

La dernière séance

Sur une proposition de Andiamo nous vous suggérons d'évoquer les petits cinoches de quartiers, il y en avait au moins un près de chez vous, oui ? sinon inventez-le et en vers ou en prose racontez-nous votre dernière séance.
Vous avez jusqu'au 5 mai à minuit pour envoyer votre texte à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com après quoi le guichet sera fermé.

dimanche 21 avril 2019

Semaine du 15 au 21 avril 2019 - Pas de brouillon

"Je ne fais pas de brouillon ! " c'est ce que vous affirmez et  vous allez avoir toute la semaine pour nous expliquer le pourquoi du comment vous ne faites pas de brouillon que ce soit en vers ou en prose.
Mais n'oubliez pas que dimanche 21 avril il faudra rendre votre copie...

à  l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com

samedi 20 avril 2019

Lilousoleil - Pas brouillon


Pas de brouillon, j’y vais directement

Aujourd’hui dans la Petite Librairie, nous accueillons le grand écrivain René, René Tabli que nous connaissons tous pour les dix volumes de » l’histoire de la brouette à travers les âges », susurrai, le journaliste littéraire beau comme un dieu grec et dont je buvais les paroles tel un chat devant son assiette de lait.
-          Monsieur  Tabli, quelle est votre recette ou plutôt votre méthode pour stimuler votre imagination et vos recherches sur ce sujet ô combien passionnant de notre Grande Histoire de France ?
-          Tout d’abord, laissez-moi vous dire combien il  est apaisant de participer à votre émission. Votre esprit ouvert à la critique positive nous guide vers l’écriture. Pour revenir à ma méthode, je ne fais de brouillon. Je jette mes mots après lecture des documents précieux collectés et collationner avec soin par mes secrétaires que je vénère pour leur collaboration efficace et précise. Je garde ainsi  la pureté des anecdotes et conserve la véracité solide qui sans crier gare s’installe en moi et me permet ensuite une grande fluidité dans l’écriture.
Ce sujet est tellement vaste, riche et varié, car depuis les Gaulois  croyez moi,   rien de plus intéressant n’a été crée, vous en conviendrez aisément,  que ma plume travaille toute seule…
Alors vous serez de mon avis, pas de brouillon, je prendrais le bouillon..


vendredi 19 avril 2019

Tiniak - Pas de brouillon

S’agissant de dire mon fait au sombre idiot
chaussé d’immondes godillots pour marcher (droit ?)
droit sur la fille-mère et son frangin « homo »
j’ouvre bien grand ma gouge et je dresse mon doigt
Ah, ça non !
Je ne fais pas de brouillon

S’il est question d’interroger ce pas qui vient
(qui n’est pas celui de mon chien), je me méfie
de ces abois sans qu’on se soit serré la main
de ma propension à me perdre en arguties
Pour le don
je ne fais pas de brouillon

Trop d’intéressements pour si peu d’intérêt !
Tant de chœurs concordant sur des voies de fossés
de minois réchampis à d’obscures vitrines
et de culs féminins creusés par la strychnine
font que,  non !
je ne fais pas de brouillon

Mais quand je pense à toi, ma mère, fille et sœur
toi qui m’a fait humain à penser à demain
toi qui m’a démontré que la joie tue la peur
car tu sais, mieux que moi, où loge le malin
c’est tout bon !
Je sais n’être qu’un brouillon

Devenu père
livrant mes brouillons éphémères

Un rien, brouillons des cartes les chimères...

Où lire Tiniak

jeudi 18 avril 2019

Marité - Pas de brouillon

Mes cahiers de brouillon.


Ils se faisaient discrets. Rose, vert ou bleu, d'une couleur très pâle,  ils voisinaient dans mon cartable avec des cahiers de plus grande importance qui, eux, étaient soigneusement recouverts de papier épais rouge, bleu roi ou vert sapin. Des cahiers dits « de classe » où l'on devait s'appliquer à former ses lettres à l'encre violette en évitant les ratures et les taches quand la plume grinçait un peu trop sur la feuille.   Ces cahiers là au papier blanc, plus fin portaient en couverture pour certains l'effigie de Guillaume le Conquérant d'où le nom de la marque, les Conquérant et pour d'autres un logo triangulaire avec les traits de la porteuse d'eau, les Clairefontaine.

Le cahier de brouillon, beaucoup plus modeste, au papier jauni était le seul que la maîtresse ne regardait pas. Il était sans intérêt pour elle. Mais je suis sûre qu'elle aurait été surprise d'y trouver des merveilles si elle avait pris la peine d'en ouvrir certains. Comme elle ne les relevait jamais, pour ma part,  cela me laissait un espace de liberté que je ne manquais pas d'utiliser à des fins personnelles. Ce qui fait que je devais en changer souvent. L'institutrice me disait : «  tu les manges, les cahiers de brouillon ? «  

Je les aimais bien mes cahiers de brouillon. D'une part parce que j'y écrivais ce que je voulais – des phrases relevées dans mes lectures, des poèmes, mes frustrations ... – et aussi pour leur côté pratique. Avec les tables d'addition, soustraction, division et multiplication et  parfois avec tout le système métrique dans leur dos ils m'aidaient  pour mes devoirs de mathématique. Et aussi pour le calcul mental sur l'ardoise. Il suffisait de le laisser dépasser un peu du  dessous du bureau et veiller à ne pas se faire prendre. 

Au collège où j'étais interne,  les surveillantes nous conduisaient dans la campagne environnante  les jeudis après midi pour prendre l'air. J'emportais toujours avec moi un cahier de brouillon pour commencer une composition française – l'inspiration me venait mieux qu'en salle d'étude - ou apprendre mes leçons en relevant sur ce cahier les points qui me paraissaient essentiels. Cela m'aidait beaucoup.

Je viens de faire quelques recherches et retrouver mon journal d'adolescente au fond d'un tiroir. J'utilisais aussi des cahiers de brouillon parce que peu fragiles. Je pouvais les transporter partout, dans les prés, les bois et les chemins  où j'étais tranquille pour y déverser mes premières amours et mes émotions. Voilà longtemps que je n'y avais pas mis le nez. Nostalgie et une certaine tendresse me prennent. Je me dis aujourd'hui que ce sont mes cahiers de brouillon successifs qui m'ont donné à coup sûr le goût de l'écriture. 

Quand j'ai commencé à écrire des nouvelles ou différents textes, j'aimais employer un cahier et un stylo. Il me semblait que cela allait de soi.  Mais il fallait ensuite taper ma prose sur le clavier et ainsi effectuer un double travail. J'ai donc abandonné le cahier. Mais j'ai toujours près de moi, sur mon bureau, sur ma table de chevet et même dans mon sac à main un carnet sur lequel je reporte mes idées, mes réflexions.

Alors oui, les brouillons me sont utiles et de plus en plus, ma mémoire devenant étrangement paresseuse. 

Pascal - Pas de brouillon


Une petite mésange 


Ben non ; « je ne fais pas de brouillon »… Pour quoi faire ?... Parce qu’elle est une petite mésange farouche, l’inspiration se pose sur mon épaule, comme ça, quand je m’y attends le moins. Une chanson, un paysage, une œillade, un parfum, c’est la majuscule du début de mon écriture, la gare de départ, l’illusion en marche, le confessionnal de mes non-dits.
Je ne suis pas l’auteur de ce que j’écris, je suis l’écrivain de ce que l’inspiration me dicte. Avec l’élan de mes sens aux aguets, phrase après phrase, je vais tremper ma plume dans l’encrier des soupirs, dans celui des rêves, dans celui des désirs, dans celui des couleurs, dans celui des choses qui n’arrivent jamais.
Quand j’essaie de la regarder dans les yeux, elle s’enfuit ; quand je voudrais la retenir, elle s’écarte ; quand je la tiens au bout de ma plume, elle sautille, elle s’échappe, elle revient, elle repart, elle fomente, elle s’extasie, elle se vaporise mais réapparaît dans un trait de lumière ! Je dois tout écrire dans le seul ordre qu’elle me propose ! À son seul gré, je ne peux que m’exécuter à cette bienheureuse sentence ; alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Parfois, quand je conduis, elle s’approche si près de moi que je vois tout le défilé de mon texte qui passe devant mon nez. Comme les héros d’un cirque à la parade, les détails, les sourires, les ombres, les couleurs, les décors, l’intrigue, tout s’affiche en grandiose, tout prend l’organisation naturelle du déroulé de l’histoire ; immanquablement, tant de félicité  me met les larmes aux yeux. C’est une ombre qui prend des formes ; c’est consistant, c’est éblouissant, c’est un coin de paradis qui s’entrouvre, une entrée gratuite dans la quatrième dimension !
Elle me souffle ses soupirs, elle m’impose ses tournures de phrases, elle décide du tempo, du jour et de la nuit, du prénom de mes héros : tout lui appartient. À cause d’elle, je rate souvent ma sortie d’autoroute ; alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Elle est rebelle, elle est languissante, elle est attachante ; elle est un surplus de moi que je ne peux pas contrôler ! Je voudrais l’apprivoiser, l’accommoder, lui dire de venir de telle à telle heure mais, ça ne marche pas comme ça ! Des édifices faramineux jusqu’aux ruines, des printemps jusqu’aux automnes, des doux ressacs jusqu’aux tempêtes, elle me rudoie, m’emporte, me noie, me ressuscite ; elle mystifie mon état d’esprit, elle chamboule mes certitudes, elle énerve mes idées reçues, elle trouble l’eau qui coule sous les ponts de mes vérités.
Dans la seconde, je dois tout lâcher pour encaisser son entrée en force ! J’ai chaud, j’ai froid, je suis pleutre, je suis courageux, je suis un prince, je suis un forçat, je suis l’été, je suis l’hiver, je suis à ses ordres ! Alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Ses désespoirs sont des orages, ses miracles sont des mirages, ses rires sont cristallins, ses pleurs et ses chagrins m’abîment, me brûlent et me tuent ; souvent, tombé en flamme, je finis prostré à côté de ma chaise. Je me recroqueville, je suis fœtus, je veux retourner dans le ventre de ma mère et remonter encore dans le néant, jusqu’à la plénitude de l’inexistence.
Aussi, apaisante, en échos pacifiques, elle m’impose des arcs-en-ciel pour agrémenter ses desseins. Magnanime, elle a des plages de sable tiède où elle m’autorise à laisser mes empreintes ; elle a des oiseaux qui parlent, des cerfs-volants sans fil, des trains qui ne laissent jamais personne sur le quai…  

Chez elle, le cours de la larme tiède a plus de valeur que celui de l’or ; je sais ses embrassades chaleureuses, ses sourires comme des mines de bonheur, ses « Je t’aime » aussi sincères que les plus belles déclarations d’Amour.
Elle est plus légère que la plume de l’aile d’un ange, elle est plus amoureuse que le baiser le plus sensuel, elle est plus colorée que la palette d’un peintre impressionniste le plus romantique.
Elle chasse l’ennui, parfume les fleurs, trouble les étangs, décore les nuages ; elle met en musique le vent, harmonise les cliquetis de la pluie, réchauffe le soleil, attise mes sensations. Là, dans l’instant de l’aventure qu’elle me commande, je voudrais la serrer dans mes bras, la pétrir, la chérir, lui dire qu’elle a table ouverte au restaurant de mes plus belles impressions ! Au menu, j’ai du parme, du caraïbe, du safran, du turquoise, en majuscules de charme ! Alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Tard, le soir, elle me garde éveillé ; elle est la lauréate de mes pensées, la disposition des étoiles filantes devant mes yeux éblouis. Elle me donne sa fièvre, elle me dicte ses passions, elle a ses panoramas tout en sensations, elle me brusque, me bouleverse, me sermonne, voudrait que je reste et que je tisse encore la trame de son ouvrage ! Elle a des phrases si belles que je suis sûr de m’en rappeler pendant mille ans mais dont j’oublie la teneur, une minute après les avoir enfantées !
La nuit, elle me réveille ! Elle me réclame ! Elle me houspille ! Elle me bouscule ! Elle me soulève ! Impérativement, je dois aller la recoucher sur le papier ! Écran, clavier, pc, je dois tout rallumer ! Elle a tant à clamer ! Elle est pire qu’une maîtresse insatiable ! Et moi ?!... Je suis au garde-à-vous devant les moindres de ses simagrées !
Tôt, le matin, elle me surprend encore ; en fins de rêve ou, obstination rémanente, séance tenante, elle me somme d’enfiler mes chaussons et de courir reprendre l’écriture de son œuvre ! Pour mieux l’apprivoiser, la retenir, j’ai renoncé aux choses faciles, aux plaisirs épicuriens, ceux qu’on s’achète comme des spéculations tarifées, aux voyages cartes postales, aux repas du dimanche qui remplissent le ventre et qui assèchent les phantasmes, en vases communicants.
Casanier, ascète, atrabilaire, je m’enferme dans ma cage, je tiens les volets clos, je garde mes distances avec tout ce qui pourrait parasiter notre intime collusion. Curieuse, elle volette tout autour de ma plume ; j’aime son parfum de feuille blanche ; aujourd’hui, sera-t-elle à l’affiche, au futur, au présent, à l’imparfait ? De quels affiquets vais-je la parer ?
Coquine, elle ne se pose jamais au même endroit, si bien que je ne me rappelle pas toujours ce qu’elle m’a murmuré, et elle ne me le redira jamais sous la forme qu’elle m’avait suggérée au creux de l’oreille. Alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Ma muse a les yeux tellement bleus, ou verts, ou bruns, je ne sais plus. Au risque de me répéter, je tombe obstinément dans ses pièges, je me noie dans ses douves, je cherche désespérément l’amarrage de ses bras trop blancs ! Aux joutes journalières, je suis tout rempli d’un courage neuf ! Entre les lignes, au bout des points de suspension, je lui crie « Je t’aime ! » par la bouche de ma plume en pâmoison ! Je voudrais tuer l’impossible et le remplacer par limpide !
Sous son château imprenable, j’ai placé mes armées de fleurs, je traque son mouchoir blanc, j’habille ses silences avec des stances de troubadour.
Reviens ! Reviens, petit oiseau ! Reviens me bercer avec tous tes mots menteurs ! Dis-moi qu’elle m’aime un peu ! Juste un peu ! Reviens donner du cœur, de l’âme, de la profondeur à tous mes mots d’assiégeant ! Lecteur, rappelle-toi  toujours : l’inspiration est un soupir divin qui prend sa source sur la montagne des Contemplations et qui disparaît avec quelques frissons…  
Tout ce déferlement d’intenses impressions, toutes ces images sensationnelles qui n’auront jamais cours, tout cet enchantement que ma plume s’évertue à mettre au jour, vous comprenez, tout ça, je ne peux le mettre sur un brouillon…