samedi 31 mars 2018

Stouf - Les petits métiers

Je suis de la cloche, c'est mon métier.

Non non … je ne vis pas dans un clocher et ne clochedille point, je suis normalement constitué de mon physique, je ne boitille pas mais je déteste l'intérieur et la rue me sied à merveille.
Mes débuts furent difficiles, l'amour de ma vie ma femme mourut et je n'eus plus du tout envie de rien. Rester dans cet appartement de la ville me dégoutait, enseigner la sociologie à la fac me répugnait et les braves amies et amis qui tentaient de me réconforter de mon malheur me révulsaient.
Mon malheur ?
Un matin où je n' avais fait que pleurer sans manger et sortir de mon appartement depuis des jours je décidais d'être heureux !
Mon vieux sac à dos de l'Annapurna avec ma mie au Népal, quelques boites de conserves, un vieux sac de couchage, mon bonnet avec le drapeau de l' Angleterre sur ma tête et quelques billets dans ma poche … mon livre « Les clochards célestes » de mon ancien ami Jack des Etats Unis et hop, c'était fini tout ce malheur …
Bon qu'est ce qui se passe dehors ?
Tiens, madame Camille la voisine d'hier vole deux poireaux dans l'étal de monsieur Hamed qui fait semblant de pas avoir vu.
Un jeune étudiant de ma connaissance m'accoste et me pose une problématique constructionnellement un peu débile dont je n'ai rien à fiche.
En fait je ne me souvenais plus que ça sent bon le pot d'échappement et la pisse la rue.
Au coin de la rue un chinois qui parle parfaitement le français et qui possède une gueule qui me plait bien me demande 
- Toi aussi t'es un clochard ?
- Ben ouai, je lui dis.
- T'as un coin pour dormir ?
- Non !
- Bon, okay, suis-moi.

Telles furent mes premières approches du bonheur...

    vendredi 30 mars 2018

    Loht - Les petits métiers

    Blancheurs

    Aux temps des villes je préfère ceux des champs
    C’est toujours la lavandière qui va touchant
    Mon coeur de sa silhouette et de son chant
    Qu’accompagne très lent celui de la rivière

    Tant plus me sied le temps passé que le présent
    La blanchisseuse glissant dans le jour commençant
    Troublante comme au milieu de l’endormissement
    L’image revenante d’un amour de naguère

    Lavez mon âme jeune femme lavez plus blanc
    Que les habits immaculés des communiants
    Et je serai le vanneau à l’aile dans le vent
    A nouveau je serai épicé de bruyère

    Arpenteur d'étoiles - Les petits métiers

    LE GONE.
    LE PLUS BEAU MÉTIER DU MONDE

    - Depuis le gros caillou, vous allez jusqu’à la rue Diderot, puis vous prenez par la traboule de la Cour des Voraces jusqu’aux Tables Claudiennes. A la sortie, je suis là, juste à droite.
    J’avais suivi scrupuleusement les indications et frappais à une porte en bois marron à l’aide d’un vieux heurtoir en fer rouillé. Une plaque en cuivre vert de grisé indiquait sobrement "Atelier G.Cochard". Des pas traînants, puis le battant qui s’entrouvre. Une forme s’efface dans l’ombre fraîche de l’allée.
    - Montez les degrés devant vous fit la voix frêle ; je vous suis à mon rythme, va ! C’est au troisième. La porte de l’atelier est restée ouverte.

    Je pénétrais dans un grand local éclairé par deux immenses fenêtres sans volet. Un impossible fatras de rouleaux de papier, de cartons perforés, d’outils de toute sorte la remplissait jusqu’à la gorge. Une vieille banque en bois occupait le centre et deux gros meubles à multiples tiroirs, le fond. Les murs étaient couverts de dessins dûment numérotés. Je respirais une odeur de cire et de graisse, mêlée à celle très spéciale de la soie. Peu après la voix entrait à son tour. Je me retournais pour découvrir un vieux bonhomme petit et maigre, flottant dans un bleu de travail élimé et comme ciré par l’usage, un béret noir vissé sur la tête. Des lunettes rondes aux branches tordues lui donnait un air un peu fou, mais les yeux pétillaient de malice. Il me regardait par en dessous, le visage légèrement incliné de côté, en mâchonnant une gitane maïs maintes fois éteintes et rallumées.
    - Alors c’est vous le curieux, l’ingénieur, demanda-t-il en appuyant sur le dernier mot d’un petit rire. Vous voulez voir la bête, c’est ça, hein ? Ah, y en plus beaucoup comme celui là, vous savez. Il a bien plus de cent ans … presque mon âge rajouta-t-il avec un clin d’œil complice.
    Je ne savais trop quoi répondre et lui emboîtais le pas vers une autre pièce un peu plus sombre.
    - Voilà ! Dit-il ponctuant avec un large mouvement du bras. Voilà le rescapé du temps qui passe.
    Dans une quasi pénombre trouée par deux lampes l’éclairant, IL était là, échassier de bois luisant surmonté par une mécanique complexe. Il semblait dormir.
    - J’vais vous le montrer au travail.
    Le bonhomme s’installa devant la façure, fit jouer deux ou trois fois le peigne, appuya sur la pédale pour libérer les fils, lança la navette et commença à tisser. Les cartons perforés se mirent à tourner. Les fils de chaînes entraînés par la mécanique montaient et descendaient, reliés aux aiguilles tombant dans les trous des cartons. Le claquement sec de la navette, le bruit du peigne venant tasser la dernière trame insérée, le cliquettement des aiguilles, le sifflement sporadique de la courroie et le tissu qui avançait doucement. Malgré son extrême application, je sentais la passion et le bonheur du vieux canut. Il s’arrêta après quelques minutes.
    - Viens donc voir, gone ! Je m’approchais timidement.
    - Vous tissez … à l’envers ?
    - T’as l’œil, gone. C’est bien, ça. Ben oui, tu comprends, pour pas fatiguer la machine en levant des masses de fils trop importantes, j’ai inversé le dessin. Du coup, je lève moins et elle aussi.
    - Mais, comment vous faites pour voir si c’est juste ?
    - Ben tiens, avec la glace !
    Il prit un miroir attaché à une canne en bois et la passa sous le tissu. Et je vis une pure merveille de motif de feuilles d’acanthes d’or et de soie rouge.
    - Monsieur Cochard, … vous faites tout ?
    - Ça t’en bouche un coin, pas vrai ? Je fais juste ourdir ailleurs et je fais faire aussi les canettes. Mais c’est moi qui fait les cartons pour les dessins, le remettage et le rentrage en peigne. Tiens regarde dans l’armoire derrière toi. Mais fais attention, c’est fragile.

    J’ouvrais et restais interdit devant l’incroyable beauté des tissus suspendus. Brocards, damas, façonnés aux nuances subtiles brillaient doucement sous la lueur tamisée des vieilles lampes.

    - Et celui-là, il est … authentique, non ?
    - J’avais bien vu qu’t’avais l’œil ! C’est un tissu qui ornait les appartements de Marie Antoinette à Versailles. J’en ai refait plusieurs mètres l’année dernière. Et celui d’à côté, il va aux murs d’une des pièces de réception du château de Vaux le Vicomte. Y se mouchait pas du coude le père Fouquet, nom de nom. Alors, y te plait-il mon vieux bistanclaque. ?
    - Plutôt, oui. Je jetais un coup d’œil à ma montre.
    - Dites, monsieur Cochard, ça vous dirait pas une quenelle chez l’Antoinette.
    Il me regarda avec un étonnant sourire.
    - Dis, ça t’embêterait pas si on emmène la Nénette ?… Je mets mon tricot au lieu du bleu et on y va. Je la préviens en passant.

    La Nénette était une petite femme à blouse grise et chignon bleuté. Elle avait les mêmes yeux rieurs que son Mari.
    - Ben alors mon Glaudius, tes habillé sans devant dimanche. Viens que je te remette ce tricot à l’endroit. Vous auriez pu lui dire, monsieur, quand même.
    Antoinette nous accueillit avec sa bonhomie coutumière.
    - Alors père Cochard, toujours dans le taffetas ?
    - Tais-toi donc espèce de bartavelle ! Taffetas, mes soieries façonnées … Mets nous donc plutôt un pot de Macon.
    Le repas se passa comme un rêve. Moi jeune homme frais émoulu de l’école sup’ et les deux vieux racontant leurs souvenirs, leurs soucis et leurs joies. Après la quenelle, il y eut le Saint Marcellin avec un verre de Morgon et un sorbet vigneron de première catégorie. Quand on est sorti du bouchon, un petit groupe attendait devant la porte de l’allée.
    - Mon dieu, fit le père Cochard. J’ai failli oublier les japonais de cet après midi !


    Moi, je revins le lendemain, puis le surlendemain, puis tous les jours de la semaine.
    C’était il y a près de dix ans maintenant. J’ai travaillé d’abord comme assistant, puis on s’est associé. J’ai tout appris du vieux canut, le métier comme la vie. Un matin ou j’arrivais à l’atelier, je le trouvais vide. J’allais frappé chez eux, en face. Sans réponse j’essayais de tourner la poignée et la porte s’ouvrit. J’appelais en vain. Je les ai trouvés tous les deux dans le lit, en habit du dimanche se tenant par la main. Sur la commode une belle enveloppe avec l’écriture du Glaudius « pour le Gone ».
    Je mis longtemps à lire, le regard brouillé par les larmes que je ne pouvais calmer :
    « Gone, on a appris hier chez le médecin que la Nénette avait attrapé une saloperie dans le ventre et qu’elle en avait plus que pour quelques semaines à vivre. Alors on a bien réfléchi tous les deux. On s’est dit que le bon Dieu nous avait pas donné de gone à nous, mais qu’il nous en avait fourni un quand même. Toi. Et puis on s’est dit aussi que je pouvais pas rester ici-bas si elle était déjà là haut. Alors on a décidé de partir ensembles. On s’est habillés comme pour aller à la messe, on s’est couchés, on s’est pris la main et puis on a croqué en même temps une pilule de cyanure. Je suis sur que t’en sais largement autant que moi sur le jacquard. Chez le notaire, tout est arrangé et tout est à toi. Alors, bonne chance, Gone. Nous en veux pas et pense qu’on te regarde depuis le paradis des canuts.
    Signé Nénette et Glaudius Cochard
    . »

    Voilà toute l’histoire. J’ai vendu l’atelier de la Croix Rousse pour m’installer de façon un peu plus rationnelle. Pas très loin, vers Caluire. J’ai acheté deux métiers ultramodernes, informatisés et tout et tout, mais j’ai gardé le Bistanclaque du Glaudius. En fouillant dans les papiers, j’ai même appris qu’il avait appartenu à la famille Jacquard.
    Je travaille pour les musés et les demeures historiques du monde entier. Il y a même des tissus tellement particuliers que je ne peux les refaire qu’avec la vieille mécanique.
    De temps en temps, je vais au cimetière de la Croix Rousse leur raconter un peu comment ça va, et fleurir la pierre grise. En partant je dis immanquablement merci à Glaudius de m’avoir appris le plus beau métier du monde et, en plus, de m’avoir confié le plus beau métier (à tisser) du monde.

    Un peu de lyonnais :

    La cour des Voraces est ici Le gros caillou : l’un des plus beaux points de vue sur la bonne ville de Lyon, au bout du boulevard de la Croix Rousse. Son histoire est Une bartavelle : mot du riche et pittoresque parler lyonnais qui signifie une femme bavarde, un peu commère. A rapprocher de la Jarjille stéphanoise qui elle est en plus taquine.

    Un peu de tissage :
    Le métier Jacquard est Le remettage consiste à mettre les fils dans les œillets qui descendent de la mécanique.
    Le rentrage ou piquage en peigne, consiste à passer ces mêmes fils entre les dents du peigne
    La façure est la partie de l’étoffe comprise entre la dernière trame (ou duite) tissée et le rouleau de tissu fini.
    Les cartons : ce sont les cartes perforées permettant le mouvement de la mécanique Jacquard elle même gouvernant chaque fil (ou groupe de fils) de la chaîne. Le principe est le même que celui du limonaire. Ces cartons troués manuellement à l’emporte pièce sont les ancêtres des cartes perforées des premiers ordinateurs et ont inspiré les concepteurs de ces derniers.
    Le Bistanclaque était le nom/onomatopée familier donné par les vieux canuts à leur métier à tisser. Ce nom reproduit bien le bruit du tissage.
    La canette est la bobine de fil qui est dans la navette.

    Jacou - Les petits métiers


    "POD’LAPINPO ! POD’LAPINPO !"

    Pod’lapinpo, comme je le nommais, me terrorisait.
    Un homme, barbe hirsute, vêtements en désordre, une femme à ses côtés, un chien, formaient, pour la petite fille que j’étais, un tableau effrayant.
    Ils remontaient la Grand Rue, (rue Victor Hugo), poussant une charrette, récoltant des peaux de lapins.

    "Mes royans ! Mes royans frais !"
    De mes vacances d’été, impasse Mauvezin, autre litanie. Une femme, voix rauque, vantait un poisson de Royan. Intriguée, je ne comprenais pas pourquoi elle  faisait le déplacement du port de Royan à Arcachon, où, me semblait-il, en abondance, étaient péchés des poissons. Qu’avait de plus cette sardine, pour venir de si loin ?

    Les jeudis, jours sans école, se passaient parfois à Bordeaux.  Les après-midi, coup de sonnette attendu : « Le caillé. »
    Un homme, arrivant de la périphérie de Bordeaux, cela lui faisait bien une trentaine de kilomètres, transportant, à l'arrière de son vélo, bidons de lait de  brebis, et petites fioles.
    Sur la table de la cuisine de ma grand mère, l'attendait un grand saladier, dans lequel il versait le lait ; et rajoutait ses potions magiques*. S’accomplissait un miracle. Le contenu du récipient se solidifiait, offrant une surface lisse et miroitante. Alors on pouvait déguster ce délicieux mets, légèrement vanillé,  consistance légèrement  ferme,  fondant dans la bouche. 

    * Plus tard, je compris que c'était de la présure et des parfums, vanille ou citron (peut-être, aussi framboise ou fraise...)

    Cavalier - Les petits métiers


    Le photographe du Paris des rues























    René Maltête, La rue du Cherche-Midi ; ère pré-smartphones !
    avec aussi d'autres photographies 

    Il est midi 

    Dans la rue du Cherche-Midi
    tel un auguste de Buffet
    dansant autour d’horloges immenses
    que cherches-tu ?

    Comme un pantin surfant contre la théorie des cordes
    au col aimanté du collet, sans s'y faire prendre
    sans s’y faire pendre
    ton vol est suspendu dans la boucle du temps

    Il est midi

    Est-ce le fruit du hasard ou celui du génie ?
    Une perle photographique
    courant sur mon film d’argent
    émerge de la pluie de clics et de déclics
    sous mon presse-bouton

    Fruit défendu, défense d’y voir
    trop d’humour
    de la part d’un artiste phare
    contre toi, qui
    subit déjà les contrecoups du sort :

    L’aumône d’une pièce
    La lutte pour un carton

    Il est midi

    Dans un instant je serai loin
    Mais toi…

    mercredi 28 mars 2018

    Pascal - Les petits métiers


    L’Hôtel des Sirènes 

    Pieds de grues enjôleuses, devant l’enseigne racoleuse, elles étaient quatre soupirants éventails à rêver d’un peu de lumière pour raviver leurs lustres d’écailles. Çà et là, partout dans les rues sombres, naviguait la nuiteuse canaille. Les baisers accrocheurs des bouches d’égout racontaient la marée des poissonneries du matin, quelques poubelles renversées dégueulaient des cageots de marché et si les pavés brillaient, si les devantures clignotaient, si le vent de la nuit batifolait, les sourires de ces naïades n’étaient que des panneaux indicateurs d’hypothétiques escalades…

    La première, un peu blonde, beaucoup décolorée, passionnément délurée, usait ostensiblement ses aiguilles en tricotant des huit accompagnateurs avec son fessier hautement prometteur. Parfois, le long de sa cadence sacrifice, la pointe de son talon enfantait une étincelle subreptice et c’était un autre claquement de pétard d’artifice. Mi amusée, mi apeurée par la déflagration, elle réajustait sa démarche jusqu’à la frontière du trottoir de perdition mais elle repartait à l’assaut de nouvelles additions… Actionnaire zélée, devant la façade grisaillée du lupanar, elle haranguait les confréries des fêtards en les aguichant avec des tractations de chaud plumard…

    Permissionnaires, des troupes de marins en bataille arpentaient les ruelles en gueulant leur saoulerie conquérante. Certains arboraient des dents de requin à leur poitrail, preuves irréfutables de leur bravoure exubérante ; d’autres, galonnés d’improbables médailles, claironnaient à l’embrasement des feux avec des chansons exaspérantes…

    La deuxième, un peu ronde, beaucoup rubiconde, passionnément gironde, bronzait avec la lumière du maigre réverbère. Sentencieuse, elle stationnait avec des poses suggestives, en écartant ou repliant ses cuisses vermeilles, comme le ferait un beau papillon avec ses ailes sous l’emprise d’un chaud soleil. Chacune de ses respirations était une véritable attraction ; brodé de dentelle nébuleuse, son corsage s’ouvrait sur sa poitrine généreuse et seule la Vierge, enfermée dans sa communion, pouvait prétendre à sa condition d’Immaculée Conception… Sans doute astrologue dans une autre vie, elle n’était que promesses de septième ciel, plans de comètes, trente-six étoiles, devant un légionnaire en tablier de sapeur…  

    Au loin, armés de lames, croisaient les ténébreux barbots de ces dames. Moustachus, griffus, obtus, les volutes de fumée de leurs clopes étaient comme des commandements d’invertébrés, des reproches conditionnés, des attentes à l’impudeur tarifée de leurs protégées. Parfois, au bout d’une pichenette rageuse, on voyait s’envoler un mégot rougeoyant, zigzagant dans le noir de la rue peureuse. Avertissement sans frais, l’éclat de voix d’un souteneur colérique  ravivait la flamme de la faction des sirènes angéliques. Instinctivement, elles gonflaient la poitrine, rentraient le ventre et elles s’offraient en vitrine…

    La troisième, un peu crue, beaucoup charnue, passionnément convaincue, était comme un fruit mûr attendant les sonnets sonnants et trébuchants des chansons de ses preux clients d’aventure. Sournoise, candide ou reliquats de demoiselle, elle savait élégamment étirer les élastiques de son porte-jarretelles ; sa tendre peau blanche, prisonnière dans ses bas résille, était comme des SOS de jeune fille, lancés à toutes les escadrilles des marins en godille. Le rouge de ses lèvres était comme un feu de détresse, le bleu de ses yeux était le miroir insensé de l’ivresse, le noir de ses cheveux empêtrés dans une barrette pourfendeuse, était l’ombre de ses caresses. La coquette empestait le parfum de supérette ; l’humeur folâtre, elle dansait avec son sac à main dans l’entrain de son théâtre…

    Derrière les nuages, la lune avait quelques lacunes d’éclairage. Au loin, dans l’arsenal, des appels de bateau rameutaient leur équipage, tuant des bagarres d’abordage. Des portes claquaient, des vitres tremblaient, du verre se brisait, des enfants pleuraient, la nuit s’allongeait…

    La quatrième, un peu sauvage, beaucoup lionne en cage, passionnément coquillage, façon épingle de nacre, avait ferré un pauvre type en plein naufrage. Elle avait les ongles comme des porte-avions, les cils comme des ventilateurs, les seins comme des bouées de sauvetage et les clignotements du pimpant piercing de son ventre étaient des appels de phare sans ambages. L’allure achalandée, le maquillage à l’étalage et la mine en prospection, elle marchandait ses charmes avec le quidam en pleine congestion. L’or de ses bijoux factices était le brillant de ses talents d’actrice. La mèche rebelle, l’œil aquarelle et la cuisse sensuelle, elle récitait son œuvre de bagatelle en arrondissant ses courbures de femelle.
    En reluquant les appâts du cher ectoplasme, l’homme relisait le dépliant turpide de ses fantasmes ; il rinçait son œil pisseux dans les méandres de la jupe plissée et l’on pouvait deviner le labyrinthe de sa trame libidineusement tissée…  

    A l’aurore des éboueurs, quand les poubelles claironnaient, les sirènes disparaissaient dans des souvenirs de port, des prouesses de matador, des mensonges de ressorts. Il ne restait dans la rue que des paillettes de strass, des mégots embrassés de rouge à lèvres, des sombres échos de passes et des rumeurs de fièvre…