Père Noël
Ce
fut enfin la fameuse nuit de Noël...
Depuis
des jours et des jours, les guirlandes accrochées dans le salon dansaient avec
mes allées et venues enjouées devant le sapin illuminé. Et mes courants d’air,
ces insatiables chahuteurs, éclairaient avec nombre de pétillements révélateurs
d’autres éclaboussures bigarrées. Les
lumières incessantes couraient sur les meubles et les murs à ma cadence
enfiévrée…
On
attendait tous le père Noël, surtout moi…
J’avais
mis mes petits souliers cirés sous les branches de l’arbre, bien en évidence,
entre les multiples boules décoratives. Quand je m’approchais trop près de
l’une d’elles, elle déformait outrageusement mon visage en le peignant de bleu
chimérique, de rouge expressif ou de vert inquisiteur !... Ma figure
curieuse, étonnée, soucieuse, s’arrondissait en évaporant mes sourires
conquérants et, quand je me reculais précipitamment, presque
épouvantée, ma tête disparaissait dans les décors flamboyants du salon…
Un
sapin, c’est gigantesque quand on est une gamine. On n’en prend jamais la
mesure et c’est pour cela, qu’à travers les ans, il perdure sans perdre une
épine…
Mais
oui, j’avais fait ma lettre au père Noël !... Mais oui, je m’étais
appliquée !... Je m’étais servie de tous mes plus beaux crayons de
couleur !...Je lui avais dessiné des paysages avec le soleil dedans pour
qu’il ait moins froid pendant la nuit du Réveillon !... J’avais même
badigeonné ma feuille avec du vert prairie, du tendre, rien que pour donner
l’envie impérieuse à ses rennes de venir se régaler sur la pelouse devant ma
maison !...
J’avais
astiqué toutes les chaussures de la maison, toutes !... Pour notre père
Noël de ce soir, ce serait le signe évident d’une famille heureuse vivant dans
la brillance de ses pas assurés !... J’avais passé des heures à les
lustrer impeccablement…
C’est
ma marotte. J’aime le parfum du cirage et la brillance du cuir fleuri en
échange. Perdant la notion du temps, je passe la brosse sur les coutures, les
bords des semelles, les motifs et les décorations, avec d’infinies caresses
insatiables.
Chaque
petite boîte de cirage a ses effluves particuliers, ses sensations de distance
posées sur la chaussure en réparation de propreté ; elle a ses impressions
d’herbe ou de goudron, de pierre ou de trottoir, d’école ou de bureau, de
magasin éclairé ou de ruelle sombre… Et puis, j’use du chiffon à
lustrer !... Je m’acharne jusqu’à une « je ne sais quelle »
tolérance invisible qui assagit enfin mon ardeur ; peut-être parce que je
me vois dans la fleur épanouie du cuir…
Je
soigne de tout mon coeur toutes les chaussures de la maison et, par delà, je
soigne aussi tous ceux et celles qui les portent, avec le même amour. C’est ma
manière à moi de leur dire à tous que je les aime sans détour…
Tous
les préparatifs étaient en place. On avait posé, sur la table du salon, un
verre de lait et une papillote au chocolat. Le père Noël pouvait même s’asseoir
un moment dans le fauteuil le plus confortable, celui que je poussais avec
force et obstination, depuis des semaines, jusqu’à la porte d’entrée et que
maman reculait pourtant ostensiblement à
chacun de ses passages !...
Tous
les bibelots appliqués de la
cheminée semblaient attentifs aux instants magiques ! Les vases ?...
C’était comme s’ils tendaient dangereusement leur fragile cou de faïence pour
mieux apprécier publiquement le déroulement du spectacle !... Les
portraits encadrés des aïeux ?... Attentivement, ils suivaient du regard
tous les faits et gestes de la maison !... Même le grand oncle asticotait
le guidon révérencieux de sa moustache avec une surprenante
application !... Les fines statuettes ?... Elles s’étaient alignées
dans un parfait garde-à-vous et, sur la pointe des pieds, ces curieuses
surveillaient l’ambiance clinquante du moment magique. Même la poussière
semblait être tout un lot de pépites décorées d’or !...
La
bougie d’ambiance posée sur le coin du guéridon animait tous ses invités en
gesticulant doucement avec son opiniâtre petite flamme dansante !... Les
ombres invitées se déplaçaient
inlassablement ; furtives ou précieuses, emballées ou dissimulées,
lascives ou empressées, elles se posaient çà et là, sur les détails cachés, dans les interstices réveillés
ou glissaient gentiment sur les lattes du parquet lustré, en leur offrant
quelques secondes de vie lumineuse… Les
impressions enchanteresses se fabriquaient comme des billets clandestins, sur
la planche de mes souvenirs, en fabuleux butin…
C’était
la première fois que j’allais le voir. Minuit…
Tout
à coup, on a frappé à la porte… Mon sang s’est glacé, mon cœur palpitait une
chamade extraordinaire et mes tantes, en devanture de sauvegarde connivente,
souriaient… Je m’étais cachée dans
leurs robes de soirée mais je ne pouvais pas m’empêcher de surveiller cette
fameuse entrée. J’écarquillai les yeux, plus déterminée que jamais à le
rencontrer enfin… Toute la maison s’était immobilisée, obnubilée par ce
paroxysme fantastique !... Le sapin resplendissait, les bibelots dansaient
et les ombres complices étaient en pleine sarabande !… Les aïeux revivaient !...
Maman
a ouvert la porte…
Le
père Noël était là, joyeux, bien en évidence ; j’entendais même les
grelots dissipés de ses rennes piaffant d’impatience… Il avait sa hotte,
accrochée sur ses épaules, toute garnie de mes jouets tant espérés !... Ma
poupée clignotait avec ses cils en détresse !... Mon ballon rouge
réfléchissait toutes les lumières affolées de la maison !... Mon cheval à
bascule piaffait d’impatience avec ses rênes appelantes !...
Par
je ne sais quel mystère de petite cireuse de chaussures, j’ai regardé ses
souliers : l’habitude sans doute de reconnaître, à l’évidence, celui qui
les porte par la brillance équivoque des reflets apprivoisés… Et je n’ai pu
m’empêcher de m’exclamer :
« Ho,
gentil père Noël, tu as les mêmes chaussures que mon Papa !… »