lundi 27 août 2018

Andiamo - La fête bat son plein


La fête à Pigalle.
 
J'avais quinze ans quand, pour la première fois, je suis allé à la fête foraine de Pigalle.
Elle s'installait en automne et restait un bon moment, elle s'étirait à peu près du Boulevard Barbès, en passant par Pigalle, jusqu’ à la place Clichy, (ligne 2, n'est-ce-pas) ?

Pour nous y rendre le dimanche, on empruntait le bus et le métro. Afin de ne pas payer les transports, on collectait auprès des voisins les cartes hebdomadaires.
Ces cartes étaient vendues pour la semaine, six jours (samedi inclus), une carte pour le bus, une autre pour le métro. Généralement, les gens ne travaillant pas le samedi avaient le droit (ou plutôt la tolérance) d'utiliser le jour vacant le dimanche.
Pour moi, pas de problème, j'allais à l'école dans Paris, donc j'étais pourvu.
On descendait à Pigalle, c'est là qu'elle commençait vraiment.
Magnifique, fabuleuse, époustouflante, pour un p'tit gars de banlieue qui n'avait vu jusque-là qu'un manège d'autos tamponneuses, une chenille poussive, et deux stands de tir miteux !

Et tout à coup ça "clinquait" (pas Français, m'en fou), ça hurlait, vociférait, interpellait le chaland...
ROULEZ, ROULEZ, ROULEZ, de la vitesse, encore de la vitesse : en voiture la jeunesse !
Les loteries aux couleurs vives, une grande roue, avec les lots inscrits dans chaque secteur, le cliquetis de la lame de ressort qui tressaute à chaque passage de chacune des petites tiges métalliques, TRRRRRR... Encore un heureux, encore un veinard, il a gagné "un canard" !
La musique des manèges, tonitruante, elle vrille les tympans, il faut hurler pour s'entendre, tant pis pour le voisinage !
C'était Piaf, Ray Ventura, Luis Mariano, Bécaud ou Sydney Bechet, le rock n'était pas né... Pas encore.
 
La guimauve, rose, blanche, jaune, qui dégouline. D'un geste appliqué, la belle foraine, à l'aide d'une spatule en bois, remonte la pâte collante et la suspend au crochet chromé.
Les odeurs de caramel brûlé, près du chaudron à barbe à papa, la baguette agile récupère le sucre qui s'effiloche.
Je n'ai jamais su résister à la barbe à papa, c'est léger, "volatile", comme un gamin de quinze ans.
La mère exaspérée distribuant une torgnole au gamin trépignant, gesticulant, hurlant, chandelle sous le pif, réclamant un tour supplémentaire du manège fabuleux, avec ses chevaux en carton pâte, harnachés comme pour la parade, montant et descendant au rythme effréné d'un accordéon musette.
 
Tout à coup, un attroupement... Approchez, doucement... Au milieu du cercle des badauds, un petit bonhomme, aussi haut que large, casquette crade, pull col roulé délavé en fin jersey, les muscles énormes qui saillent... Un gorille !
C'est Yves Laboulange, un des derniers bateleurs que j'aie connu, il était passé il y a fort longtemps, dans une émission que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître : 36 chandelles, présentée par Monsieur Jean Nohain.
Il est là Yves, il arpente calmement les trois mètres carrés de son tapis crasseux, posé à même le sol, il attend que la recette soit assez conséquente avant de "commencer l'travail", comme il dit.
Yves se tourne alternativement vers les quatre points cardinaux : au Nord, des radins... Au Sud, pas mieux... A l'Est, des pingres, du bout du pied, il repousse négligemment les thunes et les laranqués (pièces en alu de 5 et 2 francs, des anciens francs, que dalle quoi) ! Il ne garde que les pièces jaunes, 10 et 20 francs anciens, pas un seul bifton, tu penses !
Puis, pivotant encore d'un quart de tour, il déclare regardant les badauds un à un : "à l'Ouest, rien de nouveau" !
Quand sa tirelire est suffisamment remplie, il commence "le travail", d'abord un poids de vingt kilos soulevé "à la coiffe", c'est à dire qu'il prend le poids en forme de tronc de pyramide, le coiffant de sa large pogne, la paume posée sur le sommet, et le soulève ! Essayez, vous verrez, la partie la plus étroite étant vers le haut, ça ne demande qu'à glisser.
Ensuite, il soulève le même "à la pince", c'est à dire qu'ayant saisi le petit rebord situé dans le haut du poids, entre le pouce et l'index, d'un mouvement de bascule vers son avant-bras, il lève les vingt kilos. La prise n'est qu'un bord de fonte de 8 millimètres de large par 5 ou 6 millimètres de profondeur. Essayez là aussi, mais écartez vos pieds d'abord ! Ses pognes ? Des machines à broyer !
Yves Laboulange, ça n'est pas le grand Zampano de "la strada", mais ça lui ressemble !
 
Les stands des "curiosités" : Zouzou, la femme la plus grosse du monde, quatre cents livres au bas mot !
Jacky : l'enfant-singe de Bornéo (vous avez remarqué : tous ces êtres, étaient toujours originaires de contrées exotiques, pas de Hénin-Liétard, ou de Boue-sur-Vase, non, non des régions subtropicales UNIQUEMENT) !
Ça n'est pas un homme, ça n'est pas une bête, c'est Jacky, l'enfant-singe de Bornéo, recueilli alors qu'il n'avait que sept ans environ... etc.
Plus loin, c'est Odette, la femme à deux têtes ! Ou encore Madame Suzy, qui présente des pinces en lieu de mains !
Nous n'allions pas voir ce genre d'attraction, ça m'aurait mis mal à l'aise, ces pauvres gens exposés à une curiosité malsaine.
 
Après le train-fantôme, les chenilles, cages à écureuils, autos-tamponneuses rutilantes, chromes éblouissants sous les projecteurs, ça me changeait des bagnoles plutôt minables de mes fêtes drancéennes ! Au détour d'un stand de tir, repérable à distance grâce ou à cause de l'odeur de poudre, voici...
 
Voici : le ring JACKSON !
Sur l'estrade, dominant la foule, alignés en rang d'oignons, un lutteur, un boxeur, un catcheur, et un judoka.
Le père Jackson, mégaphone en main, invective la foule, cherchant un "audacieux" qui osera relever le gant, qui défiera ses champions !
Il y a toujours dans la foule rassemblée devant le stand, un type ou deux qui lèvent la main.
Bravo Monsieur, c'est courageux, de combattre le champion de Belgique et des environs.
Bien sûr, c'est un "baron", un comparse, mais il n'empêche que pour une somme raisonnable, on assiste à un véritable combat de catch ou autre, qui dure un quart d'heure au bas mot.
J'ai connu il y a... Fort longtemps, dans une petite boîte de Bagnolet (ne la cherchez pas, rasée, laminée, la boîte, la rue avec, en lieu et place, l'échangeur de Bagnolet) un garçon qui avait travaillé pour le ring Jackson, ce copain avait été catcheur.
Il nous racontait qu'il effectuait six à sept combats journaliers et, bien que ce soit un comparse contre lequel il combattait, c'était épuisant.
 
Quand nos poches étaient vides, ce qui était assez vite fait étant donné qu'au départ elles n'étaient pas bien pleines, on flânait encore, nous saturant les mirettes de ces néons multicolores, du vermillon des pommes d'amour et du rose bonbon de la guimauve.
On tardait à rentrer, les effluves de vanille, noix de coco, gaufres, nougats et caramels, nous retenaient encore un moment dans ce lieu magique.
Enfin on reprenait le métro, faisant le chemin en sens inverse, les musiques des manèges tournaient dans nos têtes : la belle de Cadix, la vie en rose, Davy Crockett.
C'étaient nos musiques, le cha cha cha venait d'éclore, les Beatles jouaient aux billes dans la banlieue de Liverpool, Bill Haley n'était pas encore une comète, Paul Anka chantait pour ses copains, et le King répétait ses déhanchements.

12 commentaires:

  1. tu nous contes là un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, avec des bateleurs d'une autre époque :)

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    1. K : Et bien merci, il est vrai que c'est récent dans ma mémoire, 64 ans... Une broutille ! ];-D

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  3. Quelle ambiance ! Tu nous emportes avec toi.

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    1. Sebarjo : Je t'emporte ? Tu as ta carte hebdomadaire au moins ?

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  4. Sympa cette évocation des fêtes d'antan. J'ai longtemps cotoyé au pied de mon immeuble la fête à Neuneu qui résonne encore à mes oreilles 60 ans plus tard

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    1. Vegas : j'en ai entendu parler de la fête à Neuneu, mais je n'y suis jamais allé, je pense que c'était du même tonneau que celle de Pigalle, plus facile d'accès pour moi. ];-D

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  5. Comme tu sais bien faire revivre la fête foraine de Pigalle ! On t'imagine tout à fait, adolescent de 15 ans, les mirettes écarquillées, le nez en trompette et les oreilles largement ouvertes pour ne pas en perdre une miette. On est transporté !

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    1. Marité : Elle ne se produit plus hélas ! Bouffée par les boîtes à strip teases !

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  6. Je le sais bien ayant vécu en région parisienne. A Levallois Perret pour tout dire.
    Les boîtes à streap tease participent d'un autre genre de fête...

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    1. Je n'ai rien contre une jolie Dame qui s'effeuille au contraire, mais de là à ne plus voir que ça, où est l'émotion ?

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