jeudi 19 juillet 2018

Marité - Cahiers de vacances


Mes devoirs de vacances.

Les cahiers de vacances ? Quésaco ? Non, je plaisante. Nous en avons acheté à nos fils mais ça les barbait tellement que nous avons vite cessé de les embêter avec ça. De toute façon, ils ne les terminaient jamais.

Quant-à moi, je ne savais même pas qu'un cahier de devoirs existait pendant les vacances.  Je veux dire, quand j'étais enfant bien sûr. J'aurais peut être aimé après tout. Mais chez moi, les vacances ne concernaient que l'école. Pour le reste, il fallait participer aux travaux de la ferme. Les foins d'abord. Dès le plus jeune âge, j'ai appris à manier une fourche pour remuer l'herbe derrière la moto faucheuse. Puis la retourner encore afin qu'elle sèche parfaitement. Venait l'emploi du râteau pour rassembler le fourrage. Un peu lourd pour l'enfant que j'étais, avec son envergure. Il faut dire que les outils n'étaient pas adaptés aux mains des gamins. Ils étaient les mêmes pour tout le monde.  Mon père m'autorisait une escapade pour aller récupérer la bouteille d'eau rougie mise au frais entre deux galets dans les ruisseaux avoisinants. J'en profitais pour baigner mon visage et mes mains gonflées et lourdes de chaleur où, quelquefois apparaissait une douloureuse ampoule. J'aimais cependant l'odeur fraîche de l'herbe coupée puis ensuite, le parfum suave du foin où toutes les fleurs et les plantes se mêlent en un bouquet qui explose et enivre. Le pollen me piquait les narines provoquant des éternuements sans fin qui me faisaient rire.

Après les foins, venaient les moissons. Un travail harassant en plein mois d'août où le soleil tape fort. Derrière la moissonneuse tirée par deux vaches sous le joug, j'aidais ma mère et ma grand-mère à déplacer les javelles pour permettre le passage de la machine. Il fallait faire attention aux vipères qui se cachaient souvent dans le blé. Quand les gerbes étaient chargées dans la charrette que mon père et mon grand-père conduisaient à la grange, nous glanions, c'est-à dire que nous ramassions les épis échappés à l'outil mécanique. Nous utilisions pour cela une faucille. J'avais la mienne, plus petite, bricolée par mon pépé. On sortait du champ les jambes griffées par la paille drue.

Avant la rentrée des classes, c'était le temps de la récolte des pommes de terre. Je suivais le sillon creusé par l'arracheuse pour sortir les tubercules qui n'avaient pas été éjectés. Après un après midi au soleil pour les sécher, commençait le ramassage. Les hommes choisissaient  les grosses pommes de terre et celles réservées à la semence et nous, nous amassions toutes celles qui restaient, les plus petites étant  pour la nourriture des cochons. Les paniers, que l'on portait jusqu'à la charrette au bout du champ étaient lourds pour mes petits bras. Il m'arrivait de bougonner mais comme cela ne servait à rien...

Il y avait aussi les menus travaux : aider aux conserves de fruits et de légumes. Je me souviens encore de mon dos en compote après la récolte des haricots verts. Nous étions neuf à la maison et il fallait emmagasiner pour l'hiver. Casser du petit bois sec pour allumer le feu m'incombait très souvent avant que mes frères grandissent. J'allais également ramasser dans les haies la nourriture pour les lapins, rincer le linge au lavoir. J''en oublie certainement. Les journées étaient bien remplies.

Mais j'avais mes compensations. J'adorais aller garder le troupeau de vaches, seule avec mon chien.
J'étais enfin tranquille pour lire tout mon saoul. Ma mère ne m'imposait pas de la couture comme c'était souvent le cas pour mes copines. Elle savait que je détestais coudre et qu'en plus, j'étais très maladroite.
Je dévalisais la bibliothèque de l'école. La maîtresse, peu regardante, me laissait choisir ce qui me plaisait. Inutile de préciser que les livres pour adultes m'intéressaient davantage que ceux réservés aux enfants !  Et les Bonnes Soirées ! Une voisine était abonnée à ce magazine qu'elle me prêtait. Je ne lui laissais pas le temps de le feuilleter et j'allais l'embêter jusqu'à l'obtention de la revue. Je découvrais ainsi la mode et je lisais avidement les romances distillées sous forme de feuilletons.

Mon bonheur a été complet quand les parents m'ont acheté - avec les sous gagnés à vendre les champignons que je trouvais - un petit poste  transistor d'un orange criard que je n'avais pas choisi mais il paraît qu'il ne restait que celui-là. Peu importe, j'étais comblée : j'avais de la lecture et de la musique pour compagnie.

Il m'arrivait aussi d'aller débusquer les écrevisses dans le ruisseau. Plus d'une fois, j'ai dû subir leurs pinçons mais je continuais quand même à les agacer juste pour les voir circuler à reculons jusqu'aux bords protecteurs de la rivière. Il y avait aussi des prés avec des mares. Je coupais un bambou, accrochais à son extrémité un bout de tissu rouge et je pêchais les grenouilles.

Je n'ai pas connu l'ennui une seconde durant les vacances de mon enfance. J'adorais l'école mais j'ai aussi beaucoup appris au contact de la nature, des animaux et  des hommes. Le regard et les sens s'aiguisent davantage à mon avis et j'ai acquis une maturité qui m'a beaucoup servi par la suite.  

9 commentaires:

  1. c'est peut-être la même chose ici, où même lorsque la chaleur nous assomme tu restes vaillante et nous régales de tes histoires !

    Mais là tu parles d'une enfance que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais pas non plus d'autres, avec quelques années de plus comme moi, mais ayant grandi en ville.
    Je raffole de tes manières de nous camper une époque rude, mais que tu décris avec plein de joie de vivre.
    Cela me rappelle la vie de Heïdi dont je me délectais étant enfant ! ou même "La petite Fadette" de Georges Sand...

    RépondreSupprimer
  2. Marité tu as fait resurgir des souvenirs, les "griffures" des chaumes après la moisson, ouille, ouille ouille, La bande dessinée "Sylvie" dans bonne soirée, une revue que ma mère s'offrait, je suis allé en Auvergne deux années consécutives durant les grandes vacances, à Cunlhat, que de jolis souvenirs avec mon frère et ma sœur, tendres pages que tu viens de tourner... Merci.

    RépondreSupprimer
  3. Merci Marité. Tu nous proposes une très belle évocation, sensible, qui fleure bon la liberté, le grand air , bref, si j'osais, c'est magique !

    RépondreSupprimer
  4. Pfiou ! Il fait chaud les amis et j'ai les chevilles qui enflent. N'en rajoutez pas ! Si, si...encore, encore... :-))
    Merci, tous les trois. ;-)

    RépondreSupprimer
  5. Quelle merveilleuse évocation, Marité.
    Sincère, authentique et très émouvante.
    Merci pour ce beau texte
    ¸¸.•*¨*• ☆

    RépondreSupprimer
  6. Merci chère Célestine. ;-) Il est facile d'écrire ce que l'on a vécu. Pardon de raconter un peu ma vie d'enfant mais pour ce thème, cela s'est imposé, pour moi.

    RépondreSupprimer
  7. J'appelle Gérard Jugnot, de suite ! Ça va faire un carton, mieux que 'Les Choristes'; ben ouiche !
    Et puiche... ravi de savoir que tu n'as pas perdu les eaux de javelle (note que sinon, t'aurais 'core pris une avoinée !)
    J'ai adoré, Marité. Merciche ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Euh...Me suis trompée mais Occitane et Marité sont jumelles sur la toile !

      Supprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".