Il prenait comme moi le 18 h 45. C'était le dernier bac de la journée
qui faisait la liaison entre le continent et l'île. Nous étions peu
nombreux et j'ai facilement repéré ce voyageur avec son étui à violon
sur le dos.
Il faisait encore chaud quand nous sommes arrivés sur l'île et j'ai
décidé de passer la première soirée à errer sans but aux alentours de
la chambre d'hôtes où je logeais. J'avais emporté des fruits qui me
serviraient de dîner, j'avais besoin d'être seule.
J'ai vagabondé une bonne heure et quand mon estomac s'est rappelé à mon
souvenir, je me suis installée dans une anfractuosité de rocher. Assise à
l'abri face à la mer, à marée montante mais encore assez loin, je
jouissais du bonheur de ma tranquillité. J'étais en train de ranger les
pelures de mes fruits dans un sac quand il me sembla entendre de la
musique.
Mais oui, je ne me trompais pas, c'était un air de violon.
Je me suis approchée de la mer et j'ai vu alors, mon voyageur du 18 h
45, les pieds dans l'eau qui jouait une mélodie mélancolique le plus
souvent, mais avec des envolées très gaies. Mes rares connaissances
musicales ne me permettaient pas de reconnaître le morceau. Peut-être
était-ce une composition personnelle, d'ailleurs, comme un étrange
dialogue. C'était magnifique.
Quand il a jugé que la mer était suffisamment haute, il a sorti de la
poche de sa chemise une fleur, cueillie sur l'île probablement, et il
l'a posée doucement sur une vague. Puis, à reculons, il a regagné la
plage, rangé son violon et est parti, disparaissant à mes yeux .
Je me suis aperçue alors que des larmes coulaient sur mes joues.
Mon hôtesse m'attendait pour me proposer une infusion que j'acceptai
volontiers. Nous avons parlé de la beauté de l'île et elle m'a indiqué
les meilleurs endroits à visiter. Encouragée par sa gentillesse, je lui
ai parlé du violoniste.
« Ah ! me dit-elle, vous l'avez vu ! Cela fait cinq ans qu'il revient à la même date.»
Cinq années auparavant donc, une petite fille de 2 ans environ avait
trompé la vigilance de ses parents et avait été attirée par l'eau.
« Personne ne sait bien ce qui s'est passé. Avec les enfants, il
suffit de quelques secondes pour qu'ils s'échappent, vous savez. C'est
ce jeune homme qui s'est précipité dans l'eau et a réussi à ramener la
fillette, mais trop tard, malheureusement.
Depuis , à chaque anniversaire de l'accident, il revient jouer du violon exactement à l'endroit où la petite s'est noyée. »
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