Édition spéciale
Elle
prenait comme moi le 18h45.
J'arrivai
du kiosque comme chaque soir et m'affalai comme un millefeuille sur
la banquette. Le monde dégoulinait de mauvaises nouvelles.
Le
ciel était de la couleur du plomb des typographes, la pluie
dessinait sur les vitres des calligrammes en elzévir, quand une
bourrasque soudaine changea la fonte j'eus peur que l'orage ne la
retarde et ne la fasse rater l'interligne.
Elle
courut sur le quai, les pigeons s'envolèrent comme une poignée de
gros sel vers la verrière sur laquelle voguaient à toute allure des
cumulus qu'on voyait lâcher à la volée des flaques entières,
comme des paquets de journaux.
Elle
s'abattit près de moi en secouant sa chevelure, ce qui jeta en l'air
une myriade de gouttes d'eau étincelantes comme du mica qui
dessinèrent en l'air la roue d'un paon avant de crépiter sur moi en
averse tropicale, alors mon cœur,
coprin noir d'encre, manqua se liquéfier.
On
entendait le conducteur choisir avec soin sa banlieue dans la casse
des aiguillages tandis que le train s'ébranlait, puis tout s'huila
et ronronna comme une presse rotative au soleil couchant accroché
aux caténaires.
Ses
yeux d'abord, sa respiration essoufflée comme une émotion d'avoir
couru, enfin ses doigts tournant mes pages. Elle n'est pas de celles
qui se moquent du monde, ses conflits, ses scandales, ses colloques,
les inondations et les catastrophes environnementales à venir, les
mariages princiers, les courses cyclistes et les matches de foot,
aussi me parcourut-elle sans distraction et me lut d'un trait jusqu'à
mon extase.
Plus
tard, dans cette intimité tendre d'après l'amour, elle lut
l'horoscope imprimé à sa dévotion, puis me chatouilla
délicieusement en remplissant la grille de mots croisés, tapotant
ses lèvres chéries du crayon qui me griffait comme m'auraient
égratigné ses ongles.
Elle
disparut à la nuit tombée pour aller, j'imagine, récupérer ses
enfants à la garderie, sans ardeur embrasser son mari, préparer le
repas. L'équipe de nettoyage fit peu de cas de moi, me froissant et
me jetant entre les rails. A l'heure où les trains dorment comme des
vagabonds sous les ponts des autoroutes, le vent finit de disperser
mes pages trempées de pluie et de larmes. Dans les barres et les
tours alentour s'allumaient déjà, une à une, les fenêtres des
ouvriers du livre qui partaient au labeur.
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