Malgré tout et en dépit de tout, il en reste des
enchantements.
On a bien cru y disparaître totalement, dans le tout,
englouti entre maëlstrom angoisse et culpabilité – pour celle-là, on devrait
peut-être se décider à recourir aux services d'un tueur à gages, cela fait bien
longtemps qu'elle nous pourrit la vie – on s'est plongé à corps perdu dans un
autre gouffre espérant échapper au premier – on s'est demandé ce qu'on avait
bien pu faire dans les soixante-treize vies antérieures précédant immédiatement
celle-ci, pour qu'elle nous laisse si peu tranquille, on a tenté de se
persuader que ce n'est pas l'extérieur qui gouverne l'intérieur, que si l'on
arrivait à rendre son cœur serein, les drames ne nous mettraient pas à chaque
fois à terre, et qu'il faudrait absolument bâtir des remparts contre
l'inquiétude qui sape sournoisement toutes nos insouciances.
Le gouffre de secours, plongée dans le savoir, les livres,
l'étude, la réflexion, en a apporté des enchantements. C'était bien. Des
rencontres également, avec des passionnés, de quoi oublier quelques heures à
chaque fois tout le reste, et n'être plus qu'un être qui lit, qui écrit, qui
reçoit, qui transmet.
On s'y est perdu. On ne regrette pas. De nouvelles âmes, de
nouvelles amitiés s'y sont formées. Certaines choses y sont mortes, on les y
laisse comme une mue, qu'importe.
On s'est perdu dans les romans, à écumer le bibliobus tant
qu'il reste un bibliobus, urgence à lire avant qu'il ne revienne, on a lu turc,
indien, japonais, finlandais, mexicain, français, grec. On a parfois oublié de
noter les titres, ou oublié tout court. On a lu comme d'autres courent, pour ne
plus exister que la course. On y a trouvé des merveilles.
On a tenté de prendre soin. De chérir sans intrusion, sans
indélicatesse. C'est épuisant. On n'a toujours pas réussi à trouver bien cette
juste place. Elle est une quête infinie. Mais là encore, des enchantements, des
perles de tendresse qui débordent les yeux, parce qu'une petite voix veut vous
dire quelque chose, parce qu'après la colère et même après les pleurs, il reste
encore de l'amour.
Je suis très sensible à la fin de ton texte... deux ou trois phrases, posées comme une plume....
RépondreSupprimerTant qu'on sera encore capable d'être enchanté, on survivra au bord du gouffre du tout...
RépondreSupprimerTu es là et tu nous enchantes par ton texte.
RépondreSupprimeravec le sourire
très beau texte, écriture légère, subtile pour dire la douleur, la lourdeur, la cruauté de certains moments de vie, et puis, peu à peu, les fenêtres qui s'entrouvrent à nouveau et l'air frais qui revient doucement.
RépondreSupprimertrès heureux de te relire ici Aglaé