L’invité inopportun
Noël 2005
La maison est chaleureuse et un peu fantastique. Des dizaines de bougies sont disséminées un peu partout et quelques lampes discrètes dans les angles des murs étirent les ombres des objets que leur lumière rencontre. Des photophores colorés descendent des vieilles poutres en bois et font danser leurs reflets dans le cristal des verres et sur la porcelaine fine. Un tulle aérien couleur d’ambre habille l’immense nappe blanche. Le feu dans la cheminée embrase doucement le salon. Le sapin majestueux semble protéger une crèche modeste dans laquelle dort un de nos chats. Des paquets cadeaux attendent tout près dans des emballages dorés.
Nous sommes peu nombreux : quatre adultes et deux enfants, ou plutôt deux adolescents. Les femmes, sœurs jumelles sont belles, un peu coquines, discrètement maquillées. La jeune fille a pour la première fois abandonné ses multiples couches de vêtements pour laisser apparaître quelle femme elle deviendra plus tard : robe noire, quelques grammes de dentelles visibles dans le décolleté sage et des paillettes pour accentuer le regard. Nous, « les hommes » nous avons choisi la version décontractée. Le jeune frère fait étalage, mais dans l’humour, des marques qui attestent de sa tribu du moment. Musique de circonstance, chants de Noël, un peu d’encens, la tête tourne agréablement.
Champagne, puis vendanges tardives accompagnant l’entrée. Puis ensuite, poulet de Bresse aux morilles. Nous parlons des Noëls de nos jeunesses, de l’attente, du vélo rouge que l’on découvre au matin en se baissant sous la table de la salle à manger pour voir, de l’autre côté, le pied du sapin, des oranges et des papillotes. On raconte aux enfants qui font semblant de nous écouter ceux que nous ont racontés nos parents et nos grands-parents. Les Noëls de « pauvres », ceux des gens modestes quand on savait se contenter de si peu, mais où le bonheur était si grand. Quand toute la famille mélomane et musicienne composait une chorale parfaite pour chanter Jésus le Rédempteur. Les messes de Minuit si belles et si … longues. Enfin, tout cela …
Et puis une réflexion anodine. La grande qui s’étonne, qui pâlit, puis qui éclate en sanglots. Son père prend soudain un regard vague. Et puis la faille s’ouvre, une monstrueuse anfractuosité où s’engouffre un torrent de reproches, de non-dits enfin exprimés. L’alcool désinhibe. L’homme devient un justicier, un garant de la morale et des bonnes mœurs, celui qui détient LA vérité, la seule, l’immuable depuis la nuit des temps. Les mots ont été dits, définitifs. Les accusations sont sans appel. Personne n’est innocent ; nous sommes tous coupables d’être ce que nous sommes et de ne pas savoir ou vouloir comprendre.
Les deux sœurs sont montées à l’étage avec les enfants, en larme et en colère. J’écoute seul le long flot de paroles, coupé de pleurs, de gestes brutaux. J’endigue au mieux que je le peux les écarts imprévisibles, les injures dans du verre brisé. Il déchire son couple, le broie, l’écrase et le sanctifie à la fois. Tout y passe, des anciennes histoires aux rares relations sexuelles. Qu’est-ce que j’ai à faire là-dedans, moi ? Que s’est-il passé dans cette fraction de seconde pour détruire une vie ? Après long temps, les mots se firent plus rares, le silence s’installa peu à peu dans une espèce de sidération, d’hébétude.
Il suivit une semaine de tension terrible, de carabine vingt-deux long rifle cachée dans le grenier, de virées folles et solitaires en moto, d’œil au beurre noir, de désespoir et de colère. Et puis plus rien que le silence oppressant de face à face interminables.
Ce soir de Noël, s’étaient invités le désamour, l’incompréhension et la haine. Aujourd’hui tout est consommé ou presque : divorce, séparation. La page se tourne douloureusement, mais malgré tout, elle se tourne.
Dans quelques jours c’est Noël. Un vrai Noël chaleureux et tendre et plein de bonheur …
Noël 2005
La maison est chaleureuse et un peu fantastique. Des dizaines de bougies sont disséminées un peu partout et quelques lampes discrètes dans les angles des murs étirent les ombres des objets que leur lumière rencontre. Des photophores colorés descendent des vieilles poutres en bois et font danser leurs reflets dans le cristal des verres et sur la porcelaine fine. Un tulle aérien couleur d’ambre habille l’immense nappe blanche. Le feu dans la cheminée embrase doucement le salon. Le sapin majestueux semble protéger une crèche modeste dans laquelle dort un de nos chats. Des paquets cadeaux attendent tout près dans des emballages dorés.
Nous sommes peu nombreux : quatre adultes et deux enfants, ou plutôt deux adolescents. Les femmes, sœurs jumelles sont belles, un peu coquines, discrètement maquillées. La jeune fille a pour la première fois abandonné ses multiples couches de vêtements pour laisser apparaître quelle femme elle deviendra plus tard : robe noire, quelques grammes de dentelles visibles dans le décolleté sage et des paillettes pour accentuer le regard. Nous, « les hommes » nous avons choisi la version décontractée. Le jeune frère fait étalage, mais dans l’humour, des marques qui attestent de sa tribu du moment. Musique de circonstance, chants de Noël, un peu d’encens, la tête tourne agréablement.
Champagne, puis vendanges tardives accompagnant l’entrée. Puis ensuite, poulet de Bresse aux morilles. Nous parlons des Noëls de nos jeunesses, de l’attente, du vélo rouge que l’on découvre au matin en se baissant sous la table de la salle à manger pour voir, de l’autre côté, le pied du sapin, des oranges et des papillotes. On raconte aux enfants qui font semblant de nous écouter ceux que nous ont racontés nos parents et nos grands-parents. Les Noëls de « pauvres », ceux des gens modestes quand on savait se contenter de si peu, mais où le bonheur était si grand. Quand toute la famille mélomane et musicienne composait une chorale parfaite pour chanter Jésus le Rédempteur. Les messes de Minuit si belles et si … longues. Enfin, tout cela …
Et puis une réflexion anodine. La grande qui s’étonne, qui pâlit, puis qui éclate en sanglots. Son père prend soudain un regard vague. Et puis la faille s’ouvre, une monstrueuse anfractuosité où s’engouffre un torrent de reproches, de non-dits enfin exprimés. L’alcool désinhibe. L’homme devient un justicier, un garant de la morale et des bonnes mœurs, celui qui détient LA vérité, la seule, l’immuable depuis la nuit des temps. Les mots ont été dits, définitifs. Les accusations sont sans appel. Personne n’est innocent ; nous sommes tous coupables d’être ce que nous sommes et de ne pas savoir ou vouloir comprendre.
Les deux sœurs sont montées à l’étage avec les enfants, en larme et en colère. J’écoute seul le long flot de paroles, coupé de pleurs, de gestes brutaux. J’endigue au mieux que je le peux les écarts imprévisibles, les injures dans du verre brisé. Il déchire son couple, le broie, l’écrase et le sanctifie à la fois. Tout y passe, des anciennes histoires aux rares relations sexuelles. Qu’est-ce que j’ai à faire là-dedans, moi ? Que s’est-il passé dans cette fraction de seconde pour détruire une vie ? Après long temps, les mots se firent plus rares, le silence s’installa peu à peu dans une espèce de sidération, d’hébétude.
Il suivit une semaine de tension terrible, de carabine vingt-deux long rifle cachée dans le grenier, de virées folles et solitaires en moto, d’œil au beurre noir, de désespoir et de colère. Et puis plus rien que le silence oppressant de face à face interminables.
Ce soir de Noël, s’étaient invités le désamour, l’incompréhension et la haine. Aujourd’hui tout est consommé ou presque : divorce, séparation. La page se tourne douloureusement, mais malgré tout, elle se tourne.
Dans quelques jours c’est Noël. Un vrai Noël chaleureux et tendre et plein de bonheur …
Tu as su rendre ton texte très visuel l'Arpenteur. On imagine très bien le décor de ce soir de Noël, l'évocation nostalgique d'autres Noëls d'enfance, puis la scène d'orage qui survient et qui gâche tout.
RépondreSupprimerC'est un soir tellement particulier que l'on n'oublie pas ce qui se passe quand il est marqué par de tels événements.
Je te souhaite de tout cœur de très bons Noëls à venir. ;-)
il est un fait qu'il y a des noëls qui déchirent littéralement :(
RépondreSupprimercelui-ci en est un, extrêmement bouleversant
Joli, l'Arpenteur; avec moi, forcément, tu trouveras l'écho de cette écriture... Joyeux Noël !... :)
RépondreSupprimerLe divin enfant a dû trembler sur sa couche!
RépondreSupprimerLes Noëls se suivent et ne se ressemblent pas... fort heureusement.
Le père Noël vide sa hotte, eux ont vidé leur sac ];-D
RépondreSupprimerstouf qui aime sa famille
RépondreSupprimerExcuse moi de te dire cela mais... elle est quelque peu lourde ton histoire. Moi même j'ai un cousin qui se nomme vss et qui me zape énorméméent et alors ?
J'aime beaucoup ton écriture cinématographique, L'Arpenteur.
RépondreSupprimerLes "pétages de plomb" sont fréquents à Noël dans les familles...et au cinéma aussi, d'ailleurs. ;-)
¸¸.•*¨*• ☆
C'est raconté comme une carte de Noël, qui brille et se déplie. Le drame en est plus prégnant. C'est superbe comme souvent
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