Le Banc du TCF
On a beau être de bois, quand il ne
fait pas chaud, il ne fait pas chaud. Quel hiver ! Quatre mètres
cinquante de neige cumulée, paraît-il. C’est lourd, pour un vieux
banc comme moi.
Depuis des décennies, je suis là, par
quarante-cinq degrés, quarante neuf minutes et trente-deux secondes
de latitude nord et six degrés, quarante-quatre minutes et
vingt-sept secondes de longitude est, à une altitude d’environ
mille cinq cent mètres.
Permettez moi de me rengorger, je suis
un banc d’assez haute importance.
Suffisamment important pour qu’il ait
été jugé utile de mentionner mon existence sur les cartes
topographiques du Val Monjoie.
Je suis le « Banc du TCF »
Installé dans la forêt, en un endroit
que l’on atteint après une rude montée au-dessus du lieu-dit « La
Frasse », en haut du village des Contamines, je suis bien placé
pour offrir au randonneur parti en expédition au Mont Truc un repos
salvateur. Mieux encore, le circumnavigateur du Mont Blanc pourra se
refaire une beauté avant l’étape, après avoir gravi depuis Les
Houches le versant nord du Col de Voza, franchi la passerelle
vertigineuse au-dessus du Torrent de Bionnassay aux eaux rugissantes,
remonté la combe des juments où la chaleur s’accumule et devient
accablante jusqu’à ce que l’air frais revienne en haut de la
combe de Tricot et enfin, au col homonyme d’où jaillit cette
interminable arête qui mène à l’aiguille de Bionnassay.
C’est à ce col que notre randonneur
au long cours apercevra de sa vue acérée, six cent mètres plus
bas, s’il s’oriente sur un azimut de deux cent vingt sept degrés,
les promeneurs venus des Contamines et arrivés à leur but, le
sommet du Mont Truc (mille huit cent onze mètres).
Entre les deux, un décor de rêve.
Entre nous, je n’ai jamais compris
pourquoi le Touring Club de France avait choisi de me planter en
milieu de forêt, alors que, par exemple, le Mont Truc offre un
belvédère propice à la contemplation.
La contemplation de la calotte
glaciaire qui enveloppe les Dômes de Miage, à droite, et l’aiguille
de Bionnassay, à gauche. En face, du col de Miage près duquel on
peut deviner les refuges Duriez et de Plan Glacier, perdus dans une
immensité de glace et de rochers, et un cirque herbeux, où l’on
voit paître vaches et chevaux. Au milieu des prés coule un torrent,
qui se fera lui aussi rugissant au fond des gorges de la Gruvaz, et
se blottissent une poignée de chalets.
Oui, j’aurais bien aimé être
installé là-haut, je crois.
D’aucuns diraient que ne manquent au
tableau que les petites marmottes qui emballent le chocolat dans le
papier d’alu, mais arrivé au Chalets de Miage – car tel est le
nom du lieu-dit – on peut regretter que moi, ou l’un de mes
collègues, n’y ait point été installé.
Là, le montagnard pourrait s’y
poser, havresac à ses pieds, une gourde d’eau fraîche à portée
de main, pour contempler les petites constructions et s’y rêver
enfoui sous la neige épaisse, dans la solitude de l’hiver.
Il s’imaginera penché sur son
manuscrit devant l’étroite fenêtre, trois pulls sur le dos et les
yeux rougis par la fumée de cette maudite cheminée qui tire mal
malgré les courants d’air. Sur le banc que chaque fonte des neiges
rend un peu plus de guingois, il oublie qu’il lui faudra reprendre
la route, le train, l’avion, repartir loin des alpages et du
grondement à peine audible d’un sérac qui s’écroule, quelque
part en Italie…
Il oubliera sans doute le vieux banc de
bois blotti dans le mélézin, aux planches craquelées par les
cycles de gel et de dégel, déformé par les mouvements
infinitésimaux du terrain instable, témoin muet du temps qui passe
lentement, si lentement, au rythme auquel poussent les montagnes.
Très beau voyage grâce à ce banc, j'avais envie d'en prolonger la lecture...J'y retourne !
RépondreSupprimerPeut être ai-je posé mes fesses sur ce banc ! Belle évocation de la montagne à travers le récit de ce banc qui incite à se poser après une âpre montée.
RépondreSupprimerIl me semblait que je connaissais tous ces noms que tu cites... Bon sang mais c'est bien sûr : mon amie installée récemment à Sallanches m'envoie régulièrement des photos légendées de ses randonnées circumnavigatrices du Mont-Blanc ! Ça fait envie...il faudra que j'aille la voir...Qui sait, je verrai peut-être ton banc...
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
Il n'est plus mentionné dans les dernières éditions de la Top25 "Megève" (qui couvre l'ouest du Massif du Mont Blanc), à mon grand dépit.
SupprimerQuant à Sallanches...un jour,il faudra que je case une histoire sur l'annonce lorsque l'un train y entre en gare, c'est proustien !
Il ne l'oubliera pas ce banc accueillant qui lui a permit une pause bienvenue pour quelques croquis et d'ailleurs il fait partie desdits croquis.
RépondreSupprimerUn super voyage immobile grâce á ce banc :Test Conseillé Fortement !
RépondreSupprimerJ'en profite pour signaler sur mon blog une version de cette histoire envoyée un peu rapidement, et sensiblement à côté de la consigne. Pour les fanatiques de l'étude du processus créatif, ça peut être amusant, pour les changements apportés entre les deux versions au-delà du passage au monologue.
RépondreSupprimer(Oui, mon ego atteint de telles proportions que je me prétends sujet d'étude. Et non, je ne me soigne pas ;) )
ça donne envie… de s'asseoir :)
RépondreSupprimer#Wesh... Un banc pour quand les montagnards sont las, quoi. Sympa ! Et si visuel...
RépondreSupprimerJ'aime toujours autant être transportée par tes histoires de montagne :)
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