jeudi 27 août 2015

Pascal - Moments de bonheur

L’Amérique 

Après le repas du midi, j’allais courir sur la plage déserte. Ma mère m’enfonçait mon bob en éponge bleue sur la tête et je devais le garder coûte que coûte, contre jeux et oublis, contre vents et marées… Elle m’enduisait copieusement de crème solaire ; elle disait que je ressemblais à une statue dorée, à un petit homme de bronze. Je brillais comme une baguette de pain croustillante quand je m’enfuyais hors de portée de ses recommandations et de son désir de me croquer. C’était les grandes vacances, l’azur des beaux jours et les myriades de sensations mirobolantes, celles couleurs des yeux d’enfants pour tout ranger dans l’album des souvenirs les plus fabuleux.

Je retrouvais toute l’immensité de la plage ; j’avais l’Infini pour m’amuser et toute mon imagination pour l’occuper. Le sable était si brûlant que je marchais sur la pointe des pieds ! Je me maquillais les bras, la figure, les jambes, avec des restes de charbon d’un feu de camp et j’étais un indien sur le chemin du littoral. J’investissais tous les châteaux de sable, désertés par la nuit ou l’interlude du midi, et je les piétinais pour rendre la liberté à la plage. Je suivais les empreintes inconnues comme un pisteur sur le sentier de la guerre et j’avais coincé une grande plume de mouette sur mon bob. J’avais cueilli tout un stock de coquillages, tous plus rares les uns que les autres ; je les gardais dans le creux de la main comme des trésors ou des éventuelles transactions de jeux.

Maman m’avait raconté, qu’au bout du panorama, là, au bout de son doigt, c’était l’Amérique. Moi, je passais des heures à tenter d’apercevoir un morceau de terre, un gratte-ciel, un drapeau étoilé, mais la brume lointaine m’empêchait toujours de continuer ma veille curieuse. Pourtant, je distinguais des fantômes de bateaux lointains frissonnant dans l’aura diaphane de la ligne d’horizon. Ils semblaient avancer sur leurs mirages comme mus par le souffle chaud du soleil. Tantôt, ils brillaient tels des éclats de lumière suspendus sur la mer, tantôt, ils glissaient dans l’ombre projetée d’un long nuage cotonneux. Quand je les oubliais un moment, trop occupé par le vol d’un goéland ou par les arabesques d’un lointain cerf-volant, je les recherchais au bout de leur route de croisière avec mes mains calées sur le front comme des visières. J’étais content de les retrouver et j’étais un passager clandestin partant pour le grand voyage. Pendant un moment, j’avais des rêves de découvertes, des ambitions de fortune, j’étais un petit indien cherchant l’Amérique…

Forcément ébloui par les guirlandes de scintillements incessants, distrait par l’écume des vagues joufflues, préoccupé par les senteurs capiteuses, à regrets, je quittais mon poste d’observation et je marchais dans le clapot, allant de découvertes inouïes en chasses au trésor.
En levant la tête, à perte de vue, c’était la lande et ses effluves extraordinaires. Même la plus petite brindille avait son parfum précieux. Tout imbriqués, les uns avec les autres, c’était un concert d’odeurs aux effets enivrants. En inspirant profondément, je fermais les yeux, je planais et je gardais dans mes poumons tous ces trésors imprenables. Je les distillais dans l’alambic de ma mémoire olfactive toute neuve.
Au loin, l’océan semblait attendre la marée montante. Ses rouleaux s’entraînaient avec des blancheurs d’écume, comme des mouchoirs d’au revoir exaltés, des grondements d’armée en répétition de reconquête, des reflets éblouissants d’oriflammes déployés.

Sur la dune, le vent allumait des chimères inquiétantes qui couraient entre les chardons et les terriers de lapins, avec leurs inlassables valses de poussière. Souvent, je pensais qu’elles voulaient m’attraper et je m’enfuyais hors de leurs visions poursuivantes. Au hasard d’une découverte sensationnelle, c’était une caisse, un coffre au trésor, c’était une carcasse d’avion, c’était un cheval blessé, à moitié enseveli, déguisé en souche blanchie par le sel. Bien sûr, je voulais le délivrer, je voulais le chevaucher et je creusais tout autour en me pressant comme si ma vie en dépendait. A genoux, je l’apprivoisais, je lui parlais, je le caressais, je galopais, pendant tous mes travaux d’excavation…

Ça et là, des énormes méduses échouées gisaient en tas gluants ; dans le ressac, elles semblaient respirer doucement comme pour reprendre un second souffle de haute mer. Je les arrosais. Alors, sur leurs dos si lisses, c’était des miroitements d’arc-en-ciel, des déclinaisons de couleurs d’abysses, des irisations transparentes, des chatoiements de feux d’artifice. Avec un bâton, je les tapotais pour tester leur vigueur mais ce n’était que leurs bras gélatineux qui ondulaient faiblement dans l’onde descendante pour me laisser croire à un semblant de vie.

A la marée montante, de vagues vertes, en vagues bleues, l’océan se fracassait sur la plage en se déroulant comme la pellicule d’un film toujours nouveau. Je ne pouvais pas détacher mes regards de cette cavalcade d’écume brumeuse. Des langues de mer affamées embrassaient la plage en léchant les galets mais elles les poussaient sans façon quand elles repartaient dans le ressac. Des paquets d’algues mortes, aux odeurs pestilentielles, me reculaient promptement mais j’essayais toujours d’attraper des puces de mer cachées dans ces chevelures bigarrées. Quand je rentrais, j’avais la tête remplie du tempo des vagues sur la partition de la plage ; dans mon bob, j’avais entassé mes trésors de coquillages, des os de seiche et des fleurs de chardon. J’étais ivre de grand air, de sensations grandioses, de rêves rassasiés. Repu de sa journée, le soleil se baignait en rougissant, quelque part… du côté de l’Amérique…

7 commentaires:

  1. c'était ton Amérique à toi :)

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  2. Très joli texte, émouvant et évocateur... Merci.

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  3. Vegas sur sarthe28 août 2015 à 10:31

    Souvenirs émouvants d'un petit indien en quête d'Amérique

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  4. ouf quel texte ! que du bonheur à lire !
    avec le sourire

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  5. Un très beau souvenir d'enfance... le « tempo des vagues sur la partition de la plage » - j'aurais été heureuse d'écrire ça ! Magnifique !

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  6. L'horizon et ses mystères, le bout du bout... on peut tout imaginer ... même l'Amérique!

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